Mort d'Alan Kurdi
La mort d’Alan Kurdi (kurde : Alan Kurdî, initialement orthographié par la presse Aylan Kurdi), un garçon syrien d'origine kurde, réfugié de la guerre civile syrienne, noyé le à l'âge de trois ans, entraîne une onde de choc mondiale et relance la question de l'accueil des migrants syriens lorsque plusieurs photographies de sa dépouille gisant sur une plage de Turquie sont relayées dans la presse internationale.
Biographie d'Alan Kurdi
modifierSa famille, originaire de Kobané, est établie à Damas lorsque débute la guerre civile syrienne. Elle se réfugie un temps à Alep, puis se réinstalle à Kobané. Alan Kurdi y naît le .
En , la ville est attaquée par l'État islamique et les Kurdi font partie des milliers de civils qui traversent la frontière pour trouver refuge en Turquie. Une fois la bataille de Kobané achevée, ils regagnent la ville, totalement dévastée par les combats. Mais en juin, les djihadistes font une nouvelle incursion et massacrent 250 civils. La famille Kurdi échappe à la tuerie mais décide de quitter définitivement la Syrie[1].
Faute de visa pour le Canada, elle veut passer par l'Europe parce que le père veut y refaire sa vie[2],[3],[4]. Alors qu'il tente avec sa famille de traverser la Méditerranée et de gagner la Grèce depuis la Turquie, en passant notamment par l'île de Kos, le bateau pneumatique qu'il utilise chavire la nuit du . Lui, sa mère et son frère Galip âgé de cinq ans trouvent la mort dans ce naufrage ; seul son père parvient à rejoindre le rivage turc. Au total, 12 réfugiés syriens, dont cinq enfants, sont morts dans cette tentative de traversée, 15 ont pu être secourus[5].
Alan Kurdi est inhumé le à Kobané, en même temps que son frère et sa mère[6].
Sa famille obtient l'asile au Canada à la fin de l'année 2015[7].
Photographies
modifierImages externes | |
Photographie du corps d'Alan Kurdi, Nilüfer Demir, publiée sur Vice.com le . | |
Autre version, Nilüfer Demir, publiée sur Doğan Haber Ajansı le . |
Les photographies[8],[9] de son corps échoué sur la plage de Ali Hoca Burnu, un peu à l’écart de Bodrum, en Turquie, prises par la journaliste Nilüfer Demir le et reprises par de nombreux médias, font le tour du monde[10],[11],[12]. En raison de leur forte charge émotionnelle, ces photographies relancent le débat sur l'accueil des réfugiés de la guerre civile syrienne et l'accueil des migrants en général[13].
Mobilisation et réactions politiques
modifierLe : le président français François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel se prononcent pour un « mécanisme européen permanent et obligatoire » d'accueil des migrants[14].
Le : plus de 10 000 personnes se sont réunies dans toute la France, dont 8 500 à Paris, pour un rassemblement de soutien aux réfugiés[15]. Le « choc émotionnel » causé par la diffusion de ces photographies a eu un impact mesurable sur l'opinion française les jours suivant leurs publications. À la question de savoir si la France devait accueillir une part de l'afflux de migrants et réfugiés en provenance de la Syrie, la part des Français répondant oui a augmenté de 9 points les 8 et par rapport aux 1er et , passant de 44 pour et 56 contre à 53 pour et 47 contre[16]. Au cours des semaines suivantes, le sujet des réfugiés est resté sur le devant de la scène médiatique. L'opinion française sur l'attitude à adopter par rapport à cet afflux de réfugiés est restée très partagée[17].
Le : le monde artistique, sportif et politique se mobilise à différents degrés pour favoriser l'accueil des immigrés[18]. Le même jour, le pape François appelle toutes les communautés catholiques d'Europe à accueillir chacune une famille de réfugiés[19]. Le choc médiatique facilite l'opération de financement participatif aboutissant à l'affrètement par l'association SOS Méditerranée du bateau Aquarius qui participe au sauvetage des réfugiés en mer[20].
