Henri Gouraud (général)

général français
(Redirigé depuis Henri Joseph Eugène Gouraud)

Henri Gouraud, né le à Paris (Seine) et mort le dans la même ville, est un général d'armée français. Il participe à la colonisation de l'Afrique et du Levant. Pendant la Grande Guerre, il combat en Argonne, aux Dardanelles et en Champagne. Figure importante de l'après-Empire ottoman, il fut Haut-commissaire de la République française au Levant de 1919 à 1922 d'où il diriga les campagnes militaires en Cilicie et en Syrie.

Affilié au parti colonial, c'est un colonisateur actif qui s'inscrit dans le sillage de Gallieni et de Lyautey. Il est davantage connu pour ses quatre années passées en Syrie et au Liban et pour son rôle de commandant en chef de l'armée du Levant, que pour ses vingt années passées en Afrique.

Il a commencé sa carrière militaire en Afrique, où son nom reste étroitement associé à la conquête française du Soudan, de la Mauritanie, du Tchad et du Maroc. Son arrestation de Samory Touré en parachève la colonisation française de l'Afrique de l'Ouest et attire l'attention sur Gouraud au moment où la France cherche à effacer l'affront de l'incident de Fachoda. Il devient assez rapidement une figure des cercles coloniaux français.

Gravement blessé aux Dardanelles, où il perd son bras droit et devient, malgré son handicap, un symbole de résilience et de sacrifice des Poilus, devenant une figure emblématique de l'effort de guerre français. Victorieux contre Ludendorff en Argonne, l'avancée qui suivit permit la libération de Strasbourg, la reconquête de l'Alsace-Lorraine et la victoire de la France. Esquisseur de ce qui deviendra les musées de Beyrouth et de Damas, ses efforts archéologiques en Orient se placent dans la continuité de Napoléon Bonaparte[3].

Après l'armistice, Gouraud est nommé Haut-commissaire de la République française au Levant (1919-1922). Il joue, avec Robert de Caix de Saint-Aymour un rôle central dans la redéfinition des frontières du Moyen-Orient, proclamant la création du Grand Liban en 1920, et morcellant la Syrie en mosaïque de petits États divisés selon des critères confessionnels. Cette décision - étape significative dans la politique coloniale française au Levant qui visait à diviser les territoires pour mieux les contrôler - prise dans un contexte de rivalités impériales et de tensions nationalistes, est aujourd'hui encore critiquée pour ses conséquences sur la stabilité et l'unité de la région.

De retour en France, Gouraud poursuit sa carrière militaire, devenant notamment gouverneur militaire de Paris de 1923 à 1937. À la fin de sa carrière, il apparaît comme un homme de la transition, ayant participé activement à la mise en œuvre de chacun des régimes coloniaux (colonie, protectorat, mandat). Selon Julie d'Andurain, en « acteur et témoin de ces évolutions, Henri Gouraud comprend qu’au temps des colonies succédera celui des empires et des organismes internationaux ». Il assure ainsi le lien avec la génération suivante, celle des hommes comme Georges Catroux et Jules Bührer[4].

Situation personnelle

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Enfance et formation militaire

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Né dans le 17 novembre 1867 au 96 rue de Grenelle[4], 7e arrondissement de Paris[5],[6] dans une famille aisée de tradition catholique[7] d'origine vendéenne[4], il est le fils de Vincent Gouraud (1834-1906), médecin, et de Marie Portal (1844-1918). Il est l'aîné d'une fratrie de six enfants. Henri Joseph Eugène Gouraud fait ses études au collège Stanislas, éducation marquée par la foi.

Appartenant à la génération ayant connu l'humiliation de 1871[8],[9], il se trouve rapidement une vocation coloniale. Féru d'histoire, il gagne le 1er prix d'histoire au Concours général en 1887[10]. Après des études préparatoires à Stanislas, il intègre l'école militaire de Saint-Cyr en 1888 en étant classé 180è sur 435[4], avec la promotion de « Grand Triomphe »[Note 1] dont il sort 55è[4].

Il sort avec le grade de sous-lieutenant d’infanterie en 1890, et exerce quelques commandements dans l'Est[11].

Alors qu'il est encore à Saint-Cyr, il visite avec un camarade de promotion l'Algérie, la Tunisie mais surtout Constantine où il ne retrouve pas la tombe de son ancêtre, Auguste Gouraud, saint-cyrien lui aussi qui participa à la colonisation de l'Afrique[4]. Il espère partir outremer mais son père s'y oppose.Henri Gouraud est d'abord affecté au 21e bataillon de chasseurs à pied à Montbéliard.

Choqué par le massacre de la Colonne Bonnier, soutenu par sa mère, il part en 1894 au Soudan français, le long de la boucle du Niger[12]. Il est placé sous la direction d'Ernest Nestor Roume, gouverneur général de l'Afrique occidentale française.

Il est l’oncle du général Michel Gouraud (1905-1991) qui participe au putsch des généraux à Alger en avril 1961[13].

Gouraud l'« Africain » (1894-1914)

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Gouraud le « Soudanais » (1894-1899)

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Gouraud embarque le 20 mars 1894 à Bordeaux[14]. À Kayes, il est présenté au Gouverneur qui le nomme adjoint au poste de Kita entre le Sénégal et le Niger[8]. En novembre 1894, il est affecté à la région de Bamako, poste de prestige au centre de la colonie française puis à Bougouni.[14] Entre temps, Paris change de ton: la colonisation devient militaire et Gouraud est chargé de monter vers Tombouctou où il est affecté à des charges administratives qu'il déteste.[14]

Le 8 août 1895 lors d'une sortie près de Tombouctou, Gouraud reçoit son baptême du feu: ayant remarqué que des attaques régulières avaient lieu contre la caravane près de la dune d’Almadia, non loin de Kabara, il organise une reconnaissance avec une quinzaine de tirailleurs qui ne tardent pas à être attaqué par un groupe estimé entre 20 et 40 hommes. Assailli par ses ennemis, il parvient à sortir victorieux d'un combat inégal, lances contre fusils, et ramène à Tombouctou deux tués et trois blessés ennemis. Convaincu de sa prouesse, le colonel de Trentinian le fait venir près de lui à Kayes.[14]

En février 1896, Henri Gouraud succède au capitaine Porion à la tête du cercle de Bougouni, créé en 1894. Chargé de renforcer l’organisation de ce territoire frontière, il s’inspire des travaux de l'explorateur Binger, adoptant une approche ethnographique et pacifique envers les populations locales. Rappelé à Kayes en juin 1896 après un séjour de 27 mois, il reste un temps pour prendre en charge le bureau militaire, tout en s'adaptant à la gestion administrative.[14]

En novembre 1897, il est inscrit au tableau d’avancement pour le grade de capitaine. Il rentre en France à la fin de l’année, accompagné de la mission Hourst, qui a confirmé la navigabilité du Niger.[14]

Après un court séjour parisien, où il rencontre le gratin de la France coloniale, dont Auguste Terrier, il obtient la permission de retourner au Soudan en septembre 1897. Son court séjour lui permet de prendre conscience des enjeux politiques de la conquête coloniale et Gouraud s’associe de plus en plus à la volonté de réduire les oppositions locales afin de pouvoir mener à bien la mission pour laquelle il part en Afrique : conquérir des territoires aux dépens des Anglais.[14]

À peine arrivé, le jeune capitaine apprend qu’il part en colonne dans la région de la Volta et arrive au début décembre 1897 au chef-lieu de la nouvelle région, Diébougou. En janvier 1898, la colonne attaque Bangassi. Après un combat acharné, la position est prise, mais les Français comptent 25 blessés. Bien que Gouraud soit blessé à deux reprises, il est félicité pour sa bravoure et proposé pour la Légion d’honneur.[14]

En février 1898, Gouraud est chargé de commander la compagnie auxiliaire de la Volta, composée principalement d’hommes mal équipés et mal formés, qu'il doit rapidement organiser. Entre temps, Kong est assiégée par les troupes de Samory, composées de 2000 guerriers. Appelé, il rejoint Caudrelier, pour faire face au siège de Kong. Lors de leur arrivée le 24 février, la ville est partiellement détruite et les assiégés, privés d'eau, accueillent Gouraud en héro.[14]

 
L'Almamy Samory Touré écoutant la sentence le condamnant à l'exil Kayes, Mali (Décembre 1898)

À leur arrivée à Kong, les Français découvrent l’échec de la mission Morisson, où le capitaine Morisson, envoyé en mission à Sikasso pour surveiller le roi Babemba Traoré, a été humilié. Cet incident pousse la France à organiser une expédition punitive contre Babemba. Gouraud, chargé de garantir le ravitaillement et d'établir une ligne de postes pour couper les liens entre Samory et Babemba, participe aux attaques sur le chemin, dont celle du village de Kourma le 13 avril 1898. L’objectif est d’isoler Sikasso et de soumettre Babemba.[14]

La décision de mettre fin à Samory a été prise après le guet-apens de Bouna, une attaque contre la colonne Braulot, qui a mis en lumière la responsabilité de l'un des fils de Samory, Sarankémory. Le gouvernement français interprète cet incident comme une trahison ou un refus de négocier et décide de répondre militairement.[15] Samory Touré, chef mandingue et résistant à la colonisation française[16], avait fondé un empire au sud du fleuve Niger. Samory, à la tête d'une colonne de 40 000 personnes, est contraint de fuir après la perte de Kong et de Sikasso. La situation de son armée se détériore rapidement en raison de la faim, des maladies et du manque de ravitaillement.[15]

En septembre 1898, des renseignements indiquent que Samory est en fuite et Gourayd décide alors de le poursuivre dans la forêt vierge. Le 28 septembre 1898, la reconnaissance de Gouraud arrive sur le campement des femmes de Samory, abandonné depuis quelques jours et apprennent que Samory semble prêt à se soumettre. Gouraud élabore un plan d'attaque pour capturer Samory à Guélémou en exploitant l'effet de surprise, avec pour objectif de l'intercepter sans combat direct. Le plan d’attaque de Gouraud est précis : il divise sa troupe en cinq sections, avec des objectifs spécifiques pour chacune, et insiste sur l’interdiction d'ouvrir le feu, dans l’espoir de capturer Samory sans le tuer, de façon à éviter qu’il ne devienne un martyr. La mission se poursuit avec la discrétion nécessaire pour empêcher toute fuite de l’ennemi tout en maintenant la surprise pour la capture.[15]

 
Musée de l'Armée, Salle d'Aumale. Selle et Armes de Samory, pris par Henri Gouraud, en 1898.

Le 29 septembre 1898, la troupe de Gouraud surprend l'arrière-garde de Samory à Guélémou et pénètre dans le camp à 8 heures du matin. La surprise est totale: Samory, qui lisait le Coran, tente de fuir en direction de Touba sans prendre d'armes. Il est repéré par le caporal Tounaka et poursuivi par le sergent Bratières et d'autres tirailleurs. Samory est finalement capturé.[15]

Arrêté et déporté au Gabon, il meurt deux ans plus tard. Le « trésor de Samory », saisi lors de sa reddition, est évalué à 200 000 ou 300 000 francs de l’époque et remplit douze caisses. Ces artefacts sont aujourd’hui conservées en partie au musée de l’Armée[17].

L'intronisation aux cercles coloniaux

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Aussitôt décoré et promu, ce jeune lieutenant[18] rentre à Paris avec une reconnaissance grandissante. Il est désormais entouré de figures influentes comme le général Gaden et Georges Mangin. Il est également autorisé à donner des conférences sur ses exploits, notamment à la Société de géographie, où il rencontre des personnalités telles que le capitaine Jean-Baptiste Marchand et le gouverneur Binger.[15]

En 1900, alors que la révolte des Boxers en Chine provoque un appel à recrutement, Gouraud sollicite une affectation. Cependant, le général Voyron lui fait savoir qu’il doit choisir entre rester en France ou permuter pour intégrer les troupes coloniales, comme stipulé dans la loi sur les troupes coloniales récemment votée. En août 1900, après avoir négocié avec le chef de bataillon Georges Léon Masson, il décide de demander sa mutation dans « la Coloniale », tout juste reconnue comme une armée à part entière.[15]

Au cours de l’été 1899, Gouraud fait la connaissance d'Eugène Étienne, un ardent défenseur de la colonisation française et influent dans le milieu politique. Les compétences d’Henri Gouraud l'intéressent: il cherche à disposer d’une équipe d’officiers serviables et obéissants. Il estime Gouraud trop bon « Africain » pour le laisser partir en Asie. Il le recommande pour une mission pionnière, entre le Niger et le Tchad, où il faut organiser le IIIe Territoire militaire (entre le Niger et le Tchad), autour du chef-lieu de Zinder.[15]

Gouraud se lie également avec des figures influentes du monde colonial, dont Joseph Gallieni et Hubert Lyautey, partisans d’une colonisation plus modérée et "édificatrice". Séduit par leurs idées, il rejoint peu à peu le cercle restreint des partisans d'une colonisation réformée. Cette intégration se renforce lors d’une conférence en mai 1899, où il rencontre des personnalités influentes du lobby colonial, tels que le prince Auguste d'Arenberg ou Eugène Étienne, futurs fondateurs du « Parti colonial », mouvement prônant la colonisation de l'Afrique.[15]

Gouraud le « Saharien » (1899-1911)

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Le IIIème Territoire militaire (1900-1904)

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Le 5 octobre 1900, Henri Gouraud embarque pour l’Afrique, alors qu’une épidémie de fièvre jaune sévit à Dakar, port principal du Sénégal. Le gouverneur général Noël Ballay, ancien médecin de la marine, lutte contre l’épidémie et réoriente l’expédition vers la Côte d’Ivoire. Ce long voyage permet à Gouraud d’étudier les dossiers, notamment celui du budget du territoire, et le recrutement d'hommes pour imposer la colonisation.[15]

Le territoire est particulièrement difficile à gérer en raison des restrictions imposées par le traité de 1898, qui crée une zone d’influence britannique autour de Sokoto, interdisant aux Français d’y pénétrer. Pour assurer la police du Sahara, les officiers français doivent trouver de nouvelles routes en tenant compte des puits dans cette zone désertique.[15]

 
Le commandant Gouraud et le lieutenant colonel Péroz à cheval.

Gouraud, affecté à la région ouest, se voit confier le commandement de la zone autour de Sorbo-Haoussa, un port fluvial sur le Niger. Là, il doit établir des relations avec les Touareg locaux, mais le gouverneur lui demande d’éviter les missions religieuses et de ne pas s'appuyer sur les Pères blancs. Gouraud, avec seulement 75 hommes et peu de moyens, doit organiser le territoire, construire des bâtiments, établir des cartes, gérer le courrier, et rechercher des matériaux et des chameaux, tout en recrutant des soldats à former.[15]

En suivant la stratégie de conquête pacifique préconisée par Lyautey, Gouraud et ses collègues font preuve de force sans l’utiliser, obtenant la soumission des Oulliminden, un groupe Touareg, en mars 1901. Ceux-ci acceptent de payer un impôt de guerre en chameaux, bétail et moutons, ainsi que d’assurer le transport du ravitaillement entre Filingué et Tahoua. Toutefois, cet impôt devient difficile à supporter pour les populations locales, et les officiers modifient les conditions en remplaçant l’obligation de transport par un paiement en sel.[15]

Malgré la soumission de 200 villages, Gouraud constate une recrudescence de l’agressivité des tribus Kel Gress après le départ de la colonne Péroz. Ces tribus résistent en attaquant des convois, en volant du courrier et en menant des attaques rapides et furtives. Le 12 avril 1901, Gouraud, ayant appris qu’un groupe nomadise à 50 kilomètres de Sorbo-Haoussa, décide d’organiser une attaque surprise, inspirée de sa tactique réussie à Guélémou. Il met sur pied une marche de nuit avec une colonne d’une centaine de soldats pour surprendre les Touareg au petit matin.[15]

Le combat qui s’ensuit est brutal et inégal, malgré la supériorité numérique des Touareg (800 hommes à Zanguébé). Armés de sabres, les cavaliers Touareg s’élancent contre les troupes françaises équipées de fusils à tir rapide, mais sont repoussés après une matinée de combat acharné. Après cette victoire, Gouraud demande 200 hommes supplémentaires à Péroz pour poursuivre les Kel Gress jusqu’à leur camp à Galma. Du 18 au 25 juin 1901, avec une colonne de 170 soldats, il poursuit les Touareg, qui perdent une soixantaine d’hommes, dont leur chef Idiguini. Gouraud pense avoir définitivement brisé leur résistance, et en octobre 1901, une fraction des Kel Gress se soumet à lui, acceptant les mêmes conditions que les Oulliminden.[15]

Administration du IIIème Territoire
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En 1901, le lieutenant-colonel Péroz , « cassé » par son autorité de tutelle à la suite d’une rivalité avec les Anglais, cède à Gouraud le commandement du IIIe Territoire militaire. En partant, Péroz recommande Henri Gouraud à ses supérieurs : « C’est un discipliné dans toute la force du terme. Vous aurez en lui plus tard un général obéissant en pensées et en faits.  »[11].

Le IIIe Territoire s'avère particulièrement inadapté aux nécessités du terrain et aux besoins logistiques des troupes françaises. Les territoires français sont en fait des enclaves séparées par de vastes étendues désertiques, tandis que les routes essentielles reliant le Niger à Zinder et au lac Tchad passent principalement dans les zones contrôlées par les Britanniques. Cela rend extrêmement difficile le déplacement des troupes et l'approvisionnement des postes militaires, qui dépendent de puits et de points d'eau rares et difficiles d'accès.[19]

Les difficultés rencontrées par Gouraud et Péroz montrent bien les limites de cette frontière tracée sans tenir compte de la réalité locale. Leur travail consiste d'abord à rechercher des puits et à établir des postes de ravitaillement dans ces régions désertiques. Cependant, même après avoir mis en place quelques infrastructures, il devient évident que ces solutions sont insuffisantes face à la dureté du climat et des conditions géographiques. Les troupes perdent des hommes à cause des conditions extrêmes, et les efforts pour rendre les routes praticables se révèlent insuffisants.[19]

 
Le colonel Gouraud en réunion avec ses lieutenants, Mauritanie. (1908)

Les conditions géographiques ont imposé la nécessité d’une gestion logistique fine, avec des recherches pour établir des points d'eau et des systèmes de ravitaillement au milieu de vastes étendues désertiques. Malgré quelques initiatives pour creuser des puits, les ressources en eau se sont avérées insuffisantes, notamment pendant les périodes de sécheresse, obligeant Gouraud à solliciter l’accord des Britanniques pour permettre à ses troupes de circuler à travers leur territoire.[19]

L'activation du lobbying par Eugène Étienne et Auguste Terrier, notamment à travers le Bulletin du Comité de l’Afrique française, permet d’obtenir une première victoire diplomatique en juin 1902 : l’autorisation britannique d'utiliser la ligne de puits dans l'arc de cercle de Sokoto. Toutefois, cela reste une solution temporaire, et Gouraud, déterminé à obtenir une modification pérenne des frontières, poursuit son travail de documentation et de cartographie. Ces efforts culmineront cinq ans plus tard, après son départ de Zinder, avec la résolution du problème territorial.[19]

Les difficultés liées à l’approvisionnement ont été exacerbées par la pression financière imposée par la loi de 1900, qui exigeait des colonies qu’elles s’autofinancent. Gouraud se heurtait à un budget insuffisant pour faire face aux dépenses courantes : paiement des soldats, entretien des infrastructures et des postes de ravitaillement. Afin de pallier ce manque, il a recouru à des impôts en nature, à des « rentrées » sous forme de services rendus par la population locale (comme le transport de courrier ou la fourniture de vivres). Cette politique fiscale, bien qu'utile pour maintenir les finances locales, a souvent suscité des tensions avec les populations indigènes, qui percevaient ces prélèvements comme un fardeau supplémentaire.[19]

Cette approche a été renforcée par l’institution de pelotons de méharistes, formés pour se déplacer rapidement dans le désert, afin de maintenir l’ordre, surveiller les marchés et percevoir les impôts. Ces pelotons étaient conçus pour assurer une présence mobile, nécessaire à la fois à la collecte des taxes et à la sécurité des routes commerciales, vitales pour la survie du territoire.[19]

En septembre 1902, après deux années passées à Zinder, Gouraud réussit à « pacifier » le territoire et à rendre un rapport favorable sur l’état des lieux. Durant son voyage, il termine ses rapports avec son adjoint, le capitaine Chédeville. Arrivé à Niamey en novembre 1902, il transmet son commandement au colonel Noël, se félicitant d’avoir pacifié le territoire, malgré les grandes difficultés rencontrées sur place. Après les privations endurées à Zinder, Gouraud redécouvre avec satisfaction les richesses du pays Bambara, ainsi que l’essor et l'enrichissement des villes comme Bamako, qu'il avait connues sous forme de bourgades peu développées.[19]

Ses tâches variées mettent Gouraud en contact fréquent avec la population. Durant son travail, il collecte une importante documentation photographique sur la société africaine : le griot, l’arbre à palabres, l’organisation du village, les circuits commerciaux au sud du Sahel. N'étant pas photographe lui-même, il recueille des images auprès des opérateurs qu’il rencontre, souvent des officiers avec lesquels il est en relation[18].

