Minorités sexuelles et de genre en Inde

Les droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) en Inde ont évolué ces dernières années. Cependant, les citoyens LGBT indiens sont confrontés à certaines difficultés sociales et juridiques que ne connaissent pas les personnes non LGBT. Le pays a abrogé ses lois de l'ère coloniale, qui discriminaient directement les identités homosexuelles et transgenres et ont également réinterprété l'article 15 de la Constitution pour interdire la discrimination sur la base de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre. Mais de nombreuses protections juridiques n'existent pas, par exemple le mariage homosexuel.

Histoire

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Un prince indien et son jeune amant attendent un groupe de concubines (non visibles sur cette photo) ; détail d'une miniature moghole, XVIIIe ou XIXe.
 
Les naiká comme amants de toutes les créatures. Kotah State Rajasthan (1780). À l'extrême gauche au centre on peut voir deux femmes enlacées utilisant un godemiché

Les Lois de Manu, qui rassemblent les plus anciens codes de conduites à suivre par les Hindous, incluent des mentions de pratiques homosexuelles, mais seulement comme quelque chose à réguler. Bien que l'homosexualité fasse partie des pratiques sexuelles, elle n'était pas toujours bien acceptée[réf. nécessaire]. Des châtiments étaient prescrits par les Lois de Manu pour le comportement homosexuel. Toutefois, les Lois de Manu, jusqu'à la colonisation britannique, n'étaient pas appliquées comme peut l'être un code pénal moderne: il s'agissait plutôt de modèles de conduites, optionnels par nature, et qui plus est dirigé principalement vers les brahmanes[1].

Par exemple, le verset qui renvoie aux relations sexuelles entre une femme vierge et une femme plus âgée disent : « ... Une femme qui pollue une pucelle aura sans délai (la tête) rasée ou deux doigts coupés, et devra chevaucher (dans la ville) un âne »[2], suggérant une punition sévère. Toutefois, le verset qui fait référence aux relations sexuelles entre deux vierges suggère un châtiment relativement plus léger : « Une pucelle qui pollue (une autre) pucelle doit payer deux cents (panas), payer le double de sa dot, et recevoir dix (coups de) baguette »[3].

Ces dispositions, citées hors contexte, semblent homophobes, mais en fait elles ne concernent pas le genre des partenaires mais la perte de la virginité qui rend une jeune fille indigne de se marier. Il n'y a ainsi pas de peine prévue pour deux femmes non vierges qui ont une relation sexuelle ensemble.

Les punitions prévues pour les hommes étaient moins sévères : « ... une offense contre nature avec un homme, est déclaré causer la perte de la caste (Gatibhramsa) »[4]. « ... Un homme qui commet une offense contre nature avec un homme... devra se baigner, vêtu de ses habits »[5]. Le châtiment semble extrêmement doux, étant donné qu'on pense que la plupart des villageois prenaient ainsi leur bain.

Démographie

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Statistiques

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D'après une estimation de l'Organisation nationale de contrôle du sida (NACO) réalisée en 2008, il y a deux millions cinq cent mille homosexuels masculins en Inde[6].

Ipsos a publié un rapport à la suite de son enquête mondiale LGBT+ Pride 2021, menée entre le 23 avril et le 7 mai 2021[7]. Les résultats montrent que 2 % de la population indienne s'identifie comme autre qu'homme ou femme, notamment transgenre, non-binaire, non conforme ou encore gender-fluid. En ce qui concerne l'orientation sexuelle, le rapport montre que 3 % de la population indienne s'identifie comme homosexuelle (gays et lesbiennes), 9 % bisexuelle, 1 % pansexuelle et 2 % asexuelle. Au total, 17 % s'identifient comme n'étant pas hétérosexuelle (à l'exception de « ne sait pas » et « préfère ne pas répondre »)[7].

Les hijras, personnes du troisième genre considérées comme n'étant ni hommes ni femmes, ont une longue histoire dans le sous-continent indien. Criminalisés dans l'Inde britannique à la fin du XIXe siècle, ils ont continué à être stigmatisés dans l'ère postcoloniale. Depuis la fin du XXe siècle, des militants hijras ont fait pression pour la reconnaissance officielle de leur spécificité[8].