Controverses
modifierUne survivante du drame ainsi que d'autres passagers accusent le père du petit Alan (qui est retourné en Syrie[21]) d'être le pilote de l'embarcation[22],[23],[24],[25]. Les passeurs ne participent habituellement pas aux traversées, le conducteur du navire est généralement désigné parmi les migrants, ce dernier bénéficie en contrepartie d'un passage sans frais[26].
Les réinterprétations ou détournements de l'image d'Alan Kurdi sur la plage ont également suscité des controverses. Dans son édition du , Charlie Hebdo publie deux dessins de Riss qui provoquent l'émoi dans la presse étrangère[27]. L'un d'eux montre Jésus marchant sur l'eau et un enfant en train de se noyer avec pour légende « La preuve que l'Europe est chrétienne. Les chrétiens marchent sur les eaux, les enfants musulmans coulent. » Le second dessin reprend l'image d'Alan Kurdi étendu sur la plage mais en le plaçant sous un panneau publicitaire pour McDonald's présentant une promotion pour les menus enfant, avec pour titre « Si près du but... »[28]. En janvier 2016, Riss récidive avec un dessin présentant un homme courant bras tendus après une femme, avec en médaillon la représentation de l'enfant allongé sur la plage, et une légende une nouvelle fois provocatrice : « Que serait devenu le petit Aylan s'il avait grandi ? Tripoteur de fesses en Allemagne », allusion aux agressions sexuelles du Nouvel An en Allemagne. Le père du garçon aurait pleuré en voyant ce dessin[29], et la polémique provoque même une réponse de la reine de Jordanie[30].
Par ailleurs, une photo d'Ai Weiwei dans la même position que le garçon sur une plage de Lesbos, prise début 2016 par Rohit Chawla, photographe à India Today, provoque le malaise d'après le journaliste David Carzon, car la photographie nous rappelle que les naufrages continuent, que des migrants sont retrouvés morts régulièrement, et que des photos d'enfants tout aussi émouvantes que celle d'Alan Kurdi circulent sans qu'elles ne mobilisent les foules[31].
Justice
modifierLe , la justice turque condamne deux passeurs syriens à 4 ans de prison pour « trafic d'immigrants », les deux hommes avaient également accusé Abdullah Kurdi, le père d'Alan, mais les poursuites contre ce dernier sont abandonnées par le tribunal[32]. En , trois autres personnes sont condamnées chacun à 125 ans de prison[33].
Pérennité
modifierSept ans plus tard, une photo similaire d'une petite fille dont le corps s'échoue sur une plage tunisienne proche de Sfax, ne provoque aucune réaction, ce qui témoigne de la banalisation des naufrages[34].
Notes et références
modifier- Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Guerre civile syrienne » (voir la liste des auteurs).
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Death of Aylan Kurdi » (voir la liste des auteurs).
- « La tragédie de la famille Kurdi », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- Selon l'interview de sa sœur, il voulait également faire refaire sa denture, abimée pendant un siège de Daech.
- (en) Joe Parkinson et David George-Cosh, « Image of Drowned Syrian Boy Echoes Around World », The Wall Street Journal, (lire en ligne, consulté le ).
- (en) « 'No record' of Syrian boy asylum bid », sur bbc.com, BBC News, (consulté le ).
- « Turquie: au moins 12 migrants syriens morts noyés en tentant de rallier la Grèce », sur LExpress.fr, (consulté le ).
- La Libre.be, « Migrants: le petit Aylan inhumé à Kobané, l'UE tente de répondre à la crise », sur lalibre.be, .
- « La famille d'Aylan, l'enfant syrien retrouvé noyé, obtient l'asile au Canada », sur lepoint.fr, (consulté le ).
- (en-US) « Sharing a photo of a dead Syrian child isn’t compassionate, it’s narcissistic »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), sur Coffee House, (consulté le ).
- « Migrants : une photo choc et des questions », sur lesechos.fr, (consulté le ).
- « Il s'appelait Aylan Kurdi... », Le Point, 3 septembre 2015.
