Théognis de Mégare

poète gnomique élégiaque grec
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Théognis de Mégare, en grec ancien Θέογνις, est un poète élégiaque[Note 1] grec du VIe siècle av. J.-C., actif vers 540 av. J.-C., longtemps considéré à tort comme un moraliste. Plus de la moitié des poèmes élégiaques conservés avant la période hellénistique sont contenus dans les 1400 vers attribués à Théognis. On appelle le corpus qui lui a été attribué les Theognidea. Les principales informations que nous avons sur lui proviennent de la Souda. Ses poèmes sont écrits en distiques élégiaques[Note 2].

Théognis de Mégare
Biographie
Naissance
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Mégare (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Décès
Nom dans la langue maternelle
Θέογνις ὁ ΜεγαρεύςVoir et modifier les données sur Wikidata
Activités
Période d'activité
VIe siècle av. J.-C.-Ve siècle av. J.-C.Voir et modifier les données sur Wikidata av. J.-C.
Autres informations
Genre artistique
Gnomic poetry (en)Voir et modifier les données sur Wikidata
Œuvres principales
Élégies (d)Voir et modifier les données sur Wikidata

Éléments biographiques

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Fragment de papyrus avec les vers 254-278 (éd. Bekker) de Théognis. IIe – IIIe siècle ap. J.-C. Oxford.

Membre de l'aristocratie dorienne et ennemi du parti populaire, Théognis a peut-être contribué à gouverner Mégare. C'est un aristocrate terrien, mais il s'exila à la suite du coup d'État contre le parti oligarchique et le triomphe de la démocratie[1]. Cet exil, qu'il vécut dans une amertume profonde, le conduisit à Sparte, puis en Eubée, en Sicile et à Thèbes[2]. Théognis voit dans cette mise à l'écart de l'aristocratie l'origine de tous les problèmes de la société. Ne pouvant rien faire contre cela, il en conçoit un haine profonde pour le peuple. Il vécut en outre dans la pauvreté, état qu'il jugeait déshonorante, étant donné ses origines et ses principes[2]. Il mourut probablement à Thèbes.

Théognis écrit en dialecte ionien[1]. Nous avons de lui, selon Robert Brasillach, environ six cent distiques « moraux » et une soixantaine « d'érotiques »[3]. Poète didactique avec qui l'élégie prend un ton politique et moral, il a pour interlocuteur le jeune noble Cyrnos, fils de Polypaos, auquel il dévoile ses préceptes politiques et moraux. Il fait de sa fierté d'aristocrate et de poète conscient de sa valeur le sujet de ses vers.

Son expérience de la révolution, ou stasis, de Mégare le fait se tourner vers les thèmes de la décadence, de l'effondrement des valeurs aristocratiques, du mythe hésiodique de l'âge d'or et de la dikê, justice humaine à ses yeux absente de la cité. Il s'exprimait avec véhémence contre les rancunes politiques qui séparent les partisans de l'aristocratie (dont il fait partie) et les partisans de la démocratie.

Selon Suzanne Saïd, si ses élégies restent politiques, leur auteur soutient non plus une politique du juste milieu, mais défend le point de vue d'un aristocrate terrien dont les biens ont été enlevés[4] : « Mes champs productifs sont aux mains d'autres hommes et les mulets ne tirent plus pour moi la charrue recourbée. [v. 1200-1201] » Et il formule dans ses élégies des attaques virulentes et des considérations désabusées[4]. Il s'en prend à un monde dans lequel « on n'honore que l'argent [v. 189] », et où des gens sans valeur « juste bons à user autour de leurs flancs leurs peaux de chèvre (...) sont maintenant des gens de bien; tandis que les nobles de jadis sont maintenant des vilains [v. 55-58]. »

Sur le plan stylistique, il manifeste sa volonté de style (ou volonté d'art: Kunswollen), dans laquelle il voit un aspect fondamental de son travail d'écrivain, et il est probablement le premier poète à en parler[5] :

« Cyrnos, puissent ces vers prémédités porter

Mon sceau, pour que jamais ne s'échappe le voleur

Ou qui voudrait en corrompre l'aloi.

Chacun dirait: "Ce sont les vers de Théognis

Le mégarien, célèbre en toute autre région" (...) [I, 19-23] »

Jugements et postérité

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Kylix de Tanagra (Béotie), début du Ve siècle av. J.-C. Un participant à un banquet chante « Ω παίδον kάλλιστε » (Ô très bel enfant), premier hémistiche du vers 1365[6] de Théognis. Musée national archéologique d'Athènes.

Théognis apparaît deux fois chez Xénophon: tout d'abord dans les Mémorables (Livre I, chapitre 2), où Socrate le cite: « L'honnête homme du bien te montre le sentier ; / Le méchant te corrompt et te perd tout entier »; puis il est mentionné au chapitre II du Banquet [de Xénophon][7]. En outre, Aristote rapporte sous forme de proverbe l'opinion de Théognis soutenant que l'on peut retirer quelque entraînement à la vertu de la vie en compagnie des hommes, dans ce vers : Des gens de bien viennent les bonnes leçons[8]. On conserve aussi de nombreux vers érotiques qui lui sont attribués; également une sentence issue de ses Elégies[9] selon laquelle les médecins méritent des honoraires particuliers s'ils guérissent la perversité et l’aveuglement[10]. Ce qui fait dire à Jean Carrière que « l'époque classique et l'époque alexandrine elle-même n'ont connu Théognis que comme poète moraliste, comme auteur de sentences, comme prudent éducateur de la jeunesse. » Et il faudra attendre le IIIe siècle apr. J.-C., et Athénée, pour que quelqu'un relève la présence de « poèmes frivoles » dans sa production[11].

