Circulaire Valls
La circulaire Valls est une circulaire prise par Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, en 2012, qui décrit les modalités de délivrance des titres de séjour en France. Elle liste les critères selon lesquels une personne sans papiers peut déposer une demande de régularisation (au titre de la vie privée et familiale, ou par le travail), et laisse la décision à la discrétion des préfets.
Contexte
modifierLa circulaire, annoncée par Manuel Valls à l’occasion d’une cérémonie de naturalisation à Toulouse le jeudi 18 octobre 2012[1], est présentée en conseil des ministres le 27 novembre. Elle fait suite à la promesse de campagne de François Hollande de définir des critères de régularisation objectifs et clairs pour mettre un terme à l'arbitraire des préfectures. Manuel Valls se défend de vouloir permettre des régularisations en masse comme en 1981 ou en 1997[2].
Contenu
modifierLa procédure est appelée « admission exceptionnelle au séjour » (AES). Elle concerne la délivrance d’un premier titre de séjour à des personnes entrées sur le territoire sans visa de long séjour ou qui y sont demeurées après l’expiration de celui-ci. Elle est distincte de celle qui permet l’attribution d’un premier titre de séjour aux personnes entrées mineures sur le territoire Français, qui sont en situation régulière jusqu'à leur majorité.
L’AES est régie par des articles du Ceseda qui ne s'appliquent pas à Mayotte. Les critères d’admission y sont exprimés de façon générale (sauf en ce qui concerne certains critères d'inéligibilité : constituer une menace à l’ordre public et vivre en état de polygamie). La durée préalable du séjour n’est pas définie au niveau législatif, mais depuis au moins 2004, les circulaires successives suggèrent aux préfets de retenir une durée de séjour minimale de cinq ans. La circulaire a permis d’informer le plus largement possible les personnes concernées sur les critères légaux. La Cour des comptes note que « la quasi-totalité des dossiers respecte formellement les critères légaux, (...) les refus prononcés (7 746 en 2016, 10 182 en 2018) correspondent donc en grande partie à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des préfets »[3].
Dans le cas des parents, la circulaire Valls exige désormais cinq années de présence en France et un enfant scolarisé depuis au moins trois ans. Pour les personnes salariées, la circulaire articule des critères de présence sur le sol français (trois à sept ans), d'ancienneté dans le travail (huit à trente mois) et d'embauche effective[4],[5],[1]. Les jeunes étrangers âgés de 18 ans peuvent recevoir un titre de séjour s'ils peuvent prouver une entrée en France avant l'âge de 16 ans et deux ans de scolarisation « assidue et sérieuse » en France[3],[2].
La procédure ne prévoit pas d’entretien avec le demandeur[3].
Deux autres circulaires publiées en 2013 ont pour objet la lutte « contre le travail illégal » (11 février 2013)[6] et la lutte « contre l’immigration irrégulière » (11 mars 2013)[7].
Effets
modifierSelon la Cour des comptes, la circulaire a permis de résorber des situations laissées en attente, entrainant une augmentation temporaire du nombre annuel de régularisations en 2013. Le nombre s’est stabilisé depuis « sur une trajectoire légèrement décroissante », le régime de régularisation étant « parvenu à une forme d’équilibre en permettant la résolution de situations délicates sans déséquilibrer l’ensemble du régime du séjour »[3].
Selon le gouvernement en 2023, tous motifs confondus (étudiants, parents d’enfants scolarisés, etc.), la circulaire aurait permis 335 000 régularisations en dix ans[8]. Selon l'enquête Elipa 2[9], moins de 11 000 titres de séjour sont délivrés en application de la circulaire Valls chaque année ; ils concernent des personnes dont 40 % sont en France depuis dix ans[10]. La Cour des comptes parle d'entre 20 et 30 000 personnes régularisées par an par la procédure d'AES (entre 2010 et 2018), principalement pour des motifs de liens familiaux[3].
Le texte est inégalement appliqué sur le territoire[11]. François Héran note que un tiers des préfectures n'appliquent pas la circulaire[12],[13]. La Cour des comptes note en 2020 qu'une grande disparité apparait dans l’analyse des décisions prises par les préfectures[3].
Critiques
modifierL'obligation de travailler pour pouvoir espérer une régularisation est évidemment paradoxale, puisqu'on ne peut pas travailler légalement sans être déjà en situation régulière[14]. La production de bulletins de salaire est exigée afin de justifier d’une ancienneté dans l’emploi en France[14].
L'autre paradoxe est qu'il est demandé aux personnes demandant une régularisation, et qui n’ont donc pas d’autorisation de séjour, de fournir la preuve de leur ancienneté du séjour en France ; pour pouvoir présenter des preuves de présence considérées à valeur certaine, elles doivent s'être fait connaître des différentes institutions et administrations françaises[14].
Sébastien Chauvin, maître de conférences à l'université d'Amsterdam explique dans Le Monde que la circulaire comporte un certain nombre d'avancées, notamment la suppression de la liste des métiers, l'intégration des Algériens et des Tunisiens au régime commun et la possibilité de faire valoir (mais sans garantie de régularisation) un « cumul de contrats de faible durée ». Mais ces critères ne sont pas opposables et la décision est laissée à l'arbitraire du préfet[5]. Selon lui, « ces critères parfois flous construisent une image du "bon sans-papier" qui d'une part semble appeler à une discipline dans l'illégalité, et d'autre part risque de contribuer, en valorisant les personnes intégrées, à marginaliser celles qui disposent de moins de ressources »[5].
