La kastom est le type d'ordre juridique propre aux peuples autochtones de Mélanésie. Des formes de kastom sont en vigueur entre autres au Vanuatu, à Bougainville et dans les Îles Salomon. Ce concept est également proche de celui de « coutume » ou droit kanak développé en Nouvelle-Calédonie.

Forces et entités dans la kastom du Vanuatu du Sud selon James Flexner.

Étymologie

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Kastom est un mot des pidgins mélanésiens comme le bislama, qui vient de l'anglais custom (en français : « coutume »)[1].

Procédure

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Il y a une grande diversité dans les façons d'exercer la kastom, mais il existe un fond commun aux réunions dans les nakamals servant à la résolution des conflits[2]. Il y a d'abord une période de préparation de l'audience, avec des concertations ou des procédures, puis l'assemblée est constituée en prenant soin de garantir une forme d'équilibre[2]. La délibération (en bichelamar: serem toktok) a ensuite lieu, puis une décision est prise[2]. Souvent, une cérémonie de réconciliation (kastom sori) est organisée à la suite de cette procédure, sur le mode de la justice réparatrice[2].

Le wantok est une forme de réseau de solidarité économique sur le mode de l'économie du don, qui est intimement lié à la kastom[3].

Kastom et genre

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Malgré le patriarcat propre aux sociétés mélanésiennes, le maniement de la kastom s'ouvre aux femmes[4]. La kastom devient aussi un lieu de débat sur l'égalité des sexes à travers les questions sur les costumes des femmes[5]. Dans le film Tanna, les tensions entre les mariages arrangés kastom et l'amour romantique sont explorées, avec à la fois une présentation de la kastom comme résistance, et une idéalisation de l'amour à l'occidentale[6].

Intendance des terres

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Dans la kastom, les terres sont généralement gérées à travers les clans[7].

Mouvement culturel kastom

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Danceurs kastom au Vanuatu.

La kastom sert à qualifier diverses pratiques culturelles autochtones, par opposition aux pratiques skul qui découlent des écoles des missionnaires, et on parle généralement de la kastom d'un groupe ou d'une personne en particulier plutôt que de la kastom en général[8].

Articulations avec le droit étatique et le christianisme

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La kastom, qui est non-étatique, entretient des relations avec les droits européens (en bislama loa blong waetman, litt. en français : « le droit selon les blancs »[9]) et la religion chrétienne issus de la colonisation: ainsi au Vanuatu ces différents systèmes normatifs fonctionnent parallèlement sans trop de problèmes, même si plusieurs aspects de leur coordination et leur évolution sont débattus[2]. Toutefois, cette coexistence est généralement déniée par la puissance étatique, comme en droit vanuatais qui ignore les opérations de la kastom[10]. La kastom est aussi de plus en plus intensément portée par des mouvements de revitalisation (en) autochtones qui remettent en cause le christianisme et le mode de vie occidental[11],[12]. À Bougainville, la réconciliation des colons avec les autochtones passe à travers la kastom mieux que dans d'autres pays colonisés qui ont implémenté des formes occidentales de justice transitionnelle, selon Volker Boege[13].

Dynamisme

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Jusqu'aux années 1990, de nombreux anthropologues ont décrit la kastom comme une invention de la tradition, mais ce point de vue a depuis été largement critiqué comme réducteur[14]. En effet, la kastom consiste certes en une réappropriation des projets de réification des « coutumes » mélanésiennes que les puissances coloniales française et britannique avaient tenté de mener afin de mieux contrôler leurs victimes[15]. Toutefois, cette récupération n'est ni simplement une continuation des codifications colonialistes, ni un projet monolithique de libération, mais bien une forme complexe de normativité qui est aussi une relation aux esprits des ancêtres[1] et permet de prendre soin de tous les aspects de la société[16].

