L’intégrité scientifique ou intégrité de la recherche est une forme d’éthique qui s’intéresse aux meilleures pratiques ou aux normes de pratique professionnelle des chercheurs.

Introduit au XIXe siècle par Charles Babbage, le concept d’intégrité de la recherche a pris de l’importance à la fin des années 1970. Plusieurs scandales médiatisés aux États-Unis ont suscité d’intenses débats sur les normes éthiques des sciences et sur les limites de l’autorégulation par les communautés et institutions scientifiques. Après 1990, les autorités politiques ont surtout cherché à établir des codes de conduite et une définition formelle de la fraude scientifique. Au XXIe siècle, les codes de conduite portant sur l’intégrité de la recherche sont très répandus. Au-delà des initiatives institutionnelles ou nationales, les principaux textes internationaux sont la Charte européenne du chercheur (2005), la Déclaration de Singapour sur l’intégrité en recherche (2010), le Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche (2011 et 2017) et les Principes de Hong Kong pour l’évaluation des chercheurs (2020).

La littérature scientifique sur l’intégrité de la recherche se décline en deux grands secteurs : l’établissement de définitions et de catégories, en particulier pour la fraude scientifique, et l’étude empirique des attitudes et pratiques des scientifiques[1]. Après l’élaboration des codes de conduite, la taxonomie des usages contraires à l’éthique a été considérablement élargie, au-delà des formes de fraude scientifique connues depuis longtemps (plagiat, falsification et fabrication de résultats). La définition des pratiques de recherche douteuses et le débat sur la reproductibilité se focalisent également sur une zone grise de résultats scientifiques litigieux qui ne découlent pas nécessairement de manipulations volontaires.

L’impact concret des codes de conduite et des autres mesures adoptées pour garantir l’intégrité de la recherche demeure incertain. D’après plusieurs études de cas, si les principes des codes de conduite respectent des idéaux scientifiques communs, ils sont considérés comme éloignés des pratiques de travail réelles et leur efficacité est critiquée.

Après 2010, les débats sur l’intégrité de la recherche ont établi un lien de plus en plus étroit avec la science ouverte. Les codes de conduite internationaux et les législations nationales sur l’intégrité de la recherche considèrent officiellement le partage ouvert des productions scientifiques (publications, dates ou codes) comme un moyen de limiter les pratiques de recherche douteuses et d’améliorer la reproductibilité. Incidemment, les références à la science ouverte ont sorti le débat sur l’intégrité scientifique du cercle des communautés académiques, car il implique un lectorat scientifique de plus en plus vaste.

Définition et historique

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L’intégrité de la recherche (ou intégrité scientifique) est devenue un concept autonome au sein de l’éthique scientifique vers la fin des années 1970. Contrairement aux débats sur d’autres formes de comportements antiéthiques, celui sur l’intégrité de la recherche s’intéresse aux « délits sans victime » qui ne font que nuire à « la solidité des données scientifiques et à la confiance du public envers la science[2]. » Les manquements à l’intégrité de la recherche incluent principalement « la fabrication de données, la falsification et le plagiat[2]. » En ce sens, l’intégrité de la recherche concerne avant tout les processus internes de la science. Elle peut être considérée comme un phénomène communautaire devant être traité à l’abri des regards extérieurs : « L’intégrité de la recherche est définie et réglementée avec plus d’autonomie par la communauté, tandis que son éthique (encore une fois, dans une définition restrictive) est plus étroitement liée à la législation[2]. »

Émergence de la thématique (1970-1980)

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Avant les années 1970, les questions éthiques concernaient majoritairement la conduite des expériences médicales, en particulier sur les sujets humains. En 1803, le code de Thomas Percival posait les bases morales du traitement expérimental. Il fut « enrichi assez régulièrement » au cours des siècles suivants, notamment par Walter Reed en 1898 et le Code de Berlin en 1900[3]. Après la Seconde Guerre mondiale, les expérimentations menées par les nazis sur des cobayes humains ont entraîné la création de codes internationaux d’éthique de la recherche largement reconnus, par exemple le Code de Nuremberg (1947) ou la Déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale[3].

Selon Kenneth Pimple, Charles Babbage fut le premier auteur à pointer la question particulière de l’intégrité scientifique[3]. Dans Réflexions sur le déclin de la science en Angleterre et sur ses causes, publié en 1830, Babbage identifiait quatre catégories de fraudes scientifiques[4] depuis la falsification pure et simple jusqu’à différents degrés d’arrangements ou de torture des données et des méthodes.

Plusieurs facteurs ont fait de l’intégrité de la recherche un sujet de débat majeur dans les sciences biologiques après 1970 : le développement de méthodes avancées d’analyse des données, la pertinence économique croissante de la recherche fondamentale[5] et l’intérêt accru des agences fédérales de financement dans le contexte de la Big Science[3]. En 1974, l’incident de la « souris truquée » focalisa l’attention médiatique comme jamais auparavant : William Summerlin avait dessiné au marqueur un point noir sur une souris pour attester de la réussite d’un traitement[6]. Entre 1979 et 1981, plusieurs cas majeurs de fraude scientifique et de plagiat ont fait réfléchir les chercheurs et les décideurs politiques aux États-Unis avec pas moins de quatre supercheries majeures dévoilées au cours de l’été 1980[5].