Sociabilité

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Monde de la nuit

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Lush Monsoon à la marche des fiertés de New Delhi en 2023.

Depuis la dépénalisation de l'homosexualité en 2018, l'Inde voit la multiplication des lieux ouvertement LGBTQ+. C'est notamment le cas du Kitty Su, un night club situé dans au sous-sol d'un hôtel de luxe de New Delhi, fondé par Keshav Suri et qui accueille non seulement les minorités de genre, mais aussi les personnes handicapées et les victimes d'attaques à l'acide[9]. Depuis, le Kitty Su a ouvert d'autres établissements à Mumbai, Bangalore, Calcutta et Chandigarh[9]. À la suite de la fusillade du 12 juin 2016 à Orlando, le Kitty Su organise des soirées spécifiquement dédiées aux personnes issues de classes populaires[9].

Le Kitty Su est à l'origine du renouveau de la culture drag en Inde, invitant les drag queen internationales Milk, Thorgy Thor (en) et Violet Chachki et mettant en valeur les artistes locales, telles que Lush Monsoon et Betta Naan Stop[9].

Conditions de vie

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Opinion publique

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Depuis la fin du XXe siècle, l'on constate une baisse des stéréotypes et idées homophobes dans l'opinion indienne. Ainsi, si en 1993, 93 % de la population du pays estimait que l'homosexualité était « injustifiable », ce taux est descendu à 63 % en 2006[10].

D'après une étude du Pew Research Center de 2023, 53 % de la population indienne serait favorable à la légalisation du mariage homosexuel[11].

Religions

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La religion a joué un rôle significatif dans la formation des coutumes et traditions en Inde. Alors que l'homosexualité n'était pas mentionnée explicitement dans les textes religieux fondamentaux de l'hindouisme, la religion la plus pratiquée en Inde, quelques interprétations ont été vues comme condamnant l'homosexualité[12]. Les spécialistes divergent dans leur vision de la position de l'homosexualité au sein des principales traditions religieuses de l'Inde. Des arguments ont été avancés pour dire que l'homosexualité avait été présente et acceptée dans l'ancienne société hindoue[13].

Statut légal

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Homosexualité

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Les relations homosexuelles ont longtemps été un crime en Inde[14], un statut qui datait de l'ère de la domination britannique. La section 377 du Code pénal indien (en) de 1860 criminalisait les « relations charnelles contre l'ordre de la nature ». La nature vague de cette législation a eu pour résultat de viser de nombreuses pratiques sexuelles, comme la fellation ou la sodomie. Les châtiments allaient de dix ans de prison à la prison à vie : « Quiconque a volontairement une relation charnelle contre l'ordre de la nature avec un homme, une femme ou un animal, sera puni de prison à vie, ou d'un emprisonnement allant jusqu'à dix ans, et sera aussi redevable d'une amende »[15].

La Haute Cour de Delhi a jugé, le , que la section 377 du Code pénal constituait « une violation des droits fondamentaux ». Si cette décision n'a juridiquement d'effet qu'à Delhi, elle a toutefois incité le gouvernement à programmer une réunion interministérielle sur le sujet, et l'article, qui n'était déjà pas souvent appliqué, pourrait ne plus l'être du tout sur l'ensemble du territoire[16],[17].

Le , la Cour suprême de l'Inde déclare l'article relatif aux relations homosexuelles comme étant illégales non contraire à la Constitution en rappelant que cet article concerne aussi les relations sexuelles « non consensuelles » avec les femmes ou les viols sur les mineurs, mais invite le Parlement à légiférer de façon plus libérale sur la question des relations homosexuelles entre adultes consentants, en invoquant aussi la séparation des pouvoirs et en rappelant au parlement son rôle de législateur[18]. Ainsi de fait, la restauration de la section 377 du code pénal indien criminalise à nouveau l'homosexualité sur le territoire de Delhi, la dé-criminalisation ne s'étant faite que sur ce territoire indien.

