Roman national

récit national, narration romancée qu'une nation offre de sa propre histoire

Le roman national, ou récit national, est la narration romancée qu'une nation offre de sa propre histoire. Dotée d'ajouts d'origine fictive, elle participe à l'identité nationale. Le roman national est le fruit de l'amalgame d'épisodes historiques plus ou moins héroïques ou légendaires qui mettent en lumière des valeurs considérées comme essentielles par la nation. Il se construit au fil des siècles par la sédimentation d'une imagerie populaire, aussi bien dans la littérature que dans des arts visuels comme la peinture ou la sculpture.

Partie du Kyffhäuserdenkmal en Allemagne.

Histoire

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Le roman national, souvent appelé récit national par ses partisans, se construit avec la montée du nationalisme romantique au XIXe siècle. C'est à cette époque que le sentiment national est propice à l'élaboration de ce type de narration. Les romans nationaux se multiplient à la faveur d'essais ou d'ouvrages qui réécrivent l'histoire[1]. Michelet écrit un ouvrage sur Jeanne d'Arc afin de romancer sa vie[2], Vercingétorix devient un héros français sous le Second Empire.

Le roman national est présent dans la culture de différents pays depuis au moins le XIXe siècle [3] mais sa critique date des années 1930[3], tandis que l'expression roman national n'apparaît qu'en 1992, dans Les Lieux de mémoire de Pierre Nora[4],[5].

Dans les années 1930 l'École des Annales, fondée par les historiens Lucien Febvre et Marc Bloch, remet en cause les récits historiques linéaires, faits d'une succession d'événements et centrés sur les grands hommes, et se consacre au temps long et aux problématiques sous-jacentes. Dans l'après-guerre, Fernand Braudel, Georges Duby et d'autres poursuivent ces travaux sur l'histoire sociale et économique, au-delà des simples événements. Dans les années 1960-1970, les historiens se démarquent nettement du roman national français en abordant des thèmes jusque là passés sous silence car peu glorieux, comme la traite des Noirs, la colonisation et ses excès, ou le régime de Vichy[3].

En France, il faut attendre la fin du XXe siècle et le XXIe pour que le renoncement au roman national se traduise dans les propos de plusieurs personnalités politiques, renoncement qui n'est pas unanime[3].

Fonctions

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Valorisation du groupe

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La première fonction du roman national est la valorisation du groupe. Ainsi, les manuels scolaires de la Troisième République française exaltaient-ils les grands penseurs des Lumières françaises, comme Montesquieu, Voltaire, Condorcet, etc., en en faisant des représentants du génie français[6].

La valorisation du groupe peut passer par l'évocation d'ancêtres prestigieux plus ou moins légendaires. Afin de définir la Turquie en tant que république laïque et ouverte sur la modernité, Mustafa Kemal Atatürk décida de mettre en valeur l'héritage des Hittites de l'Antiquité plutôt que celle de l'Empire ottoman islamique[7]. L'Iran gouvernée par la dynastie Pahlavi, moderniste et laïque, fit référence au passé pré-chiite aryen du pays ; une fois la Révolution islamique iranienne de 1979 finie, le nouveau régime mit en valeur les traditions chiites du pays[8].

Différenciation du groupe

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La deuxième fonction du roman national est de différencier le groupe national vis-à-vis des autres nations. Les manuels d'Ernest Lavisse visaient à définir un esprit français, à partir de la culture française et de ses productions, afin d'en dégager des éléments uniques ou caractéristiques[9]. Dans un autre registre, les populations chrétiennes assyro-chaldéennes d'Irak et d'Iran font référence aux Assyriens antiques afin de se différencier des populations arabes musulmanes de ces pays[10].

Conciliation et réconciliation des mémoires

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Le roman national, enfin, peut permettre une conciliation ou une réconciliation des mémoires ou de franges de la population. Ernest Renan, dans Qu'est-ce qu'une nation ?, écrit que « l’oubli, et même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation »[11]. Nicole Loraux souligne que l'Athènes antique a procédé, en 403 av. J.-C., à une amnésie volontaire afin de réconcilier la population après la guerre civile[12]

Auteurs

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Programmes scolaires en France

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Le roman national peut être mis en forme par l'État via les programmes scolaires. L'école est alors un vecteur de diffusion majeur[13]. Les manuels d'histoire d'Ernest Lavisse jouent un rôle déterminant dans la création du roman national en France sous la IIIe République[14]. Elle permet de construire la société républicaine française et écrit l'Histoire de France de manière téléologique[15]. En affirmant l'État-nation, elle permet de créer une communauté imaginée[16].

Journalisme et fiction

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Le roman national est généralement écrit à plusieurs mains. Il est pétri par l'activité de journalistes, d'auteurs, de romanciers, etc. Les historiens du XIXe siècle ont joué un rôle majeur en tant qu'ils ont écrit des essais historiques mettant en valeur une histoire narrée de la nation française, de ses origines jusqu'à la modernité[17].

Critiques et limites

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En France

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La question du roman national revient dans le débat public de manière régulière[18].

Le roman national, en ce qu'il conduit à tordre l'Histoire et à la rendre de manière biaisée, est critiqué à partir des années 1990[19]. L'historien Pierre Nora considère que la nation, « n'[étant] plus un combat mais un donné », peut se permettre de ne plus être sous-tendu par un roman national[20]. La question de l'enseignement du roman national fait l'objet de débats[21].

