Préfecture du prétoire d'Italie
La préfecture du prétoire d’Italie (en latin : Praefectura praetorio Italiae ou, dans sa forme complète jusqu’en 356, Praefectura praetorio Italiae, Illyrici et Africae) était l’une des grandes divisions administratives de l’Empire romain tardif (aussi appelé « Bas-Empire »). Bien que son territoire ait varié au cours des décennies, elle comprenait la péninsule italienne, la Dalmatie, la Pannonie, le Norique, la Rhétie et l’Afrique du Nord romaine[1]. Créée après la mort de Constantin Ier en 337, elle existe jusqu’à son remplacement par l’exarchat de Ravenne (ou d’Italie) en 584. Avec la préfecture des Gaules, elle forme après la mort de Théodose et la partition de l’empire, l’Empire romain d’Occident (Imperium romanum, pars occidentalis).
Contexte historique
modifierLes provinces romaines apparaissent au lendemain de la première guerre punique, alors que la République romaine s'étend hors de la péninsule italienne. La Sicile (à l’exception de Syracuse) devint ainsi la première province en 241 av. J.-C.[2] et sera bientôt suivie après la guerre des Mercenaires par la Corse-Sardaigne en 227 av. J.-C.[3],[4]. Après les conquêtes de l’empire, le nombre de provinces romaines ne cessera d'augmenter; d’une dizaine à la mort d’Auguste, elles seront quarante-sept sous Dioclétien (r. 284-305). Ce dernier empereur scindera celles-ci en unités plus petites[N 1] (elles passent de 47 à 85)[5],[6], tout en les regroupant vers 297 en douze diocèses[N 2] gérés par des « vicaires ».
Les diocèses où l’on parlait habituellement latin (Gaules et Italie) furent confiés au coempereur de Dioclétien, Maximien (r. 286 – 305), assisté d’un césar, Constance Chlore, jusque-là son préfet du prétoire[7],[8]. Les diocèses où l’on parlait grec formèrent la préfecture du prétoire d’Orient.
Jusque-là, l’Italie elle-même n’avait jamais été divisée en province, ni n’avait payé d’impôt. Rome ayant perdu son statut de capitale au profit de Nicomédie (Dioclétien) et de Milan (Maximien Hercule), Dioclétien mit fin à ces privilèges. Seule la ville de Rome jusqu’à la borne du centième mile échappa à la provincialisation et aux impôts tout en étant gouvernée par un préfet de la Ville de rang sénatorial responsable devant l’Auguste résidant à Milan. En dehors de la Ville, l’ensemble de la péninsule devint un diocèse (scindé par la suite) comprenant seize provinces qui prirent toutefois le nom de « régions », dénomination que leur avait donné Auguste lors de sa réforme administrative et furent gouvernées par des sénateurs portant l’antique titre de corrector[N 3],[9].
On assiste également sous Dioclétien à un début de séparation des pouvoirs civils et militaires. Avec l'exclusion des sénateurs des postes de haute gestion et l'émergence de ministères spécialisés (scriniae) dirigés par des magistri promus selon leurs mérites (ou la faveur du prince) se formera un conseil appelé « consistoire ». Ce conseil comprenait entre autres un corps de spécialistes du droit, deux responsables des finances (un pour le Trésor public, l’autre pour les domaines privés), et était sous la direction d’un « préfet du prétoire », anciennement commandant de la garde prétorienne, acquérant de plus en plus de tâches pour devenir en fait le bras droit du prince[10].
Constantin compléta la séparation des carrières militaire et civile amorcée sous Dioclétien. Le préfet du prétoire fut déchargé du commandement des armées au profit d’un dux, choisi parmi les officiers militaires, et devint essentiellement un administrateur civil[11],[12],[N 4].
Histoire
modifierIl est difficile en effet d’établir précisément à quel moment se fit la transformation de ce qui avait été une fonction militaire en une administration territoriale[13]. Selon l’historien Zozime, les préfectures du prétoire auraient été créées par Constantin en 218 ou 224. Pour l’historienne et byzantiniste Cécile Morrisson, il s’agit là d’un anachronisme; en réalité chaque Auguste et César continua à avoir son propre préfet du prétoire qui servait de chef d’État-major. Ce n’est que vers le milieu du IVe siècle que les préfectures furent transformées en subdivisions administratives[14]. Tout comme le terme provincia signifiait au départ le domaine de responsabilité attribué à un magistrat romain mais en viendra à désigner par glissement progressif le territoire lui-même, on passa progressivement de la notion de préfet du prétoire à celle du territoire où s’exerçait sa juridiction[15].