À l’époque, « la communauté scientifique réagissait aux cas de "fraude scientifique" (comme on l’appelait souvent) en assénant qu’ils étaient rares et que ni les erreurs ni les tromperies ne pouvaient rester longtemps cachées puisque la science était par nature capable de s’autocorriger[3]. » Un journaliste de Science, William Brad, prit le contre-pied de cette affirmation et sa contribution à la question de l’intégrité de la recherche fit autorité. En réponse au Comité de la science et de la technologie de la Chambre des représentants des États-Unis, il souligna que « la tricherie dans la science n’avait rien de nouveau » mais que, jusqu’à récemment, elle « avait été traitée comme une affaire interne ».

Dans l’enquête détaillée Betrayers of Science (« Traitres à la science ») cosignée avec Nicholas Wade, Brad décrit la fraude scientifique comme un problème structurel : « Alors que de plus en plus de cas de fraude ont été révélés au grand public (…) nous nous sommes demandé s’il s’agissait vraiment d’un fait anecdotique plus ou moins régulier dans le paysage scientifique (…) La logique, la réplication, l’évaluation par les pairs, tout cela a été contourné avec succès par les faussaires, souvent pendant de longues périodes[7]. » Avant lui, d’autres analyses de la systématicité des fraudes scientifiques présentaient un tableau plus nuancé[3]. Pour Patricia Wolff, outre quelques manipulations évidentes, il existait de nombreuses zones grises dues à la complexité de la recherche fondamentale : « Les frontières entre l’autotromperie flagrante, la négligence coupable, la fraude et l’erreur proprement dite peuvent être très floues[8]. » Comme on pouvait s’y attendre, le débat a entraîné un réexamen des pratiques scientifiques passées. En 1913, une expérience scientifique bien connue sur la charge électronique menée par Robert Millikan reposait explicitement sur l’abandon des résultats en désaccord avec la théorie de départ : à l’époque bien accueilli, ce travail a fini par être considéré comme un exemple type de manipulation scientifique dans les années 1980[9].

Formalisation de l’intégrité de la recherche (1990-2020)

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À la fin des années 1980, l’ampleur des scandales de fraude et le renforcement de la vigilance politique et publique ont placé les scientifiques en position délicate aux États-Unis et ailleurs : « Le ton des audiences de surveillance du Congrès américain présidées en 1988 par le représentant démocrate du Michigan John Dingell, qui enquêtait sur l’attitude des institutions de recherche face aux accusations de fraude, renforça de nombreux scientifiques dans l’idée qu’eux-mêmes et la recherche scientifique étaient la cible de toutes les critiques[10]. » La principale réponse fut procédurale : l’intégrité de la recherche « a été définie dans de nombreux codes de conduite établis par domaine, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale[11]. » Cette démarche politique émanait en grande partie des communautés de recherche, des bailleurs de fonds et des administrateurs scientifiques. Aux États-Unis, le Service de santé publique et la Fondation nationale pour la science ont adopté des « définitions similaires de la fraude scientifique » en 1989 et 1991.[3] Les concepts d’intégrité de la recherche et, à l’inverse, de fraude scientifique, étaient particulièrement importants pour les organismes de financement. En effet, ils ont permis de « délimiter les pratiques en lien avec la recherche qui [méritaient] une intervention »[3], le manque d’intégrité ayant conduit à des recherches non seulement contraires à l’éthique mais aussi inefficaces, les fonds avaient tout intérêt à être réaffectés autrement.

Après 1990, ce fut une « véritable explosion des codes de conduite scientifiques[12]. » En 2007, l’OCDE publia un rapport sur les meilleures pratiques afin de promouvoir l’intégrité scientifique et de prévenir la fraude (Forum mondial de la science). Les principaux textes internationaux incluent :

  • La Charte européenne du chercheur (2005)
  • La Déclaration de Singapour sur l’intégrité en recherche (2010)[13]
  • Le Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche de l’ALLEA (All European Academies) et de la Fondation européenne de la science (FES) (2011, révisé en 2017[14]).

Il n’existe pas d’estimation du nombre total de codes de conduite en lien avec l’intégrité de la recherche[15] .Un projet de l’UNESCO, l’Observatoire mondial de l’éthique (inaccessible depuis 2021), référençait 155 codes de conduite[16] mais notait que « ce n’est probablement qu’une fraction des codes produits ces dernières années[12]. » Les codes ont été créés dans des contextes très divers, et tant leur échelle que leurs ambitions varient fortement : en marge des codes nationaux, il existe des codes pour les sociétés scientifiques, les institutions ou les services de R&D[15]. Même si ces textes normatifs partagent souvent un faisceau commun de principes, « la fragmentation, le manque d’interopérabilité et les différences d’interprétation des termes clés » suscitent des inquiétudes croissantes[1].