Aucun des grands partis politiques indiens n'a mentionné les droits des homosexuels dans son manifeste ou lors de tribunes jusqu'en 2013. En , à la suite de la décision de la Cour suprême indienne, Rahul Gandhi, vice-président du Congrès national indien a déclaré que le sujet relevait de libertés individuelles en souhaitant la suppression de l'article 377[19]. Le parti Aam Aadmi a, quant à lui, communiqué sur son site internet, sa volonté de voir l'article 377 « archaïque »[20] être supprimé en rappelant que les relations homosexuelles entre adultes consentants relevaient de « droits humains ». Pour les élections de 2014, le Parti communiste d'Inde (marxiste) (CPM) a évoqué la suppression de l'article 377 dans son programme électoral[21] et le Congrès national indien a évoqué une meilleure prise en compte des personnes transgenres[22]. Le CPM s'était déjà illustré dix ans auparavant puisque l'un des membres du bureau du parti, Brinda Karat, avait écrit une lettre ouverte en 2003 au ministre de la Justice d'alors, Arun Jaitley, pour demander l'abolition de la section 377 du code pénal indien[23]. En 2006, une lettre ouverte signée par de nombreuses personnalités indiennes comme Amartya Sen, Arundathi Roy ou Vikram Seth demandait l'abrogation de cette loi[24].

Le , la Cour suprême de l'Inde a statué sur le respect de la vie privée et plus particulièrement sur un projet national de recensement d'identités numériques. Le jugement ouvre la voie à la dépénalisation de l'homosexualité ; en effet, les juges ont estimé que les homosexuels indiens avaient droit à la vie privée et que « la discrimination contre un individu sur la base de son orientation sexuelle [était] une atteinte profonde à la dignité et au respect de l’individu »[25] dans un État de droit.

L'homosexualité a été dépénalisée le lors de la décision historique Navtej Singh Johar v. Union of India (en)[26], qui dépénalise les rapports homosexuels consensuels en réécrivant l'article 377 du code pénal indien[14].

Reconnaissance des couples homosexuels
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La loi indienne ne reconnaît aucun couple de même sexe. Lors d'une visite en 2005 du premier ministre canadien Paul Martin en Inde, une journaliste a demandé au premier ministre indien Manmohan Singh ce qu'il pensait de la nouvelle loi autorisant le mariage gay au Canada. Sa réponse fut qu'« il n'y aurait pas beaucoup d'enthousiasme pour une telle loi en Inde », et il continua en soulignant les différences culturelles entre les deux sociétés[27].

Le corps religieux suprême des Sikh, l'Akal Takht, a rendu un édit condamnant le mariage homosexuel et a demandé aux Sikhs vivant au Canada de ne pas soutenir ou permettre de mariages homosexuels dans les Gurdwârâs. En 2005, deux femmes non nommées d'Hyderabad demandèrent au Darul Qaza, une cour islamique, une fatwa leur permettant de se marier, mais une telle autorisation leur fut refusée. Aucune des principales églises chrétiennes en Inde ne permet le mariage homosexuel.

Adoption par les couples homosexuels
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Le 10 octobre 2023, un jugement de la Cour suprême d'Inde déclare non applicable une régulation interdisant aux couples homosexuels et non mariés d'adopter des enfants[28]. Néanmoins, la cour déclare également que la charte actuelle n'implique pas un droit au mariage, et qu'il est du ressort du parlement de légiférer sur ce point, ajoutant que le pays a le devoir de protéger les personnes queers de la discrimination[29].

Transidentité et intersexuation

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La Cour suprême en avril 2014 a reconnu les hijras, les personnes transgenres, les eunuques et les personnes intersexes comme un « troisième genre » en droit[30],[31],[32]. Le pays leur propose une option dans les passeports et dans certains documents officiels[33].

Les personnes transgenres sont autorisées à changer de sexe après une chirurgie de réassignation sexuelle en vertu de la législation adoptée en 2019 (en) et ont le droit constitutionnel de s'inscrire sous un troisième sexe. En outre, certains États protègent les hijras, par le biais de programmes de logements, et offrent des prestations sociales, des régimes de retraite, des lits dans les hôpitaux publics ainsi que d'autres programmes conçus pour les soutenir. Il y a environ cent mille personnes transgenres en Inde.[réf. nécessaire]

Représentations

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Il y a eu en particulier plus de représentations de l'homosexualité dans les médias d'information indiens[34],[35],[36] et à Bollywood[37].