En 2022, un collectif d'historiens publient un ouvrage intitulé Éric Zemmour contre l'histoire[22] dans lequel certaines affirmations inexactes ou erronées sur l'histoire de France émises par le polémiste à l'occasion de ses prises de parole publiques sont démenties. Cet ouvrage traite notamment de la manière dont l'histoire de France, lorsqu'elle est romancée, permet à des mouvances réactionnaires ou nationalistes de fantasmer l'identité nationale afin de promouvoir une idéologie chauviniste.

Dans le monde

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Le plus célèbre des cas est encore, pour ce qui est du peuple juif, la première partie de la Bible: tout ce qui est postérieur à la légende d'Abraham mais antérieur aux historiques rois David et Salomon. Notamment Moïse, l'esclavage en Egypte, l'exode, la Terre promise. Il n'y a aucune trace archéologique de ces épisodes. Voir à ce sujet les travaux d'Israël Finkelstein qui, lui, a surtout constaté une grande continuité dans le peuplement local cananéen et l'aménagement du territoire. Tout ceci a donc vraisemblablement été ajouté sous le règne du roi Josias ( - 640) et pour venir à l'appui de sa politique.


Notes et références

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Références

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  1. Shlomo Sand, Crépuscule de l'Histoire. La fin du roman national ?, Flammarion, (ISBN 978-2-08-141791-5, lire en ligne)
  2. Jules Michelet, Jeanne d'Arc: Du récit au roman national, BoD - Books on Demand, (ISBN 978-2-322-23341-0, lire en ligne)
  3. a b c et d Anne-Aël Durand, « « Roman national », « récit national » : de quoi parle-t-on ? », sur Le Monde, (consulté le )
  4. « roman national », sur herodote.net (consulté le ).
  5. Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, vol. I, t. 3, Gallimard, (présentation en ligne).
  6. Bernard Richard, Les emblèmes de la république: Préface d'Alain Corbin, CNRS, (ISBN 978-2-271-07366-2, lire en ligne)
  7. Robert Mantran, Histoire de la Turquie, Presses universitaires de france, (ISBN 2-13-045596-4 et 978-2-13-045596-7, OCLC 28320845)
  8. Shahrough Akhavi, Religion and politics in contemporary Iran : clergy-state relations in the Pahlavī period, State University of New York Press, (ISBN 0-585-09055-6, 978-0-585-09055-9 et 0-87395-408-4, OCLC 42636903)
  9. Alexandra Baudinault, Lucie Gomes et Thierry Truel, Histoire-Géographie-EMC- CRPE 2022 - Épreuve écrite d'admissibilité, Hatier, (ISBN 978-2-401-08475-9, lire en ligne)
  10. Annie Chabry, Politique et minorités au Proche-Orient : les raisons d'une explosion, (ISBN 2-7068-0875-6 et 978-2-7068-0875-3, OCLC 12422623)
  11. (en) E. J. Hobsbawm, Eric John Ernest Hobsbawm, Hobsbawm, Eric J. Hobsbawm et Hobsbawm E. J, Nations and Nationalism Since 1780: Programme, Myth, Reality, Cambridge University Press, (ISBN 978-0-521-43961-9, lire en ligne)
  12. Nicole Loraux, La cité divisée l'oubli dans la mémoire d'Athènes, Payot & Rivages, (ISBN 2-228-89961-5 et 978-2-228-89961-1, OCLC 493272255)
  13. (en) Christopher W. Berg et Theodore M. Christou, The Palgrave Handbook of History and Social Studies Education, Springer Nature, (ISBN 978-3-030-37210-1, lire en ligne)
  14. Laurent Avezou, Raconter la France: Histoire d'une histoire, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-28914-0, lire en ligne)
  15. Étienne Bourdon, Lavisse : le roman national comme patrimoine scolaire ? : journée d'étude organisée au Château de la Roche-Guyon - 15 novembre 2014 : actes, Les Éditions de l’œil, (ISBN 978-2-35137-188-6, lire en ligne)
  16. Rémi Dalisson, La Guerre, la fête et la mémoire, CNRS, (ISBN 978-2-271-07904-6, lire en ligne)
  17. Shlomo Sand, Crépuscule de l'Histoire. La fin du roman national ?, Flammarion, (ISBN 978-2-08-141791-5, lire en ligne)
  18. « « Roman national », « récit national » : de quoi parle-t-on ? », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  19. « « Roman national », « récit national » : de quoi parle-t-on ? », sur Le Monde,
  20. Ludivine Bantigny, La France à l'heure du monde. De 1981 à nos jours: De 1981 à nos jours, Editions du Seuil, (ISBN 978-2-02-114369-0, lire en ligne)
  21. (en) Christopher W. Berg et Theodore M. Christou, The Palgrave Handbook of History and Social Studies Education, Springer Nature, (ISBN 978-3-030-37210-1, lire en ligne)
  22. Alya Aglan, Florian Besson, Jean-Luc Chapey, Vincent Denis, Jérémie Foa, Claude Govard, Laurent Joly, Guillauem Lancerneau, Mathilde Larrère, André Loez et al., « Zemmour contre l'histoire », CAIRN,‎ (lire en ligne  )

Voir aussi

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Bibliographie

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Articles connexes

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