Après la mort de Constantin Ier (r. 306-337), son empire fut divisé entre ses fils, Constantin II, Constance II et Constant Ier[16],[N 5], ainsi que ses neveux, les césars Flavius Dalmatius et Flavius Hannibalianus[17],[18]. Cet arrangement ne devait guère durer, les trois frères faisant assassiner la plupart des autres membres de la famille par l’armée[19],[20] avant de se rencontrer en Pannonie le et de diviser l’empire entre eux. Mécontent de ce premier partage qui donnait à son frère Constantin II une certaine prépondérance en raison de sa qualité de fils ainé, Constant Ier exigera un nouveau partage des territoires lors d’une seconde rencontre l’année suivante à Viminacium (aujourd’hui en Serbie) et obtiendra également les diocèses de Dacie et de Macédoine (unis au départ sous le nom de « diocèse de Mésie ») qui auraient dû revenir à son cousin Dalmatius. Toutefois la dispute reprit entre les deux frères au sujet du partage de l’Afrique entre les préfectures des Gaules et d’Italie[19],[21]. En 340 Constantin II marchera sur l'Italie avec ses troupes, mais y sera tué[22],[23] à la suite de quoi Constant Ier prit le contrôle du domaine de son frère[24].
Au départ, la préfecture d’Italie s’appellera ainsi praefectura praetorio Italiae, Illyrici et Africae. En 347 l’Illyrie fut détachée de la préfecture pour constituer une préfecture distincte comprenant les diocèses de Pannonie, Dacie et Macédoine. Vulaius Rufinus en devint le premier préfet de 347 à 352. La nouvelle préfecture sera abolie en 361 par l’empereur Julien (r. 361 – 363) et rétablie en 375 par Gratien (r. 367 – 383). Son territoire continua à faire l’objet de contestation entre les deux parties de l’empire jusqu’à ce qu’elle soit finalement scindée en 395, le diocèse de Pannonie quittant l’Illyrie pour être absorbé par la préfecture d’Italie sous le nom de diocèse d’Illyrie.
Quant à l’Italie elle-même, elle sera éventuellement divisée en deux : le Diocesis Italia annonaria (litt. : Diocèse de l’Italie de l’annone dont les habitants devaient fournir à la cour, à l’administration et à l’armée les fournitures, vin et matériaux de construction)[25] et le Diocesis Italia Suburbicaria (litt : Diocèse de l’Italie suburbicaire, c.à.d. soumis au gouvernement de l’Urbs). À la fin du IVe siècle, l’Italie était gouvernée par huit « consulares » (Venetiae et Histriae, Aemiliae, Liguriae, Flaminiae et Piceni annonarii, Tusciae et Umbriae, Piceni suburbicarii, Campaniae, ainsi que la Siciliae), deux « correctores » (Apuliae et Calabriae ainsi que Lucaniae et Bruttiorum) et sept « praesides » (Alpium Cottiarum, Rhaetia Prima et Secunda, Samnii, Valeriae, Sardiniae, ainsi que Corsicae).
Même si l’Empire romain d’Occident cessa d’exister lorsque le chef barbare Odoacre (patrice d’Italie, 476 - 493) prononça la déchéance de Romulus Augustule en 476[26], celui-ci et son successeur, l’Ostrogoth Théodoric le Grand (r. 493 – 526) conserveront la structure administrative romaine tout en restant sujets nominaux de l’empereur de Constantinople[27]. Goths et Romains formaient deux sociétés distinctes, vivant sous leurs propres lois[28]. La préfecture continua donc à exister et revint directement sous l’autorité impériale après les guerres de Justinien Ier (r. 527 – 565) contre les Goths. Toutefois, l’invasion de l’Italie par les Lombards en 568 devait réduire le contrôle de Constantinople à quelques territoires éparpillés sur le territoire. La préfecture fut remplacée par l’exarchat de Ravenne en 569, cette dernière ville ayant déjà remplacé Milan comme capitale parce que moins exposée aux invasions.
La fonction de préfet demeurera toutefois attestée jusqu’au VIIe siècle. Le dernier titulaire connu[N 6] apparait en 639[29].