Références

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  1. Voir David Annoussamy, Le droit indien en marche, Société de législation comparée, 2001 (par ex. chap. II, p. 27-39, sur les Codes anciens ; et cette Fiche de synthèse sur le droit indien, Jurispolis.
  2. Lois de Manu, chapitre 8, verset 370. Texte en ligne
  3. Lois de Manu, chapitre 8, verset 369. Texte en ligne
  4. Lois de Manu, chapitre 11, verset 68. Texte en ligne
  5. Lois de Manu, chapitre 11, Verset 175. Texte en ligne
  6. (en) Kounteya Sinha, « Legalise homosexuality: Ramadoss », sur The Times of India,
  7. a et b (en) « LGBT+ Pride 2021 global survey » [PDF], sur Ipsos, (consulté le )
  8. Agrawal 1997, p. 273–97.
  9. a b c et d (en) Ekam Singh, « Kitty Su », dans Queer Spaces, (ISBN 9781914124211), p. 102-103
  10. [vidéo] L4effet Papillon, « Demain les homosexuels cesseront-ils d'être discriminés ? - Le Chiffroscope », sur YouTube,
  11. (en) « How people around the world view same-sex marriage », sur Pew Research Center, (consulté le )
  12. (en)« Homosexuality and Hinduism », sur religionfacts.com
  13. Ruth Vanita et Saleem Kidwai, Same Sex love in India (MacMillan, Delhi, 2000).
  14. a et b « L’Inde dépénalise l’homosexualité, après vingt ans de combat acharné », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne)
  15. Indian Penal Code [PDF]
  16. « L'Inde s'oriente vers la dépénalisation de l'homosexualité », sur Le Monde,
  17. « L'Inde vers une dépénalisation totale de l'homosexualité », sur tetu.com,
  18. (en) Civil Appeal No.10972 of 2013, Cour suprême de l'Inde, consulté le 9 octobre 2017
  19. (en) Increasing support for gay rights from BJP leaders. A rainbow in sight?, catchnews.com, consulté le 9 octobre 2017
  20. (en) Aam Aadmi Party's Statement on Supreme Court judgement upholding Section 377, Aam Aadmi Party, consulté le 9 octobre 2017
  21. (en) CPM bats for gay rights in manifesto, Times of India, consulté le 9 octobre 2017
  22. (en) Your Voice Our Pledge, Lok Sabha Election Manifesto INC pt20, p.26, Congrès national indien, consulté le 9 octobre 2017
  23. (en)Siddharth Narrain dans Frontline, « A battle for sexual rights », sur hinduonnet.com, numéro 10, du 7 au 20 mai 2005
  24. (en)Randeep Ramesh, « India's literary elite call for anti-gay law to be scrapped », sur The Guardian,
  25. « En Inde, le respect de la vie privée devient un droit fondamental », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  26. Voir aussi l'article Navtej Johar.
  27. (en) « Umm... what same sex? - Singh stumped by query on gay marriages », The Telegraph,‎ (lire en ligne, consulté le )
  28. (en) « 'No right for queer couples to jointly adopt’: SC in same-sex marriage verdict », Hindustan Times,‎ (lire en ligne, consulté le )
  29. (en) « India's top court says it does not have the power to legalise same-sex marriage », France 24,‎ (lire en ligne, consulté le )
  30. « India recognises transgender people as third gender », The Guardian,‎ (lire en ligne, consulté le )
  31. Terrence McCoy, « India now recognizes transgender citizens as 'third gender' », Washington Post,‎ (lire en ligne, consulté le )
  32. « Supreme Court recognizes transgenders as 'third gender' », Times of India,‎ (lire en ligne, consulté le )
  33. Julfikar Ali Manik and Ellen Barry, "A Transgender Bangladeshi Changes Perceptions After Catching Murder Suspects", New York Times, 3 April 2015.
  34. (en) Dhananjay Mahapatra, « UN body slams India on rights of gays », sur The Times of India,
  35. (en) « Fear and loathing in gay India », BBC News,‎ (lire en ligne)
  36. (en) « Why should homosexuality be a crime? », The Times of India,‎ (lire en ligne)
  37. (en) Gayatri Gopinath, « Queering Bollywood - Alternative Sexualities in Popular Indian Cinema », Journal of Homosexuality, vol. 39, nos 3-4,‎ (DOI 10.1300/J082v39n03_13, lire en ligne, consulté le )

Articles connexes

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