Henri Gouraud est loin des postes parisiens considérés comme essentiels pour sa carrière. Il prend l'habitude d'écrire fréquemment à sa famille et à ses contacts à Paris, notamment à Auguste Terrier, secrétaire général du Comité de l'Afrique française. Ce dernier devient rapidement son ami et un intermédiaire auprès des cercles coloniaux parisiens. Terrier facilite ses relations aussi bien avec Eugène Étienne et les parlementaires qu'avec d'autres officiers coloniaux d'Afrique et d'Asie. Ces échanges épistolaires permettent à Gouraud de renforcer ses liens d'amitié et de cultiver un réseau de plus en plus influent au sein du Palais Bourbon. Il s'impose comme l'un des officiers coloniaux auxquels la République confie des missions difficiles, comme celle de la conquête de la Mauritanie[12].

Organisation de l'Oubangui-Chari (1904-1906)

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En février 1903, il quitte Dakar avec la volonté de participer à l'expansion coloniale vers le Tchad, un projet qui l’attire particulièrement. Cependant, à son retour à Paris, il est affecté au 7e régiment d'infanterie coloniale, un poste qu'il n'apprécie guère. Pendant son séjour en métropole, il tente de se faire recruter pour les cours de l’École de guerre, mais son arrivée tardive au mois d'avril l'empêche d’être accepté.[19]

Toutefois, grâce à l’intervention bienveillante du général de Lacroix et à l’ordonnance de son ami des Vallières, Gouraud parvient à assister aux conférences de hauts commandants comme Pétain et Fayolle, renforçant ainsi son réseau. C’est en novembre 1903, lors d'un dîner à l’Association cotonnière coloniale, qu’il confie à Eugène Étienne ses difficultés à intégrer l’École militaire, tout en exprimant son désir de repartir en Afrique. Cet entretien conduit immédiatement à une rencontre avec Gaston Doumergue, ministre des Colonies, qui, séduit par son discours, lui offre une mission vers le Tchad.[19]

Quelques jours plus tard, Gouraud reçoit l’ordre de succéder à Largeau, le « pacificateur du Tchad », pour mener à bien l’expansion coloniale dans cette région. Cette nouvelle mission représente pour lui l’opportunité de continuer son engagement colonial, tout en mettant en pratique ses acquis dans la gestion de territoires difficiles.[19] Il est ainsi nommé en Oubangui-Chari de 1904 à 1906.

La révolte sénoussiste, qui progresse dans la région du lac Tchad, reste une source de tension importante, tout comme l’hostilité des populations musulmanes qui utilisent l’islam pour structurer leur résistance à la colonisation. En décembre 1903, un décret crée l'autonomie administrative pour le Tchad et les autres parties du Congo français, mais cette autonomie reste en grande partie théorique, car la centralisation demeure forte. Les autorités coloniales, dont Gouraud, doivent alors s’adapter aux impératifs politiques et administratifs imposés par Paris. Il se fixe pour règle d’or de satisfaire les attentes du ministère des Colonies, en fournissant des résultats visibles et rapides.[19]

Gouraud est bien conscient que ses missions doivent être perçues comme plus pacifiques que guerrières et justifiées par des objectifs humanitaires tels que la lutte contre l'esclavage et l’"islamisme", ce dernier étant un concept forgé pour désigner la résistance contre les forces sénoussistes. Afin d’atteindre ces objectifs, il mène une gestion pragmatique et efficace. Il bénéficie du soutien du général Famin, commandant des troupes coloniales, qui lui permet de constituer une équipe solide composée de ses amis de longue date, comme Henri Gaden, Georges Mangin, et d’autres hommes compétents et profondément attachés à la mission coloniale.[19]

L’une de ses premières priorités est de résoudre la question du portage, essentielle pour l'acheminement du ravitaillement et le développement des infrastructures dans la région du lac Tchad. Gouraud s’attache à améliorer les voies de communication tout en assurant la sécurité des caravanes commerciales. Il adopte également une approche pragmatique de la fiscalité, organisant la récolte de l’impôt autour d’une monnaie localement acceptée, le thaler autrichien, facilitant ainsi à la fois le paiement des soldats et la collecte des taxes. Cette solution vise à accélérer l’intégration de la monnaie dans le quotidien des populations, tout en générant des fonds nécessaires pour soutenir les troupes et maintenir la présence militaire.[19]

 
Le commandant Henri Gouraud à Fort-Lamy (20 mai 1906)

Le 20 mars 1904, Henri Gouraud embarque à Bordeaux avec Émile Gentil, commissaire général du Congo et expert du Tchad, en direction de l'Oubangui-Chari. À cette époque, l’unique accès à cette vaste région passe par le Congo, et Gouraud est bien conscient des scandales qui entachent déjà l’histoire coloniale de cette région. Le Congo, loin d’être un modèle de colonisation, est perçu comme le concentré de toutes les erreurs de l’administration coloniale : l’affaire Gaud-Toqué, les abus des compagnies concessionnaires dénoncés par Félicien Challaye, et la situation dégradée de l’Oubangui-Chari.[19]

Gouraud n'ignore pas la médiocrité de l’administration qui a succédé à la période de Savorgnan de Brazza, l'un des pionniers du Congo, et reconnaît que certains secteurs ont été mal gérés, notamment en raison de l'éloignement des centres décisionnels et du manque de ressources financières. Bien qu’il admette les défaillances des précédents gouvernements coloniaux, il est convaincu que ces scandales sont le résultat de l'impunité générée par l'éloignement géographique et la gestion désorganisée, où certains Européens profitent de cette situation pour exploiter les populations locales.[19]

Refusant de blâmer directement les dirigeants précédents, Gouraud nourrit l’ambition d'améliorer la situation. Dès son arrivée à Brazzaville, il entame un long voyage en remontant le fleuve Congo, puis en suivant le fleuve Chari jusqu'à Fort-Lamy, où il arrive après quatre mois de voyage, le 17 juillet 1904. Ce périple, marqué par la lenteur des communications, souligne d’emblée l'isolement et la difficulté logistique de l’administration coloniale dans cette région. Par ailleurs, pendant ce temps, il est promu au rang de lieutenant-colonel, marquant un tournant dans sa carrière.[19]

Il se distingue par une attitude plus mesurée et réfléchie qu'à ses débuts, une prudence qui s'est imposée après les lourdes pertes humaines subies par ses troupes, notamment la mort de son ami André Millot. Gouraud devient un défenseur de la « petite guerre », privilégiant les opérations de guérilla et cherchant à réduire les pertes humaines, contrairement à d'autres officiers coloniaux, notamment les "Soudanais", qui prônent des actions plus agressives et immédiates. Sa gestion de la guerre et de ses hommes devient un modèle d'efficacité, où les considérations humaines et logistiques sont prises en compte.[19]

Un élément fondamental de la mission de Gouraud dans la région est lié à l’achèvement de la jonction entre le Tchad et l’Oubangui-Chari, facilitée par la mise en place de nouvelles voies de communication. Cela permet d'assurer un ravitaillement plus fluide et de rétablir une certaine stabilité, bien que Gouraud soit toujours confronté à des tensions diplomatiques complexes. L’affaire de Binder, une dispute territoriale avec l'Allemagne concernant la frontière entre le Cameroun allemand et le Congo français, est un exemple de ces tensions. À partir de 1905, un différend survient sur la question de savoir à quel pays appartient le village de Binder, un point stratégique important dans la zone. Alors que les Allemands revendiquent la région, les Français, avec Gouraud à leur tête, insistent sur le fait que Binder appartient à la France, en raison de la position géographique du village et de l'attachement de la majorité de sa population à la France. Cette dispute finit par dégénérer en des échanges diplomatiques tendus entre les deux nations et est résolue seulement en 1911 par le traité franco-allemand signé à Berlin.[19]

Parallèlement à cette gestion militaire, Gouraud est aussi impliqué dans des préoccupations administratives et politiques. En 1905, un scandale éclate autour des abus dans la colonie, et le gouvernement français envoie Savorgnan de Brazza pour mener une enquête sur les pratiques coloniales. Bien que Gouraud ne soit pas directement impliqué dans les affaires de corruption ou de mauvais traitements infligés aux populations locales, il doit naviguer dans un climat de méfiance croissante envers les autorités coloniales et faire face à une pression pour répondre aux accusations et améliorer la situation. C'est ainsi qu'en mars 1905, il rejoint Brazza à Bangui, où il doit présenter un rapport détaillant la situation dans le Tchad et dans l'Oubangui-Chari. Lors de ses échanges avec Brazza, Gouraud défend le Tchad, en soulignant son importance stratégique pour l'Empire français et en argumentant contre la réduction de la présence française dans cette région. Cependant, ses efforts pour convaincre Brazza de l'importance de maintenir le Tchad dans l'empire échouent, et il ne parvient pas à éviter les réformes proposées par la commission d'enquête.[19]

La tension croissante entre l'administration coloniale et les officiers sur le terrain se reflète dans l'accumulation de correspondances administratives et de rapports à rédiger. Gouraud, comme d'autres officiers, se retrouve submergé par la quantité de paperasse, qu’il considère comme un moyen pour l'administration centrale de surveiller et de contrôler de plus en plus étroitement les opérations coloniales. À ses yeux, cette bureaucratie devient un fardeau, et il regrette les premiers jours où il pouvait agir plus librement sur le terrain. Cette surcharge administrative, qu'il considère comme une preuve du manque de confiance de la métropole dans ses représentants en Afrique, l'éloigne des idéaux de l’aventure coloniale et renforce son sentiment de frustration face à la déconnexion entre les réalités africaines et les attentes du gouvernement français.[19]

Cependant, son travail dans la région est reconnu, et lorsqu'il quitte Fort-Lamy en août 1906 pour revenir en France, il dresse un bilan plutôt positif de ses années passées en Afrique. Il n'y a pas eu de rébellions majeures, il a réussi à stabiliser financièrement la région et à rendre le ravitaillement plus efficace, mais il reste néanmoins conscient des limites de son action. [19]

En décembre 1906, après un long et pénible voyage, il retourne en métropole. En chemin, il apprend la mort de son père le 28 août à Rouen.[19]

Conquête de la Mauritanie (1907-1910)

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À l’été 1907, après avoir pris le temps de tisser des liens avec des figures influentes du monde colonial, Henri Gouraud rencontre le maréchal Hubert Lyautey, une rencontre décisive pour sa carrière. Lyautey, une figure montante de l’armée française et futur gouverneur du Maroc, devient un mentor pour Gouraud. Influencé par Lyautey, qui prône une forme d’autopromotion à travers le « savoir-faire et faire-savoir », Gouraud adopte un changement dans son attitude professionnelle, devenant plus visible et plus actif dans la sphère publique du parti colonial.[20]

 
Gouraud en Mauritanie (1910).

En 1907, il est promu colonel et remplace Bernard Laurent Montané-Capdebosq en tant que commissaire du Gouvernement général en Mauritanie[12]. En outre, il mène, sur ordre du gouvernement, une grande campagne contre les meneurs de razzias. Il est chargé stopper un important trafic d'armes organisé par les Maures dans le Sahara en direction du Maroc. La conquête de l'arrière-pays mauritanien s'avère liée aux enjeux marocains[21].

Gouraud prend les rênes de la Mauritanie en 1908, après la mort de Coppolani. Il fait face à une situation sécuritaire de plus en plus chaotique. Le ministre des Colonies, Eugène Milliès-Lacroix, se rend à Dakar, prend connaissance de la situation auprès de Gouraud et du gouverneur général, et conclut à la nécessité d’une action ferme pour endiguer l’anarchie menaçante[21].

Le gouvernement français, dirigé par William Ponty, veut éviter une guerre ouverte, privilégiant une approche de « pénétration pacifique ». Cette stratégie consiste à s'introduire lentement et discrètement sur le territoire, en utilisant des méthodes politiques et de renseignement avant d’envisager l’usage de la force. Gouraud doit renforcer l’influence des marabouts locaux et réduire la puissance des tribus guerrières en Mauritanie, tout en formant des troupes adaptées au terrain désertique, comme des méharistes.[20]

Pour mener à bien sa mission, Gouraud demande des renforts et des ajustements logistiques conséquents, notamment une armée de plus de 1 250 hommes avec des moyens de transport adaptés au désert. Ainsi équipé, il se prépare à poursuivre ses actions pour renforcer la présence française en Mauritanie tout en respectant la stratégie de contournement et de pacification progressive imposée par ses supérieurs.[20]

Au début de l'année 1908, le colonel Henri Gouraud entreprend une tournée de reconnaissance de quatre mois en Mauritanie, couvrant les régions du Trarza, du Brakna et du Tagant, dans le but de déterminer le lieu d'attaque principal contre Ma el Aïnin.[20]

 
Le lieutenant Mugnier-Pollet devant le poste de Nouakchott, Mauritanie.

À son retour à Saint-Louis en avril 1908, Gouraud décide de créer un poste avancé à l'Inchiri. Cependant, il reconnaît que l'Adrar reste le cœur de la révolte et que la concentration des troupes françaises a alerté les chefs maures. Ma el Aïnin et ses partisans se sont déplacés vers l'Adrar, accumulant armes et ressources pour intensifier la résistance contre la conquête française. À partir de janvier 1908, les rébellions, organisées en « rezzous », visent non seulement à harceler les troupes françaises mais aussi à attaquer directement les officiers européens et à s'en prendre aux soldats maures et sénégalais.[20]

Les combats s’intensifient avec l'attaque du poste d'Akjoucht en janvier, un objectif stratégique pour établir une base avancée. Cette attaque marque le début d’une série de confrontations, notamment la bataille de Taghief en mars 1908 où le capitaine Repoux est tué, suivie par l'attaque d'un convoi à Damane en avril. Ces événements, accompagnés d'un appel à la guerre sainte, illustrent l'escalade des tensions et des attaques menées par les insurgés.[20]

Gouraud, qui commence à maîtriser la tactique des rezzous, met en place des contre-razzias pour contrer ces attaques, cherchant à limiter l'efficacité des petites bandes de pillards. Cependant, l'immensité du territoire et la difficulté de maintenir une présence militaire à travers les vastes distances, en particulier entre Moudjeria et l'Adrar, compliquent la situation. Les villes de l'Adrar, telles qu'Atar, apparaissent comme des forteresses naturelles difficiles à investir, rendant les opérations militaires françaises de plus en plus complexes. Ainsi, bien que l'objectif principal soit de briser la résistance de Ma el Aïnin, la guerre devient une lutte prolongée de guérilla, avec des raids incessants, des contre-attaques et un échec relatif des tentatives françaises de dominer entièrement l'Adrar.[20]

Mort de Georges Mangin et état de guerre
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La mort de Georges Mangin marque un tournant décisif dans la guerre en Mauritanie, tant sur le plan militaire que politique. Son décès survient après une attaque surprise par une troupe maure supérieure en nombre. Mangin, en dépit de son expérience, n’a pas pris les précautions nécessaires, ce qui a permis aux insurgés de prendre le dessus. La manière dont il meurt – sa tête coupée et attachée à un cheval pour être exhibée comme un trophée – souligne la brutalité de l’attaque et le message qu’elle porte : l’Adrar est en guerre, et la rébellion de Ma el Aïnin est loin d’être maîtrisée.[20]

 
Le colonel Gouraud à la tête d'une colonne de méharistes dans le désert, Mauritanie.

Lorsque Gouraud apprend la nouvelle, il est profondément affecté. Bien qu’il ait souvent critiqué la témérité de Mangin, il perd un ami proche et un stratège de grande valeur. La situation devient encore plus préoccupante car le moral des troupes, notamment des jeunes tirailleurs sénégalais récemment arrivés, est gravement affecté par cette perte. La crainte d’une débandade se fait sentir, et les autorités françaises craignent que la mort de Mangin n’aggrave la résistance dans la région.[20]

C'est donc après cette tragédie que le gouvernement français se résout à prendre des mesures plus décisives. La Mauritanie est déclarée en état de siège le 24 juin 1908, et le colonel Gouraud, désormais plus déterminé que jamais, annonce la mise en place d’une grande colonne d’intervention pour pacifier l’Adrar. Le 12 août 1908, après une longue période d’hésitations, le ministre des Colonies, Raphaël Milliès-Lacroix, donne enfin son feu vert pour l'occupation de l'Adrar. Toutefois, des préoccupations politiques subsistent, notamment la crainte que cette offensive ne heurte les intérêts espagnols, notamment sur la question du Rio de Oro.[20]

Gouraud, qui reste convaincu de la nécessité de lier la question mauritanienne à celle du Maroc, propose d’intensifier la pression sur le sultan du Maroc, Moulay Hafid, pour qu’il désavoue Ma el Aïnin et mette fin à son soutien aux rébellions maures. Cependant, le gouverneur général Ponty semble plus préoccupé par des considérations administratives et budgétaires que par les objectifs stratégiques de Gouraud. [20]

Les forces françaises, sous le commandement de Gouraud, commencent à se rassembler en décembre 1908 dans la région de Moudjeria. Cette colonne impressionnante, comptant un millier de combattants indigènes et des centaines de chameaux de charge, est prête à mener une mission d’envergure pour pacifier définitivement l’Adrar. Les troupes françaises, équipées et préparées pour le combat, sont rassemblées dans la colonne de l'Adrar, du nom de la région qui défie la suprématie française[21].

La colonne de l'Adrar
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Dans un rapport adressé au gouvernement daté de 1908, Gouraud écrit dans la Pacification de la Mauritanie : « Il ne s'agit pas de conquérir l'Adrar dans l'intention d'une occupation permanente de ce pays et d'une nouvelle extension de nos possessions africaines. Nos intentions se limitent à l'organisation d'une colonne de police forte, qui serait reçue exclusivement pour la mission de purger ce pays de tous ces éléments de trouble et de désordre [mouvements de résistance] et de réduire une fois pour toutes les mille guerriers dissidents qui font obstacle à notre œuvre de pacification. »[22]. Pour l’officier français, maîtriser l'insurrection de Ma al-Aïnin et de ses partisans dans cette région stratégique serait la clé pour contrôler toute la Mauritanie[21].

 
Mauritanie, Atar. Officiers dont Henri Gouraud posant (1909).

En 1909, il lance dans l’Adrar[23] une colonne de plus de 700 chameaux[21]. Il fait preuve d'une grande organisation logistique dans le désert. Il conquiert la Mauritanie en quelques mois. Il se distingue par sa maîtrise de la « petite guerre » coloniale, guerre qui s'adapte à de multiples fronts et points de contact, combinant attaques et contre-attaques[11].

La première phase de l'opération, qui commence en décembre 1908, semble relativement aisée. Les troupes avancent rapidement, et malgré quelques escarmouches, le chemin vers la capitale de l'Adrar, Atar, est dégagé. Cependant, les mauvaises nouvelles arrivent rapidement : les combats deviennent plus intenses à partir du 30 décembre, notamment à Amatil, où les pertes sont lourdes. Bien que les Français continuent à avancer, avec l'objectif d'atteindre Atar, les Maures montrent une résistance farouche et infligent des pertes sensibles. À chaque étape, Gouraud impose des précautions de sécurité, en veillant à la reconnaissance du terrain et en adoptant des formations tactiques adaptées aux attaques de rezzou (raids de pillards).[20]

Lorsqu'ils atteignent Atar, le 12 janvier 1909, la ville a déjà été en partie pillée, mais les notables locaux, probablement fatigués des combats incessants, cherchent à se soumettre en envoyant des émissaires pour déclarer la ville ouverte. Bien que cette soumission semble précipitée et suspecte aux yeux de Gouraud, il accorde un aman (garantie de sécurité) aux habitants, mais prend la précaution de placer des otages sous surveillance et de renforcer les fortifications de la ville. Cette prudence témoigne du scepticisme de Gouraud face à une soumission qui pourrait être stratégique de la part des tribus locales, cherchant à éviter de nouvelles violences. La ville d'Atar, loin d'être pacifiée, demeure un centre de tension et d'incertitude.[20]

Dès son arrivée à Atar, Gouraud utilise un discours rassurant devant la djemaa (assemblée tribale) pour faire comprendre aux habitants que l'objectif français n'est pas de détruire leur mode de vie, mais de maintenir la paix. En mettant en avant l'amitié avec des figures religieuses locales respectées, comme le marabout Cheikh Sidia, il tente de convaincre les tribus que la soumission à l’autorité française est compatible avec leur identité et leur religion, afin de diviser les opposants et séduire certains groupes.[20]

La politique de soumission, bien qu'efficace à court terme, reste fragile. Les tribus soumises, comme celles des Ouled Gheïlane sous le chef Mohammed El Fonana, sont souvent réticentes, et les tensions persistent en raison des pratiques traditionnelles, comme les conflits pour les récoltes de dattes. Pour répondre à cela, Gouraud et ses officiers mettent en place une politique de répression ciblée, interdisant l'accès aux palmeraies et harcelant les tribus insoumises. [20]

Les forces de Ma el Aïnin, toujours actives dans les régions reculées comme la sebkha d'Idjill, continuent de représenter une menace sérieuse. Mael Aïnin, en particulier, est toujours un symbole de résistance, et ses partisans, venus du Maroc, continuent à harceler les troupes françaises. Bien que les forces françaises parviennent à atteindre Idjill en septembre 1909, Ma el Aïnin réussit à se réfugier à Smara, et ses forces demeurent un défi majeur pour Gouraud.[20]

Malgré ces difficultés, Gouraud remporte des succès stratégiques, et la prise d'Atar, en particulier, est perçue comme un tournant dans la campagne. Sa politique combine la force militaire et la diplomatie pour maintenir l'ordre, et il est félicité pour sa gestion équilibrée de la guerre et de la politique. Gouraud parvient à apaiser une grande partie des tensions dans la Mauritanie centrale, même si certaines régions demeurent instables. Cependant, le coût humain de la campagne, avec 2 officiers, 2 sous-officiers, 82 indigènes tués, et de nombreuses pertes supplémentaires, pousse le gouverneur général Ponty à annoncer la fin officielle de la campagne de l'Adrar en octobre 1909. Toutefois, cette victoire militaire s’accompagne d'une prise de conscience : l’instabilité de la région est en partie liée aux liens entre les chefs maures et le Maroc. La découverte d'une lettre officielle prouvant des relations entre Ma el Aïnin et les autorités marocaines renforce la conviction des autorités françaises que la pacification complète de la Mauritanie nécessite une approche plus globale, impliquant une action diplomatique et potentiellement militaire contre le Maroc.[20]

Cette réussite lui vaut la reconnaissance nationale : bien que colonel sans brevet, il fait partie de la première promotion d'officiers autorisés à suivre les cours des Hautes Études militaires à Paris[7].