Taxonomie et classification

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Dans les codes de conduite, l’intégrité de la recherche est généralement définie en négatif : l’accumulation de normes vise à identifier les différents types de recherche contraire à l’éthique et de fraude scientifique avec des degrés de gravité variables. La multiplication des codes de conduite s’est accompagnée d’un élargissement de leur champ d’application. Alors que le débat initial portait sur « les trois péchés capitaux de la recherche scientifique et universitaire : la fabrication, la falsification et le plagiat », il a fini par s’étendre aux « manquements moindres à l’intégrité de la recherche[17]. »

En 1830, Charles Babbage introduisit la première taxonomie des fraudes scientifiques qui regroupait déjà certaines pratiques de recherche douteuses : le canular (une fraude volontaire « tout sauf justifiable »)[4] la contrefaçon (« le faussaire étant celui qui, soucieux d’acquérir une réputation scientifique, consigne des observations qu’il n’a jamais faites[18] »), la taille (qui « consiste à supprimer ici et là de petits éléments d’observations qui s’écartent le plus de la moyenne[19] ») et la torture des données. Cette dernière pratique est la cible principale de Babbage qui y voit « un art aux formes diverses dont l’objet est de donner à des observations ordinaires l’aspect et le caractère de celles ayant le plus haut degré de précision[19]. » Elle relève de plusieurs sous-catégories telles que la sélection des données (« sur cent observations, "le tortionnaire" sera très malchanceux s’il ne parvient pas à en retenir cinquante ou vingt pour servir son point de vue[20] ») le choix du modèle ou de l’algorithme (« une autre recette répandue consiste à calculer [les données] via deux formules distinctes[20] ») ou l’utilisation de constantes différentes[21].

À la fin du XXe siècle, cette classification s’est considérablement élargie pour venir englober des phénomènes plus divers que la fraude intentionnelle. Avec la formalisation de l’intégrité de la recherche, le vocabulaire et les concepts qui y sont associés ont connu un changement structurel[22]. À la fin des années 1990, l’usage de l’expression fraude scientifique (scientific fraud) fut découragée aux États-Unis au profit d’un « terme semi-légal » : l'inconduite scientifique (scientific misconduct). Le périmètre de la fraude scientifique est vaste : outre la fabrication de données, la falsification et le plagiat, elle inclut « d’autres irrégularités graves » manifestement commises de mauvaise foi[23]. Le concept parent de « pratiques de recherche douteuses », introduit pour la première fois dans un rapport de 1992 du Comité des sciences, de l’ingénierie et des politiques publiques (COSEPUP), est encore plus large puisqu’il englobe aussi les manquements potentiellement involontaires (comme les insuffisances dans le processus de gestion des données de recherche)[24]. En 2016, une étude a identifié pas moins de 34 pratiques de recherche douteuses ou « degrés de liberté » susceptibles d’intervenir à toutes les étapes du projet (hypothèse initiale, méthodologie de l’étude, collecte des données, analyse et compte rendu)[25].

Après 2005, la notion d’intégrité de la recherche a été redéfinie afin de tirer les enseignements de la crise de la reproductibilité. Les études sur le sujet laissent apparaître un continuum entre l’irreproductibilité, les pratiques de recherche douteuses et la fraude scientifique : « En plus d’être une question scientifique, la reproductibilité est aussi une question éthique. Lorsque les scientifiques ne parviennent pas à reproduire un résultat de recherche, ils peuvent soupçonner une fabrication ou une falsification de données[26]. » Dans ce contexte, les débats éthiques se concentrent moins sur quelques scandales très médiatisés que sur des soupçons de violation d’un processus scientifique standard incapable de satisfaire ses propres exigences.

L'intégrité scientifique diffère de l'éthique de la recherche, qui s'attache aux grandes questions que posent les progrès de la science et leurs répercussions sociétales[27]. L'intégrité scientifique relève plutôt de la déontologie du métier de chercheur. L'ensemble éthique-déontologie-intégrité, trois registres de bonnes pratiques, et donc de responsabilités,fortement imbriqués, contribue au déploiement d'une activité de recherche responsable[28],[29]

Problématiques actuelles

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Prévalence des questions éthiques

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En 2009, une méta-analyse de 18 enquêtes estimait que moins de 2 % des scientifiques « admettaient avoir au moins une fois fabriqué, falsifié ou modifié des données ou des résultats ». La prévalence réelle pourrait être sous-estimée du fait de l’autodéclaration par les chercheurs : concernant « le comportement des collègues, le taux d’admission était de 14,12 %[30]. » Plus d’un tiers des personnes interrogées ayant admis les avoir utilisées au moins une fois, les pratiques de recherche douteuses sont plus répandues[30]/ Une vaste enquête menée en 2021 aux Pays-Bas auprès de 6 813 personnes a révélé des estimations nettement plus élevées, 4 % des répondants s’étant livrés à la fabrication de données et plus de la moitié à des pratiques de recherche douteuses[31]. Les taux plus élevés peuvent être attribués soit à une détérioration des normes déontologiques, soit à « une meilleure sensibilisation à l’intégrité de la recherche au cours des dernières années[32]. » Les records de fraude scientifique autodéclarée sont observés en médecine et en sciences de la vie, avec aux Pays-Bas jusqu’à 10,4 % des personnes interrogées qui ont admis une fraude scientifique (fabrication ou falsification des données)[32].