- Migrations: l'Europe sous le choc après la photo d'un enfant mort noyé, AFP, 3 septembre 2015.
- « "L'humanité échouée" : la photo qui indigne le monde », L'Obs, 3 septembre 2015.
- « La mort en photo, nécessaire ou condamnable ? », Infrarouge, Radio télévision suisse, (lire en ligne [vidéo]) Débat télévisé avec la participation de Régis Le Sommier, directeur adjoint de Paris Match ; Stéphane Benoit-Godet, rédacteur en chef du quotidien Le Temps ; Suzette Sandoz, femme politique, juriste, professeur de droit ; Marc Bonnant, avocat ; Christian Lutz, photographe ; Manon Schick, directrice de la section suisse d'Amnesty International« Aylan, Syrien de 3 ans, mort, échoué sur une plage turque après avoir fait naufrage avec sa famille. Rarement une photo aura suscité une telle émotion à travers le monde. Pourquoi ? Et pourquoi maintenant, alors que les images poignantes se succèdent depuis des mois ? Les uns dénoncent une volonté de culpabilisation de la part des médias. Les autres saluent un cliché qui dénonce l'inaction des politiciens et va enfin faire bouger les choses. Mais une photo peut-elle changer le cours de l'histoire ? Peut-on montrer la mort sans faire de voyeurisme ? »
- « Paris, rassemblement pour les migrants », sur lefigaro.fr, (consulté le ).
- « Reunion à l'elysee de tous les ministres concernes par la crise desmigrants », sur lefigaro.fr, (consulté le ).
- « après Aylan Kurdi les français plus enclins à accueillir les migrants » (consulté le ).
- « les français partagés sur l'accueil des étrangers » (consulté le ).
- « migrants-les-initiatives-de-soutien-se-multiplient », sur leparisien.fr, (consulté le ).
- « Migrants: le pape François appelle chaque paroisse d'Europe à accueillir une famille de réfugiés », sur huffingtonpost.fr, (consulté le ).
- Antoine Laurent. Humanitaire en mer. CFDT Magazine n°440, février 2018, pp. 27-29.
- Jenny Stanton, « EXCLUSIVE: Aylan Kurdi's family home before ISIS forced them out », sur Mail Online, (consulté le ).
- «Le père du petit Alan est un passeur», sur TVA Nouvelles (consulté le ).
- « Un couple soutient que le père du petit Alan Kurdi était le capitaine du bateau »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), sur 985fm.ca, (consulté le ).
- « aylan-kurdi-drowned-boys-father-accused-of-being-people-smuggler-in-charge-of-boat-that-crashed-denies-claims », sur dailytelegraph.com, (consulté le ).
- (en) Reuters Editorial, « Syrian toddler Aylan's father drove capsized boat, other passengers say », sur reuters.com, (consulté le ).
- Mathilde Golla, « Aylan : le récit du père contesté par une survivante du drame », Le Figaro, 11 septembre 2015.
- « Aylan / Charlie : incompréhensions dans la presse étrangère - Arrêt sur images », sur @rrêt sur images, (consulté le ).
- Eugénie Bastié, « Les dessins de Charlie Hebdo sur la mort d'Aylan ne font pas rire tout le monde », sur Le Figaro, (consulté le ).
- « Le père du petit Aylan a pleuré en voyant le dessin de Charlie Hebdo », sur Le Huffington Post, (consulté le ).
- « La reine de Jordanie répond au dernier dessin polémique de Charlie », sur Le Huffington Post, (consulté le ).
- David Carzon, « Ai Weiwei en Aylan : malaise et réalité », sur Libération.fr, (consulté le ).
- Mort du petit Aylan : 4 ans de prison pour deux passeurs, Francetv info avec AFP, 4 mars 2016.
- « Drei Männer wegen Mordes an Alan Kurdi verurteilt », Der Spiegel, 13 mars 2020, en ligne.
- Nejma Brahim, « En Tunisie, la mort d’une fillette retrouvée échouée sur une plage suscite l’indifférence générale », sur Mediapart (consulté le ).