Nighthawks

peinture d'Edward Hopper

Nighthawks est un tableau réalisé en 1942 par Edward Hopper et vendu quelques mois après à l'Art Institute of Chicago, auquel il appartient toujours.

Nighthawks
Artiste
Date
Type
Technique
peinture
Dimensions (H × L)
84,1 × 152,4 cm
Mouvement
No d’inventaire
1942.51Voir et modifier les données sur Wikidata
Localisation

En français, il est parfois désigné sous les titres Les Rôdeurs de nuit, Oiseaux de nuit ou encore Noctambules.

Contexte artistique

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Edward Hopper est un peintre réaliste et naturaliste américain dont l'œuvre s'est focalisée, pendant sa période de maturité, sur le sujet de la solitude et de l'aliénation de l'individu dans la société américaine. Inspiré d'abord par l'art impressionniste à la suite de voyages à Paris, il commence à vivre de sa peinture dans les années 1920, avec des œuvres remarquables par leur sobriété, mettant en scène des personnages solitaires dans des décors urbains ou au milieu de la nature. Sa représentation réaliste et épurée de l'environnement urbain, dans des cadrages plutôt inhabituels pour l'époque, lui fait rencontrer le succès de son vivant, en ayant certaines œuvres rachetées par le Brooklyn Museum[1] ou le MoMA[2]. Dans les années 1940, l'expressionnisme abstrait domine les États-Unis avec des artistes comme Pollock, De Kooning et Rothko : Nighthawks est peint dans cette période de mutation qui s'accentuera encore au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Certaines interprétations historiques tendraient à considérer Nighthawks comme la réponse d'Edward Hopper aux bombardements de Pearl Harbor le et à l'entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale qui en a découlé[3],[4]. Redoutant une attaque des nazis, les New-Yorkais étaient en effet soumis à des couvre-feu et à l'extinction des lumières dans les espaces publics[3].

Le tableau

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Historique

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Nighthawks est achevé le [5]. Quelques mois après son achèvement, le tableau est vendu le pour 3 000 $ à l'Art Institute of Chicago[6], dont il n'a pas quitté les collections depuis.

La gravure de 1921 intitulée Night Shadows (Ombres de la nuit ou Ombres nocturnes mais aussi « étrange atmosphère » dans le dialecte américain d'Edward Hopper), ainsi que la peinture Drug Store de 1927 semblent en marquer les prémices[1].

 
Un diner américain (New York).

Le titre est parfois traduit en français sous le titre Noctambules[7],[8], mais plus souvent Les Rôdeurs de nuit[1],[9] ou Oiseaux de nuit[10],[11], de l'anglais « hawk » qui signifie littéralement « faucon » mais aussi « homme rapace qui fond sur sa proie » en argot[9]. Si le mot « rôdeurs » peut donner un sens sinistre au tableau par sa connotation à l'oiseau chasseur, la traduction par « oiseaux » reste éloignée de la réalité supposée du tableau[9].

Description

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Le logo de la marque américaine de cigares Phillies.

Nighthawks adopte un format qui peut faire penser à une scène projetée sur un écran de cinéma. La scène se déroule la nuit. Le tableau est construit selon une composition soignée, et il se caractérise par une qualité intemporelle et universelle qui transcende son lieu particulier[12]. Il montre un instantané de quatre personnes assises dans un diner (restaurant typique américain) de centre-ville, tard dans la nuit. Le peintre a expliqué que sa toile s'inspire d'un restaurant sur Greenwich Avenue à New York[12]. La rue est vide soit parce qu'il est très tard (les diners sont souvent ouverts 24 heures sur 24) soit en raison du contexte de guerre. En haut, sur la devanture du restaurant figure une publicité pour les cigares Phillies ainsi qu'un dessin cigare avec le slogan « Seulement 5 ¢ ». Il s'agit d'une marque américaines et les cigares sont fabriqués à l’origine à Philadelphie, en Pennsylvanie.