D’autres formes de fraude scientifique ou de pratiques de recherche douteuses sont à la fois moins problématiques et bien plus répandues. Une enquête réalisée en 2012 auprès de 2 000 psychologues a révélé que « la proportion de personnes interrogées qui [s’étaient] livrées à des pratiques douteuses était étonnamment élevée[33] », avec notamment la création de compte rendus sélectifs[33]. D’après une enquête menée en 2018 auprès de 807 chercheurs en écologie et biologie de l’évolution, 64 % « n’ont rapporté aucun résultat car ils n’étaient pas statistiquement significatifs », 42 % ont décidé de collecter des données supplémentaires « après avoir vérifié si les résultats étaient statistiquement significatifs » et 51 % « ont présenté une conclusion inattendue comme s’ils en avaient émis l’hypothèse dès le départ[34]. » Puisque relevant d’autodéclarations, ces chiffres sont susceptibles d’être sous-estimés. Les pratiques de recherche douteuses pourraient donc être encore plus fréquentes[35].

Mise en œuvre et évaluation des codes de conduite

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Plusieurs études de cas et analyses rétrospectives ont été consacrées à l’accueil des codes de conduite par les communautés scientifiques. Elles indiquent souvent un décalage entre les normes théoriques et la « moralité des chercheurs dans la vie pratique[36]. »

En 2004, Caroline Whitbeck soulignait que l’application de quelques règles formelles n’avait globalement pas réussi à enrayer « l’érosion ou la désagrégation » structurelle de la confiance scientifique[37]. En 2009, Schuurbiers, Osseweijer et Kinderler ont mené une série d’entretiens suite à l’adoption en 2005 du code de conduite néerlandais sur l’intégrité de la recherche. La plupart des répondants ne connaissaient ni le code ni aucune autre recommandation éthique[38]. Même si les principes « paraissaient refléter assez bien les normes et les valeurs scientifiques », ils semblaient diverger des pratiques de travail réelles, ce qui pouvait « conduire à des situations moralement complexes[39]. » Les personnes interrogées critiquaient également la philosophie individualiste sous-jacente du code, qui rejetait toute la faute sur le chercheur sans tenir compte des paramètres institutionnels ou communautaires[40]. En 2015, une enquête menée aux États-Unis auprès de « 64 professeurs d’une grande université du sud-ouest […] a produit des résultats similaires » : une part importante des répondants ne connaissait pas les règles éthiques en vigueur, et la communication restait médiocre[36],[41]. En 2019, une étude de cas portant sur des universités italiennes a noté que la prolifération des codes de recherche « est de nature réactive parce que les codes d’éthique sont élaborés à la suite de scandales. Ils sont donc punitifs et négatifs, avec des listes d’interdictions[42]. »

L’identité professionnelle peut être plus fortement impactée par les codes de conduite sur l’intégrité de la recherche. Le développement de codes de recherche a été assimilé à un accaparement des questions d’intégrité de la recherche par les cercles sociaux scientifiques et apparentés – avec des résultats contestés, ce qui en a fait une forme typique de gouvernance en « club du savoir ». Contrairement à bien d’autres questions éthiques susceptibles de s’inscrire dans des débats sociaux de portée plus générale (comme l’égalité des sexes), l’intégrité de la recherche relève d’une forme d’éthique professionnelle comparable à la déontologie des journalistes ou des professionnels de la santé[43]. À ce titre, elle ne se contente pas de créer un cadre moral commun, mais elle « justifie l’existence d’une profession à part entière[43]. » Si l’impact des codes de conduite sur les pratiques éthiques de terrain reste difficile à évaluer, ils ont un impact plus mesurable sur la professionnalisation de la recherche en transformant des normes et des usages informels en principes prédéfinis : « Les codes en général sont soutenus par ceux qui les voient comme un moyen d’encourager la professionnalisation des biologistes (en tant que première étape possible vers l’introduction d’une licence professionnelle) et par ceux qui les plébiscitent afin de prévenir toute autre réglementation[44]. »

Initiatives

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Au niveau mondial

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En 1992 se crée la première structure consacrée à l'intégrité scientifique : le United States Office of Research Integrity (ORI) (en).

En 2007 l'OCDE publie un rapport sur les meilleures pratiques pour promouvoir l’intégrité scientifique et prévenir les méconduites scientifiques (Global Science Forum)[45].

