Nummius Æmilianus Dexter
Nummius Æmilianus Dexter est un magistrat romain de la fin du IVe siècle, de religion chrétienne, fils de l'évêque Pacien de Barcelone, ami de saint Jérôme.
Éléments biographiques
modifierJérôme ne le désigne que par son cognomen, Dexter. C'est l'ami qui lui a demandé de faire pour les écrivains chrétiens ce que Suétone avait fait pour les écrivains païens, un De viris illustribus[1]. Dans un passage de l'Apologie contre Rufin, il précise que ce Dexter a été préfet du prétoire[2], permettant ainsi aux historiens de l'identifier par les documents administratifs romains et l'épigraphie. Dans le De viris illustribus lui-même, Jérôme consacre un bref article au dédicataire, où l'on apprend qu'il est le fils de Pacien de Barcelone et l'auteur d'un ouvrage intitulé Omnimoda historia (Histoire variée), dédié à Jérôme lui-même, mais que celui-ci n'a pas encore lu[3].
Ce personnage, qui était donc d'origine espagnole comme l'empereur Théodose, fut proconsul d'Asie entre 379 et 387 : il dressa alors à Éphèse une statue en l'honneur de Théodose l'Ancien, père de l'empereur. Après sa sortie de charge, ses anciens administrés lui élevèrent une statue à Barcelone, sa ville d'origine. En 387, il fut nommé comes rerum privatarum d'Orient. Après la mort de Théodose (), il est attesté comme préfet du prétoire d'Italie, sous Honorius, du au [4].
Mystification
modifierÀ la fin du XVIe siècle, le jésuite espagnol Jerónimo Román de la Higuera (Tolède, 1538 - Tolède, ) prétendit s'être procuré plusieurs chroniques antiques et médiévales inédites qui n'étaient en fait que des fabrications de sa part. Parmi celles-ci, le Chronicon omnimodæ historiæ de « Flavius Lucius Dexter », allant de l'an 752 à l'an 1183 de Rome (c'est-à-dire de l'an -1 à l'an 430), précédé d'une épître dédicatoire à Paul Orose, monument de falsification impudente[5] : il prétendait qu'un manuscrit en avait été trouvé à l'abbaye de Fulda et lui avait été adressé par un confrère[6]. Le texte se présente comme une chronique des premiers siècles du christianisme, année par année, centrée sur l'Espagne, avec toutes les légendes traditionnelles ainsi accréditées.
Une première édition du texte eut lieu à Saragosse en 1619, après la mort du faussaire. En 1624, comme de gros doutes s'exprimaient déjà dans le monde savant, Thomas Tamajo Vargas, historiographe du roi d'Espagne, publia un ouvrage intitulé Flavio Lucio Dextro, Caballero Espannol de Barcelona, prefecto pretorio de Oriente, governador de Toledo por los annos del Sennor de CCCC, defendido por don Thomas Tamajo de Vargas (Madrid, 1624). En 1627 parut à Lyon, chez Claude Landry, une édition de « Flavius Lucius Dexter » et de son « continuateur » Maxime de Saragosse abondamment commentée par le moine cistercien espagnol Francisco Bivar : « monument d'érudition mal employée »[7]. Le commentateur dut d'ailleurs aussi défendre ses auteurs contre les attaques des sceptiques. Il y eut une autre édition du texte à Madrid en 1640.
En Espagne même, les supercheries de Román de la Higuera furent très tôt dénoncées, notamment par Nicolás Antonio dans un texte intitulé Censura de historias fabulosas, qui ne put paraître qu'en 1742 à cause de l'Inquisition. En France, Rémy Ceillier écrit dans son Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques que cette chronique « est généralement méprisée et considérée comme une pièce supposée » et qu'il serait même « inutile et ennuyeux » de se donner la peine de le démontrer. C'est pourquoi il est curieux qu'elle ait parfois été reprise jusqu'au XIXe siècle : elle figure en partie dans la Patrologie Latine de Jacques Paul Migne (vol. 31, col. 9-636, avec les commentaires et le plaidoyer de Francisco Bivar pour son authenticité, qui constituent d'ailleurs le gros du texte).
Notes et références
modifier- Vir. ill., prologue : « Hortaris, Dexter, ut Tranquillum sequens ecclesiasticos scriptores in ordinem digeram [...] ».
- Apol., II, 23 : « [...] cum Dexter amicus meus, qui præfecturam administravit prætorii, me rogasset ut auctorum nostræ religionis ei indicem texerem ».
- Vir. ill., § 132 : « Dexter Paciani, de quo supra dixi, filius, clarus apud sæculum et Christi fidei deditus, fertur ad me Omnimodam historiam texuisse, quam necdum legi ». Pacien fait l'objet du § 106 : « Pacianus, in Pyrenæi jugis Barcilonæ episcopus [...] ».
- Voir une notice sur le personnage dans André Chastagnol, Aspects de l'Antiquité tardive, Rome, « L'Erma » di Bretschneider, 1994, p. 40. Il faut préciser que le De viris illustribus de saint Jérôme est de 392, et l'Apologie contre Rufin de 401/402.
- « Postquam ex Oriente, ubi, sicut nosti, præfectus prætorio fui, domum redii, cœpit me tædere munium publicorum [...] Porro omnimodam historiam [...] sancto presbytero Hieronymo non ita locupletatam dicaveram ; quia ad ejus defuncti manus pervenire non potuit, multis locis auctam locupletatamque tibi homini Hispano [...] nuncupo ». Du reste, comme l'ouvrage du vrai Dexter était écrit et dédié à Jérôme en 392, et que ce dernier est mort en 420, on ne voit pas bien comment faire correspondre cette lettre à la réalité.
- L'Omnimoda historia de « Flavius Dexter » était suivie de « continuations », la première de l'évêque Maxime de Saragosse (auteur aussi d'un ouvrage historique perdu, signalé dans le De viris illustribus d'Isidore de Séville), qui ne manque pas de rédiger une épître dédicatoire à son collègue Argiovito de Porto, qui lui aurait demandé lors d'un concile à Tolède une « continuation de l' Omnimoda historia de Flavius Lucius Dexter ».
- Jean-Louis Quantin, « Érudition historique et philologique de l'âge classique aux Lumières », Annuaire de l'École pratique des hautes études, section des sciences historiques et philologiques. Résumés des conférences et travaux, no 140, 2009, p. 323-325.