Retour en France

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Gouraud quitte la Mauritanie à la fin de l’année 1909. Il fait une courte halte aux Canaries et au Maroc, retrouve Lyautey à Oran, puis rentre en France pour son congé de fin de campagne. [20]

Il passe une bonne partie de l'année 1910 à ordonner ses papiers, à remercier ses alliés en Mauritanie, à suivre les opérations de son successeur, le lieutenant-colonel Patey, à écrire aux familles de ses nombreux amis tués, mais aussi à rédiger la nécrologie de camarades tombés au combat.[20]

Bien qu’il soit déjà un colonel reconnu et un vétéran de plusieurs campagnes coloniales, il se trouve confronté à un manque de qualifications académiques pour faire avancer sa carrière. Il n'a pas passé par l’École supérieure de guerre, et à quarante-sept ans, il est trop vieux pour être admis à cette école, et sa carrière semble marquée par un manque de ce diplôme.[20]

Un tournant important arrive en 1910 lorsque le ministre de la Guerre, le général Brun, crée le Centre des hautes études militaires. Initialement, Gouraud semble exclu de cette formation en raison de son grade élevé, mais son affiliation avec Eugène Étienne, ancien ministre de la Guerre et mentor de Brun, lui permet de figurer dans la première promotion de ce centre.[20] Il fait ainsi son stage au Centre des Hautes Études Militaires, surnommé « L’École des maréchaux », qui vient d’être créé[7].

Fort de cette légitimité, Gouraud ne tarde pas à demander une nouvelle mission. Dès qu’il apprend que des combats ont lieu au Maroc, il manifeste son désir de repartir en mission. Le 26 avril 1911, il reçoit sa notification officielle et embarque le 28 avril à destination du Maroc, prêt à prendre la tête d’une brigade.[20]

Gouraud le « Marocain » (1911-1914)

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L'Anarchie marocaine

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Henri Gouraud s'engage activement dans les années 1907 dans le milieu du lobby colonial en France, autour de la question de la conquête du Maroc.Ce projet se construit progressivement autour d'une idée de pénétration « pacifique », tout en consolidant la position de la France face à la résistance marocaine. En parallèle, des missions cartographiques et ethnographiques sont lancées pour mieux comprendre les réalités du territoire, à travers des initiatives comme la mission Segonzac ou la mission militaire Fariau.[20] La reconnaissance militaire de Henri Gouraud attire l'attention du général Lyautey.

La modernisation du Makhzen sous le règne du sultan Moulay Hafid implique une collaboration renforcée avec les autorités françaises, mais cette relation se révèle coûteuse. Le système fiscal marocain repose principalement sur des prélèvements effectués directement auprès des tribus, sans régulation précise, ce qui génère une crise financière récurrente, alimentant ainsi l'anarchie marocaine. Dans ce contexte, les autorités françaises incitent le sultan à créer une police marocaine pour contrôler le recouvrement de l'impôt, une mesure qui se heurte à l'opposition des tribus, qui voient ces forces comme un outil de coercition menaçant leur autonomie.[20] C'est ainsi qu'en 1911, le sultan Moulay Hafid, qui avait détrôné son frère, le sultan Moulay Abdelaziz, est contesté par diverses révoltes séparatistes, qui contestent à la fois son pouvoir et la présence française dans le pays. Il se retrouve assiégé à Fès par les tribus amazighs rebelles. Il fait appel à la France.

Les forces françaises se concentrent à Kénitra, située au cœur du territoire des Beni-Hassen révoltés, préparant une offensive pour lever le siège de Fez et rétablir l'ordre. Cette opération marque un tournant dans l'intensification de la présence militaire française au Maroc, et reflète l'enjeu stratégique de la pacification du royaume dans le cadre de l'expansion coloniale française.[20]

La colonne Moinier

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Une colonne, commandée par le général Moinier, commandant en chef de la colonne de Fès, composée de 23 000 hommes, franchit l'oued Bouregreg le 27 avril.

Henri Gouraud arrive au Maroc le 2 mai 1911 dans un contexte militaire difficile : Fez est assiégée par 10 000 guerriers, et les combats pour ouvrir la route vers la ville sont longs et sanglants. Gouraud est chargé du ravitaillement de la colonne Moinier : il est responsable de la conduite des 1 800 chameaux de la colonne et de trois brigades, soit environ 3 000 hommes. Cette affectation, qui l'éloigne du front, le frustre, d'autant plus qu'il ne reçoit aucune précision sur sa mission future. Ce manque de communication pourrait être dû à la volonté du général Moinier, son supérieur, de le calmer et de l’éloigner d’une position d’avant pour juguler son ambition.[20]

 
Embarquement de Moulay Hafiz à Casablanca, Maroc. Derrière, le général Moinier (Juillet 1912)

Dès le 14 mai, les combats commencent près du camp de Lalla-Ito, où Gouraud fait face à des forces supérieures, mais il parvient à mener sa colonne de manière efficace. En raison du terrain sablonneux et des conditions difficiles, la progression de la colonne est lente, avec des étapes limitées à 40–45 km par jour. Toutefois, Gouraud réussit un exploit remarquable en maintenant la cohésion de ses troupes pendant quatorze heures de marche sans perte.[20]

Le véritable test arrive lorsque sa colonne devient une cible privilégiée pour les attaques des tribus locales, notamment les Beni-Hassen et Cherarda. Grâce à un renseignement préalable, Gouraud prépare sa colonne à une série d'embuscades. Le 22 mai, après avoir pris ses précautions, il parvient à repousser l'attaque ennemie, infligeant de lourdes pertes aux assaillants, avec seulement 5 tués et 25 blessés du côté français.[20]

La réputation de Gouraud en tant que stratège militaire se consolide alors. Il adapte sa tactique en faisant partir ses troupes tôt le

matin, ce qui permet d’éviter les attaques souvent menées l’après-midi. Ainsi, il progresse sans trop de tensions jusqu’à l’oued Zegotta, où un autre combat a lieu le 24 mai. Sur un terrain difficile, il utilise son artillerie lourde pour repousser les guerriers marocains.[20]

 
Le Général Moinier, les Colonels Riffaut et Gouraud sur les Quais de Casablanca.

L’épuisement des troupes reste néanmoins un défi constant, dû aux longues marches, au manque de sommeil et à la mauvaise qualité de la nourriture. À l’arrivée à Fez, la colonne est épuisée, mais grâce à la couverture médiatique et à la présence de correspondants de guerre, la presse encense les performances de Gouraud, qui a su mener ses hommes dans des conditions extrêmement éprouvantes.[20]

L'arrivée de la colonne Gouraud à Fez le 26 mai 1911, après six jours de siège déjà menés par le général Moinier, porte les troupes autour de la ville à environ 6 000 hommes, permettant ainsi un rétablissement rapide de l'ordre. Cependant, la situation demeure fragile et la tension est palpable, notamment pour le consul Gaillard, le général Joseph Mangin, et le sultan Moulay Hafid, qui ont tous connu plusieurs moments de grande inquiétude durant le siège. Après une journée de repos, le colonel Gouraud s'émerveille de la beauté des paysages marocains, particulièrement la richesse des campagnes, mais il est rapidement mis au travail.[20]

Sous ses ordres, des missions de répression sont lancées contre les tribus des montagnes alentour, notamment Dechra Beni Amar. La méthode de guerre appliquée par Gouraud repose sur des actes d'aman (offres de paix), mais en cas de refus, les villages sont détruits. Bien que Gouraud déteste cette approche, il reconnaît son efficacité, tout en condamnant ce type de pratique qui contraste avec ses principes personnels de discipline.[20]

La présence des troupes françaises à Fez, une ville religieuse et fermée aux étrangers, marque un tournant historique. Le sultan Moulay Hafid, dans un acte symbolique fort, organise un dîner d’apparat le 4 juin 1911 pour ses hôtes français, marquant ainsi un changement des traditions, car c'est la première fois qu’il reçoit des chrétiens à sa table. Les Français réalisent que leur position demeure instable, et Gouraud, dans une lettre datée du 8 juillet 1911, note que les tribus marocaines, « fières, indépendantes », attendent le départ des Français ou une nouvelle crise pour reprendre les armes.[20]

Gouraud se trouve en première ligne lors des journées sanglantes de Fès. Il est chargé de restaurer l’ordre dans la ville, et mène plusieurs combats, dont celui de Hadjera el Kohila[24],[25].

Bras droit de Lyautey

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Henri Gouraud, colonel commandant le 1er régiment d'infanterie coloniale de marche, embarque pour le Maroc depuis Marseille le .

Il s'illustre durant la campagne du Maroc, notamment en 1911, où il connaît plusieurs succès, notamment lors des batailles de Bahlil et de Meknès. Il se réjouit de la « baraka » et des circonstances favorables qui lui apportent une série de victoires. Il ambitionne une promotion au grade de général de brigade, qu'il estime mériter en raison de son rôle dans les opérations.[20]

Malgré ses succès, la fin de la campagne de Fez le voit retourner à Casablanca, où il exprime une frustration face à un manque de commandement et à une hiérarchie qu'il juge peu propice à l'initiative personnelle. Il aspire à un poste de commandement, qu'il considère essentiel pour l'exercice de ses responsabilités et de son leadership.[20]

En septembre 1911, après le départ du général Moinier, Gouraud rentre en France pour une permission. Il profite de ce retour pour négocier sa carrière, et exprime son souhait de continuer sa carrière en Afrique, de préférence au Maroc, afin d'y mener des actions significatives. À son retour au Maroc en février 1912, il est désormais convaincu de la nécessité d'augmenter le recrutement des Sénégalais, tout en réduisant celui des troupes nord-africaines.[20]

À Casablanca, le , il accueille le général Lyautey, nouvellement nommé coordinateur de la colonisation française au Maroc[26]. Gouraud note que Lyautey paraît parfois « un peu épouvanté » par la complexité de la situation, une situation qu'il juge bien plus difficile que celle de la frontière algérienne. Mais cette inquiétude n'entrave pas sa détermination.[20] Lyautey le prend à son service. Lyautey exploite la faiblesse du Sultan et obtient à la fois la signature du traité de Fès, qui officialise le protectorat français sur le Maroc, et son abdication en faveur de son demi-frère, jugé plus facilement contrôlable[26].

Tous deux participent à la défense de Fès face aux tribus qui assiègent la ville[26]. Le 28 et 29 mai 1912, Lyautey lui confie le commandement de cinq bataillons, deux escadrons et une batterie d'artillerie pour neutraliser les tribus qui encerclent la ville[26]. Cette opération est un succès.

Le 1er juin 1912 marque un tournant décisif dans la campagne militaire autour de Fez, avec l'engagement direct des troupes françaises pour sécuriser la ville. Le commandant Gouraud, après avoir pris position sur un promontoire, donne des ordres clairs à ses unités et organise l'attaque avec méthode. L'artillerie française, en particulier les batteries de 75 et de 65, ouvre le feu sur les combattants marocains qui descendent des pentes sud du Zelagh. L'impact des shrapnells est immédiat et dévastateur, causant des pertes importantes parmi les assaillants et provoquant une fuite précipitée.[20]

Les survivants se réfugient à Hajira el-Kohila, un campement situé à 10 kilomètres au nord-est de Fez, dans la vallée du Sébou. Le 2 juin, Gouraud poursuit l'attaque pour consolider la victoire et sécuriser définitivement les abords de la ville. À partir de 10 heures, les troupes françaises investissent le campement par échelons, prenant peu à peu le contrôle d'Hajira el-Kohila. Cette victoire permet non seulement de disperser les forces ennemies, mais aussi de récupérer des informations précieuses.[20]

Dans une des tentes du campement, les Français découvrent des lettres qui révèlent des détails sur l'organisation de la harka du chef El-Hadjami. Ces documents fourniront des renseignements importants sur les stratégies et les alliances des tribus rebelles.[20]

Les pertes ennemies sont estimées à 800 hommes, un chiffre significatif qui est rapidement communiqué aux autres tribus, notamment les Hayaïna et les Djeballa, auxquelles on propose un traité de paix, ou aman. Ce geste montre l'intention des Français d'établir des relations diplomatiques avec certaines tribus afin de fragmenter l'unité des forces rebelles. Du côté français, les pertes sont plus modestes : 11 tués, dont un lieutenant, et 28 blessés. Ce succès, bien que significatif, illustre à la fois la brutalité du conflit et l'efficacité de la stratégie militaire française, qui commence à reprendre le contrôle des zones périphériques de Fez.[20]

Lyautey, en plus de ses compétences militaires, possède une aptitude remarquable pour la communication et la mise en scène. Gouraud, en particulier, devient une figure emblématique de cette dynamique. Sa réputation se forge au travers de son comportement lors des combats et de son respect pour les blessés et les morts, qu'ils soient européens ou marocains. Ce qui est fascinant, c’est que cette image de Gouraud, presque mythologique, est utilisée par Lyautey pour servir ses objectifs. Si la promotion de Gouraud au rang de général semble être le fruit d'un mécanisme administratif, où un général part en retraite et laisse sa place vacante, Lyautey s'approprie habilement cette avancée en la présentant comme une reconnaissance de son mérite sur le champ de bataille.[20]

Il reçoit ses deux étoiles sur le champ de bataille, le 1er juin 1912. A 45 ans, il est le plus jeune général de brigade de sa promotion[7]. En le nommant à la tête de la « pacification » de la région de Fès, Lyautey renforce sa position en tant que subordonné de confiance, mais aussi son lien personnel avec lui[11].

« C'est à lui que nous devons d'être là »[9] dira, à son entrée à Taza en 1914, le général Lyautey.

La promotion de Gouraud est aussi un signal politique. Elle montre que l’armée française valorise l’action sur le terrain plutôt que les carrières internes et les réseaux politiques. Cela résonne aussi profondément parmi les officiers qui se battent sur le terrain.[20]

Les récits des journalistes, comme celui de Tardieu, transforment les combats en une épopée grandiose. La réalité du conflit devient ainsi quelque peu édulcorée, et le récit de la violence, bien que présent, est souvent noyé dans un flot de superlatifs. Cependant, cette approche ne passe pas inaperçue. Jean Jaurès reprend le texte de Tardieu pour dénoncer la brutalité des méthodes françaises. Dans cette optique, la politique du général Lyautey et de ses officiers, notamment Gouraud, est perçue comme une répression impitoyable, au détriment de l'idée de "civiliser" les Marocains. Jaurès souligne que le recours à la violence pour imposer le protectorat est en réalité une forme d'annexion déguisée, un point de vue qui devient le noyau d'une critique plus large de la politique coloniale.[20]

En réorganisant les tabors et en prêtant une attention particulière aux conditions de ses hommes, Gouraud se distingue comme un leader respecté, à la fois pour ses compétences militaires et son sens des responsabilités envers ses troupes. Cette méthode lui permet non seulement d'instaurer une confiance auprès des soldats, mais aussi de maintenir une image positive aux yeux de Lyautey, qui peut compter sur lui sans craindre un dérapage brutal ou une dérive coloniale.[20]

En revanche, Lyautey se méfie de certains de ses subordonnés, comme Charles Mangin, qui représentent une approche plus violente et systématique de la guerre. Mangin applique une répression brutale et implacable qui correspond à la loi du talion, une méthode que Lyautey juge potentiellement dangereuse pour ses objectifs politiques. Sa confiance en Mangin diminue au fil du temps, et en 1913, il décide de le retirer du Maroc, envoyant ce dernier auprès du ministre de la Guerre. Cette décision témoigne de la volonté de Lyautey de maintenir un contrôle rigoureux sur ses troupes et d'éviter que l'image de la colonisation française ne soit entachée par des excès militaires.[20]

Campagne de Taza et jonction des deux Maroc

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L’objectif stratégique de Lyautey et de son général Gouraud en 1912, notamment autour de la région de Fez, se focalise sur la sécurisation du lien entre le Maroc occidental et oriental, tout en consolidant la position du protectorat. Si la situation au Makhzen a évolué avec l’abdication de Moulay Hafid et la montée sur le trône de Moulay Youssef, le terrain reste toutefois extrêmement tendu, particulièrement dans les régions comme Marrakech et Fez, où les tribus s’opposent fermement à l’autorité française.[20]

Le recours à l’aviation, symboliquement et militairement, marque une étape importante dans les méthodes employées par Gouraud. En faisant d'un "indigène", comme Do Huu, un officier de l’armée française, il envoie un message fort sur l'intégration des forces locales tout en utilisant l'aviation pour pacifier la population par des moyens innovants, notamment par la distribution de tracts. Cela sert à la fois à annoncer l’avènement du nouveau sultan et à renforcer le message de l’autorité coloniale. Le 15 août 1912, les lieutenants aviateurs Do Huu et Max Van den Vaero mènent un raid entre Rabat et Fez pour signaler l’avènement de Moulay Youssef par des tracts lancés de leurs avions.[20]

Gouraud se rend compte très tôt des défis posés par la région montagneuse de Taza, un lieu stratégique qui représente une barrière naturelle entre Fez et Oujda. Cette zone, habitée par des tribus berbères indépendantes, est particulièrement difficile à contrôler. Ces tribus, bien que musulmanes, ont une culture distincte et n’ont aucune affinité particulière pour l’autorité du sultan. Par conséquent, une grande partie des efforts de Gouraud se concentre sur la création d’une base arrière solide, avec des postes avancés, la construction de voies ferrées pour le ravitaillement et un travail de renseignement minutieux, qui permet de mieux comprendre les dynamiques tribales locales et d’encourager certaines tribus à se soumettre au pouvoir du protectorat. Dès le début de l’année 1913, un poste avancé est installé à Souk-el-Arba-de-Tissa, à 50 kilomètres de Fez.[20]

Le processus de « fractionnement » des tribus, souvent facilité par des conflits internes, devient un levier stratégique. En exploitant les divisions locales et en manipulant les rapports de forces, Gouraud cherche à isoler les groupes les plus résistants tout en attirant ceux plus enclins à la soumission. Ce travail méticuleux de cartographie et de reconnaissance permet d’élargir progressivement le contrôle de la zone, tout en réduisant l'impact des rébellions locales.[20]

En 1914, Gouraud est nommé au commandement des troupes du Maroc occidental. Depuis Fès, le 27 avril 1914, sous le commandement du général Gouraud, la 3e compagnie montée du 1er bataillon de marche du 2e Régiment étranger d’infanterie du capitaine Paul-Frédéric Rollet se met en route vers Taza. Début mai 1914, Lyautey décide de neutraliser la poche de résistance des tribus de Taza[27] : il place Gouraud à la tête d'un corps de trois colonnes. Elles doivent traverser le territoire des Tsouls pour atteindre les rebelles de Taza[28].Il dispose d'une force considérable de 6 000 hommes, représentant environ 10 % des troupes françaises présentes au Maroc à l'époque. Son objectif est d'avancer vers l'est, en direction de Taza, tout en étant confronté à des forces similaires, sous le commandement du général Baumgarten, venant des Aurès en Algérie, qui cherchent également à prendre Taza.[20]

Le premier mouvement vers la montagne des Tsoul débute, et le 24-26 mars 1914, la colonne française est attaquée par une coalition de tribus locales (Tsoul, Branes, Riata) alors qu’elle répare une route. L’offensive doit être suspendue en attendant de nouveaux ordres, en partie à cause des élections législatives en France, qui poussent le gouvernement à temporiser pour éviter une crise coloniale. Finalement, en avril 1914, la marche reprend. Le terrain montagneux ralentit l'avancée de la colonne, qui progresse à une vitesse d'environ 3 à 4 kilomètres par heure. Les hommes reçoivent des vivres tous les deux jours, et la logistique repose sur des chameaux et mulets transportant le matériel militaire. Gouraud et Lyautey s’intéressent à l’utilisation de l’aviation pour le soutien de leurs troupes.[20]

Le 1er avril 1914, les lieutenants Lalanne et Radisson, deux aviateurs, mènent une mission de reconnaissance dans la plaine de Fahma, où ils effectuent des bombardements sur les positions des Riata, marquant ainsi l’arrivée de la guerre aérienne sur le terrain. Avec plusieurs avions disponibles, Gouraud commence à intégrer les nouveaux moyens modernes dans la stratégie de guerre.[20]

Les difficultés persistent cependant, avec des attaques régulières des tribus et des conditions climatiques défavorables ralentissant l’avancée. Pour s’adapter, Gouraud crée une colonne mobile spécialisée dans les reconnaissances. Le 30 avril 1914, une grande colonne mobile, composée de 23 compagnies, 12 pelotons de cavalerie et 6 sections d'artillerie, quitte Souk-el-Arba-de-Tissa. Cette colonne progresse de nuit, en empruntant la vallée du Leben pour se diriger vers Dar El-Hadjami. Après un premier combat, la colonne établit son camp au pied de la montagne.[20]

Le lendemain matin, le 1er mai 1914, Gouraud, avec un grand sens de la tactique, fait avancer ses troupes dans un grand silence à travers des ravins et petites montagnes pour prendre les positions de résistance, notamment les "mechtas" (maisons fortifiées) sur les flancs de la montagne. Le combat devient particulièrement intense, avec des soldats français, dont les légionnaires et les Sénégalais, capturant des positions stratégiques, et un combat très violent dans les montagnes.[20]

 
Carte postale commémorant la Jonction des deux Marocs, Mai 1914.