Principaux textes internationaux dans ce domaine :

Les Conférences mondiales sur l'intégrité scientifique (World conferences on research integrity, WCRI) constituent le principal espace de débat international sur le sujet, notamment autour de conférences bisannuelles (Lisbonne 2007, Singapour 2010, Montréal 2013, Rio de Janeiro 2015, Hong Kong 2019, Cape Town 2022).

En Europe

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Le Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche, publié en 2011 et révisé en 2017, développe la notion d'intégrité scientifique sur quatre axes principaux[49] :

  • Fiabilité : concerne la qualité, la reproductibilité de la recherche.
  • Honnêteté : concerne la transparence, l'objectivité de la recherche.
  • Respect : de l'environnement humain, culturel et écologique de la recherche.
  • Responsabilité : concerne les implications de la publication de la recherche.

Les bureaux nationaux consacrés à l'intégrité scientifique mutualisent leurs efforts dans un réseau européen, ENRIO (European network of research integrity offices), qui regroupe 32 membres issus de 24 pays.

En France

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1999: l'Inserm crée une délégation

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L'Inserm a été le premier établissement de recherche de recherche français à se doter d'une délégation à l'intégrité scientifique, dès 1999[50] à la suite d'une suspicion de fraude touchant une de ses équipes.

2010: le rapport Alix

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Le rapport Alix, "Renforcer l'intégrité de la recherche en France"[51], est le premier document à faire le point de la situation en France, ainsi que des propositions d'évolution organisées en 8 recommandations. Rendu en 2010 à la ministre Valérie Pécresse, il n'est suivi que de peu d'effets pendant plusieurs années; quelques établissements commencent toutefois à s'organiser en leur sein, dans le sillage de l'Inserm.

2015: la charte de déontologie des métiers de la recherche

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En janvier 2015 a été signée une "Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche"[52] par la conférence des présidents d'université et les principaux organismes de recherche et instituts. Depuis, la charte constitue le texte fondateur du dispositif national en matière d'intégrité scientifique.

En quelques années, cette charte a été ratifiée par la majorité des établissements de recherche et d'enseignement supérieur français[53].

Au sein des établissements, les référents à l'intégrité scientifique veillent à la promotion de la charte et à sa bonne mise en oeuvre (formation des personnels, dispositions de politique générale de l'établissement favorables à l'intégrité scientifique, définition et mise en oeuvre des procédures notamment en ce qui concerne les enquêtes internes, etc.)[54]. Alors que seuls quatre établissements avaient nommé un référent à l'intégrité scientifique début 2015, ils sont plus de 120 en 2020[53].

En outre, de nombreux praticiens de l'intégrité scientifique, notamment des référents d'établissements, mutualisent leurs efforts et leurs expériences au sein d'un réseau national informel.

Le cas du CNRS
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Signataire fondateur de la charte dès 2015 mais ébranlé depuis par une série d'affaires médiatisées[55] et qui ont conduit à plusieurs rétractations d'articles, touchant successivement un chercheur, la directrice scientifique de celui-ci puis la présidente par intérim, le CNRS a annoncé son dispositif consacré à l'intégrité scientifique fin 2018[56], à l'initiative de son nouveau président Antoine Petit[57]. Le dispositif est articulé avec ceux consacrés à la déontologie et au lancement d'alertes[58].

2016: le rapport Corvol

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En 2016, Thierry Mandon, récemment nommé Secrétaire d'État chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, prend acte de l'adoption croissante de la charte et charge Pierre Corvol de "proposer des mesures opérationnelles pour renforcer encore l'intégrité scientifique en France"[59]. Le rapport Corvol, “Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique“, lui a été remis quelques mois plus tard[60],[27]. Il se focalise sur les questions propres à l'activité de recherche (l'intégrité scientifique à proprement parler), laissant celles qui concernent les conflits d'intérêts –très présentes dans la charte– à la révision en cours simultanément de la loi Le Pors[61] portant droits et obligations des fonctionnaires.

Les 16 propositions du rapport Corvol ont permis de nombreuses dispositions concrètes pour l'intégrité scientifique et la lutte contre la fraude scientifique en France[62],[63], notamment à la suite de la lettre circulaire adressée par le Secrétaire d'État à tous les opérateurs de recherche[64] : cadre sémantique, mise à disposition de ressources partagées, formation des doctorants, conditionnement des financements de la recherche, prise en compte dans l'évaluation, création de l'Office Français de l'Intégrité Scientifique (OFIS).

2017: l'OFIS (Office Français de l'Intégrité Scientifique)

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L'OFIS est créé en mars 2017 sous forme d'un nouveau département au sein du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur[65],[66],[67].

La mission de l'OFIS est triple :

  • Prospective et de veille, notamment dans le cadre des nouvelles formes que prend la recherche (sciences participatives, big data, réutilisation des données, open science) et en lien avec les dynamiques européennes et internationales ;
  • Observation du respect de la charte de déontologie des métiers de la recherche ;
  • Animation des communautés scientifiques nationales sur les questions d’intégrité scientifique.