Subdivisions territoriales
modifierSous Dioclétien, l’Italie devint le Dioecesis Italiciana et incluait la Rhétie. Il était divisé entre les provinces suivantes :
- Ligurie (aujourd’hui Ligurie et Piémont occidental) ;
- Transpadane (Piémont oriental et Lombardie) ;
- Rhétie (Est de la Suisse, ouest et centre de l’Autriche, sud de l’Allemagne et une partie du nord-est de l’Italie) ;
- Vénétie et Istrie (Veneto, Friuli-Venezia Giulia et Trentino-Alto Adige ainsi que l’Istrie) ;
- Émilie (Émilie-Romagne) ;
- Tuscie (Étrurie) et Ombrie (Toscane et Ombrie) ;
- Flaminie (Flaminia) et Picenum annonaire (l’ancien Ager Gallicus dans la Marche aujourd’hui) ;
- Latium et Campanie (parties côtières du Lazio et de la Campane) ;
- Samnium (Abruzze, Molise et Irpinia) ;
- Apulie et Calabre (l’Apulie d’aujourd’hui) ;
- Lucanie et Bruttium (Basilicata et Calabre) ;
- Sicile (Sicile et Malte) ;
- Corse et Sardaigne (Corsica et Sardinia).
Après Constantin et la division de l’Italie en deux diocèses les provinces furent réparties comme suit :
Italie annonaire (Italia, capitale Milan) :
- Émilie, Aemilia
- Alpes cottiennes, Alpes cottiae
- Flaminie et Picenum annonaire, Flaminia et Picenum annonarium
- Ligurie, Liguria
- Rhétie première, Raetia prima
- Rhétie seconde, Raetia secunda
- Vénétie et Istrie, Venetia et Histria
Italie suburbicaire (Regiones suburbicariae, capitale Rome) :
- Apulie et Calabre, Apulia et Calabria
- Campanie, Campania
- Corse, Corsica
- Lucanie et Bruttium, Lucania et Bruttii
- Picenum suburbicaire, Picenum suburbicarium
- Samnium, Samnium
- Sardaigne, Sardinia
- Sicile, Sicilia
- Tuscie et Ombrie, Tuscia et Umbria
- Valérie (province romaine), Valeria
Liste des préfets connus
modifier- Aemilianus (328)
- Lucius Papius Pacatianus (334-335)
- Aconius Catullinus Philomathius (341)
- Marcus Maecius Memmius Furius Baburius Caecilianus Placidus (342-344)
- Vulcacius Rufinus (premier mandat, 344–347)
- Gaius Ceionius Rufius Volusianus Lampadius (355)
- Taurus (356-361)
- Claudius Mamertinus (361-365)
- Vulcacius Rufinus (deuxième mandat, 365–368)
- Sextus Claudius Petronius Probus (premier mandat vers 368–375)
- Decimius Hilarianus Hesperius (378-380)
- Flavius Hypatius (382-383)
- Sextus Claudius Petronius Probus (deuxième mandat, 383)
- Nonius Atticus (383-384)
- Neoterius (385)
- Sextus Claudius Petronius Probus (troisième mandat, 387)
- Virius Nicomachus Flavianus (390-392)
Empire d’Occident
- Nummius Aemilianus Dexter (395)
- Eusebius (395-396)
- Flavius Mallius Theodorus (397-399)
- Valerius Messala Avienus (399-400)
- Rufus Synesius Hadrianus (400-405)
- Flavius Macrobius Longinianus (premier mandat, 406)
- Curtius (407-408)
- Flavius Macrobius Longinianus (deuxième mandat, 408)
- Flavius Mallius Theodorus (408-409)
- Caecilianus (409)
- Jovius (409)
- Melitius (410-412)
- Seleucus (préfet pour l’Afrique, 412)
- Ioannes (412-413)
- Rufus Synesius Hadrianus (413-414)
- Seleucus (414-415)
- Junius Quartus Palladius (416-421)
- Anicius Acilius Glabrio Faustus (peut-être 426)
- Anicius Auchenius Bassus (deuxième mandat 435)
- Anicius Acilius Glabrio Faustus (vers 438)
- Pétrone Maxime (439)
- Caecina Decius Aginatius Albinus (443-448)
- Caecina Decius Basilius (458)
- Caelius Aconius Probianus (461-463)
- Caecina Decius Basilius (463-465)
- Felix Himelco (473)
Période Goth
Sous Odoacer:
- Nar. Manlius Boethius (entre 480 et 486) (consul en 487)
- Caecina Decius Maximus Basilius (483) (consul en 480)
- Caecina Mavortius Basilius Decius (486-493) (consul en 486)
Sous les Ostrogoths:
- Libérius (494-500)
- Flavius Albinus (?500-503)[2] (consul en 493)
- Cassiodorus the Elder (500-?)
