Valeur propre (synthèse)

article de synthèse
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Les notions de vecteur propre, de valeur propre, et de sous-espace propre s'appliquent à des endomorphismes (ou opérateurs linéaires), c'est-à-dire des applications linéaires d'un espace vectoriel dans lui-même. Elles sont intimement liées, et forment un pilier de la réduction des endomorphismes, partie de l'algèbre linéaire qui vise à décomposer de la manière la plus efficace possible l'espace en somme directe de sous-espaces stables.

La matrice a deux directions propres : elle multiplie par 3 les vecteurs colinéaires à (en bleu) et par 1 ceux colinéaires à (en rose). Elle modifie la direction des autres vecteurs (en rouge).

Définitions et propriétés

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Dans toute la suite, on considère un espace vectoriel  , sur un corps commutatif  . Les éléments de   sont les vecteurs et ceux de   sont les scalaires. En pratique, le corps   est souvent le corps   des complexes et l'espace vectoriel est de dimension finie. On précisera dans chaque section, les restrictions éventuelles sur le corps ou la dimension. On notera   un endomorphisme de   et   l'endomorphisme identité.

Valeur propre

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Définition[1] — Un scalaire   est une valeur propre de   s'il existe un vecteur   non nul tel que  .

Les valeurs propres de   sont donc les scalaires   tels que   n'est pas injectif (autrement dit son noyau n'est pas réduit au vecteur nul).

Les valeurs propres d'une matrice carrée   de taille   sont les valeurs propres de l'endomorphisme de   de matrice   dans la base canonique.

Si   est de dimension finie  , les valeurs propres de   (ou de sa matrice   dans n'importe quelle base) :

Exemples :

  • si   alors   ne possède qu'une valeur propre :  .
  • si   est défini sur   par   alors   possède deux valeurs propres :
    •   car  
    •   car  
    • pas d'autre valeur propre puisque la dimension est  .

Vecteur propre

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Définition[1] — Soit   un vecteur non nul de  ,   est un vecteur propre de   s'il existe un scalaire   tel que  . On dit que   est un vecteur propre associé à la valeur propre  .

Les vecteurs propres (associés à une valeur propre  ) d'une matrice carrée   de taille   sont les vecteurs propres (associés à la valeur propre  ) de l'endomorphisme de   représenté par  .

  • Un vecteur propre ne peut pas être associé à deux valeurs propres différentes
  • Une famille de   vecteurs propres associés à   valeurs propres différentes constitue une famille libre[2].

Sous-espaces propres

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Définition[1] — Soit   une valeur propre de   (resp.  ) ; alors l'ensemble constitué des vecteurs propres pour la valeur propre   et du vecteur nul est appelé le sous-espace propre de   (resp.  ) associé à la valeur propre  .

  • Le sous-espace propre associé à une valeur propre   est le noyau de  . C'est donc un sous-espace vectoriel.
  • Par définition d'une valeur propre, un sous-espace propre n'est jamais réduit au vecteur nul.
  • Pour une matrice carrée   de taille  , on trouve le sous-espace propre associé à une valeur propre   en résolvant le système (homogène) de   équations linéaires à   inconnues dont l'écriture matricielle est  .
  • Les espaces propres   de valeurs propres   forment une somme directe de sous-espaces vectoriels stables par  [3].
    C'est une conséquence du lemme des noyaux, appliqué aux polynômes  , qui sont deux à deux premiers entre eux.
    Cette somme directe des   est égale à   si et seulement si l'endomorphisme est diagonalisable.
  • Si deux endomorphismes   et   commutent, alors tout sous-espace propre de u est stable par v.

Polynôme caractéristique

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On suppose ici que   est de dimension finie  .

On appelle « polynôme caractéristique » de l'endomorphisme  , le polynôme  , et « polynôme caractéristique » d'une matrice carrée   d'ordre  , le polynôme caractéristique de l'endomorphisme de   canoniquement associé à  , c'est-à-dire le polynôme  , où   est la matrice identité  . Ce polynôme est de degré  , donc a au plus   racines[4].

  • Soit a : EF un isomorphisme d'espaces vectoriels, c'est-à-dire une application linéaire bijective, alors u et aua−1 ont même polynôme caractéristique et donc mêmes valeurs propres[5].
    En effet,
     
  • Le polynôme caractéristique de   est donc égal à celui de sa matrice   dans n'importe quelle base.
  • Les racines du polynôme caractéristique de   (ou de  ) sont ses valeurs propres[6].
    En effet, un endomorphisme est de déterminant nul si et seulement s'il est non injectif.
  • Si   est algébriquement clos, ou encore si   est   le corps des nombres réels et   est impaire, alors   possède au moins une valeur propre.
    Dire qu'un corps est algébriquement clos, c'est dire que tout polynôme non constant admet au moins une racine. Cette racine est nécessairement une valeur propre, d'après le premier point ci-dessus. D'autre part, un polynôme réel de degré impair a toujours une racine réelle.

L'ordre de multiplicité algébrique d'une valeur propre   est l'ordre de multiplicité de la racine dans le polynôme caractéristique[7]. C'est donc l'exposant de   dans le polynôme caractéristique.

  • Dans un corps algébriquement clos :
    • Le déterminant est égal au produit des valeurs propres élevées à leur ordre de multiplicité algébrique ;
    • La trace est égale à la somme des valeurs propres multipliées par leur ordre de multiplicité algébrique.

Polynôme minimal

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On se place ici dans le cadre d'un espace vectoriel   de dimension finie.