L'activité de prospective et de veille est notamment le fait du conseil de l'OFIS, le CoFIS (Conseil français de l'intégrité scientifique), composé de 12 personnalités scientifiques. Plus globalement, le CoFIS oriente et supervise les travaux de l'OFIS.

Au titre de sa mission d'animation, l'OFIS entretient et met à jour une bibliothèque virtuelle consacrée aux questions d'intégrité scientifique[68]. Il réunit annuellement la conférence des signataires de la charte, constituée des chefs d'établissements signataires. Il organise annuellement le Colloque français d'intégrité scientifique; l'édition 2019 du colloque a permis d'explorer l'interface entre intégrité scientifique et science ouverte[69],[70], dont les sessions vidéo restent accessibles ainsi que la synthèse[71] (l'édition 2020 a été reportée pour cause de crise sanitaire).

L'OFIS représente la France dans le réseau européen ENRIO (European network of research integrity offices).

La mission ne comprend pas le traitement de dossiers individuels, qui continue de relever des prérogatives des établissements de recherche. Le périmètre de compétence de l'OFIS n'empiète pas non plus sur celui du collège de déontologie du ministère de la recherche[72], chargé de la bonne mise en œuvre de la loi Le Pors[61] et notamment de l'évitement et de la gestion des conflits d'intérêts.

2020: entrée dans le Code de la recherche

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En décembre 2020, l'intégrité scientifique entre dans le Code de la recherche via la loi de programmation de la recherche: l'article L211-2[73] définit le périmètre de l'intégrité scientifique et les devoirs des établissements opérateurs de recherche, et l'article L114-3-1[74] définit le rôle de l'OFIS (via le Hcéres). Cette évolution législative fait suite aux recommandations d’un rapport sur l’intégrité scientifique[75] publié par le député Pierre Henriet et le sénateur Pierre Ouzoulias au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques[76],[77].

  • ALLEA, Code de conduite européen pour l'intégrité en recherche, [49]
  • ENRIO, European network of research integrity offices
  • Pierre Corvol, Bilan et propositions de mise en œuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique, Ministère de l'enseignement supérieur, [27]

Intégrité de la recherche et science ouverte

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Dans les années 2000 et 2010, la notion d’intégrité scientifique s’est progressivement imprégnée des principes de la science ouverte et du meilleur accès aux publications scientifiques. Le débat sur la reproductibilité de la recherche a amplement contribué à cette évolution. Même s’il n’est pas explicitement mentionné dans l’essai fondateur de John Ioannidis Why Most Published Research Findings Are False (Pourquoi la plupart des résultats de recherche scientifique publiés sont faux), le partage des données figure maintenant parmi les recommandations majeures, comme dans les lignes directrices TOP, pour améliorer la reproductibilité de la recherche.

Éthique de la science ouverte

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Les principes éthiques qui sous-tendent la science ouverte existaient avant le développement d’un mouvement organisé en sa faveur. En 1973, Robert K. Merton a théorisé un éthos de la science normatif structuré autour d’une « norme de divulgation ». Cette règle « était loin d’être universellement acceptée » dans les premiers temps des communautés scientifiques, et elle constitue encore « l’un des nombreux préceptes ambivalents de l’institution scientifique[78]. » La divulgation des résultats de la recherche était contrebalancée par les contraintes de publication et d’évaluation qui avaient tendance à en ralentir le processus[78]. Au début des années 1990, la norme de divulgation fut rebaptisée norme d’ouverture ou de science ouverte[79].

Les premiers mouvements en faveur du libre accès et de la science ouverte sont apparus notamment en réaction au modèle des grandes entreprises qui réussit à dominer l’édition scientifique après la Seconde Guerre mondiale[80]. La science ouverte n’a pas été imaginée comme une transformation radicale de la communication scientifique, mais comme la mise en œuvre de principes fondamentaux déjà visibles au début de la révolution scientifique des XVIIe et XVIIIe siècles : l’autonomie et l’autogouvernance des communautés scientifiques ainsi que la divulgation des résultats de la recherche[81].

Depuis 2000, le mouvement de la science ouverte dépasse la question de l’accès aux productions scientifique (publications, données ou logiciels) pour englober tout le processus de recherche. La crise de la reproductibilité a joué un rôle déterminant dans cette évolution, car elle a déplacé les débats sur la définition de la science ouverte au-delà de l’édition scientifique. En 2018, Vicente-Saez et Martinez-Fuentes ont tenté de cartographier la littérature scientifique anglophone indexée dans Scopus et Web of Science pour identifier les valeurs communes aux définitions standard de la science ouverte[82]. L’accessibilité n’est plus la principale dimension de la science ouverte, car elle s’est assortie d’engagements plus récents en faveur de la transparence, du travail collaboratif et de l’impact social[83]. Ces multiples dimensions conceptuelles « englobent les tendances émergentes de la science ouverte, par exemple le code ouvert, les livres de codage ouverts, les cahiers de laboratoire ouverts, les blogues scientifiques, les bibliographies collaboratives, la science citoyenne, l’évaluation par les pairs ouverte ou le pré-enregistrement[84]. »