Références

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  1. a et b David Akin, « Ancestral Vigilance and the Corrective Conscience: Kastom as Culture in a Melanesian society », Anthropological Theory, vol. 4, no 3,‎ , p. 299–324 (ISSN 1463-4996, DOI 10.1177/1463499604045566)
  2. a b c d et e Miranda Forsyth, « Mat, kava, faol, pig, buluk, woman: the operation of the kastom system in Vanuatu today », dans A Bird That Flies With Two Wings, ANU Press, coll. « Kastom and state justice systems in Vanuatu », , 95–138 p. (ISBN 978-1-921536-78-6, JSTOR j.ctt24h3fz.9, lire en ligne)
  3. Gordon Nanau, « Wantoks and Kastom: Solomon Islands and Melanesia », dans The Global Encyclopedia of Informality, vol. 2, London, University College London, , 244–248 p. (ISBN 978-1-78735-191-2, lire en ligne)
  4. Nick Thieberger et Martha Alick, « Smol Toktok long Risej blong Kastom (Some Brief Words on Researching Kastom) », dans Working Together in Vanuatu: Research Histories, Collaborations, Projects and Reflections, ANU Press, (ISBN 978-1-921862-34-2, lire en ligne)
  5. Tait Brimacombe, « Trending Trousers: Debating Kastom, Clothing and Gender in the Vanuatu Mediascape », The Asia Pacific Journal of Anthropology, vol. 17, no 1,‎ , p. 17–33 (ISSN 1444-2213, DOI 10.1080/14442213.2015.1116595, lire en ligne, consulté le )
  6. Margaret Jolly (Odile Guiomar (trans.)), « Tanna : romancer la kastom, éluder l'exotisme ? », Journal de la Société des Océanistes, no 1,‎ , p. 97–112 (ISSN 0300-953x, DOI 10.4000/jso.10481, lire en ligne, consulté le )
  7. Michael Goddard, « 'POLYGONS ARE NOT KASTOM!': The legacy of colonial land demarcation in Melanesia », Paideuma: Mitteilungen zur Kulturkunde, vol. 62,‎ , p. 25–49 (ISSN 0078-7809, JSTOR 44243085, lire en ligne, consulté le )
  8. Lissant Bolton, Unfolding the Moon, University of Hawaii Press, (ISBN 978-0-8248-6540-5), « Unfolding the Moon: Enacting Women's Kastom in Vanuatu »
  9. Rachel E. Smith, Kastom, property and ideology, ANU Press, coll. « Land transformations in Melanesia », , 327–356 p. (ISBN 978-1-76046-105-8, JSTOR j.ctt1pwtd1p.17), « From Colonial Intrusions to ‘Intimate Exclusions’: Contesting Legal Title and ‘Chiefly Title’ to Land in Epi, Vanuatu »
  10. Benedicta Rousseau, « "This is a court of law, not a court of morality" : Kastom and custom in Vanuatu state courts », Journal of South Pacific Law, vol. 12, no 2,‎ , p. 15–27 (ISSN 1684-5307)
  11. Nick Thieberger et Benedicta Rousseau, « Shifting Others: Kastom and Politics at the Vanuatu Cultural Centre », dans Working Together in Vanuatu: Research Histories, Collaborations, Projects and Reflections, ANU Press, (ISBN 978-1-921862-34-2, lire en ligne)
  12. Jaap Timmer, « Kastom and theocracy: a reflection on governance from the uttermost part of the world », dans Politics and State Building in Solomon Islands, ANU Press, , 1st éd. (ISBN 978-0-7315-3818-8, lire en ligne)
  13. Volker Boege, « Between kastom, church and commercialisation: Reconciliations on Bougainville as a form of ‘transitional justice’? », dans Civil Society and Transitional Justice in Asia and the Pacific, ANU Press, , 1st éd., 183–202 p. (ISBN 978-1-76046-328-1, lire en ligne)
  14. Éric Wittersheim, « Les chemins de l'authenticité: Les anthropologues et la Renaissance mélanésienne », L'Homme, no 151,‎ , p. 181–205 (ISSN 0439-4216, JSTOR 25156931, lire en ligne, consulté le )
  15. Gregory Rawlings, « The geo-classifications of colonial statelessness: The anthropology of Kastom, land and citizenship in the decolonisation of Vanuatu », The Australian Journal of Anthropology, vol. 26, no 2,‎ , p. 145–173 (ISSN 1757-6547, DOI 10.1111/taja.12108, lire en ligne, consulté le )
  16. Lamont Lindstrom, « Melanesian Kastom and Its Transformations », Anthropological Forum, vol. 18, no 2,‎ , p. 161–178 (ISSN 0066-4677, DOI 10.1080/00664670802150208)

Bibliographie

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Articles connexes

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