On appelle « polynôme minimal » de   le polynôme unitaire de plus petit degré qui annule  [8]. Le polynôme minimal donne une relation de dépendance linéaire sur les puissances  , de l'endomorphisme, et réciproquement une telle relation de dépendance linéaire fournit un polynôme annulateur de  , le polynôme minimal en minimisant le degré et en prenant le coefficient 1 pour la plus grande puissance de   qui intervient.

  • Les racines du polynôme minimal sont les valeurs propres de  [9].
Si le polynôme minimal se factorise  , alors   est l'endomorphisme nul, alors que   ne l'est pas (car le degré de   est trop bas). Par conséquent il existe des vecteurs non nuls dans l'image de  , qui sont des vecteurs propres pour  .
  • Plus généralement pour tout entier  , le polynôme minimal est divisible par   si et seulement si le noyau de   est strictement plus grand que celui de  . Par conséquent, la multiplicité   de   comme racine du polynôme minimal est égale au plus petit exposant tel que le noyau de   soit égal au sous-espace caractéristique associé à la valeur propre  . On l’appelle multiplicité minimale de  [réf. nécessaire].
  • Soit a un automorphisme de  , alors   et   ont même polynôme minimal (et donc mêmes valeurs propres). Autrement dit le polynôme minimal est un invariant de similitude de l'endomorphisme[réf. nécessaire].
    En effet,   est égal à  , pour tout polynôme  .
  • Sur un corps algébriquement clos, le polynôme minimal (comme tout polynôme non nul) est scindé, et possède donc au moins une racine, qui est valeur propre de   (exception : si la dimension de E est nulle, le polynôme minimal est 1, tout comme le polynôme caractéristique, et   n'a pas de valeur propre).
  • Le théorème de Cayley-Hamilton permet d'affirmer que le polynôme minimal divise le polynôme caractéristique.

Sous-espaces caractéristiques

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On suppose que   est de dimension finie et que   est algébriquement clos.

Si   est une valeur propre de  , dont l'ordre de multiplicité est  , on appelle « sous-espace caractéristique » de   associé à la valeur propre   le noyau de  . On notera ce sous-espace caractéristique  .

  •   est aussi le noyau de    est l'ordre de multiplicité de   dans le polynôme minimal.
  •   est stable par  .
  •  .
  • L'espace   est somme directe de ses sous-espaces caractéristiques.
  • la restriction de   à   a pour polynôme minimal  .

Réduction d'endomorphisme

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On suppose que   est de dimension finie. L'étude des valeurs propres permet de trouver une forme plus simple des endomorphismes, c'est ce qu'on appelle leur réduction.

Diagonalisation

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L'endomorphisme est entièrement déterminé par ses vecteurs propres et ses valeurs propres associées s'il est diagonalisable, c'est-à-dire s'il existe une base de vecteurs propres. Des exemples numériques sont donnés dans l'article « Matrice diagonalisable ». Les critères suivants sont tous des conditions nécessaires et suffisantes pour qu'un endomorphisme d'un espace vectoriel de dimension finie soit diagonalisable :

  • Il existe une base de vecteurs propres
  • la somme des espaces propres est l'espace entier
  • la somme des dimensions des espaces propres est égale à la dimension de l'espace entier
  • le polynôme minimal est scindé sur   et à racines simples. (Démonstration dans Polynôme d'endomorphisme.)
  • tout sous-espace propre possède une dimension égale à la multiplicité algébrique de la valeur propre associée.
  • toute représentation matricielle   de   est diagonalisable, c'est-à-dire peut s'écrire sous la forme  avec   et   matrices respectivement inversible et diagonale.

À ces propriétés équivalentes s'ajoutent les implications suivantes :

  • S'il existe   valeurs propres distinctes, alors   est diagonalisable.
  • Si   est diagonalisable, alors son polynôme caractéristique est scindé.

Dans le cas où le corps est  , cette propriété est presque partout vraie au sens de la mesure de Lebesgue. De plus, dans l'espace topologique des endomorphismes de   , le sous-ensemble de ceux qui sont diagonalisables est alors dense.

Décomposition de Dunford

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Si le polynôme minimal de   est scindé, alors   peut s'écrire sous la forme   avec   diagonalisable et   nilpotent tels que  . De plus,   et   sont des polynômes en  .

Représentation de Jordan

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On suppose que   est algébriquement clos.

La représentation de Jordan prouve qu'alors, tout endomorphisme   de   est trigonalisable. Elle démontre que la restriction de   au sous-espace caractéristique associé à la valeur propre   possède une représentation formée de blocs de la forme

 

appelés « blocs de Jordan » et que l'endomorphisme possède une représentation matricielle sous la forme

 

où les scalaires   (non nécessairement distincts) sont les valeurs propres de  .

Références

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  1. a b et c Mansuy et Mneimné 2022, 1.1 Définition, p. 51.
  2. Mansuy et Mneimné 2022, 1.2 Proposition, p. 51.
  3. Mansuy et Mneimné 2022, 1.6 Proposition et 1.8 Remarque, p. 53.
  4. Mansuy et Mneimné 2022, 2.1 Définition, p. 54.
  5. Mansuy et Mneimné 2022, 2.2 Proposition, p. 54.
  6. Mansuy et Mneimné 2022, 2.8 Proposition, p. 55.
  7. Mansuy et Mneimné 2022, 2.11 Définition, p. 56.
  8. Mansuy et Mneimné 2022, 3.1 Définition et 3.2 Remarque, p. 4.
  9. Mansuy et Mneimné 2022, 1.11 Proposition, p. 54.

Voir aussi

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Articles connexes

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Bibliographie

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