Au terme de cette opération, les Tsoul perdent 70 hommes, tandis que les Français comptent 9 tués et 25 blessés. Lors de la prise de la kasbah, Gouraud saisit une correspondance importante, soit 300 lettres, qui permettra de mieux comprendre les relations tribales au sein de la montagne et d'améliorer la stratégie coloniale dans cette région difficilement accessible.[20]

Le 8 mai 1914, le général Lyautey donne l’ordre à la colonne de progresser vers Taza. Le 9 mai, les troupes quittent le camp de Zrarka en direction du djebel Tfazza, un contrefort de la montagne, où les Tsoul se préparent au combat. Gouraud, suivant sa tactique éprouvée du 1er mai, organise une surprise de nuit avec une manœuvre en cercles concentriques. Trois colonnes sont envoyées, dirigées par Bulleux, Girodon et Delavau. L’artillerie soutient l’attaque qui, à 7 heures du matin, permet aux troupes de prendre le piton dominant la vallée de l’oued Amelil, riche en moissons et bordée de ravins profonds.[20]

Le 10 mai 1914, elles affrontent la tribu des Ghiata dans le mont Tfazza, à 50 kilomètres au nord de Taza[28]. Gouraud est impressionné par la montagne des Tsoul, une forteresse naturelle en trois échelons avec des vallées parallèles et des villages bien protégés. Une nouvelle opération d’assaut est lancée de nuit pour envelopper la montagne. À 8 heures du matin, les mechtas sont capturées, et l’assaut continue. À 10 heures, les troupes françaises, incluant marsouins, Sénégalais, légionnaires, tirailleurs algériens et marocains, lancent un assaut supplémentaire sur la crête des Beni-Frasen, soutenus par de l’artillerie et de la cavalerie.[20]

Les combats sont encore plus violents. Gouraud est blessé lorsque son cheval tombe sur lui, et d’autres officiers, comme Girodon (qui se casse une jambe) et le capitaine de Terves (tué par balle), sont également touchés. Les pertes françaises s’élèvent à 9 tués et 39 blessés. En revanche, les pertes marocaines sont bien plus lourdes, avec plus de 200 tués, y compris des notables.[20]

Ce même jour, la colonne Baumgarten arrive aux faubourgs de Taza, prenant plus facilement la ville. En attendant l’arrivée de Lyautey pour la jonction des deux armées françaises, les troupes prennent du repos, tandis que les officiers font signer des actes d’aman aux tribus locales. Toutefois, ces signatures sont considérées comme temporaires, les Tsoul n’étant prêts à se soumettre que sous la contrainte.[20]

Le 16 mai 1914, la tribu est vaincue. C'est la « jonction des deux Maroc » à Taza avec le général Baumgarten, qui parachève la pacification du Maroc[11],[12].

Mutation en France

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Le 27 juillet, le ministère des Affaires étrangères français informe Lyautey que, dans le cas d'une guerre en Europe, le sort du Maroc se décidera en Lorraine, et lui demande de procéder à l’évacuation du territoire. Bien que Lyautey soit d’accord avec la nécessité de défendre la France, il refuse de quitter le Maroc, craignant qu’un retrait précipité entraîne une panique parmi les tribus marocaines. Il décide donc de maintenir une présence française, en dépit de la pression et des difficultés logistiques.[20]

Le 1er août, Gouraud, qui est en charge de la région de Fez, confie son commandement au colonel Bulleux et, bien que n'ayant pas de certitude quant au déclenchement de la guerre, se rend à Meknès pour obtenir davantage d'informations. Le 3 août, à Sidi-Yahia, ils apprennent la mobilisation générale en France. À partir de ce moment, la guerre devient une réalité imminente pour Gouraud et ses collègues.Dans une lettre à sa mère, il exprime sa détermination : « je veux rentrer, je le veux de toute l’ardeur de mon patriotisme ». Il considère sa présence au Maroc comme un obstacle, estimant qu’il doit aller combattre en Lorraine pour défendre la patrie.[20]

À partir du 19 août, la France commence à évacuer ses troupes du Maroc. Vingt bataillons, soit environ 15 000 hommes, sont envoyés en France, dont trois venus de la région de Fez. Lyautey fait tout pour maintenir une apparence de présence française en laissant des unités territoriales. Il met en œuvre ce qui sera plus tard surnommé la « politique du sourire » : retirer la majorité des soldats tout en maintenant une illusion de présence militaire pour ne pas inquiéter la population locale et européenne.[20]

Le 1er septembre, Gouraud quitte officiellement le Maroc et se rend à Rabat, où Lyautey lui remet la plaque de grand officier de la Légion d’honneur. Il part avec la 4e brigade du Maroc, composée de régiments de zouaves et de tirailleurs, ainsi que plusieurs membres de son état-major, dont le commandant Braconnier et le peintre Duvent.[20]

Le 6 septembre, ils embarquent à Kenitra. Le 9 septembre, ils arrivent à Sète, et le 11 septembre, l’ensemble des troupes débarque en France. À ce moment-là, Gouraud apprend la victoire à la bataille de la Marne, ce qui lui donne à la fois confiance et inquiétude : la guerre, qu’il va désormais mener au cœur de l’Europe, est bien en marche.[20]

Première Guerre mondiale (1914-1918)

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Un homme de tous les terrains (1914-1916)

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Combats en Argonne (1914)

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En août 1914, la guerre éclate en France. Gouraud change d'avis sur le monde colonial : il réclame un commandement sur le front[11]. Il est à la tête de la 4e brigade marocaine envoyée en renfort sur le front français. Nommé général de division, il reçoit, le , le commandement de la 10e division d'infanterie[29]. À cette époque, la 10e division, déjà fortement éprouvée par la guerre, a perdu trois généraux : Auger, limogé le 26 août 1914, Charles Roques, tué le 6 septembre, et Louis Gossart, intérimaire. En arrivant sur le front, Gouraud prend immédiatement le commandement d'une division démoralisée et usée, composée des régiments 31e, 46e, 76e et 89e, qui avaient déjà été engagés dans les combats de la première bataille de la Marne. Ces troupes ont subi de lourdes pertes, avec des effectifs réduits à 12 000 hommes.[30]

Il dirige notamment des combats en forêt d'Argonne[29]. Ce secteur est crucial pour la défense des passages permettant l'accès à Verdun et Reims.[30]

Au début de décembre 1914, Gouraud fait appel aux garibaldiens, un régiment composé de volontaires italiens, pour renforcer ses troupes. Cependant, la première expérience avec ces troupes, le 25 décembre 1914 à Bolante, se solde par un échec cuisant : 30 morts, 17 disparus et 111 blessés. Malgré l'enthousiasme initial, l’attaque des garibaldiens tourne à la débâcle. La situation continue de se dégrader, et les pertes s’accumulent au début de 1915. Le 5 janvier 1915, les garibaldiens, menés par Peppino Garibaldi, lancent une attaque pour prendre leur revanche, mais malgré quelques succès, ils perdent 48 hommes et 77 disparus.[30]

À la fin de janvier 1915, Gouraud commence à éprouver les effets du stress et de la fatigue. Le 7 janvier 1915, il est blessé à la clavicule par une balle perdue, un coup de chance qui ne remet cependant pas en cause son efficacité[29]. Malgré sa blessure, il refuse de prendre un repos complet et continue à diriger ses troupes. Le 10 janvier, les combats reprennent sur le front de l’Argonne, avec une violente canonnade allemande qui déstabilise ses positions. La perte de nombreux hommes et la dégradation du moral des troupes le poussent à demander un renfort de deux bataillons.[30]

Gouraud manifeste une volonté de tenir coûte que coûte, mais il constate les effets de la guerre sur ses troupes et commence à douter de l’efficience de l’offensive à outrance. Son changement de perspective est perceptible après la blessure du 7 janvier et la lourde défaite des garibaldiens. Ce tournant marque un changement de stratégie : désormais, la défense prend le pas sur l’offensive. Les colonels sous son commandement réclament davantage de protection pour leurs hommes, alors que les pertes humaines deviennent dramatiques. Le 20 janvier, Gouraud prend la décision de relever le 2e corps d’armée, et la division est désormais rattachée au 5e corps d’armée de Micheler, tout en restant dans le même secteur.[30]

Durant cette période, Gouraud continue de mener ses troupes avec une volonté de solidarité accrue, en se rapprochant de ses officiers et en cherchant à éviter l'anonymat des missives militaires. Bien qu'affaibli physiquement, il s'efforce de maintenir le moral de ses troupes et de leur donner des directives claires. Ses dernières actions sont marquées par une volonté de résilience, notamment lorsqu’il participe à l'enterrement du chef de bataillon Darc, tué le 8 janvier 1915.[30]

Bataille des Dardanelles (1915)

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En 1915, face à l’impossibilité de percer la ligne de front, certains officiers soutiennent l’idée d’un autre front en Méditerranée. Ce projet, d’abord proposé par les Britanniques sous Winston Churchill, visait à forcer les Détroits des Dardanelles pour attaquer Constantinople. Bien que la France fût initialement réticente à s’engager dans cette opération, elle finit par accepter, craignant de laisser les Britanniques seuls dans cette région stratégique. Ce plan, qui impliquait une expédition navale et terrestre, se solda par un désastre lors du débarquement à Gallipoli en avril 1915, où les troupes alliées furent rapidement bloquées, subissant des pertes énormes.

Le général d'Amade, qui est témoin de l'échec naval du 18 mars et conscient des difficultés à mener l'opération, propose de débarquer loin des forts des Dardanelles, sur la rive asiatique. Toutefois, cette suggestion n'est pas suivie et les Alliés poursuivent leur plan de débarquement à Gallipoli. Le général d'Amade, désabusé par les imprévus et les tensions croissantes, se retrouve sous pression face aux échecs de l'opération.

Le haut commandement ne se résout pas à le voir comme un officier métropolitain, il a besoin de « coloniaux » pour l’envoyer avec les troupes sénégalaises aux Dardanelles[11]. Le 22 janvier 1915, le général Gouraud est nommé au commandement du Corps d'armée colonial. En mai 1915, il est nommé au commandement du Corps expéditionnaire français aux Dardanelles. Ses instructions sont de coopérer étroitement avec les forces britanniques et de suivre les directives du général Hamilton, tout en préservant l'Entente cordiale. Les Britanniques accueillent Gouraud avec enthousiasme, le qualifiant de « lion de l’Argonne », en raison de son expérience militaire et de sa réputation en tant que chef aguerri.[30]

Le 9 avril, il embarque à bord du Ville-d'Alger, puis après un changement de navire en cours de route, il débarque le 14 mai à Gallipoli à bord du cuirassé Charlemagne. Gouraud arrive avec une équipe qu’il juge solide et compétente, et il a rapidement l’intention de redresser la situation du corps expéditionnaire, qui a déjà subi de lourdes pertes. À bord du Charlemagne, il commence à réclamer des renforts en hommes, en matériels, et en équipements. Il connaît bien la situation désastreuse des précédentes opérations et comprend que les troupes sont piégées dans des tranchées, une situation similaire à celle du front occidental, avec des difficultés supplémentaires liées au ravitaillement.[30]

Dès son arrivée, Gouraud annonce à ses troupes que son objectif est de « durer » afin de pouvoir reprendre l’offensive dès que possible. En mai 1915, les forces alliées, composées de 5 divisions – 3 britanniques à l’ouest et 2 françaises à l’est – n’ont conquis que 5 kilomètres de terrain et sont soumises à un bombardement constant de la part des troupes turques installées sur le pic d’Achi Baba, à 9 kilomètres du cap Hellès. Dans ce contexte, Gouraud, en « bon broussard », met en place une réorganisation logistique efficace du corps expéditionnaire. Il procède à une inspection de terrain dès le 15 mai et ordonne une réorganisation des tranchées pour éviter le surpeuplement et améliorer la défense. Il demande que les mitrailleuses soient disposées de manière plus stratégique, que les boyaux de communication soient aménagés pour éviter les tirs en enfilade et qu’une stricte discipline de feu soit instaurée. L’objectif est de limiter le gaspillage de munitions et de réduire les pertes inutiles.[30]

À l’arrière, Gouraud considère que la base d’Alexandrie, en Égypte, est trop éloignée pour être efficace. Il fait donc déplacer le général Baumann à Moudros, sur l’île de Lemnos, pour organiser les envois de matériel et de troupes vers Gallipoli. Moudros devient ainsi un camp militaire majeur, abritant les services d’intendance, les parcs d’artillerie, et les hôpitaux de campagne. Pour faciliter la liaison, il fait appel au remorqueur Goliath pour le transport exclusif des hommes, du matériel et des animaux. Gouraud veille également à ce que les troupes reçoivent des renforts, de la nourriture et des équipements en quantités suffisantes pour relever le moral des soldats.[30]

Gouraud, fidèle à sa doctrine, considère l’attaque comme la meilleure défense et est résolu à reprendre l’offensive dès que possible. Le 19 mai, il écrit à Ian Hamilton, commandant des forces alliées, en affirmant que la prise de Achi Baba est une « nécessité militaire » mais aussi une nécessité morale. Cependant, il rencontre des divergences parmi les Britanniques, notamment entre la marine et l’armée de terre, concernant la meilleure approche à adopter. Malgré cela, il réussit à convaincre Hamilton de l’importance de lancer une action. Gouraud concentre son effort sur le secteur français, à Kérévès Déré, et organise une offensive qui, bien que modeste, se solde par un succès. Le 28 mai, les troupes françaises, composées de soldats français et sénégalais, prennent un fortin apparemment imprenable, tuant 25 défenseurs turcs et retournant l’emplacement contre l’ennemi. Cette victoire permet de remonter le moral des troupes et de renforcer la position de Gouraud.[30]

Le 31 mai 1915, Gouraud participe à une conférence avec les commandants britanniques pour préparer une attaque générale. Le plan du 4 juin consiste à utiliser une préparation d’artillerie lourde pendant trois heures, suivie d’un assaut coordonné des forces ANZAC, britanniques et françaises. Toutefois, l’attaque du 4 juin se transforme rapidement en un échec cuisant, malgré la prise initiale de certaines positions turques. L’artillerie alliée s’avère insuffisante pour maintenir les positions contre les renforts turcs, et les alliés ne parviennent à progresser que de 300 mètres, au prix de lourdes pertes (plus de 15 000 hommes, dont près de 9 000 turcs, 5 200 Britanniques et 2 500 Français).[30]

À la suite de cet échec, Gouraud réaffirme sa conviction qu’il faut poursuivre les attaques à objectifs limités. Malgré la défaite du 4 juin, il persiste dans sa stratégie, ordonnant de nouvelles offensives sur le ravin de Kérévès Déré et d’autres secteurs. Le 21 juin, une nouvelle tentative sous la direction du colonel Girodon permet de prendre des positions turques mais, là encore, les troupes doivent se replier après avoir subi de lourdes pertes. Gouraud, fidèle à sa doctrine de l’attaque à tout prix, relance de nouvelles offensives les 22 et 23 juin, entraînant encore plus de pertes parmi ses troupes. Cette intensification des combats et la multiplication des échecs tactiques poussent Gouraud à renforcer la discipline et à prendre des mesures plus strictes pour maintenir l'ordre, y compris en désignant des sous-officiers pour empêcher les soldats de reculer.[30]

Fin juin, il est grièvement blessé par un obus turc à Seddul-Bahr alors qu’il inspecte l’hôpital de campagne. Sur le navire-hôpital Tchad qui le ramène en France, la gangrène se déclare ; il faut l'amputer du bras droit[31],[Note 2]. En moins de trois mois, il a trouvé un terrain d’entente avec le général anglais Ian Hamilton, ce que n’avait pas réussi son prédécesseur, le général d’Amade[11]. En juillet 1915, Poincaré le décore de la médaille militaire sur son lit d'hôpital[32].

 
Mailly-le-Camp, , les troupes russes défilent devant Gouraud.

À peine quelques jours après l’opération, le général Gouraud montre sa détermination en souhaitant déjà reprendre du service. Il demande également un renforcement des effectifs médicaux à bord du Tchad, où de nombreux blessés sont décédés en raison d'un manque de personnel. Gouraud est particulièrement touché par les histoires poignantes des soldats blessés, comme celle de Jean Labourdette, qui a perdu ses deux mains et ses yeux mais qui continue à chanter pour encourager ses camarades. Il demande ainsi qu'une médaille militaire soit attribuée à ces soldats exemplaires. Le 5 juillet, il sollicite aussi un rapport complet sur les combats des 21 et 30 juin, notamment pour obtenir des photographies aériennes du site d’Achi Baba et de ses tranchées.[30]

Gouraud se rétablit rapidement. Il reprend du service à la fin de 1915 par une mission en Italie. L'Italie, qui a récemment rejoint les Alliés en guerre contre l'Empire Austro-Hongrois, est une pièce essentielle pour la stratégie du général Joffre, qui souhaite convaincre les Italiens d'envoyer des troupes à Salonique. [30]

Lors de ses réunions à Udine avec les principaux responsables italiens, dont Cadorna, Porro et Diaz, Gouraud plaide pour l’envoi de troupes en Grèce, mais la réponse italienne est modeste : au mieux, l'Italie accepterait d'envoyer entre 12 000 et 18 000 hommes, soit une seule division, bien loin des 100 000 hommes espérés par la France.[30]

L'armée Gouraud (1915)

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Sur les conseils de son frère Pierre, il se rend auprès du Général de Castelnau qui se trouve à Avize et qui, bientôt muté au Grand quartier, lui demande de prendre le commandement de sa IVe Armée. À la fin de 1915, Joffre lui confie le commandement de la IVe Armée en Champagne. C'est une armée gigantesque, de plus d'un demi-million d’hommes durant l'été 1917[7]. Elle devient bientôt « l’armée Gouraud », à tel point que, même après avoir assuré l’intérim de Lyautey au Maroc au début de l’année 1917, Gouraud reprend « son » armée à l’été 1917[11]. En 1916, son frère Pierre Gouraud, commandant au sein du 67e régiment d'infanterie, est tué au combat dans la Somme[33].

Le début de l'année 1916 offre à Gouraud une relative tranquillité sur le front de Champagne, un répit qui lui permet de prendre du recul pour réfléchir aux évolutions tactiques de la guerre. Bien qu'il soit conscient que les armées françaises peinent encore à définir une tactique précise face à l'ennemi, il s'attelle à analyser les changements qui s’opèrent. En particulier, il observe attentivement les attaques allemandes, et en particulier celles de la bataille de Verdun, qui marque un moment de rupture dans la guerre. Après la première vague d'attaques sur Verdun, l’état-major de la IVe armée, secoué mais réactif, commence à analyser la nature nouvelle des combats : des bombardements d'une intensité sans précédent, l’usage de jets de flammes et de tirs de barrage. Cette nouvelle réalité conduit Gouraud à renforcer les positions défensives, et à rationaliser l’organisation du front.[30]

Afin de protéger les troupes et économiser les ressources, il fait en sorte de renforcer les infrastructures défensives : abris, postes de secours, lignes de résistance et organisation des fournitures en eau et en vivres. Il accorde également une grande importance à l’artillerie, cherchant à en faire un bouclier pour l’infanterie plutôt qu’un simple outil de destruction. L’aviation, qu'il connaît bien grâce à son expérience au Maroc, est également intégrée de manière plus étroite avec l’armée, en particulier pour les opérations de repérage.[30]

Outre les aspects purement tactiques et logistiques, Gouraud prend soin du moral de ses hommes. Il veille à maintenir une vie relativement confortable pour les soldats, en organisant des permis, en distribuant des récompenses comme la Légion d’honneur, et en instaurant une atmosphère conviviale. Il est également attentif au bien-être de son état-major, qu'il invite régulièrement à sa table pour des repas, favorisant une bonne entente et une atmosphère de camaraderie. Ses relations avec les parlementaires et des personnalités publiques renforcent son image de leader accessible et dynamique.[30]

Interimède au Maroc (1916)

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Le 11 décembre 1916, Aristide Briand, président du Conseil, propose par télégramme à Hubert Lyautey le porte-feuille de ministre de la Guerre. La question se pose de trouver à la Résidence générale un remplaçant apte à maintenir l'ordre au Maroc. Gouraud est proposé par Briand. Lyautey accepte par télégramme[34]. Il écrit :

« Gouraud est tout à fait apte à faire face à la situation et je lui remettrai le commandement en toute confiance. Toutefois, il y aurait intérêt majeur, pour atténuer l'inconnu de la situation et ménager la transition, à ce que la désignation de mon successeur fût provisoire, au moins au début, pour que je reste aux yeux du Sultan et de la population, la caution de la politique suivie jusque ici[34]. »

Gouraud est toujours sur le front à ce moment et refuse de quitter le théâtre des opérations. Briand le persuade, au cours d'une entrevue, de la nécessité de prendre le poste de résident général. Il retourne au Maroc de à pour remplacer Lyautey[34]. Cette situation est loin d'être idéale pour le général Gouraud, qui, bien qu’honoré par cette promotion, n'apprécie guère d'être placé dans une position intérimaire. Il se trouve à la croisée des chemins, entre une carrière militaire pleine de potentiel et une mission qu’il ne désire pas particulièrement, tout en entrevoyant un avenir long et important à la tête de la IVe armée.[35]

Le 19 décembre, il retrouve Lyautey à Algésiras. Leur rencontre est un moment crucial, car Lyautey, qui connaît bien les enjeux du Maroc et ses tensions internes, remet à Gouraud une note détaillant les personnalités et les enjeux avec lesquels il devra composer. Gouraud, dans un climat de guerre et de méfiance, prend la mer à bord du sous-marin Rubis après une rencontre de trois heures avec Lyautey. Son arrivée à Casablanca le 22 décembre marque le début d’une nouvelle phase dans sa carrière, mais aussi une confrontation avec les réalités du terrain au Maroc.[35]

 
Les deux résidents, à Gibraltar. À droite, Lyautey et à gauche derrière, Gouraud.