La droite et l'extrême droite (Éric Ciotti, Marine Lepen) ont reproché à Manuel Valls de mettre en place des mesures laxistes[1].
Évolution
modifierEn 2024, la loi Darmanin autorise, pendant une période d'essai de deux ans, la délivrance d’une carte de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié » d’une durée d’un an, aux étrangers exerçant dans les métiers en tension, mais la liste des métiers en tension n'a pas été publiée[15],[16].
Bruno Retailleau annonce à l'automne 2024 le remplacement de la circulaire Valls sur l’admission exceptionnelle au séjour[11], afin de réduire l'immigration légale par la voie réglementaire[16]. Cette annonce se produit au moment où une mission sénatoriale transpartisane sur les personnes sans abri[17] demande qu'un effort soit fait dans le cadre de la circulaire Valls pour régulariser des femmes qui travaillent depuis des années en France et vivent dans des centres d'hébergement, sans pouvoir postuler à un logement social[18],[19]. Matthieu Tardis, chercheur et membre de l'association d'aide aux migrants France terre d'asile, estime que « la cohérence voudrait que l’on s’assure déjà de pouvoir éloigner les personnes avant de réduire les régularisations. Personne n’a intérêt à ce qu’il y ait trop de personnes en situation irrégulière sur notre territoire »[16].
Articles connexes
modifierDocuments
modifier- « Circulaire du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (NOR : INT/K/12/29185/C) », sur www.justice.gouv.fr (version du sur Internet Archive)
- GISTI, « Régularisation : la circulaire « Valls » du 28 novembre 2012 : analyse et mode d’emploi », sur www.gisti.org, (ISBN 979-10-91800-04-4, consulté le )
Références
modifier- Carine Fouteau, « Intégration: Valls assouplit les critères de naturalisation », sur Mediapart (consulté le )
- « Une circulaire pour clarifier les critères de régularisation des étrangers sans papiers », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Cour des comptes, « L'entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », sur www.ccomptes.fr,
- « Qu'est-ce que la régularisation d'un étranger par le travail ? », sur www.service-public.fr (consulté le ) : « Preuves d'exercice antérieur d'activité salariée : bulletins de salaire, relevés ou virements bancaires, certificat de travail, attestation France Travail (anciennement Pôle emploi), avis d'imposition sur le revenu correspondant aux périodes de travail, par exemple. »
- « Sans-papiers : "La circulaire Valls reste dans l'arbitraire du cas par cas" », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « Circulaire interministérielle du 11 février 2013 relative à la mise en œuvre du plan national de lutte contre le travail illégal 2013-2015 (NOR : INTK1300188C) ⋅ GISTI », sur www.gisti.org (consulté le )
- « Circulaire du 11 mars 2013 relative à la lutte contre l'immigration irrégulière (NOR : INT/K/13/00190/C) ⋅ GISTI », sur www.gisti.org (consulté le )
- « Immigration : ces chiffres de régularisation qu’on vous cache (mais les connaît-on ?) », sur L'Express, (consulté le )
- Ministère de l'Intérieur, « Les primo-arrivants en 2019, un an après leur premier titre de séjour : premiers résultats de l'enquête Elipa 2 », sur www.immigration.interieur.gouv.fr (consulté le )
- « François Héran, professeur au Collège de France : « Le débat public sur l’immigration en France est en décalage complet par rapport aux réalités de base » », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- « Bruno Retailleau annonce deux circulaires pour réduire l’immigration », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- « François Héran : « Monsieur Barnier, la vérité sur l’immigration est qu’elle n’est pour rien dans la crise budgétaire ou la guerre en Ukraine » », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- « La régularisation des travailleurs sans papiers, un impossible débat en France ? », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- Émeline Zougbédé, « Régulariser le « bon » travailleur « sans-papiers » : la circulaire « Valls » comme « politique de la frontière »: », Sciences & Actions Sociales, vol. N° 9, no 1, , p. 116–136 (ISSN 2428-2871, DOI 10.3917/sas.009.0116, lire en ligne, consulté le )
- « Loi « immigration » : la laborieuse mise en place des régularisations « métiers en tension » », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- Simon Barbarit, « Immigration : l’abrogation de la circulaire Valls voulue par Bruno Retailleau va-t-elle avoir un effet sur le nombre de régularisations ? », sur Public Sénat, (consulté le )
- « Femmes sans abri, la face cachée de la rue », sur Sénat (consulté le ) : « Recommandation n° 15 : Impulser un effort particulier en faveur des femmes sans domicile dans le cadre de la circulaire Valls, qui permet aux préfets de procéder à des régularisations au cas par cas. »
- Simon Barbarit, « Sans abri : une mission du Sénat demande une accélération de la régularisation des femmes en situation irrégulière », sur Public Sénat, (consulté le )
- « INTERVIEW. Femmes sans-abri : « On ignore tout de leur parcours, de ce qui les mène à la rue » », sur www.jss.fr (consulté le )