L'atmosphère sous un angle et un éclairage si particulier, semble tendue, dramatique[9] et figée[1]. Les couleurs dominantes sont le vert (couleur froide), le brun et le jaune et forment de grands aplats géométriques qui découpent des formes simples et épurées[13]. Le spectateur, attiré par la lumière, est exclu de la scène par la vitre du diner[12]. L'entrée du restaurant n'est pas visible[13], ce qui accentue l'impression que les personnages sont enfermés. On retrouve les objets typiques d'un diner américain : long comptoir, distributeur de serviettes en papier, mug, salière, poivrier.

Un homme de dos mange, seul. Un couple, dont l'homme et la femme habillée en rouge se touchent presque la main[13] mais ne se parlent pas, est assis à proximité[9]. L'épouse d'Edward Hopper a servi de modèle pour la femme assise au bar[12] et lui-même comme modèle pour l’homme qui nous tourne le dos[3]. Le serveur parait discuter. On aperçoit la vitrine sombre du magasin d'en face[10]. L’absence de la porte de sortie du bar rend les personnages enfermés comme dans une cage ou un aquarium[1]. Les personnages semblent perdus dans leurs pensées[12].

Interprétation

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Ce tableau contient les thèmes principaux de l'artiste : l'amour, la solitude, la mort[9]. La structure angulaire[1], la vision par ou à travers la fenêtre, l'ennui des personnages, mais également les restaurants, seront des approches plusieurs fois exploitées par Hopper, même si les œuvres de nuit sont moins courantes dans sa peinture[N 1], contrairement aux couchers de soleil ou levers du jour. Dans ce tableau, la vue du spectateur à travers la vitre se fait de l'extérieur vers l'intérieur, et non pas l'inverse comme le peintre en avait l'habitude. La solitude de la ville[13] et l'isolement des personnages sont renforcés par cette vision avec la vitre qui vient entourer la scène éclairée ; cet angle de vue sera repris par le peintre en 1962 dans New York Office[10]. Se dégagent de ce tableau un mélange de proximité et d'absence de lien[13].

Ruptures et continuités

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Selon plusieurs avis[1],[9],[14], le tableau aurait été inspiré à Hopper par une nouvelle d'Hemingway publiée en 1927 et intitulée Les Tueurs, dans laquelle deux tueurs attendent en vain leur victime dans un bar[N 2]. Cette nouvelle est publiée à l'époque par la revue Scribner's Magazine pour laquelle Edward Hopper travaillait en tant qu'illustrateur[10].

 
Un distributeur de serviettes.

Ce tableau est l'un des plus importants des années 1940. Il représente avec réalisme certains aspects de cette époque dont la décoration par la présence de plusieurs accessoires de tables typiques des diners américains, ou encore, les distributeurs de boissons. C'est non seulement le plus célèbre tableau de Hopper, mais également l'un des plus marquants de l'art américain, dans lequel la place de ce peintre est prépondérante. « Quatre-vingt-dix pour cent des artistes sont oubliés dix minutes après leur mort[1] », disait Edward Hopper.

Hopper a étudié la peinture au New York Institute of Art and Design et fut l'élève de Robert Henri pendant six années[4]. Henri appartenait à l'école artistique de l'Ashcan School qui s'intéresse à la représentation de la ville américaine. Dans sa jeunesse, Hopper s'installa quelque temps à Paris où il fut influencé par le mouvement artistique de l'impressionnisme[4] dont les peintres représentaient des scènes de leur époque. Lorsqu'il revient aux États-Unis, Hopper peint dans un style réaliste qui se démarque de l'abstraction alors en vogue dans l'art. Par la représentation de scènes et de paysages typiquement américains, l'artiste se place dans le mouvement de l'American Scene painting, qui cherche à s'émanciper des influences européennes, à une époque où les États-Unis choisissent la politique de l'isolationnisme[4]. Aussi Hopper choisit-il de montrer l'individualisme qui caractériserait la société américaine[4]. Hopper s'est également inspiré de la culture populaire américaine : les contrastes entre ombre et lumière et l'espace urbain vide rappellent les conventions du film noir[13].

Nighthawks est un témoignage de la modernité américaine : la lumière provient de tubes fluorescents[13] qui commencent à se diffuser dans les années 1940[4]. Il a pour cadre un diner typiquement américain, avec son comptoir, son mobilier et sa publicité pour les cigares Phillies. Les costumes inscrivent la scène dans les années 1940. Les immeubles avec leurs fenêtres à guillotine sont aussi typiquement américains et appartiennent à l'univers familier de Hopper qui est né et a vécu plusieurs années à New York.