La situation au Maroc est complexe, marquée par une forte agitation locale et une propagande allemande visant les populations musulmanes, notamment pour inciter à la révolte à travers un appel au djihad. Lyautey, conscient de ces dangers, a mis en place des stratégies pour limiter les effets de cette propagande, tout en renforçant le service des renseignements, ce qui prépare le terrain pour l’arrivée de Gouraud. Ce dernier, avec l’appui de Lyautey et de Berriau, son chef du service de renseignement, doit maintenant faire face aux rébellions tribales soutenues par des puissances extérieures et à la volonté de maintenir l’ordre et la stabilité au Maroc.[35]

Dès son arrivée à Casablanca, le général Gouraud se met en position de renforcer son autorité en rencontrant les différents acteurs clés de la région, à la fois politiques et militaires. Il commence par recevoir les représentants du Makhzen, les consuls étrangers, les fonctionnaires français, les officiers de la garnison, les colons et les notabilités locales. Son premier geste diplomatique majeur est de solliciter une audience auprès du sultan Moulay Youssef, une démarche essentielle pour bien démarrer sa mission et assurer la continuité de l’administration. Ces premières concertations sont suivies d’une tournée dans le sud du Maroc, notamment à Marrakech, où les tensions sont palpables. Dans cette région, le général fait face à une situation complexe, en particulier avec les tribus Chleuh, qui restent une menace persistante malgré les efforts pour les pacifier. La situation dans le Sud du Maroc est particulièrement préoccupante, car des révoltes, comme celle d’El-Hiba, continuent de menacer la stabilité de la région.[35]

En janvier 1917, Gouraud se rend à Marrakech pour inspecter les troupes et rencontrer les caïds et les notabilités locales. Il constate une situation relativement calme dans certaines régions, mais il note aussi le potentiel de révolte dans le Sous, notamment en raison de l’extension de l’influence d’El-Hiba, qui a su mobiliser plusieurs tribus contre l’autorité française. Pour faire face à cette menace, Gouraud renforce la politique des caïds, leur demandant de fournir des troupes pour la surveillance des ports et la protection de certaines villes clés comme Tiznit et Agadir. Parallèlement, il engage des actions militaires contre les dissidents, notamment avec le combat de Ouijane en mars 1917 et celui de Bou-Naman en avril, qui permettent de réduire considérablement l’influence d’El-Hiba.[35]

Cependant, la situation reste fragile, et Gouraud continue de mener des actions militaires sur plusieurs fronts. Il se rend compte de l’importance stratégique de maintenir une pression constante sur les zones rebelles tout en établissant des corridors pour limiter l’influence de la propagande contre-française, notamment dans la région du Tafilalet. Là, le général Gouraud tente de résoudre un différend diplomatique entre les autorités françaises du Maroc et de l'Algérie, concernant les tribus qui vivent près de la frontière, illustrant les complexités de la gestion du territoire.[35]

Le général Gouraud, en tant que résident général du Maroc, se trouve confronté à une série de défis administratifs et logistiques, dont l’un des plus importants est l’effort de guerre agricole. En 1917, l'approvisionnement en blé et en produits agricoles est devenu une question cruciale, surtout dans le contexte de la Première Guerre mondiale, où la France a besoin de ravitaillement pour soutenir ses troupes. À cette fin, Henri Cosnier, député chargé de l’agriculture et de l’approvisionnement pour les colonies et protectorats, est envoyé au Maroc pour superviser l’augmentation de la production agricole.[35]

L’objectif de la mission Cosnier, qui arrive au Maroc en mai 1917, est d’aider à accroître les rendements agricoles et à organiser un meilleur ravitaillement pour l'effort de guerre. Cette mission est censée travailler main dans la main avec l’administration de Gouraud, mais les divergences entre les deux parties se manifestent rapidement. Cosnier et son équipe estiment que l’intendance militaire est mal organisée, notamment concernant les méthodes de collecte et d’acheminement des céréales. En raison de la mauvaise gestion du fret, 30 000 tonnes de céréales pourrissent faute de pouvoir être expédiées en France. De plus, Cosnier critique le prix d’achat fixé par l’intendance militaire, qui selon lui ne stimule pas suffisamment la production de blé.[35]

En parallèle, le général Gouraud se retrouve également au centre d’une polémique concernant les effectifs militaires présents au Maroc. Les critiques de Mangin, notamment, et la pression politique en France, lui reprochent d’entretenir un trop grand nombre de troupes, alors que le pays est en guerre et que la France a besoin de soldats sur le front. Gouraud, cependant, défend fermement la nécessité de maintenir ces troupes, soulignant leur rôle essentiel dans la stabilité du Maroc et dans l’effort de guerre. En réponse à ces critiques, il fournit des chiffres détaillés pour prouver que le Maroc contribue à l’effort de guerre, mais qu’il ne peut pas réduire ses effectifs sans compromettre sa propre sécurité et l’ordre dans la région.[35]

Contrairement à ce que Lyautey avait souhaité, la nomination de Gouraud est temporaire, ce qui met à mal la stratégie de Lyautey visant à rendre acceptable la présence française au Maroc[34]. Il quitte ainsi la Résidence le 16 mai 1917. Il arrive à la gare d’Orsay le 24 mai bien décidé à récupérer « sa » IVe armée.[35]

Retour en France

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Gouraud revient en au commandement de la IVe armée. II ré-organise le front de Champagne pour répondre à la directive du général Pétain qui veut appliquer une nouvelle tactique.

Les mutineries de 1917 ont forcé le gouvernement français à reconsidérer son approche du commandement militaire. À la suite de ces événements, une commission d'enquête, connue sous le nom de « commission des trois généraux » (Brugère, Foch, Gouraud), a été mise en place en juillet 1917 pour examiner les causes de l’échec de l’offensive et pour juger des responsabilités au sein du haut commandement. Cette enquête visait à apporter une certaine clarté, mais également à envoyer un message clair aux généraux qu’ils ne pouvaient plus agir en dehors de toute responsabilité.[35]

Au-delà de cette crise interne, le général Gouraud a continué à jouer un rôle clé dans l’effort de guerre, notamment en gérant l’accueil de troupes étrangères, comme les Russes, les Tchèques et les Américains. Ces nouvelles alliances ont bouleversé la dynamique de la guerre, et Gouraud, habitué à naviguer entre les sphères militaires et diplomatiques, a facilité l’intégration de ces forces au sein de l'armée française.[35] Le , il obtient le renseignement lui donnant l’heure de la prochaine attaque des troupes du général allemand Ludendorff. Gouraud lui tend un piège sur toute la longueur du front de Champagne. Le lendemain, le 15 juillet, la contre-attaque allemande est arrêtée[11].

Le libérateur de Strasbourg

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Quelques jours plus tard, Gouraud écrit à sa sœur : « Georges Clemenceau m’a convoqué à la gare de Châlons, à 6 heures, et m’a embrassé vingt fois sur les joues, sur les yeux, sur le front, dans le cou. »[11]. Appuyée par les Américains, la IVe armée reprend l’offensive le 26 septembre, avance en Champagne, puis en Argonne, et pénètre en Alsace[11]. Gouraud est parmi les militaires vainqueurs qui font une entrée triomphale dans Strasbourg en . Le mois suivant, en décembre, le général Pétain lui remet la grand-croix de la Légion d'honneur[12].

 
Le général Gouraud avec la IVe armée française à Strasbourg le .

Effaçant d’un seul coup l’humiliation de 1870, l’entrée du général Gouraud à Strasbourg le 22 novembre se transforme en un véritable triomphe. Arrivé d’Obernai en voiture, il s’arrête à la porte de Schirmeckà 10 heures pour monter à cheval et se placer à la tête de son escorte de spahis. Il rejoint la place principale de Strasbourg, la Kaiserplatz aussitôt débaptisée et renommée place de la République. Le défilé se transforme immédiatement en une véritable ovation enthousiaste surprenantles officiers eux-mêmes tant la foule semble être au comble de la joie. La capitale de l’Alsace est en délire, écrit Gouraud à sa sœur. [35]

Sa mère meurt quelques jours plus tard[11]. Le 23 novembre, à Paris, il pose symboliquement sur son lit de mort le bouquet de fleurs noué d’un ruban tricolore donné par les Strasbourgeoises la veille. Il devient en quelques jours extrêmement populaire en Alsace.[35]

À la fin de la guerre, après avoir été brièvement gouverneur militaire de Strasbourg, en octobre 1919, il est nommé haut-commissaire de France au Levant et commandant en chef de l'armée du Levant[12] par Georges Clemenceau. Il cumule les fonctions de chef militaire, d’administrateur et de diplomate[7]. Le , il décore l'émir Fayçal de l'ordre de grand officier de la Légion d'honneur pour le soutien que les Hachémites et leurs alliés ont apporté à l'Entente sur le front d'Orient[36].

Haut-commissaire en Syrie et au Liban (1919-1922)

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Établissement du mandat français en Syrie et au Liban

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Carte des Accords Sykes-Picot montrant la Turquie orientale en Asie, Syrie et Perse occidentale, ainsi que les zones de contrôle et d'influence convenues entre la France et le Royaume-Uni. Royal Geographical Society, 1910-15. Signés par Mark Sykes et François Georges-Picot, le 8 Mai 1916.

Conflit des zones d'influence

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Dès 1915, les Britanniques cherchent à sécuriser la partie orientale du canal de Suez en revendiquant des ports sur la côte syrienne, comme Alexandrette et Haïfa. Parallèlement, ils soutiennent une révolte arabe menée par les Hachémites, en valorisant l'identité arabe et en dépréciant l'influence française sur le littoral syrien. Cela provoque une réaction vive de la France, qui considère la région comme essentielle à sa « mission civilisatrice » républicaine, quand ce n’est pas celle de la «fille aînée de l’Eglise »[11].

Les coloniaux français, sous la direction de Robert de Caix, définissent une « Grande Syrie », englobant Alexandrette et le Sinaï, avec les chrétiens (maronites, arméniens, melkites) comme alliés naturels. En riposte, les Britanniques, dans le cadre des accords Sykes-Picot, réduisent la Syrie en excluant la Palestine et la Transjordanie, promises aux sionistes et aux Hachémites en échange de leurs soutien[11].

Entre 1917 et 1918, l'avance britannique en Orient remet en question l'équilibre établi[11],[12]. Les tensions, notamment entre la France et le Royaume-Uni , sont ravivées à la fin de l’année 1918 et au début de 1919. Il apparaît nécessaire de désigner un général français de stature comparable à celle de Sir Edmund Allenby, l'influent commandant britannique en Orient. Dès octobre 1918, Allenby propose un redécoupage de la Syrie, qui montre les intentions britanniques de réviser les accords de 1916. Les tensions entre les deux puissances coloniales sont de plus en plus palpables au début de 1919, avec des accusations réciproques de mauvaise foi et d’ingérence[11].

Face à cette situation, le vice-amiral de Bon, inquiet de l’absence de direction claire et de l’indécision française, soulève la question de la relève des troupes britanniques. Il dénonce l'autorité excessive d'Allenby, désormais maréchal, et son double jeu : il préconise un remplacement des soldats français tout en entravant l'arrivée de renforts. Devant ce blocage, le vice-amiral suggère le nom du général Gouraud : il compte sur son autorité reconnue, sur son succès dans les Dardanelles, et pense qu'il pourra restaurer l'efficacité et l'unité des forces françaises en Syrie[11].

La France désigne le général Gouraud pour remplacer François Georges-Picot et prendre en charge la transition des troupes britanniques à partir de novembre 1919, renforçant sa position en Syrie. En tant que colonial, il est regardé comme l’héritier de Lyautey. On voit en lui un homme capable de respecter l’islam et les pratiques culturelles des musulmans. Estimé des Britanniques avec lesquels il a combattu aux Dardanelles, chef de guerre reconnu par ses pairs, il reçoit en Orient une armée bien inférieure en nombre et en moyens à celle dirigée sur le front de Champagne. Mais Gouraud est connu pour sa capacité à faire beaucoup avec peu. Enfin, catholique pratiquant, il est susceptible de rassurer les populations chrétiennes d’Orient[12].

L'envoi de Gouraud en Orient

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Gouraud arrive à Beyrouth le , quand la France obtient l'évacuation des troupes britanniques de la zone bleue des accords Sykes-Picot (Zone Ouest). Elles occupaient le Proche-Orient depuis la défaite de l'Empire Ottoman à l'automne 1918[37]

Le remplacement des Britanniques par des soldats français fait suite à l'acceptation par la France du mandat britannique sur la Palestine (alors que les accords Sykes-Picot avaient prévu pour la Palestine un statut de zone internationale) ; ce remplacement est aussi la suite du compromis négocié par Clemenceau et Lloyd-Georges concernant l'épineuse question du pétrole de la région de Mossoul[37]. Lors de son débarquement à Beyrouth, Gouraud prononce un discours mettant en avant les liens historiques unissant la France et la Syrie, par une référence aux Croisades puis aux Capitulations, mais il souligne aussi que les Français sont les « fils de la Révolution » et entendent garantir l'égalité de traitement entre les différents cultes[38].

Gouraud perçoit rapidement que son rôle se limite à la gestion administrative et militaire immédiate. Les véritables décisions diplomatiques échappent à son autorité directe[11] : la Syrie, le Liban et la Cilicie sont sous son contrôle nominal, mais de fait, c’est l'émir Fayçal qui, dans l’ombre, poursuit ses négociations avec Paris pour assurer l'avenir politique de la région. Chargé de succéder aux troupes britanniques, mais limité par leur refus d'intervenir en zone chérifienne, Gouraud doit en même temps éviter que l'émir Fayçal et les Hachémites ne réalisent leur projet d'une Syrie arabe indépendante, et rassurer les populations chrétiennes.[11]

   
Version officielle du discours de Gouraud lors de son arrivée à Beyrouth. Archives de la Courneuve (Fonds Gouraud).

À son arrivée, la question de la partition de la Syrie entre une Syrie arabe et une Syrie française a été rejetée par Clemenceau. Il a garanti à l'émir Fayçal une Syrie indépendante sous tutelle administrative française. Cet accord secret du 6 janvier 1920 oblige l'émir Fayçal à s'entendre avec Gouraud sur la mise en place du mandat français[11].

La mission de Gouraud n'est pas claire : entre 1918 et 1920, la France hésite : d'une part, il y a sa « grande politique arabe » traditionnelle, c'est-à-dire la mise en place d'une grande Syrie autonome sous influence française avec l'émir Fayçal à sa tête ; et, d'autre part, sa « petite politique arabe », centrée sur les relations avec les Maronites, historiquement très francophiles[39].

Cette deuxième optique est privilégiée par Henri Gouraud. Le Proche-Orient devait être, selon lui, constitué d'une mosaïque de petits États divisés selon des critères confessionnels ; cela impliquait d'encourager les particularismes religieux (Liban, État des Alaouites, État des Druzes, etc). Robert de Caix de Saint-Aymour met l'accent sur la politique de morcellement et résume ce projet de la sorte : « Ainsi organisée, la Syrie devrait, pendant un certain nombre d'années au moins, être comme un vitrail dont le plomb serait français »[40]. Le but est de favoriser les intérêts français et d’empêcher toute unité nationaliste. Gouraud eut donc recours à des stratégies similaires à celles employées en Afrique du Nord, notamment en manipulant les tribus, les confréries soufies et les Berbères[7].

 
Le général Gouraud, haut commissaire de la République en Syrie, débarquant à Beyrouth, le 21 novembre 1919

L'historienne Julie d’Andurain insiste sur le fait que, durant la complexe année 1920, Gouraud est toujours en étroit contact avec les décideurs à Paris, et qu’il a tenté jusqu’au bout de trouver un compromis avec l'émir Fayçal. La guerre menée par les « bandes arabes » contre les Français et les revers de ces derniers en Cilicie a conduit à l’affrontement final. La création du Grand Liban correspond à toute une évolution politique commencée plusieurs années avant[7]. Pendant ce temps, les Français se trouvent confrontés aux forces turques kémalistes en Cilicie. Dans cette région, ils avaient initialement espéré établir un refuge pour les populations arméniennes rescapées du Génocide perpétré par les Turcs[41].

Face à la résistance déterminée des forces kémalistes, les Français renoncent à leurs ambitions et, dès le mois de mai 1920, entament des négociations en vue d'un armistice. Cet accord leur permet de conserver le contrôle du sandjak d'Alexandrette, région stratégique située à la frontière entre la Syrie et l'Anatolie, et met fin à leur tentative de créer un refuge plus vaste pour les Arméniens dans la région[41].

La situation sur le terrain reste complexe : les populations arabes, notamment à travers l'enquête de la commission King-Crane (mai-août 1919), réaffirment leur désir d'indépendance. Afin de ne pas se compromettre avec les factions locales, Gouraud adopte une attitude prudente et attend les décisions de la Conférence de la Paix. Il évite de se lier de manière exclusive aux catholiques les plus ardents de Syrie, ainsi qu’au groupe d’influence présenté par Auguste Terrier, dont les intérêts sont trop divergents[11].

Parmi ce groupe figurent des personnalités comme le docteur George Samné et Chekri Ghanem. Ils sont reconnus par Robert de Caix comme les principaux leaders du Comité central syrien ; mais ils sont perçus par la diplomatie française comme les représentants d’un élément libanais francisé, dont les ambitions suscitaient des inquiétudes parmi les musulmans[11].

Un mois après son arrivée, Gouraud reçoit des représentants de la communauté alaouite un message esquissant un rapprochement avec les autorités françaises. 76 notables de la montagne alaouite lui envoient un télégramme, sollicitant du général la formation d'un « syndicat autonome alaouites sous protection française »[42]. Cet élément ne doit pas donner l'impression que les Alaouites étaient insensibles à la vision unitaire du nationalisme arabe de l'émir Fayçal : dès l'été 1919, a démarré dans la montagne alaouite une révolte ouverte contre les autorités françaises, menée par le Cheikh Salih el-Ali[42]. Elle se terminera en 1921, lorsque Gouraud décrètera l'amnistie générale des rebelles.

Campagne de Cilicie (1918-1921)

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L'arrivée du général Gouraud à Adana, en 1920.

La Cilicie était un territoire purement turc, habité en grande majorité par des Turcs et les Forces Nationalistes turques étaient déterminées à chasser les Français de Cilicie et préparaient une guerre de guérilla à grande échelle. Les Forces Nationalistes turques lancèrent des actions de guérilla[43].

En prévision des troubles avec les forces de Faysal à Damas, le général Gouraud avait gardé à Beyrouth une grande partie de son matériel important. Un fait significatif fut la dispersion très large des troupes françaises en petites garnisons de Mersin à Resulayn, à l'est d'Urfa. Les Français eurent de plus en plus de difficulté à consolider leur contrôle sur cette région[43]. Paris n'avait fourni qu'environ 20 000 soldats pour maintenir l'ordre en Cilicie et en Syrie. Ces troupes comprenaient, entre autres, les restes des Légions arméniennes et syriennes ainsi que les unités françaises qui avaient précédé le général Gouraud au printemps et à l'été 1919. Ainsi, le commandant en chef français se retrouva avec seulement deux divisions réduites à son arrivée à Beyrouth: la première était commandée par le général Julien Dufieux, avec son quartier général à Adana. La seconde était dirigée par le général Marie de Lamothe, avec son quartier général à Zahlé, dans la vallée de la Bekaa au Liban[43].

En Cilicie, les forces françaises commirent des massacres, des oppressions et des atrocités, appliquant une politique d'extermination: en armant les Arméniens locaux pour attaquer les Turcs et en envoyant des expéditions punitives dans l'intérieur, incendiant des villages turcs après avoir massacré leurs habitants[43]. Le général Gouraud résuma la situation dans une note du 25 novembre 1920 en ces termes :

Auparavant, des armes avaient été distribuées aux Arméniens, soit pour défendre leurs villages, soit pour former des unités auxiliaires rattachées aux colonnes françaises opérant en Cilicie. Dans chaque cas, les Arméniens ont profité de cette retraite pour traiter les Turcs de la même manière que les Arméniens prétendent avoir été traités, en pillant et brûlant des villages et en massacrant des musulmans sans armes[44].

 
Le 13 octobre 1922, l’Abilene Daily Reporter, basé au Texas (États-Unis), qualifie Mustafa Kemal de « George Washington de la Turquie ».

