Nombre de Stirling
En mathématiques, les nombres de Stirling apparaissent dans plusieurs problèmes combinatoires. Ils tirent leur nom de James Stirling, qui les a introduits au XVIIIe siècle. Il en existe trois sortes, nommés les nombres de Stirling de première espèce signés et non signés, et les nombres de Stirling de seconde espèce.
Notations
modifierDiverses notations sont utilisées pour les nombres de Stirling, parmi lesquelles[1] :
- nombres de Stirling de première espèce « signés » : ;
- nombres de Stirling de première espèce « non signés » : ;
- nombres de Stirling de seconde espèce : .
La notation avec crochets, analogue à celle utilisée pour les coefficients binomiaux, est due à Jovan Karamata, qui l'a proposée en 1935. Son usage a été encouragé par Donald Knuth[2] mais, outre son ergonomie discutable[3], elle comporte un risque de confusion avec les coefficients binomiaux de Gauss (présentés dans l'article « q-analogue »). Nous nous limiterons donc, pour chacun des trois types de nombres, à la première notation correspondante ci-dessus.
Nombre de Stirling de première espèce
modifierLes nombres de Stirling de première espèce signés s(n, k) ,pour n, k entiers naturels, sont les coefficients du développement de la factorielle décroissante (x)n, c'est-à-dire que
((x)0 = 1 car il s'agit d'un produit vide).
Le nombre s(n, k) a même signe que (–1)n – k.
Les nombres de Stirling de première espèce non signés |s(n, k)| (valeurs absolues des précédents) sont les coefficients du développement de la factorielle croissante (x)n, c'est-à-dire que
Ils ont aussi une définition combinatoire : cf. § #Interprétation combinatoire ci-dessous.
Table de valeurs
modifierVoici une table donnant quelques valeurs des s(n, k) (suites A008275 et A008276 de l'OEIS), que l'on peut calculer ligne par ligne grâce à la relation de récurrence du § suivant, de même que le triangle de Pascal :
n \ k | 0 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
0 | 1 | |||||||||
1 | 0 | 1 | ||||||||
2 | 0 | –1 | 1 | |||||||
3 | 0 | 2 | –3 | 1 | ||||||
4 | 0 | –6 | 11 | –6 | 1 | |||||
5 | 0 | 24 | –50 | 35 | –10 | 1 | ||||
6 | 0 | –120 | 274 | –225 | 85 | –15 | 1 | |||
7 | 0 | 720 | –1764 | 1624 | –735 | 175 | –21 | 1 | ||
8 | 0 | –5040 | 13068 | –13132 | 6769 | –1960 | 322 | –28 | 1 | |
9 | 0 | 40320 | –109584 | 118124 | –67284 | 22449 | –4536 | 546 | –36 | 1 |
Expression sommatoire
modifierEn partant de la relation , et en utilisant les relations entre coefficients et racines, on obtient [4] :
- , pour .
- Exemple
Pour tout entier n supérieur ou égal à 1 :
Formule de récurrence
modifierLes nombres de Stirling de première espèce signés vérifient la relation de récurrence
avec les conditions initiales
- .
Leurs valeurs absolues vérifient (avec mêmes conditions initiales) la relation de récurrence
- .
Chacune des deux relations de récurrence peut se déduire de l'autre. De plus, la première découle de la relation de récurrence des factorielles décroissantes :
et la seconde, d'un raisonnement combinatoire ou de la relation de récurrence des factorielles croissantes :
- .
Identités simples
modifierRemarquons que
- ,
- ,
- .
Il existe d'autres identités, comme
où Hn est un nombre harmonique et
où Hn(m) est un nombre harmonique généralisé.
Des relations similaires lient les nombres de Stirling de première espèce aux polynômes de Bernoulli. Un grand nombre de relations liées aux nombres de Stirling cachent des relations similaires liées aux coefficients binomiaux. L'étude des relations entre ces deux nombres est le calcul ombral et est un domaine important de la théorie des suites de Sheffer.
Formules explicites
modifierOn peut montrer[5] la relation suivante entre nombres de Stirling de première et seconde espèce :
d'où, utilisant la formule pour ces derniers qui sera donnée plus bas :
ou encore, après simplifications :
Fonction génératrice
modifierOn peut démontrer plusieurs identités en manipulant la fonction génératrice :
- .
En particulier, on peut inverser l'ordre de la sommation et prendre des dérivées, puis fixer t ou x.