Autour du tableau

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Notes et références

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  1. Comme œuvres ayant pour décor la nuit profonde, il est possible de citer Drug Store de 1927 qui annonce Nighthawks, Night Windows de 1928 au motif récurrent de la fenêtre et sa vue de l'extérieur, Rooms for Tourists de 1945, Summer Evening de 1947.
  2. Beaucoup de similitudes entre le tableau et le texte d'Hemingway : le couple, le nombre de personnages, la position des personnages qui « étaient assis, penchés en avant, leurs coudes sur le comptoir », et l'atmosphère de la scène : « Dehors la nuit tombait. La lumière du réverbère entrait par la fenêtre. Les deux hommes debout au comptoir lisaient le menu. Nick Adams les observait de l'autre côté du comptoir. Il parlait à Georges quand ils sont entrés[15]. »

Références

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  1. a b c d e f g et h Laurence Debecque-Michel, Hopper : les chefs-d’œuvre, Paris, Hazan, , 144 p. (ISBN 2-85025-291-3).
  2. Georges Boudaille et Patrick Javault, La Peinture américaine, Paris, Nathan, , 194 p. (ISBN 2-09-284753-8), « Hopper Edward », p. 68.
  3. a b et c Sarah Kelly Oehler, « Nighthawks as Hope: A Curator Muses on Edward Hopper and Crisis », Art Institute of Chicago (consulté le ).
  4. a b c d e et f (en) David Stark (dir.) et Lara Taylor (dir.), chap. 24 « Hopper, Nighthawks », dans American Art, Art Institute of Chicago, (lire en ligne), p. 64–67.
  5. Lyons et al. 2012, p. 85.
  6. (en) Deborah Lyons, Edward Hopper : A Journal of His Work, New-York, Whitney Museum of American Art, , p. 63.
  7. « Les Noctambules d'Edward Hopper reconstitué grandeur nature à New York », sur huffingtonpost.fr, .
  8. Jean-Luc Lacuve, « Noctambules (Nighthawks) », sur cineclubdecaen.com, .
  9. a b c d e f et g Gail Levin (trad. Marie-Hélène Agüeros), Edward Hopper, Paris, Flammarion, , 98 p. (ISBN 2-08-011525-1), p. 70–79.
  10. a b c et d Ivo Kranzfelder (trad. de l'allemand par Annie Berthold), Hopper 1882- 1967 : Vision de la réalité, Cologne, Benedikt Taschen, , 200 p. (ISBN 3-8228-9270-X).
  11. « Edward Hopper et ses "oiseaux de nuit" illuminent le Grand Palais », Le Point, .
  12. a b c d et e « Nighthawks, 1942, Edward Hopper », Art Institute of Chicago (consulté le ).
  13. a b c d e f et g John Davis, Michael Leja, L'art des Etats-Unis, Hazan, , p. 304
  14. Françoise Barbe-Gall, Comment regarder un tableau, Paris, EPA, , 311 p. (ISBN 2-85120-638-9).
  15. Ernest Hemingway, The Killers, réédité dans The Short Stories of Ernest Hemingway, New York, Modern Library, 1938, p. 377.
  16. Magazine Rockyrama, hors-série sur Blade Runner, 2017, chapitre « Imaginer le futur », p. 39.
  17. "Tout l'or du ciel" : le striptease claquette de Christopher Walken (1981).
  18. Les Frissons de l'angoisse (Profondo rosso).
  19. Blues à Cape Cod.
  20. Michel Butor, Le Musée imaginaire de Michel Butor : 105 œuvres décisives de la peinture occidentale, Paris, Flammarion, , 368 p. (ISBN 978-2-08-145075-2), p. 348-349.
  21. The End of Violence, policier.
  22. Daniel Blackstone, « Camille PÉPIN : Nighthawks pour harpe. Jobert : JJ 2253. », sur L'éducation musicale.
  23. « Nighthawks, 1985, Peter de Lory », Art Institute of Chicago (consulté le ).

Voir aussi

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Bibliographie

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Liens externes

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