Avant même l’arrivée de la Légion d’Orient en Cilicie, les exactions contre les musulmans de Syrie furent l'une des raisons majeures de l’avancée vers l’Anatolie et de la séparation entre la Légion arménienne et la Légion syrienne dès novembre 1918[45].

À partir de janvier 1920, les troupes de Gouraud furent déplacées vers le nord afin de soutenir les forces engagées dans la guerre franco-turque. Bien que les Français aient exercé une surveillance étroite sur leurs troupes musulmanes en Cilicie, allant jusqu'à bloquer leurs contacts avec la population locale, certains désertèrent, par solidarité avec leurs frères musulmans turcs. Paris dut consacrer de plus en plus d'unités et de munitions pour maintenir l'ordre dans la région[43].

Le général Gouraud à Beyrouth suivait avec une inquiétude croissante l'évolution des hostilités en Cilicie. Dès mai 1920, la faiblesse militaire des Français les obligea à abandonner Maraş, Urfa et leurs poste avancé de Pozantı. À Paris, le peuple devenait de plus en plus critique et inquiet face au coût croissant en argent et en vies humaines pour maintenir la position française en Cilicie et cela, au moment où les troupes de Gouraud faisaient également face à des difficultés en Syrie, où une rébellion avait nécessité une extension considérable des lignes françaises. L'armée française ne pouvait donc pas renforcer ses troupes ciliciennes à partir de celles présentes en Syrie, ni obtenir davantage de renforts en provenance de la métropole. Pour satisfaire les appels incessants du général Gouraud pour de plus en plus de troupes, la France dut rapidement réduire sa présence à Istanbul et dans les Balkans – et sa position instable au Maroc[43].

 
Photographie de volontaires de la Légion arménienne.

À la fin de 1920, la position française en Cilicie était devenue intenable ; ville après ville avait été abandonnée aux nationalistes turcs. Complètement dépendants du chemin de fer pour les communications et le soutien logistique en général, les nombreuses petites garnisons dispersées le long de la voie ferrée furent aussitôt anéantis lorsque les forces kémalistes lancèrent leurs offensive[43]. Paniquées, les Arméniens lancent des actions désespérées, proclament le 5 août 1920 la République arménienne de Mésopotamie cilicienne, qui sera vite écrasée par les autorités françaises[46]. Pendant ce temps, depuis Beyrouth, le général Gouraud prépare la reconquête d'Édesse[47].

 
Le géneral Gouraud à Mersin, Turquie.

Le 20 octobre 1920, Paris signe le traité d'Ankara, qui cède tous les territoires de Cilicie à la Turquie[47].

Dès le début du mois de novembre, le général Gouraud et Mustafa Kemal Atatürk diffusèrent des déclarations publiques pour rassurer les populations chrétiennes, insistant sur l’amnistie, l’égalité légale et la punition de toute violation de l’accord d’Ankara. Comme l’expliqua Gouraud, il était dans l’intérêt des autorités turques de maintenir l’ordre. Selon un rapport militaire, une émigration massive des chrétiens ne pouvait être admise par les autorités françaises. En octobre 1921, les Arméniens de Maraş n'avaient pas été déportés, mais avaient dû payer de lourdes taxes pour leur exemption du service militaire et des exactions avaient déjà été commis contre eux[44]. Beaucoup d'Arméniens choisirent de fuir en territoire mandataire: en Syrie et au Liban, s'ajoutant aux réfugiés du Génocide Arménien.

Les désaccords avec l'émir Fayçal

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Proclamation de l'émir Fayçal roi de Syrie.

Après son arrivée à Beyrouth, le 14 janvier 1920, l'émir Fayçal fut confronté à plusieurs griefs du général Gouraud, concernant les attaques contre les troupes françaises et les villages chrétiens. Gouraud remit des listes d’officiers arabes et de leaders soupçonnés d'être impliqués. L'émir Fayçal doit également gérer un Congrès syrien de plus en plus nationaliste. Sa capacité à apaiser leurs sentiments anti-français dépendait de sa volonté de défier Gouraud. Ce dernier voulait un Liban séparé sous mandat français. Ainsi, l'accord de décembre 1919 entre l'émir Fayçal et Clemenceau devenait difficile à accepter pour l'émir Fayçal[48].

À la fin février 1920, l'émir Fayçal avait le choix : diriger le Congrès syrien ou s'en retirer. Il choisit la première option. Un rapport du lieutenant-commandant britannique Butler, envoyé à Beyrouth, souligna que l'émir Fayçal maintiendrait son engagement envers les Français, conscient que l’approbation d'une grande puissance lui était nécessaire. Le rapport confirmait aussi que l'émir Fayçal n'avait pas abandonné l'idée de collaborer avec la France[48].

Le Congrès général syrien, réuni à Damas, rejette catégoriquement tout accord avec la France, cherche à renforcer la position du prince l'émir Fayçal, et proclame, le 7 mars 1920, l'indépendance du royaume de Syrie incluant le Liban, la Palestine et la Mésopotamie. La déclaration stipule que les aspirations libanaises seraient préservées sous une administration séparée, détachée de toute influence étrangère[48].

Cette décision renforça la position de l'émir Fayçal en Syrie, mais irrita les Français et les Britanniques, ainsi que le patriarche maronite[48].

Georges Clemenceau a quitté le pouvoir après avoir signé l'accord avec l'émir Fayçal, le 6 janvier 1920, au profit d'une droite résolument colonisatrice. Le général Gouraud, de son côté, conteste la légitimité de la représentation des différentes communautés au sein du Congrès syrien : les 200 000 musulmans sunnites disposent de 13 représentants, tandis que les 610 000 autres, composés de chrétiens (510 000) et de chiites (100 000), n’ont que 3 députés, dont deux maronites et un seul chiite. De plus, 326 000 habitants demeurent sans représentation[48].

 
Liban. Baabda. Vue de la tribune officielle lors de la visite du général Gouraud (à ses côtés Mgr Howayek, patriarche maronite). (vers janvier 1920)

La déclaration syrienne d'indépendance provoqua des protestations à Beyrouth. Howayek envoya un télégramme à Millerand. La délégation libanaise protesta également à Paris, demandant une audience[48].

Des protestations se firent entendre venant de la Grande-Bretagne, opposée aux revendications sur la Palestine et la Mésopotamie, et de la France, qui rejetait toute modification de son mandat en Syrie et au Liban[48].

Le Conseil administratif du Mont-Liban, après la déclaration d'indépendance syrienne, réaffirma ses objectifs : proclamer l'indépendance du Grand Liban, s'opposer à l'émir Fayçal comme roi de Syrie, et solliciter la France pour un mandat[48].

Ces demandes furent reprises par un télégramme du contre-amiral américain Mark L. Bristol, qui résuma l'agenda du Conseil pour la prochaine réunion. Le Conseil plaida pour une constitution avant la conférence de paix. Le 20 mars, Millerand rencontra la délégation et confirma son soutien à un Grand Liban indépendant, selon l’accord Clemenceau-Howayek de 1919[48]. Le 22 mars 1920, lors d’une réunion à Baabda, le Conseil libanais proclama l’indépendance du Liban[49] et déploya le nouveau drapeau libanais. Cette cérémonie, approuvée tacitement par les Français, marquait une évolution dans les relations franco-libanaises, puisque le drapeau resta hissé. L'année précédente, il avait été descendu après une proclamation similaire. Le Conseil continuait de se diviser sur la question du Grand Liban ou de la Syrie. Sa délégation à Paris restait active dans les discussions, jouant un rôle crucial dans la création du Grand Liban[50].

Le 31 mars 1920, conformément aux accords de San Remo qui octroyait à la France un mandat de la SDN sur la Syrie, Gouraud signe un décret établissant une Banque de Syrie, et une monnaie, la « livre syrienne ». L’acceptation de cette monnaie est obligatoire dans la « zone bleue » (Zone Ouest). L'arrêté est composé de neuf articles, dont le sixième prévoit une peine maximale de six mois d'emprisonnement et 1 000 livres syriennes d'amende en cas de manœuvre ayant « pour but ou pour effet de déprécier ou tenter de déprécier la valeur » de cette monnaie[51].

Le 10 juillet 1920, après une réunion secrète, sept membres du Conseil administratif du Mont-Liban décidèrent de se rendre à Damas avec une résolution en cinq points qui déclarait leur volonté d'un rapprochement avec la Syrie de l'émir Fayçal. Sur douze membres, sept signèrent le document : Saadallah Howayek, Suleyman Kanaan, Fouad Abdel-Malik, Khalil Aql, Mahmud Jumblatt, Elias Shouwayri et Muhammad Muhsin. Ils tentèrent de se rendre à Damas puis à Paris pour le présenter. Ils furent arrêtés le 10 juillet par les autorités françaises près de Zahlé, sur la route de Beyrouth à Damas, et exilés à l'île d'Arouad, puis en Corse et enfin à Paris[50].

Gouraud était déterminé à imposer ses conditions. Le 12 juillet, il dissout le Conseil administratif du Mont-Liban, après plus de soixante ans de représentation confessionnelle. Dans une lettre à Howayek, Gouraud exprima ses « regrets profonds » pour l'arrestation des membres du Conseil, les accusant d'avoir monté un complot de trahison contre le mandat français. Howayek répondit le 14 juillet en exprimant son « regret » et réitérant sa volonté de collaborer avec la France pour l'indépendance du Grand Liban. En réponse, les nationalistes libanais Habib Pacha es-Saad et Ignatius Moubarak, président du Conseil et archevêque maronite de Beyrouth, dénoncèrent les membres du Conseil dissous pour leur rejet du mandat français et leur volonté d'approfondir les liens avec la Syrie. Toutefois, cette position ne faisait pas l'unanimité parmi la population libanaise[50].

Écrasement du Royaume arabe de Syrie (1919-1920)

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Entre novembre 1919 et mars 1920, Gouraud parvient à maintenir une communication régulière avec l'émir Fayçal, leurs rencontres physiques étant rares. Les échanges se font principalement par correspondance. Parmi les deux officiers de liaison, Édouard Cousse informe quotidiennement Gouraud des activités de l’émir à Damas[11]. La rencontre entre l'émir Fayçal et Gouraud en janvier 1920 est tendue : ils s'accordent sur l'idée d'une Grande Syrie, mais divergent sur l'indépendance et le maintien de l'ordre. Gouraud exige de l'émir Fayçal qu'il mette fin aux troubles dans lesquels il voit une anarchie. Elle s’apparenterait soit au madhisme africain, soit au bolchevisme[12]. L'émir accuse la France de diviser la région pour mieux régner et d’armer les chrétiens contre les Arabes. La situation militaire se détériore. Depuis le début de la relève, les attaques des bandes se multiplient ; l'émir Fayçal avait d'abord réussi à les contenir ; une insurrection générale éclate fin janvier 1920. Le général Dufieux constate que la guerre est ouverte, particulièrement en Cilicie et dans les territoires orientaux. La proclamation de l'indépendance syrienne et la nomination de l'émir Fayçal comme roi le 7 mars 1920 exacerbent les tensions.[12]

 
Gouraud inspectant ses troupes à Maysaloun.

Face à cette insurrection généralisée, Gouraud réclame des renforts et du matériel, mais se heurte à l'indifférence de Paris. La démobilisation rend difficile l'envoi de nouvelles troupes. En mai 1920, après l’aggravation de la situation, Clemenceau, désormais hors du gouvernement, adresse à Gouraud un message de soutien. Il reconnaît les difficultés mais souligne la confiance totale que lui accorde la France : « Vous n'êtes pas sur un lit de roses, mon cher ami, mais ça n’est pas ce que nous avons cherché. Quand le pays a besoin d’un homme, vous êtes là. »[11].

La confiance de Clemenceau envers Gouraud n'est pas partagée par tous. Alexandre Millerand, qui connait le général depuis 1915, désapprouve sa gestion de la situation en mai 1919. Cependant, sur le Levant, Millerand s’accorde avec Clemenceau et Poincaré : la France doit maintenir son influence. La proclamation de l'émir Fayçal comme roi de Syrie en mars 1920 inquiète Millerand : il redoute la perte du Liban et préfère une solution diplomatique pour éviter l’intervention militaire. L'accord de San Remo du 25 avril confirme les accords Sykes-Picot ; il suscite la colère des nationalistes arabes et dégrade la situation. L'émir Fayçal se rapproche des Britanniques, rejetant le mandat français, la guerre éclate avec la Syrie hachémite et la Turquie[11].

Gouraud est confronté à deux fronts ; il demande des renforts à Paris ; son absence de directives claires agace Millerand, qui envisage de le remplacer, mais reconnaît qu’il n’a pas donné de consignes précises. Il ordonne alors à Gouraud de préparer une offensive pour occuper Alep, Homs et Damas. Millerand avance avec prudence, n'osant pas revenir sur les engagements de Clemenceau. Robert de Caix critique Gouraud pour son manque de planification et soutient secrètement l’idée de faire marcher les troupes françaises sur Damas. Gouraud, soutenu par de Caix, reçoit finalement l’assurance que des renforts lui seront envoyés pour rétablir l’ordre en Syrie[11]. Gouraud adresse un ultimatum à l'émir Fayçal pour qu'il accepte le mandat français. La situation militaire est difficile, notamment sur le front turc. Gouraud décide de prendre des mesures radicales. Il réclame des renforts militaires à la France (35 000 hommes), renforce ses liens avec les maronites en annonçant le rattachement de la Bekaa au Liban. Face aux réponses dilatoires de l'émir Fayçal, Gouraud engage les hostilités. Le 14 juillet, l'émir Fayçal reçoit un deuxième ultimatum de Gouraud, détaillant cinq exigences : l'émir Fayçal, n'ayant pas le soutien du Congrès syrien, gagne du temps en dépêchant Sati al-Housri comme son envoyé. Après plusieurs jours de retard, et la dissolution du Congrès syrien, l'émir Fayçal et son gouvernement acceptent les conditions de Gouraud : la réponse arriva trop tard, Gouraud occupa le Bekaa, Zahlé et Wadi al-Harir[50].

 
Le général Gouraud à Alep en 1920.

Le 24 juillet 1920, la bataille de Khan Meyssaloun met fin au royaume arabe de Damas rêvé par l'émir Fayçal. La situation se dégrade. Les nationalistes arabes entrent en lutte, emmenés par l'émir Abdallah, fils du chérif Hussein et frère de l'émir Fayçal[11].

Les Hachémites ne représentent pas tous les Arabes de Syrie. D'autres oppositions internes — comme celle entre les villes de Damas et d'Alep — sont à prendre en compte dans l'instauration du mandat[11].

Le 25 juillet, Gouraud occupe Damas. L'émir Fayçal, son frère Zaid et son gouvernement, s'enfuient vers le sud en train, en direction de Daraa[50].

La victoire militaire de Gouraud se transforme rapidement en échec politique : elle est perçue par les populations locales comme un coup de force contre un gouvernement légitime. Gouraud est caricaturé par les communistes comme représentant d'une France catholique et anti-arabe[52]. En même temps, une partie de la France laïque, à laquelle appartient Millerand, ne pardonne pas à Gouraud d’avoir fait le jeu des Maronites contre l'émir Fayçal[11].

Proclamation du Grand-Liban (1er septembre 1920)

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En 1920 au Liban avec le Grand Mufti de Beyrout, Cheik Moustafa Naja (ar), et le Patriarche maronite Elias Hoyek.

À la fin du mois d’août, Gouraud prépare les quatre arrêtés nécessaires à la mise en place des nouvelles frontières libanaises. Le premier arrêté (Arrêté No 299) réunit les cazas de Hasbaya, Rachaya, Békaa et Baalbeck au Liban. Le second (Arrêté No 320) dissout les deux circonscriptions administratives du vilayet de Beyrouth. Le troisième (Arrêté No 321) abolit le Territoire autonome du Liban, précédemment sous administration ottomane. Enfin, le quatrième arrêté (Arrêté No 318) officialise la proclamation du Grand Liban. Le , la moutassarifyat du Mont-Liban est dissoute[53] et le drapeau du Grand Liban, tricolore au cèdre, est adopté[54]. C'est sur le perron de la Résidence des Pins que le général Gouraud proclame, ce jour-même, la création du Grand-Liban en y annexant le mont Liban, la vallée de la Békaa et les villes côtières conformément aux souhaits émis par les Maronites[55]:

« Au bord de la mer légendaire qui vit les trirèmes de la Phénicie, de la Grèce et de Rome, qui porta par le monde vos pères [et] par devant tous ces témoins de vos espoirs, de vos luttes et de votre victoire, c’est en partageant votre joie et votre fierté que je proclame solennellement le Grand-Liban, et qu’au nom du Gouvernement de la République Française, je le salue dans sa grandeur et sa force, du Nahr El kébir aux portes de Palestine et aux crêtes de l’Anti-Liban. [...] Avec la fertile Békaa, dont l’inoubliable journée de Zahlé a consacré l’union réparatrice.Avec Beyrouth, port principal du nouvel Etat, siège de son Gouvernement. [...], [avec Tripoli, Sidon et Tyr], au passé fameux, qui de cette union à une grande patrie tireront une jeunesse nouvelle. N’oubliez pas non plus que vous devez être prêts, pour votre nouvelle patrie, à de réels sacrifices. Une patrie ne se crée que par l’effacement de l’individualisme devant l’intérêt général, commandé par la foi dans les destinées nationales[54]. »

Cependant, la France se trouve confrontée à des résistances armées, notamment dans la région du Djebel el-Druze, où l'opposition au mandat persiste. Au début de l'année 1921, un traité est signé entre la France et les Druzes : il établit les bases d'un nouveau territoire druze. Les chefs de clan, réunis à Soueïda, capitale de cet État naissant, nomment Salim el-Atrash gouverneur, lui conférant le titre d'Émir en mai 1921. Cependant, la famille al-Atrash est divisée : ce n’est pas Salim, mais son cousin Sultan al-Atrash qui devient émir. Quelques années plus tard, il prendra la tête de la grande révolte de 1925 contre la domination française[56].

Tentative d'assassinat (23 juin 1921)

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L’attaque de train à Ghazalé en août 1920, qui cible les autorités françaises et le gouvernement de Damas, met en lumière la force et l’organisation de cette résistance. Cette révolte, bien que désorganisée, reçoit l’appui implicite de Fayçal, qui se rapproche des rebelles, et symbolise le défi de la souveraineté française en Syrie.Face à ces révoltes, les méthodes françaises restent classiques : envoi de colonnes militaires, bombardements, désarmement des populations et mesures financières comme la dia (prix du sang) pour tenter de calmer les tensions. Cependant, ces méthodes s’avèrent inefficaces à long terme. Les événements de la région du Hauran, en particulier, et l'attaque de Gouraud à Kuneitra, montrent que la situation reste volatile et que le contrôle français n’est que partiel et fragile[57].

La question des frontières, en particulier la délimitation entre la Syrie et la Palestine, ainsi que les relations avec les puissances voisines comme la Jordanie (sous la direction de l'émir Abdallah), ajoutent une couche de complexité supplémentaire. La politique arabe du mandat français, notamment avec la mise en place de relations stratégiques avec des chefs bédouins comme Moudjem bey Ibn Mouhid, vise à sécuriser certaines régions, mais cette approche ne suffit pas à apaiser les tensions locales[57].

Le , Gouraud tombe dans une embuscade sur la route entre Damas et Kuneitra[58] ; elle est organisée notamment par un Libanais favorable à un royaume arabe sous égide hachémite, Adham Khanjar. Le traducteur de Gouraud est tué d'une balle dans la tête, le général s'en sort indemne, tout comme Georges Catroux et Haqqi al-Azm, le gouverneur de Damas, qui l'accompagnaient. Trois balles ont perforé sa manche vide (Gouraud est manchot depuis la bataille des Dardannelles)[58]. Les agresseurs ont été mis en fuite par le général Mariano Goybet et le consul général Carlier, secrétaire général adjoint du haut-commissariat de France en Syrie et au Liban, eux-mêmes attaqués et qui suivaient dans une deuxième voiture.

Catroux ouvre une enquête ; elle identifie rapidement un chef syrien, Ahmed Muraywid[59], proche de l'émir de Transjordanie Abdallah. Ahmed Muraywid aurait annoncé la mort de Gouraud, puis aurait fui en Transjordanie (alors sous mandat britannique) quand l'échec de l'attentat fut connu. L'enquête finit par remonter jusqu'à l'émir Abdallah et Ibrahim Hanano, nationaliste syrien fondateur du bloc national syrien hostile à la présence française et réfugié dans la zone mandataire anglaise. Gouraud se tourne vers les Britanniques pour punir les coupables. Il n'obtient que des promesses. Les relations entre les Anglais et les Français en Orient se dégradent encore. Le haut-commissariat français regarde désormais avec méfiance l'ensemble de la famille hachémite, l'émir Fayçal compris.

Face à ces nouvelles menaces, Gouraud met en place des mesures militaires et diplomatiques pour maintenir l’ordre dans la région. Il renforce la « politique bédouine » et le soutien aux tribus locales, notamment en accordant des subventions considérables à des chefs comme Nouri Chaalan et Moudjem bey, afin de garantir la stabilité dans le Hauran et d’autres zones sensibles. Cependant, malgré ces efforts, les tensions persistent et l’hostilité envers les Hachémites ne fait qu’aggraver la situation géopolitique dans la région[57].