- Anicius Probus Faustus (509-512) (consul en 490)
- Rufius Magnus Faustus Avienus (527-528) (consul en 502)
- Faustus (521/522) or 529
- Cassiodore (533-537) (consul en 514)
- Fidelis (537-538)
- Reparatus (538-539)
Période byzantine
- Athanasius Athanase (préfet du prétoire) (539-542)
- Maximinus (vers 542)
- Flavius Marianus Michaelius Gabrielius Petrus Iohannes Narses Aurelianus Limenius Stephanus Aurelianus, (554/568)
Notes et références
modifier- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Praetorian prefecture of Italy » (voir la liste des auteurs).
Notes
modifier- Par exemple la Gaule lyonnaise est divisée (en deux étapes) en quatre provinces (les Lyonnaises I, II, puis III et IV), la Gaule belgique l'est en deux provinces (I et II).
- Selon la "Liste de Véronne". À la fin du IVe siècle ils seront au nombre de quatorze(Ostrogorsky (1983) p. 61)
- Les anciens « correctores » étaient des magistrats ayant le pouvoir de conduire des enquêtes sur les cas de malversations dans les villes d’Italie.
- Comme administrateur civil il conservait néanmoins la responsabilité du ravitaillement de l’armée, de son intendance et de la paie des soldats.
- Son fils ainé, Crispus, qui avait été nommé César en 317, fut exécuté ou se suicida dans des circonstances mystérieuses en 326.
- Ses sceaux portent le titre d’ « eparchos » (titre grec pour préfet), quoiqu’il soit aussi possible qu’il puisse s’agir d’une erreur typographique pour « exarchos » (titre grec pour exarque)
Références
modifier- Ostrogorsky (1983) p. 61
- Le Bohec (2001), p. 116
- Decret (1977), p. 178
- Le Bohec (2003), p. 114
- Barnes (1996) pp. 539–42
- Rees (2004) pp. 24-27
- Petit (1974) p. 11
- Southern (2001) pp. 142, 145
- Williams (1997) p. 107
- Williams (1997) pp. 109-110
- Grant (1993) pp. 82-83
- Williams (1987) p. 206
- Kelly (2006), p. 185
- Morrisson, 2007, pp. 190-191
- Nicolet (1978), p. 910-911
- Eutrope 10 : 9)
- Victor, 41 :20
- Maraval (2014), p. 212
- Gibbon, chap. 18.
- Maraval (2013), p. 31
- Zosime, 2:41-42
- Victor, 41:21.
- Eutropius, 10:9
- Morrisson (2012) p. 6
- Consentino (2008) p. 19
- Wolfram (1997), p. 185
- Bury (1923), p. 409
- Williams (1997) p. 218
- Nesbit & Oikonomides (1994) p. 16
Bibliographie
modifierSources primaires
modifier- Zozime, Histoire Nouvelle, Livre 2, Édition et traduction François Paschoud, 3 tomes en 5 volumes, Paris, les Belles Lettres, 1971-1989.
- Aurélius Victor. Le Livre des Césars. (trad. Pierre Dufraigne), Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des Universités de France », 1975 (réimpr. 2003), 213 p. (ISBN 2-251-01018-1).
- Eutrope, (trad. Joseph Hellegouarc'h), Abrégé d'histoire romaine, Les Belles-Lettres, coll. « CUF Latin », 1999, LXXXV-274 p. (ISBN 978-2-251-01414-2).
Sources secondaires
modifier- (fr) Anonyme. « Les provinces romaines » (dans) Imperio Romano [en ligne] https://www.romanoimpero.com/2013/01/le-province-romane.html.
- (en) Bury, J.B. History of the Later Roman Empire, New York, Macmillan, 1923.
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- (en) Wolfram, Herwig (trad. Thomas J. Dunlap). History of the Goths, Berkeley, University of California Press, 1990, 613 p. (ISBN 978-0-520-06983-1).
Voir aussi
modifierArticles connexes
modifierLiens externes
modifier- Sur le site de Cambridge University Press, présentations du
- (en) volume 1
- (en) volume 2
- (en) volume 3