Sommes finies
modifierSi on prend x = -1, qu'on développe et qu'on identifie les puissances de t dans les deux développements, on obtient :
Sommes infinies
modifierSi on développe l'exponentielle et qu'on identifie les puissances de x dans les deux développements, on obtient :
- ,
valide pour .
Interprétation combinatoire
modifierLa valeur absolue du nombre de Stirling de première espèce compte le nombre de permutations de n objets composés d'exactement k cycles disjoints. Par exemple, correspond au fait que le groupe symétrique possède trois permutations de la forme
- — 2 cycles de longueur 2
et huit permutations de la forme
- — 1 cycle de longueur 3 et 1 cycle de longueur 1.
La valeur absolue du nombre de Stirling de première espèce compte aussi le nombre de permutations de n objets ayant exactement k records. Cette identité entre records et cycles résulte de la correspondance fondamentale de Foata. La forme produit de la série génératrice des nombres de Stirling de première espèce résulte de l'indépendance des termes du code de Lehmer d'une permutation, code très lié aux records d'une permutation. L'interprétation des nombres de Stirling en fonction du nombre de records explique l'apparition des nombres de Stirling dans l'analyse de l'algorithme de recherche du maximum, qui est la première analyse d'algorithme traitée dans le livre fondateur de Knuth, The Art of Computer Programming.
Nombre de Stirling de seconde espèce
modifierDéfinition combinatoire
modifierLes nombres de Stirling de seconde espèce S(n, k) sont définis combinatoirement de trois façons équivalentes :
- S(n, k) est le nombre de relations d'équivalence ayant k classes d'équivalence définies sur un ensemble de n éléments ;
- S(n, k) est le nombre de partitions d'un ensemble à n éléments en k sous-ensembles ;
- k! × S(n, k) est le nombre de surjections d'un ensemble à n éléments sur un ensemble à k éléments. Attention, ce dernier nombre est lui aussi souvent noté S(n, k) ou s(n, k).
Formule explicite
modifierLes nombres de Stirling de seconde espèce sont donnés par la formule explicite
- ,
laquelle s'obtient par exemple[6],[7] en remarquant que le nombre de surjections (d'un ensemble à n éléments vers un ensemble à k éléments) peut se compter par la formule d'inclusion-exclusion : on compte toutes les applications moins celles n'atteignant pas un certain élément, plus celles n'atteignant pas deux éléments, moins...
Relation de récurrence
modifierÀ partir de la définition combinatoire, on peut également démontrer[8],[7] que ces nombres vérifient la relation de récurrence
avec les conditions initiales
- .
Caractérisation algébrique
modifierOn déduit de la relation de récurrence ci-dessus[9],[7] que
où (symbole de Pochhammer),
ce qui fournit une définition algébrique des nombres de Stirling de deuxième espèce, équivalente à la définition combinatoire initiale.
Cette formule est utilisée par exemple dans l'expression des sommes .
Table de valeurs
modifierVoici quelques valeurs des nombres de Stirling de seconde espèce (suites A008277 et A008278 de l'OEIS) :
n \ k | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
0 | 1 | |||||||||
1 | 0 | 1 | ||||||||
2 | 0 | 1 | 1 | |||||||
3 | 0 | 1 | 3 | 1 | ||||||
4 | 0 | 1 | 7 | 6 | 1 | |||||
5 | 0 | 1 | 15 | 25 | 10 | 1 | ||||
6 | 0 | 1 | 31 | 90 | 65 | 15 | 1 | |||
7 | 0 | 1 | 63 | 301 | 350 | 140 | 21 | 1 | ||
8 | 0 | 1 | 127 | 966 | 1701 | 1050 | 266 | 28 | 1 | |
9 | 0 | 1 | 255 | 3025 | 7770 | 6951 | 2646 | 462 | 36 | 1 |
Identités simples
modifierOn a par exemple S(n, n) = 1,
et
- .
Le nombre total de partitions d'un ensemble à n éléments,
- ,
est le n-ième nombre de Bell.
Rapport avec la distribution de Poisson
modifierSi X est une variable aléatoire suivant une distribution de Poisson avec une moyenne λ, alors son n-ième moment est
- .
En particulier, le n-ième moment d'une distribution de Poisson de moyenne 1 est précisément le nombre de partitions d'un ensemble de taille n, qui est le n-ième nombre de Bell (formule de Dobinski).