Administration de la Syrie et du Liban

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Visite du général Gouraud à Tripoli (retouchée) et à Beit-ed-Dine (vers 1921)

Le 2 août 1920, les autorités françaises imposent une taxe de guerre de 200 000 livres syriennes à la Syrie. Alaa al-Din al-Droubi, nommé Premier ministre, fut chargé par les Français de collecter cette somme. Il est cependant assez rapidement assassiné[60]. En 1922, il met en place une Fédération syrienne ; à sa tête, il place Soubhi Bey Barakat. Issu d'une grande famille de notables d'Antioche, cet ancien responsable militaire proche de l'émir Fayçal a été l'ennemi des Français au moment de la prise de Damas. Gracié par Gouraud, il est élu à la présidence de la Fédération en 1923. Au début, le mandataire exprime des réserves quant à l'intégration du Liban dans ce nouvel ensemble territorial. D’un point de vue commercial, il lui apparaît avantageux de supprimer les frontières douanières et de créer une unité économique, le haut-commissariat gèrant la région du Levant comme une entité économique unique. Cette idée inquiète des Libanais, en particulier parmi les Maronites. Le 20 avril 1921, Henri Gouraud confirme l’indépendance du Liban et envisage la possibilité d’une alliance économique. Il déclare[61] :

« Je pense répondre encore à l’une de vos préoccupations en ajoutant quelques mots sur nos intentions concernant la Syrie. L’indépendance du Liban, solennellement proclamée, ne risque rien, mais ce pays côtier ne peut subsister avec une séparation totale d'avec la Syrie intérieure. Je vois, pour l’instant, un moyen de concilier le souci légitime d’indépendance avec les nécessités économiques du pays, en constituant une union économique, dont les modalités devront être définies par des accords conclus d’État à État, sous l’arbitrage impartial du représentant de la puissance mandataire. »[61]

Dans le discours prononcé à l'occasion du premier anniversaire du Grand Liban, le 1er septembre 1921, Henri Gouraud insiste sur le fait que l’État libanais restera solide et stable, malgré les divisions religieuses qui le traversent ; la première année de l’existence du Grand Liban a été féconde ; il souligne les progrès accomplis malgré les défis. Lors de l’ouverture du Conseil représentatif, le 25 mai 1922, il réitère son engagement envers la pérennité du Grand Liban, et affirme que l’unité de l’État sera préservée, en dépit des tensions internes[61].

Les conflits internes, exacerbés par les divisions confessionnelles et les craintes d’une domination par les chrétiens, rendent la mise en place d’un système fédéral complexe. La proposition d'un recensement en 1921, perçu comme une première étape vers le service militaire obligatoire, exacerbe les tensions et est rejetée par de nombreuses communautés, particulièrement les musulmans, qui y voient une forme de domination chrétienne.Les tensions ne se limitent pas au Liban. Les Druzes, après avoir obtenu une certaine autonomie, exigent davantage en termes de soutien financier, refusant une tutelle sans compensation. De même, les régions comme Alep se méfient de Damas, et la rivalité entre ces deux grandes villes compromet la possibilité d'une fédération unifiée[57].

Pour gérer ces tensions, le haut-commissariat, dirigé par le général Gouraud et Robert de Caix, propose diverses solutions, notamment des capitales mobiles (Damas, Alep, Homs), mais cette idée se heurte aux réalités économiques et à la résistance locale. En réponse à la crise de gouvernance, Gouraud privilégie un modèle centralisé avec quelques autonomies locales pour les Alaouites et les Druzes, alors que Robert de Caix propose une approche plus divisée, avec l'idée d’une partition en plusieurs États selon les lignes confessionnelles[57].

Gouraud plaide pour une fédération syrienne respectueuse des aspirations locales ; ses efforts sont ignorés par une France fatiguée et qui ne s'y intéresse plus. Gouraud souhaite une Syrie forte, capable de résister à la Turquie qui se créait sous ses yeux par Mustafa Kemal. Cette idée lui semble centrale et guide sa réflexion sur l’organisation de l'État syrien. Robert de Caix, son adjoint, partage ce point de vue. Toutefois, dans le processus de mise en place de la « Grande Syrie », ils prirent conscience des tensions engendrées : Alep ne voulait pas que Damas domine ; Damas ne voulait pas que Beyrouth devienne une capitale ; et Beyrouth refusait de financer les Syriens. Ces tensions locales se manifestent au grand jour. Gouraud et Robert de Caix proposent alors un modèle fédéral. Inspirés par le modèle américain, ils envisagent des « États-Unis de Syrie » : réunir sous la bannière française tous les états de la région. Leur proposition était pragmatique plutôt que cynique ou stratégique[11].

Le 21 juin 1921, Gouraud annonce la formation de la Fédération syrienne, formellement organisée par l’arrêté du 29 juin 1922[57]

 
Réception du cardinal Dubois et de monseigneur Giannini à Beyrouth, Liban. (janvier-février 1920)

Les années syriennes d'Henri Gouraud contribuent au développement économique de l'intérieur de la Syrie : le tourisme, en particulier le tourisme archéologique et le commerce, sont pensés comme des outils de développement par la commission Lenail venue en 1921 étudier le potentiel du pays[61],[62].

Le 20 avril 1921, Henri Gouraud rencontre plusieurs acteurs économiques français qui envisagent d'investir compétences et capitaux au Liban. Il souligne que les efforts économiques doivent se poursuivre, notamment dans le domaine du tourisme. Le 22 septembre 1921, depuis Tripoli, Henri Gouraud exhorte les habitants à construire des hôtels pour aménager le « superbe paysage », et attirer ainsi les touristes français et orientaux. L’objectif du haut-commissariat est clair : le Levant doit générer des revenus suffisants pour couvrir ses coûts. Les dépenses liées à l'administration du haut-commissariat et à la gestion des nouveaux États levantins sont considérables. La France est sortie exsangue de la Première Guerre mondiale. Le développement de l’économie libanaise paraît essentiel pour faire du territoire un véritable carrefour commercial[61].

Le plan d'urbanisme poursuivit les objectifs initiaux, il resta fidèle à certaines grandes lignes du projet ottoman, notamment en ce qui concerne les percées urbaines. Toutefois, certains éléments du plan, tels que l’avenue-promenade menant au bois des Pins, l’hippodrome et le casino au sud, furent abandonnés. Dès 1924-1925, le secteur Foch-Allenby était largement avancé, notamment sur le plan des infrastructures[63].

 
Inauguration de la Foire-Exposition. Le général Gouraud et Hakki Bey el-Kazem, gouverneur de l'État de Damas, devant le pavillon de Damas à Beyrouth. (avril-mai 1921)

Une Bourse fut établie à Beyrouth, et la revue française, L'Illustration Économique et Financière, consacra, en février 1921, un numéro spécial à la Syrie, témoignant de l'intérêt croissant pour la région[61].

Le 30 avril 1921, Beyrouth accueillait sa première Foire internationale, événement majeur qui allait symboliser l'essor économique de la région. Près de 1 200 exposants, principalement venus de France, mais aussi de dix autres pays étrangers, prenaient part à cette manifestation. Le gouvernement français y était représenté par un ancien ministre sénateur et un député, à la tête d'une délégation de quelque vingt personnalités[64].

Gouraud, soucieux de marquer l'importance de l'événement, s’efforça d'y conférer un éclat particulier. Dans son discours inaugural, le Haut-commissaire souligna les richesses naturelles du Grand-Liban, notamment ses productions agricoles variées, telles que le mûrier, la vigne, le tabac et les fruits, ainsi que les céréales de la Syrie. Il plaida également pour une union économique « vitale » entre les deux pays, insistant sur la nécessité d’une coopération renforcée pour assurer leur prospérité commune. Le succès de la Foire fut incontestable. L’ensemble des marchandises exposées trouva preneur sur place, et environ 150 entreprises françaises, jusque-là sans lien avec la région, y ouvrirent des agences et des dépôts. Les exposants, satisfaits de l’accueil réservé à leurs produits, exprimèrent le désir de revenir pour les éditions futures de l'événement, signe de la fructueuse ouverture des marchés du Levant à l’économie française. La majorité des stands de la Foire-exposition avaient été érigés dans et autour de la rue Allenby. La région sera de ce fait baptisée Maarad (exposition en arabe)[64].

Le Général Gouraud pose les premiers jalons de l’acquisition des immeubles de la Résidence des Pins, à l’installation encore rudimentaire. Il s’inspire de la Résidence de Lyautey à Rabat pour l’aménager. Par une Convention du 28 septembre 1921, la famille Sursock céda, contre 1 850 000 FF, ses droits à l’Etat français, qui devint propriétaire des bâtiments. Une barrière de bois séparait alors la Résidence de l’hippodrome[55].

Gouraud souhaite s'appuyer sur le développement économique du pays pour prévenir les tensions qu'il sent monter, en particulier chez les Druzes. Gouraud avait de grands projets de développement pour le Levant, mais il affronte la baisse drastique de son budget  : 185 millions de francs en 1920, 120 millions en 1921, 50 millions en 1922[7]. Le général réclame à plusieurs reprises des fonds pour développer un système politique fidèle à « l’esprit du mandat ». Estimant qu'on ne lui donne pas les moyens nécessaires, il présente sa démission et rentre en France[11].

Retour à Paris

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William Lyon Mackenzie King et Gouraud se rendent à la stèle du soldat inconnu.

Globe-trotter et diplomate

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Gouraud rentre à Paris en 1923. Nommé membre du Conseil supérieur de la guerre, il devient membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de Paris[16].

Au cours d'un voyage en 1923 aux États-Unis, il apprend sa nomination au poste de gouverneur militaire de Paris, poste qui le place désormais dans des fonctions éminemment représentatives et de nature diplomatiques. Il effectue plusieurs tournées à l'étranger, notamment aux États-Unis et au Mali, à l'occasion du cinquantenaire de la conquête. Pour les Français, il est l'incarnation vivante de l'héroïsme des Poilus[16].

Gouraud n'est pas seulement un militaire. Tout au long de sa carrière, il fait preuve d'une curiosité insatiable pour les pays qu'il visite, se passionne pour les peuples et les territoires qu'il explore. Il constitue une impressionnante collection de photographies, plus de dix mille ; certaines sont les premières prises de régions encore peu connues, comme la Mauritanie. Cette collection, aujourd'hui précieuse, constitue une source inestimable pour les historiens de l'Afrique et du Proche-Orient[16].

Aux obsèques du président des États-Unis, Warren G. Harding, en août de 1923, il représente le gouvernement français comme ambassadeur extraordinaire. En , il inaugure la crypte et les plaques commémoratives du monument Aux Morts des Armées de Champagne à la ferme Navarin, entre les villages de Souain-Perthes-lès-Hurlus et Sommepy-Tahure, dans le département de la Marne.

Il se préoccupe de soutenir l'action de l'Association du souvenir aux morts des armées de Champagne. En juin 1933, il accorde son patronage à l’exposition Visions féeriques d’Orient de l'architecte orientaliste Alexandre Raymond. Toujours prêt à présider une cérémonie, incarnation de l'ancien combattant du fait de sa manche droite vide, les Parisiens lui témoignent une véritable vénération. Il fait alors de nombreux voyages : la Pologne en 1925, les Indes et les États-Unis en 1929, la Turquie en 1930, l'Afrique-Occidentale française en 1933. L'historienne Julie d'Andurain n'hésite ainsi pas à dire qu'" Il a été, dit-on, le plus célèbre des généraux français en Amérique, à Hollywood en particulier"[65].

L'arrivée d'Hitler au pouvoir en 1933 inquiète profondément le général Henri Gouraud. Informé par Fritz Kieffer, il perçoit rapidement les signes d'une politique allemande belliqueuse, notamment le réarmement et l'Anschluss. Tout au long de l'entre-deux-guerres, il s'inquiète non seulement des ambitions du régime nazi, mais aussi de celles du fascisme italien, sous la direction de Mussolini[57]. En mai 1940, dans un discoursaux vétérans de la Rainbow Division, il rappelle la nécessité de lutter contre la barbarie, incarnée par Hitler :

« La guerre a éclaté à nouveau par un mensonge allemand, comme celle de 1870, comme celle de 1914. […] Comme il y a vingt ans, nous irons jusqu’au bout ! D’autant que nos adversaires font la guerre comme des sauvages. Quelqu’un m’écrivait enparlant d’Hitler : “C’est un Attila” ! Je lui ai répondu : “Oui, mais plus coupable, car Hitler est né dans des temps civilisés.” Or, vous savez ce qu’ont été les massacres de 1934 à Berlin et à Munich, 5 à 600 personnes fusillées sans jugement dans ces deux villes. En Pologne, les professeurs de l’université de Varsovie meurent les uns après les autres dans les camps deconcentration ; [...] ce sont des ordres donnés par le Gouvernement, qui en supprimant les intellectuels veut disposer du peuple polonais et du peuple tchèque comme d’esclaves. »[57]

Cette vigilance à l'égard des menaces extérieures se double d'une sensibilité particulière à l'objection de conscience. Dès sa prise de commandement à la tête du gouvernement militaire de Paris, Gouraud s'attaque à la propagande communiste dans l'armée, particulièrement dans les troupes et services stationnés à Paris. En décembre 1924, une décision ministérielle lui ordonne de lutter contre cette propagande, exprimée par des publications satiriques ou libertaires, souvent à connotation chrétienne ou communiste (comme Le Journal du peuple, Le Réveil ouvrier, Le Socialiste chrétien, etc.). Dans le contexte de la guerre du Rif, la Ligue des droits de l'homme parvient à réunir pacifistes et communistes autour de l'objection de conscience et de la dénonciation des guerres coloniales. Cette mouvance est perçue par Gouraud comme une forme de subversion, dont les racines seraient ancrées dans Paris et ses environs, en particulier dans la "zone" parisienne, où la presse joue un rôle majeur de diffusion[57]. Malgré les mesures prises pour interdire les publications antimilitaristes et les tracts distribués dans les gares, les autorités militaires de Paris peinent à contenir cette agitation. Dans une lettre adressée au ministre de la Guerre et des Pensions en 1933, Gouraud exprime son impuissance face à l'inefficacité des actions menées, qui incluent la surveillance des chefs de tous ordres, les causeries, la gestion du moral des soldats et les liens avec la préfecture de police pour la répression. Ces efforts demeurent insuffisants pour endiguer l'influence de cette propagande dans les rangs militaires[57].

 
Inhumation du Général Gouraud à Navarin.

Fin de vie

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En 1937, à l'âge de 70 ans, il quitte le gouvernement militaire de Paris. Il quitte la capitale pour Royat, à côté de Clermont-Ferrand[7].

Le général Henri Gouraud quitte Paris le 13 juin 1940, veille de l’entrée des troupes allemandes, et se dirige d’abord vers la Bretagne, avant de rejoindre le Maroc en traversant l’Espagne. Arrivé à Rabat au moment de l’armistice, il envisage un retour en France, où il s’installe dans le Massif central. Malgré ses tentatives d’écriture, notamment en proposant au maréchal Pétain de préfacer un ouvrage honorant l’armée française, il se heurte à des refus, y compris de l'éditeur, ce qui témoigne de l’isolement croissant de l’officier[57].

Après 1940, refusant d’admettre la défaite et la collaboration, il se réfugie dans la religion et finalement dans un travail d’écriture centré sur son activité en Afrique[7].

Il ne revient à Paris qu'à la fin de la guerre, en mai 1945 mais sa santé se détériore rapidement. Après un dernier voyage en Normandie, il meurt à Paris[57] (dans l'arrondissement où il était né[5]) le , quelques mois après la fin du mandat français en Syrie.

Le Gouvernement provisoire de la République française, présidé par Georges Bidault, lui rend un dernier hommage par des obsèques nationales le devant le monument Aux Morts des Armées de Champagne à Navarin. Conformément à ses dernières volontés, le général Gouraud est inhumé dans la crypte de ce monument-ossuaire « au milieu de ses soldats de la IVe armée qu'il a tant aimés »[57], son képi et sa montre sont en dépôt au fort de la Pompelle, clef de la défense de Reims.

Postérité

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Regard contrasté en Syrie et au Liban

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Henri Gouraud incarne deux visages dans la mémoire collective syro-libanaise.

En Syrie, son héritage est lié à la répression brutale du nationalisme syrien. En 1920, après sa victoire sur les forces syriennes, il entre à Damas, marquant symboliquement la domination française et l’écrasement des aspirations à l'indépendance. En revanche, au Liban, il est reconnu pour son rôle dans la proclamation du Grand Liban en 1920, sous mandat français, événement qui marque un tournant dans l’histoire du pays[66].

Grâce aux nouveaux tracés des deux pays, le Liban prend un avantage considérable sur le plan économique. Avec les ports de Beyrouth et de Tripoli, le Liban a le potentiel pour servir d’interface portuaire au Proche-Orient arabe. Mais cette situation sera vite contrariée par son voisin syrien. Ce nouveau tracé fait enrager les nationalistes syriens, qui, encore aujourd'hui, considèrent que la Syrie historique a été amputée de son territoire « naturel ». Son territoire passe de 300.000 à 185.000 km². Avec ses frontières actuelles, la Syrie prend son indépendance le 17 avril 1946[66].

 
Vue sur la rue Gouraud, Achrafieh.

En 1950, les dirigeants syriens exigent un rééquilibrage des modalités de l'union douanière qui unit le Liban et la Syrie. La rupture entre le Liban libéral et la Syrie dirigiste est consommée. Le 30 septembre 1954, Michel Chiha, écrit à l'adresse de Khaled el-Azem, Premier ministre syrien de l'époque : « L'union économique intégrale [...] est beaucoup plus politique qu'économique [...] Que ne dit-il ouvertement qu'il veut d'un contrôle syrien, d'une domination syrienne sur le Liban. »[66]

La question de la souveraineté  devient une question centrale dans la relation entre les voisins. Un an après le début de la guerre civile libanaise, le président syrien Hafez el-Assad, qui considère que le Liban et la Syrie forment "un seul peuple dans deux États", ordonne l'entrée de troupes au Liban en juin 1976. Pendant près de 15 ans, un État sécuritaire et policier, inspiré du régime autoritaire de Hafez el-Assad, se met en place, avec le concours des autorités libanaises. De nombreuses manifestations sont organisées et réprimées[66].

Le 26 août 2004, le président syrien Bachar el-Assad, qui a succédé à son père en 2000, menace le premier ministre libanais Rafiq Harir, qui s'était rallié à l'opposition anti-syrienne de « briser le Liban sur [sa] tête ». Le 2 septembre, l'ONU vote, à l'initiative de la France et des États-Unis, la résolution 1559 de l'ONU appelant au retrait des forces étrangères du Liban. Notons que depuis l'indépendance du Liban en 1943, les deux pays n'entretiennent aucune missions diplomatiques dans chaque pays. Le 17 mai 2006, le Conseil de sécurité vote la résolution 1680, rejetée par Damas, appelant la Syrie à établir des relations diplomatiques avec le Liban et à délimiter leur frontière commune[66].

En août 2006, le chef de la diplomatie syrienne Walid Mouallem se rend au Liban, première visite d'un responsable syrien de ce rang depuis le retrait des troupes syriennes. Le 5 juin 2008, Bachar el-Assad affirme que son pays prévoit l'ouverture d'une ambassade au Liban, après la formation d'un gouvernement libanais d'union nationale conformément aux accords de Doha mettant fin à la crise politique au Liban. Le 15 octobre, la Syrie et le Liban établissent des relations diplomatiques. Les ambassadeurs des deux pays prennent leurs fonctions en 2009[66].

Le « neuveu de Gouraud »

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À l'occasion du 73e anniversaire de la fête de l'indépendance et du retrait du dernier soldat français de Syrie, les Syriens ont assisté à la visite de l'écrivain français Jean-Louis Gouraud, qui a présenté des excuses pour les crimes commis par ce qu'il a qualifié de son "grand-père". Cependant, le chercheur et historien damascène Sami Moubayed a rapidement révélé que Jean-Louis Gouraud n'est pas le petit-fils du général, qui n'a jamais été marié et n'a pas eu d'enfants. Selon Moubayed, Jean-Louis est en réalité le fils du frère du général[67].

D'une part, les médias locaux ont vu dans la visite du membre de la famille française, coïncidant avec l'anniversaire de l'indépendance, une occasion de mettre en lumière les excuses présentées au peuple syrien pour les crimes commis pendant le mandat français. Certains ont même affirmé que le relaie de la fausse information était volontaire: les rencontres exclusives via Sputnik et l'Agence de presse syrienne ont présenté Jean-Louis Gouraud comme le petit-fils du général[67]. L'agence de presse syrienne a même prétendu que l'invité était le petit-fils de l'homme qui avait bombardé Damas à l'artillerie, mais en réalité, Damas n'a été bombardée qu'à deux reprises : la première en 1925 sous le mandat de Maurice Sarrail et la seconde en 1945 sous le commandement du général Olivier Rogy. Par conséquent, le général Gouraud n'a pas été impliqué dans ces bombardements, car il avait quitté Damas en 1923 pour devenir gouverneur militaire de Paris, soit deux ans avant le premier bombardement. Il semble que les médias officiels ne sachent même pas qui était le général Gouraud. Dans une interview diffusée sur l'actualités syrienne, le général Charles de Gaulle a été montré en train de parler, mais présenté comme étant le général Gouraud[67].