Ce processus a permis à la science ouverte de se structurer de plus en plus autour d’un ensemble de principes déontologiques : « De nouvelles pratiques de science ouverte se sont développées parallèlement à des formes inédites d’organisation pour la conduite et le partage de la recherche au moyen de référentiels ouverts, de laboratoires physiques ouverts et de plateformes de recherche transdisciplinaires. Cet ensemble de pratiques et de formes d’organisation nouvelles vient enrichir l’éthos de la science dans les universités[85]. »

Codification de l’éthique de la science ouverte

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Jusqu’aux années 2010, la création de recommandations appliquées à partir des valeurs éthiques de la science ouverte était surtout l’œuvre d’initiatives institutionnelles et communautaires. Les lignes directrices TOP (Top Guidelines) furent élaborées en 2014 par un comité pour la promotion de la transparence et de l’ouverture composé de « responsables disciplinaires, rédacteurs en chef de revues, représentants d’organismes de financement et experts principalement issus des sciences sociales et comportementales[86]. » Elles s’appuient sur huit normes, avec différents niveaux de conformité. En dépit de leur modularité, les normes ont aussi pour but la mise en place d’un éthos de la science cohérent, car « elles se complètent mutuellement, puisque l’engagement en faveur d’une norme peut faciliter l’adoption des autres[86]. » Pour chaque norme, le niveau de conformité le plus élevé associe les exigences suivantes :

  • Normes de citation (1), avec « une citation appropriée des données et du matériel » pour chaque publication[87].
  • Transparence des données (2), Transparence des méthodes d’analyse (3) et Transparence du matériel de recherche (4), avec la totalité des données, du code et du matériel de recherche pertinents conservée dans un « site de confiance », et toutes les analyses reproduites de manière indépendante avant la publication[87].
  • Transparence de la méthodologie et de l’analyse (5), avec des normes spécifiques pour « l’évaluation et la publication[87]. »
  • Pré-enregistrement des études (6) et Pré-enregistrement des plans d’analyse (7), avec des publications fournissant « un lien et un badge dans l’article pour répondre aux exigences[87]. »
  • Réplication (8), avec la revue qui utilise les « Rapports enregistrés comme option de soumission pour les études de réplication avec évaluation par les pairs[87]. »

En 2018, Heidi Laine tenta d’établir une liste quasi-exhaustive des « principes éthiques associés à la science ouverte[88]. »

Mises en œuvre des principes de la science ouverte dans les code de conduites(Laine, 2018)
Activité scientifique Principe de la science ouverte Singapore Statement (2010) Montreal Statement (2013) Finnish Code of conduct (2012) European Code of conduct (2017)
(Intitulés complets dans le texte ci-contre)
Publication Libre accès Requis Requis Requis Requis
Données Données scientifiques ouvertes Partiellement requis Mention/encouragement Mention/encouragement Requis
Méthodes de recherche Reproductibilité Mention/encouragement Mention/encouragement Mention/encouragement Requis
Évaluation Évaluation ouverte Pas de mention Pas de mention Pas de mention Pas de mention
Collaboration Science citoyenne, Collaboration ouverte Pas de mention Pas de mention Pas de mention Pas de mention
Communication Science citoyenne, Communication scientifique Mention/encouragement Pas de mention Mention/encouragement Mention/encouragement

Cette catégorisation doit composer avec la diversité des approches et des valeurs associées au mouvement de la science ouverte ainsi qu’avec leur évolution. En effet, « la définition de ce terme restera probablement mouvante, comme avec toute tentative de désigner par un terme unique un système complexe de pratiques, de valeurs et d’idéologies[89]. » Laine a identifié des différences notables d’assimilation des principes de la science ouverte au sein de quatre textes majeurs en lien avec l’intégrité de la recherche : la Déclaration de Singapour sur l’intégrité en recherche (2010), la Déclaration de Montréal sur l’intégrité de la recherche collaborative transfrontalière (2013), le code Responsible Conduct of Research and Procedures for Handling Allegations of Misconduct in Finland (Conduite responsable de la recherche et procédures de traitement des allégations de fraude en Finlande) (2012) et le Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche (2017). L’accès aux publications de recherche est recommandé dans les quatre codes. L’intégration du partage de données et des pratiques de reproductibilité est moins évidente. Elle varie d’une approbation tacite à un soutien détaillé dans le Code de conduite européen : « Le Code européen accorde presque autant d’attention à la gestion des données qu’à la publication. En ce sens également, il reste le plus avancé des quatre textes[90]. » Pourtant, des aspects fondamentaux de la science ouverte sont systématiquement ignorés, en particulier le développement d’infrastructures scientifiques ouvertes, la transparence accrue du processus d’évaluation, le soutien à la science citoyenne et le renforcement de l’impact social. Comme l’observe Laine, globalement « aucun des codes de conduite évalués n’est en contradiction flagrante avec les principes éthiques de la science ouverte, mais seul le Code de conduite européen peut être considéré comme un soutien actif et un pourvoyeur de lignes directrices en faveur de la science ouverte. »