Relation de réciprocité
modifierD'après leur caractérisation algébrique, les nombres de Stirling de première et seconde espèce, disposés, comme dans les tables de valeurs ci-dessus, en deux matrices triangulaires infinies, constituent les deux matrices de passage (dans un sens et dans l'autre) entre deux bases de l'espace des polynômes[10] : la base canonique des monômes Xk et la base des symboles de Pochhammer X(X – 1)(X – 2)…(X – k + 1). Le fait que ces deux matrices sont inverses l'une de l'autre se traduit par[11] :
où est le symbole de Kronecker.
Nombres de r-Stirling
modifierUne généralisation de la définition des nombres de Stirling fait intervenir un troisième paramètre entier , de sorte que[12]:
- si désigne le nombre de permutations sur {1,..., }, comportant cycles, ajoute comme condition que les nombres 1, 2, ... , sont dans des cycles différents ;
- si désigne le nombre de partitions de {1,..., }, en ensembles disjoints non vides, ajoute comme condition que les nombres 1, 2, ... , sont dans des ensembles différents.
Notes et références
modifier- D'autres encore sont utilisées par Abramowitz et Stegun.
- (en) D. E. Knuth, Two notes on notation (source TeX).
- Louis Comtet, Analyse combinatoire élémentaire, Techniques Ingénieur, coll. « Mathématiques concrètes », , 687 p. (ISBN 978-2-84180-981-3, lire en ligne), p. 24.
- Comtet 1970, p. 48
- Pour une démonstration, voir par exemple Louis Comtet, Analyse combinatoire, t. 2, PUF, , p. 51.
- Comtet 1970, p. 38.
- Voir aussi .
- Voir par exemple Louis Comtet, Analyse combinatoire approfondie, Techniques Ingénieur, coll. « Mathématiques concrètes », (lire en ligne), p. 3-4.
- Comtet 2003, p. 5.
- Espace vectoriel K[X] des polynômes en une indéterminée sur un corps commutatif K, ou même module libre A[X] des polynômes à coefficients dans un anneau commutatif A.
- Abramowitz et Stegun, p. 825.
- (en) Andrei Z. Broder, « The r-Stirling numbers », Discrete Mathematics, North-Holland, vol. 49, no 3, , p. 241-259 (DOI 10.1016/0012-365X(84)90161-4)
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- (en) Milton Abramowitz et Irene Stegun, Handbook of Mathematical Functions with Formulas, Graphs, and Mathematical Tables [détail de l’édition] (lire en ligne), « Stirling Numbers », § 24.1.3-4, p. 824-825
- (en) Louis Comtet, Advanced Combinatorics : The Art of Finite and Infinite Expansions, D. Reidel, , 343 p. (ISBN 978-90-277-0441-2, lire en ligne)
- (en) Victor Adamchik, « On Stirling Numbers and Euler Sums », Journal of Computational and Applied Mathematics, vol. 79, , p. 119-130 (lire en ligne)
- (en) Arthur T. Benjamin, Gregory O. Preston et Jennifer J. Quinn, « A Stirling Encounter with Harmonic Numbers », Mathematics Magazine, vol. 75, no 2, , p. 95-103 (lire en ligne)
- (en) J. M. Sixdeniers, K. A. Penson et A. I. Solomon, « Extended Bell and Stirling Numbers From Hypergeometric Exponentiation », Journal of Integer Sequences, vol. 4, no 01.1.4, (lire en ligne)
- (en) Hsien-Kuei Hwang, « Asymptotic Expansions for the Stirling numbers of the first kind », Journal of Combinatorial Theory, a, vol. 71, no 2, , p. 343-351 (DOI 10.1016/0097-3165(95)90010-1, lire en ligne)
Articles connexes
modifier- Code de Lehmer
- Correspondance fondamentale de Foata
- Cycles et points fixes
- Nombre eulérien
- Nombre de Lah
- Polynôme de Bell
- Polynôme de Touchard
- Suite de polynômes
- Nombres de Stirling et fonctions génératrices exponentielles en combinatoire symbolique (en)
- Transformée de Stirling (en)
Liens externes
modifier- (en) Eric W. Weisstein, « Stirling Number of the First Kind », sur MathWorld
- (en) E. Weisstein, « Stirling Number of the Second Kind », sur MathWorld
- (en) rmilson (146), « Stirling numbers of the first kind », sur PlanetMath
- (en) rmilson (146), « Stirling numbers of the second kind », sur PlanetMath