Youssef Ibrahim, directeur des programmes à la télévision d'État syrienne, a préféré ne pas contredire Moubayed, reconnaissant que l'historien avait fait des recherches approfondies sur le sujet. Cependant, Ibrahim a soutenu que, que Jean-Louis soit un petit-fils ou non, cela ne changeait pas le fait qu'il était un héritier de la famille Gouraud et qu'il avait eu le courage de présenter des excuses. Il a ajouté : « L'épisode, soigneusement préparé, a présenté l'idée du retrait français de Syrie, en parallèle avec l'arrivée de ce que nous pouvons appeler l'héritier du général Gouraud, surtout qu'il s'est excusé pour les crimes commis par le frère de son grand-père, si nous considérons cela. » Ibrahim a poursuivi : « Que devrions-nous appeler le frère du grand-père ? Par respect pour son âge, bien sûr, nous devrions l'appeler le grand-père. »[68]

D'autre part, les observateurs des affaires syriennes ne se sont pas trop intéressés à la controverse. Ils ont vu cela comme une diversion visant à obtenir des avantages politiques en faveur de Damas[68].

Controverse sur la visite du tombeau de Saladin

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Alain Tami rapporte une anecdote apocryphe controversée : en , le premier geste symbolique d'Henri Gouraud, en tant que Haut-commissaire de la République en Syrie, aurait été, lorsqu'il entra dans Damas, d'aller visiter le tombeau de Saladin. Selon certaines sources, il aurait déclaré alors : « Réveille-toi, Saladin, nous sommes de retour. Ma présence ici consacre la victoire de la croix sur le croissant »[69].

Cette phrase est rapportée dès 1926 par Pierre Mazière[70]. Perçue comme une provocation envers le monde musulman, elle nourrit une légende noire autour de son personnage[71].

Certains sont allés jusqu'à établir un lien entre la visite de Gouraud à Damas et celle d'Adolf Hitler à Paris, le 23 juin 1940, où il demanda à être conduit au tombeau de Napoléon aux Invalides.

 
Entrée du mausolée de Saladin, Damas.

Cette référence apparaît aussi dans les mémoires de l'ancien Haut-Commissaire français Gabriel Puaux, Deux Années au Levant. Puaux raconte que Gouraud se tenait devant la pierre tombale et aurait dit : « Saladin, nous voilà[72] ».

En 2012, l'historienne française Anne-Marie Edde publia un ouvrage important sur Saladin, l'ouvrant sur la citation de Gouraud, tirée des mémoires de Puaux. Gouraud avait toutes les raisons de faire cette déclaration : il considérait Damas comme une « forteresse invaincue qui défiait les assauts des Francs, la capitale et le lieu de sépulture du grand Saladin. »[73]

Cependant, Puaux n'était pas avec Gouraud lorsqu'il entra pour la première fois à Damas en 1920 : il ne vint dans la ville qu'en 1938, en tant que haut-commissaire. Il doit donc avoir entendu l'histoire des habitants locaux ; à la fin des années 1930, de nombreux Syriens la citaient fréquemment. En mars 1958, le président égyptien Gamal Abdel Nasser fit une visite guidée de la vieille ville ; le président Kouatli s'arrêta devant le tombeau de Saladin et répéta exactement la même histoire. Nasser y prit grand plaisir et commença lui-même à la répéter ; depuis, tout le monde l'a considérée comme un fait incontesté[73].

Un examen attentif nous ramène à un récit publié par l'historien français Louis Garros dans Le Monde en 1970, à l'occasion du 50e anniversaire de l'occupation française de la Syrie. Garros a servi dans l'armée de Gouraud ; il raconte qu'« un général » entra dans le mausolée de Saladin, (sans toutefois mentionner explicitement Gouraud) et que ce général aurait dit : « Saladin, nous voici. »[74].

Il pourrait s'agir soit de Gouraud, soit de son commandant en chef Mariano Goybet, qui occupa effectivement Damas le 25 juillet 1920. Gouraud, quant à lui, n'entra dans la ville que le 7 août 1920. Comme tout général en charge, il était accompagné d'une armée de correspondants et de journalistes français. Parmi eux : Maria Rosette Shapira qui couvrait l'occupation de la Syrie pour le journal français L'Illustration ; Myriam Harry qui publia son premier reportage depuis Damas le 21 août, intitulé Le Général Gouraud à Damas, et qui raconte que Gouraud visita la mosquée des Omeyyades avant de se rendre au tombeau de Saladin, où il s'assit à l'extérieur, à l'ombre d'un citronnier. Il n'entra pas dans le tombeau de Saladin. Myriam Harry rapporte la phrase suivante : « Nous n'entrons point dans le mausolée, que nous avons visité à notre premier séjour », puis Gouraud retourna à la mosquée où il fut reçu par divers dignitaires musulmans, avant de se diriger vers le quartier al-Midan, en dehors de la vieille ville. Selon Myriam Harry, le ton de Gouraud avec ces hommes était conciliant. Elle rapporte qu’il les assura de son impartialité religieuse et de son désir de maintenir l'indépendance arabe.

 
Le général Goybet le 17 août 1920 devant le palais Azem où résidait l'émir Fayçal à Damas, Syrie. (retouchée)

Le reportage suggère qu'il s'agissait de la deuxième visite d'officiers français au tombeau de Saladin, et non de la première. La première avait eu lieu quelques jours plus tôt, sous la conduite du général Goybet. Étant donné que c'était la première visite de Gouraud à Damas, la phrase implique que Harry avait visité le tombeau avec Goybet : ce qui s'était passé lors de cette occasion antérieure était suffisamment controversé pour que Gouraud affiche son intention de ne pas entrer lui-même lors de sa première visite. L'absence de toute référence à la visite de Goybet au tombeau dans le premier article de Harry, mais la mention de celle-ci dans le second, permet de laisser planer un soupçon : c'est au cours de la visite de Goybet qu'un propos « obscène » aurait été prononcé par un Français ; cela expliquerait pourquoi Gouraud décida de ne pas entrer : ne pas ajouter l'insulte à l'injure. La visite de Goybet est mentionnée dans le second reportage, daté du 11 septembre 1920, et non dans le premier, ce qui suggère qu'elle eut lieu entre le 21 août et le 11 septembre. Goybet avait lui-même écrit un récit de cet événement dans la « Revue des Troupes du Levant » en janvier 1937 ; il révèle qu'il entra à Damas avec une idée de vengeance, il admet qu'il éprouvait une certaine satisfaction en voyant la ville tomber, en raison d'une part de l'histoire familiale qui lui était propre :

« Je suis à Damas. Ce nom évoquait pour moi, jeune garçon, des associations fabuleuses chaque fois que je le croisais dans les archives de ma famille. Jean Mongolfier, l'ancêtre lointain de ma grand-mère paternelle Louise, fut capturé lors de la deuxième croisade en 1147 et emmené à Damas. Il était un simple fantassin. Le peuple de Damas l’a contraint à travailler comme esclave dans l’une des usines produisant du papier à partir de coton. Le pauvre Jean travailla là pendant trois ans jusqu’à ce qu’il parvienne à s’échapper de la ville et, après d’innombrables périls, rejoignit l’armée des Croisés. Lorsqu'il retourna dans sa ville natale (en France) après une absence de dix ans, il construisit le premier moulin à papier d'Europe. N'est-ce pas un acte de suprême justice que le descendant d'un prisonnier des Croisades entre dans la ville sainte en conquérant triomphant ? »

Cela pourrait résoudre le différend : le général Mariano Goybet, et non Henri Gouraud, serait l'auteur probable des mots : « Nous voilà, ô Saladin. »[75],[76]

Relation avec la Turquie

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Le 9 juin 1930, la délégation française, partie d’Istanbul pour Çanakkale à bord des ferries Marmara et Adnan, fut accompagnée par le général Henri Gouraud. Avant son départ, celui-ci déclara à la presse : « Je suis venu voir les courageux Turcs dans votre pays, que j’admire énormément, et constater les progrès réalisés en Turquie. Je suis très satisfait de l’accueil chaleureux qui m’a été réservé. »[77]

Lors de sa visite, Gouraud remit une lettre en français à Mustafa Kemal Atatürk, exprimant sa gratitude pour l’attention portée à sa personne et sa satisfaction de participer aux commémorations de Gallipoli[77].

Dans un article consacré à la mort de Mustafa Kemal Atatürk, Charles de Chambrun rapporta un épisode marquant de la relation entre Atatürk et Gouraud. À la veille de l’inauguration du mémorial des martyrs de Gallipoli, à Ankara, Atatürk, en désignant la manche vide de l’uniforme de Gouraud, symbole de son héroïsme, murmura: « Son bras honorable, reposant sur le sol turc, est un lien extrêmement précieux entre nos deux nations. ».[77]

Gouraud et le colonialisme « humanitaire »

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En afrique subsaharienne

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Selon l'historienne Julie d'Andurain, le général Gouraud fut adepte du colonialisme humaniste: elle défend le fait que Gouraud, par son expérience auprès du général Lyautey a perçu l'importance d'une colonisation qui n'était pas réduite à la simple colonisation et il s'était par conséquent rapproché du courant indigénophile qui pronait l'établissement de Protectorats plutôt que de Colonies[52]. Au début de sa carrière, Julie d'Andurain note aussi quelques hésitations qu'il a au sujet de la politique colonisatrice:

Son discours ne fait apparaître aucune trace de racisme, la notion même de race n’étant d’ailleurs pas encore employée systématiquement. Mais il reste empreint d’un très grand paternalisme. Il se sent responsable de « ses » tirailleurs, s’occupe de les habiller, de les former, de leur inculquer la culture européenne. Ce faisant, Gouraud estime non seulement faire son devoir, mais encore leur apporter ce qu’il y a de mieux. Il exprime pourtant quelques hésitations sur les bienfaits de la « civilisation » européenne transposée en Afrique. Non qu’il doute de sa supériorité, mais il se questionne ouvertement, plusieurs fois, sur l’utilité d’imposer aux populations rencontrées les modes de vie occidentaux, étant convaincu que la joie de vivre des Africains, décrite maintes fois, est une richesse[78].

Selon cette même historienne, Gouraud, initialement influencé par l'explorateur pacifiste Binger, évolue vers une vision plus autoritaire, justifiant la suppression des chefs noirs qu’il considère comme des tyrans et des esclavagistes: la « pacification » est perçue par Gouraud comme légitime uniquement lorsqu’elle s'exerce contre de grands chefs de guerre, et non contre les populations locales[78].

Cette violence excessive, incarnée par l'affaire Voulet-Chanoine ne représente pas la manière dont tous les officiers coloniaux traitent les populations. Des officiers comme Gouraud sont choqués par ces méthodes violentes, les jugeant indignes du comportement d'un militaire respectueux des règles de la guerre[79].

En Syrie et au Liban

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Lors de sa campagne contre le royaume de Syrie, en juillet 1920, Gouraud n'hésita pas à faire lacher des tracts sur les villes de Damas, Alep, Homs et Hama pour tenter de justifier l'intervention française en Syrie. Il affirme que la France, puissance mandataire, n'a aucun désir de colonisation ou d'asservissement de la Syrie et défend la « mission civilisatrice » visant à garantir l'indépendance syrienne, à moderniser les infrastructures et à proteger les libertés individuelles, notamment des minorités. Il y met en garde les syriens contre les conséquences d'une guerre qu'il attribue à des minorités extrémiste au pouvoir à Damas[60]. Il conclue son pamphlet par:

J'ai décidé de ne pas utiliser l'aviation pour combattre les populations non armées, à condition qu'aucun Français ni chrétien ne soit attaqué. Si des massacres devaient se produire, ils entraîneraient des représailles terribles [...]. Tous ceux qui souhaitent sincérement la paix et la prospérité de leurs pays rejoindront la France, comme l'ont fait les courageux Libanais et bien d'autres. Vive une Syrie libre et souveraine ! Vive la France ![80]

Cette analyse se reflète aussi lorsque, durant les troubles de Cilicie et voyant les éxactions des français et des arméniens à l'encontre des turcs, il aurait vite vu l'échec imminant de la campagne de Cilicie[77].

Action en faveur de l’archéologie française au Moyen-Orient

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Stèle commémorant le passage des armées françaises et du général Gouraud le 25 juillet 1920 dans la vallée historique de Nahr-Al-Kalb, Liban.

Dès son arrivée à Beyrouth, Gouraud manifeste de l'intérêt pour l'action archéologique française en Orient. Il soutient le projet de création d'un Service des Antiquités de Syrie, rattaché à l'administration mandataire. Pour lui, poursuivre le travail de redécouverte des antiquités s'inscrit dans une perspective historique de l'action française à l'étranger. Il déclare, dans la préface de l'ouvrage Les travaux archéologiques en Syrie de 1920 à 1922 :

« C'est une tradition française qui se maintient ; quand la présence sur l’Euphrate de la colonie française permet à M. Cumont de relever ces admirables peintures de Salihiyé, quand est créé à Damas l'Institut Français d'archéologie et d'arts musulmans, nous ne faisons que suivre l'exemple des soldats français de l'expédition de 1860 auxquels Renan a rendu hommage et celui du Général Bonaparte au Caire[81]. »

Gouraud charge Joseph Chamonard d'organiser le Service des Antiquités de Syrie, début 1920. Il sera épaulé par la « Mission archéologique permanente » en 1921. Il soumet à la Commission consultative pour les fouilles en Asie Occidentale (rattaché au ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts) une série de textes et de décrets ; il veut moderniser et rationaliser le cadre légal de l'activité archéologique[82], et remplacer les anciennes législations ottomanes ; elles sont tombées en désuétude du fait de la disparition de l'Empire ottoman

En juillet 1922, il inaugure le Musée de Beyrouth[83].

Icône et symbole des Poilus

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À son retour en France après la guerre, Gouraud devient un leader dans le monde des mutilés et un acteur majeur de la mémoire de la guerre. Il incarne l’idéal du soldat obéissant et respectueux, à la fois dans son comportement personnel et dans sa gestion des commémorations. Il est notamment impliqué dans la création du monument aux morts des armées de Champagne à Navarin, un projet qu'il soutient activement dès 1923, en tant que président d'honneur du comité de l’association. Ce monument, conçu pour honorer les soldats tombés en Champagne, symbolise l’unité entre la France et ses alliés, notamment les États-Unis, et devient un site de pèlerinage pour les anciens combattants et leurs familles[57].

Il se préoccupe de soutenir l'action de l'Association du souvenir aux morts des armées de Champagne. Dès l'association créée, il demande et obtient l'agrément du ministère de la Guerre pour la Fondation du Monument aux Morts des Armées de Champagne et Ossuaire de Navarin et sa reconnaissance comme association d'utilité publique (). Toujours prêt à présider une cérémonie, incarnation de l'ancien combattant du fait de sa manche droite vide, les Parisiens lui témoignent une véritable vénération. Il fait alors de nombreux voyages : la Pologne en 1925, les Indes et les États-Unis en 1929, la Turquie en 1930, l'Afrique-Occidentale française en 1933.

En réponse à la nécessité de codifier la mémoire de la guerre, Henri Gouraud s'engage résolument dans l'élaboration et l'accompagnement des mesures législatives visant à instituer des distinctions honorifiques, telles que la médaille commémorative d'Orient ou la médaille de la paix du Maroc[57].

Avant 1924, il avait déjà obtenu qu'une délégation composée de trois lieutenants ou sous-lieutenants accompagne systématiquement les funérailles de tout chevalier de la Légion d’honneur. Puis, en mai 1924, il étend cette règle en imposant que tous les soldats décorés de la Légion d’honneur, qu’ils soient de l’active ou de la réserve, soient accompagnés lors de leurs obsèques d’un officier, d’un sous-officier et de trois soldats. Cette initiative visait à éviter que les défunts ne tombent dans l’oubli, en luttant contre l’absence de délégation lors de leurs funérailles[57].

En tant que gouverneur militaire de Paris, il sollicite le chef de la musique de la Garde républicaine, Pierre Dupont, pour composer une sonnerie au clairon, qu’il fait exécuter pour la première fois lors du ravivage de la flamme sous l'Arc de Triomphe le 14 juillet 1931, en présence du ministre de la Guerre, André Maginot. L’année suivante, cette initiative est renouvelée en présence du nouveau ministre, Joseph Paul-Boncour, qui se réjouit de l'adhésion à cette proposition. Gouraud saisit alors l'occasion pour demander une reconnaissance officielle de cette sonnerie, afin qu'elle soit intégrée à l'instruction ministérielle du 18 juin 1912, qui régit les cérémonies d’hommage aux morts de la guerre. Le 11 août 1932, le ministre de la Guerre entérine la proposition, faisant de cette sonnerie un élément central des cérémonies militaires, destinée à préparer les esprits à la minute de silence[57].

Distinctions

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Décorations françaises

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Décorations étrangères

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Hommages

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Monument à Henri Gouraud, square d'Ajaccio (Paris).

Plusieurs voies publiques et autres lieux sont nommées d'après lui en France :

 
Plaque commémorative de la visite du Général Gouraud à Bcharré, Liban.

Au Liban :

Au Maroc :

  • dans la région d'Ifrane, à l'entrée d'une forêt à Azrou, un imposant cèdre porte le nom du Général-Gouraud, en arabe arz-Gouraud ;
  • À Rabat, est fondé en 1919 le lycée Gouraud devenu ensuite lycée Hassan-II[87].

Au Salon des artistes français de 1927, le sculpteur Émile Guillaume exposa une buste en bronze du général Gouraud, gouverneur militaire de Paris (n° 3224)[88]. C'est un exemplaire en pierre de ce buste qui se trouve à Paris, square d'Ajaccio[Note 4]. Érigé à la demande de la famille du général, il fut inauguré le par Jacques Chirac, alors maire de Paris[89].

Publications

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Couverture de Au Soudan

Une classification des archives du général Henri Gouraud est disponible sur le site de la diplomatie française. Gouraud étant passionné de photographie, ses archives photographiques demeurent un exemple majeur de la représentation des sociétés dans les colonies françaises au début du 20ème siècle.

Notes et références

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  1. C’est pour marquer le retour de la fête du Triomphe à Saint-Cyr, interdite 4 ans plus tôt par le ministre de la Guerre et son nouveau « style » (fête de fin d'année) que la 73e promotion de l'école choisit ce nom de baptême. Sur les 432 élèves de cette promotion, plus du quart (119) seront tués au combat: 12 lors d'opérations dites de "pacification" dans les colonies et 106 pendant la Première Guerre mondiale. Dans cette promotion figurent les futurs généraux Charpy, Daugan, Degoutte, Giraud, Naulin, Tanant ou encore Vidalon.
  2. Sur le navire-hôpital, Gouraud est pris en charge par le chirurgien-adjoint Pierre Oudard qui s'illustrera plus tard dans la transformation de l'organisation du service de santé de la marine, adaptant également le matériel chirurgical et créant une gouttière brancard. La promotion 1953 de l'École principale du service de santé de la Marine de Bordeaux porte le nom de Médecin général de première classe Oudard.
  3. la Médaille militaire se porte avant la Légion d'honneur pour les officiers généraux ayant commandé au front. Selon la Grande chancellerie de la Légion d'honneur aucun texte officiel n'existe et il s'agit d'une simple habitude.
  4. Le square d'Ajaccio est situé à l'angle nord-est de l'esplanade des Invalides, le long du boulevard des Invalides.

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Bibliographie

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  • Julie d'Andurain, Henri Gouraud. Photographies d'Afrique et d'Orient. Trésors des archives du Quai d'Orsay, Paris, Éditions Pierre de Taillac/Archives diplomatiques, , 239 p. (lire en ligne).
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  • Philippe Gouraud, Le général Henri Gouraud au Liban et en Syrie (1919-1923, Paris, L'Harmattan, coll. « Comprendre le Moyen-Orient », , 191 p. (ISBN 978-2-7384-2073-2, OCLC 243799818, lire en ligne)
  • Auguste Gyss, Henri Eugène Joseph Gouraud : sa carrière militaire : libérateur et citoyen d'honneur d'Obernai, Obernai, Impr. Gyss, , 128 p. (ISBN 978-2-9500444-3-3, OCLC 174184486).
  • Pierre La Mazière, Partant pour la Syrie, Paris, Littérature et Art français, , 224 p. (OCLC 678893194, lire en ligne)
  • Pierre Lyautey, Gouraud, Paris, Julliard, .
  • Aux Capitaines Baratier et Gouraud, souvenir de leur réception au collège Stanislas par leurs anciens camarades, les et , Paris, D. Dumoulin et fils, , 58 p. (lire en ligne).
  • Alan Tami, L'art de la guerre au temps des croisades (491/1098 - 589/1193) : Du théocentrisme irrationnel aux influences mutuelles et adaptations pragmatiques dans le domaine militaire., Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, (lire en ligne)
    Sans donner aucune source, Alan Tami discrédite Gouraud p. 21 tout en affirmant que l'expression qu'il cite est peut-être apocryphe.

Contexte

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  • James Barr, Une ligne dans le sable : le conflit franco-britannique qui façonna le Moyen-Orient, Paris, Perrin, (ISBN 978-2-262-06499-0)
  • Nicole Chevalier, La recherche archéologique française au Moyen-Orient (1842-1947), Paris, Éditions Recherche sur les Civilisations,
  • Rémi Kauffer, La Saga des Hachémites : la tragédie du Moyen-Orient, Paris, Éditions Perrin, (ISBN 978-2-262-03699-7)
  • Gérard Khoury, La France et l'Orient arabe, Paris, Armand Colin, (ISBN 2-200-21322-0)
  • Nadine Picaudou, La déchirure Libanaise, Bruxelles, Éditions Complexe, (ISBN 2-87027-273-1)

Voir aussi

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Articles connexes

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Liens externes

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