Après 2020, de nouvelles formes de codes de conduite pour la science ouverte ont explicitement prétendu « favoriser l’éthos des pratiques scientifiques ouvertes[91]. » Adoptés en juillet 2020, les Principes de Hong Kong pour l’évaluation des chercheurs reconnaissent la science ouverte comme l’un des cinq piliers de l’intégrité scientifique : « Il semble évident que les différentes modalités de la science ouverte doivent être récompensées dans l’évaluation des chercheurs, car ces comportements augmentent fortement la transparence, qui est un principe fondamental de l’intégrité de la recherche[92]. »

Intégrité de la recherche et société

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Même s’il subsiste une continuité entre les normes procédurales des codes de conduite et les valeurs de la science ouverte, cette dernière a considérablement modifié le cadre et le contexte du débat éthique. En théorie, un partage universel des productions scientifiques ouvertes est possible : leur diffusion n’est pas soumise aux contraintes du modèle classique d’adhésion à un club du savoir. Les implications sont également plus vastes, puisque les usages abusifs potentiels des publications scientifiques ne se limitent plus aux professionnels de la science. La différence était déjà visible à la fin des années 2000, même si on utilisait pour la qualifier « plusieurs expressions à la mode[36] » : dans une étude de cas sur la mise en œuvre du code de conduite néerlandais, Schuubiers, Osseweijer et Kinderlerer identifiaient déjà une « évolution des pratiques », désignée « par de multiples appellations, comme la science de mode 2, la science post-normale ou la science post-académique », qui vient affecter de nombreux domaines tels que l’évolution technologique dans la gestion de la recherche, la plus forte implication des acteurs privés, l’innovation ouverte ou le libre accès[93]. Ces tendances structurelles n’étaient pas bien prises en compte dans les codes de conduite existants[93].

Dans les années 1990 et 2000, les débats sur l’intégrité de la recherche se sont de plus en plus professionnalisés et détachés de l’espace public. La transition vers la science ouverte pourrait contredire cette tendance, puisque l’éventail des acteurs concernés et des réutilisateurs potentiels de la production scientifique s’est étendu bien au-delà des cercles universitaires professionnels. En 2018, Heidi Laine soulignait que les codes de conduite en vigueur n’avaient pas encore franchi cette étape décisive : « Le seul aspect où même le Code européen pèche dans la reconnaissance pleine et entière de la science ouverte, c’est son incapacité à soutenir la science citoyenne, la collaboration ouverte et la communication scientifique pour franchir la frontière séculaire qui limite la communauté de la recherche aux seuls professionnels[94]. » En négligeant d’intégrer ce nouvel environnement, les codes de conduite risquent de se déconnecter de plus en plus de la réalité des pratiques scientifiques :

«  Si les aspects éthiques de la science ouverte continuent d’être ignorés dans les réflexions et les lignes directrices des codes de conduite pour une recherche responsable (CCRR), la communauté de la recherche risque de perdre sur les deux fronts : la science ouverte et l’intégrité de la recherche. La science ouverte relève autant de l’éthique et des valeurs que de la technologie. Il s’agit avant tout du rôle de la science dans la société. Peut-être ce débat sur les valeurs est-il le plus exhaustif que la communauté de la recherche n’ait jamais connu, et aussi bien l’intégrité de la recherche que les communautés d’experts risquent d’être laissés de côté[95].  »

L’élargissement des discussions sur l’intégrité scientifique a entraîné une plus forte implication des représentants et des institutions politiques, au-delà des comités scientifiques spécialisés et des bailleurs de fonds. En 2021, le gouvernement français a adopté un décret sur l’intégrité scientifique appelant à généraliser les pratiques de science ouverte[96].

Références

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  96. Décret

Bibliographie

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Ouvrages et thèses

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  • William J. Broad et Nicholas Wade, Betrayers of the Truth, Simon and Schuster, (ISBN 978-0-671-44769-4)
  • Peter Suber, Open Access, Cambridge, Mass, The MIT Press, (ISBN 978-0-262-51763-8)
  • Bernard Rentier, Open Science, the challenge of transparency, Académie royale de Belgique,
  • Research Ethics, Routledge, (ISBN 978-1-351-90400-1)

Rapports

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  • Gerhard Pauly, OSCAR open science code of conduct, Fraunhofer-Gesellschaft zur Förderung der Angewandten Forschung e.V.,
  • M Pierre Henriet et M Pierre Ouzoulias, Promouvoir et protéger une culture partagée de l'intégrité scientifique, Assemblée nationale,

Articles

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Autres sources

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Articles connexes

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