Nietzsche a consacré à Théognis son premier grand travail de philologie classique, en 1864, alors qu'il était encore à Pforta, travail qui lui valut les plus hautes louanges de ses professeurs, même si lui s'en disait insatisfait[12]. Cette thèse a été publiée en anglais en 2015.

Notes et références

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  1. Poésie morale de maximes.
  2. Courtes strophes composées de deux vers, un vers long, l'hexamètre, et un vers plus court, le pentamètre.

Références

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  1. a et b Dominique RICHARD, « Théognis de Mégare (2e moitié VIe siècle av. J.-C.) », sur universalis.fr (consulté le )
  2. a et b Marguerite Yourcenar, La Couronne et la Lyre, Gallimard, coll. « Poésie », 2010 [ 1979], p. 120.
  3. Robert Brasillach, Anthologie de la poésie grecque, Paris, Le Livre de Poche, coll. « Classiques de poche », (1re éd. 1950), 512 p. (ISBN 978-2-253-01517-8), p. 147-151 — v. p. 147.
  4. a et b Suzanne Saïd, Monique Trédé, Alain Le Boulluec, Histoire de la littérature grecque, Paris, PUF, coll. « Quadrige Manuels », 2019 [4e éd. mise à jour], 724 p. (ISBN 978-2-130-82079-6), p. 81-82
  5. Pierre Somville, « Poétique », dans Jacques Brunschwig, Geoffrey Lloyd, Pierre Pellegrin (dir.), Le savoir grec, Paris, Flammarion, , 1248 p. (ISBN 978-2-080-20523-0), p. 493 - 507 (v. p. 493-494)
  6. Carrière 1971, p. 10, n. 29
  7. [lire en ligne (page consultée le 30 mars 2024)] : Banquet, chap. 2 (v. la fin de la division [4] / [lire en ligne (page consultée le 30 mars 2024)] : Mémorables, I, 2 (v. la division [20]).
  8. Éthique à Nicomaque, Livre IX, chap. 12, 1172a, trad. Jules Tricot, Paris, Vrin, 1979, p. 475.
    V. aussi 1170a, p. 464: « Ajoutons qu'un certain entraînement à la vertu peut résulter de la vie en commun avec les honnêtes gens, suivant la remarque de Théognis. » [lire en ligne (page consultée le 30 mars 2024)] — ici, v. p. 214 et 210
  9. V. 432-434
  10. Aristote, dans son Éthique à Nicomaque, X, chap. 19, 1179b, reprend et cite cette idée : « Si les raisonnements étaient en eux-mêmes suffisants pour rendre les gens honnêtes, ils recevraient de nombreux et importants honoraires, pour employer l'expression de Théognis, et cela à bon droit. » (trad. J. Tricot, Vrin) [lire en ligne (page consultée le 30 mars 2024)] — v. ici, la p. 232.
  11. Carrière 1971, p. 5
  12. Rüdiger Safranski, Nietzsche. Biographie d'une pensée, Arles, Actes Sud, coll. « Babel », 2019 [2000], p. 448

Bibliographie

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Éditions et traductions

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  • Théognis, Poèmes élégiaques, édités et traduits par Jean Carrière, Paris, Belles Lettres, 2003 [1948], 284 p.
  • (ISBN 978-2-251-00322-1) M. L. West (éd.), Iambi et elegi graeci ante Alexandrum cantati, vol. 1, Oxford, Clarendon Press, 1989 [1971] 2e éd., revue et augmentée, 256 p. [présentation en ligne]
  • Marguerite Yourcenar, La Couronne et la Lyre, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », , 503 p. (ISBN 978-2-070-32256-5), « Théognis », p. 124 - 138 (Présentation : p. 120 - 123)
  • Poètes élégiaques de la Grèce archaïque. Solon - Tyrtée - Théognis - Xénophane et les autres, Traduits et présentés par Yves Gerhard, Ed. de l'Aire, Vevey, 2022 (ISBN 978-2-889-56248-0).

Études

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  • Jean Carrière, « Introduction à Théognis », Pallas, no 18,‎ , p. 3-30 (lire en ligne)
  • (en) Andrew Ford, « Theognis, elegiac poet from Megara », sur oxfordre.com, Oxford Classical Dictionary, (consulté le )
  • Werner Jaeger, « La Transmission des poèmes de Théognis », dans Paideia : La formation de l'homme grec, Paris, Gallimard, coll. « Tel », , 584 p. (ISBN 978-2-070-71231-1), p. 229 à 236
  • Oswyn Murray, La Grèce à l'époque archaïque. Early Greece, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, , 356 p. (ISBN 978-2-858-16268-0)
  • Gregory Nagy, « Théognis et Mégare. Le poète dans l’âge de fer », Revue de l'histoire des religions, vol. 201, no 3,‎ , p. 239-279 (lire en ligne)
  • Alexis Pierron, Histoire de la littérature grecque, 12e édition, Hachette, 1884

Voir aussi

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Articles connexes

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Liens externes

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