Utilisateur:MyeDesign/La barrière et le niveau
« La Barre et le Niveau » est un ouvrage d'Edmond Goblot, publié en 1925, qui explore les mécanismes sociaux, la structure de la bourgeoisie française et la notion de mobilité sociale à travers les concepts de société de classe et de société de caste. Goblot s'intéresse notamment à la manière dont la société bourgeoise se compose et à la distinction entre les individus qui y sont pleinement intégrés et ceux qui, bien qu’ayant atteint un statut social similaire, n’y trouvent pas réellement leur place.
La Société de Classe vs. La Société de Caste
modifierUne distinction clé dans l’œuvre de Goblot est celle entre société de classe et société de caste. Selon lui, une société de classe se caractérise par une certaine mobilité sociale : les individus peuvent théoriquement franchir les frontières sociales et accéder à une classe supérieure. Cette mobilité est basée sur des critères comme l'éducation, le travail ou la fortune.
À l'inverse, dans une société de caste, les frontières sont strictement définies et pratiquement infranchissables. Les individus n'ont pas la possibilité de changer de classe, leurs origines et leur statut sont figés. Ainsi, la société française du début du XXe siècle, selon Goblot, est une société de classes, et non une société de castes. Cela permet une certaine fluidité sociale, bien que les barrières restent présentes et difficiles à franchir, notamment par le biais de la famille et de l'éducation.
La Mobilité Sociale et le Rôle du Diplôme
modifierLe diplôme, et particulièrement le baccalauréat, joue un rôle central dans l’analyse de Goblot de la société bourgeoise. Selon lui, le baccalauréat est à la fois une « barrière » et un « niveau » dans la société.
- La barrière : Le baccalauréat devient une condition nécessaire pour accéder à certains postes ou à des classes sociales plus élevées. Ceux qui réussissent à obtenir ce diplôme, malgré les inégalités dans les parcours scolaires, bénéficient d'un accès facilité à des opportunités économiques et sociales. Il est donc un passage obligé, mais aussi un instrument de division sociale.
- Le niveau : Paradoxalement, le baccalauréat joue aussi un rôle de nivellement. Il efface les différences de mérite et d’origine des individus, en uniformisant la reconnaissance académique. Ce diplôme efface les écarts de richesse, de classe sociale ou d'origine familiale, en offrant à tous les diplômés une égalité d’apparence, qui n'est cependant que partielle. En ce sens, le diplôme permet à la société de maintenir l'illusion d'une égalité tout en renforçant les hiérarchies existantes.
Goblot souligne que bien que le baccalauréat soit censé représenter l’égalité des chances, il devient un moyen de consolidation des inégalités sociales. Il efface les différences de mérite au moment où il est délivré, tout en renforçant les distinctions sociales qui apparaîtront plus tard dans la vie professionnelle ou sociale.
La Mode : Barrière et Niveau de Distinction
modifierDans La Barre et le Niveau, la mode occupe également une place centrale comme instrument de distinction sociale. Selon Goblot, la mode joue un rôle clé dans la manière dont les classes sociales se démarquent les unes des autres. La mode bourgeoise a une fonction particulière : elle est à la fois une barrière et un niveau.
- La mode comme barrière : La mode distingue les classes sociales par l'adoption de certains codes esthétiques. Cependant, cette distinction n’est pas immuable. Lorsque la mode devient trop accessible ou trop largement copiée, elle perd sa fonction de marqueur social distinctif. La bourgeoisie, initialement réticente à adopter une nouvelle mode, l’adopte une fois qu’elle est suffisamment apprivoisée et ne crée plus de décalages sociaux. Mais ce processus crée un cycle continu où une mode cesse d’être exclusive dès qu’elle est copiée en dehors de la classe bourgeoise.
- La mode comme niveau : La mode sert également à homogénéiser les individus au sein d’une même classe sociale. Ainsi, pour que la mode soit efficace, elle doit être généralisée à toute la classe bourgeoise. Lorsqu'une mode devient trop largement diffusée, elle perd sa valeur symbolique et doit être remplacée par une nouvelle tendance. C’est ce renouvellement constant qui permet à la mode de jouer son rôle de distinction sociale.
Dans ce processus, la mode fonctionne comme un moyen d'intégrer des signes de distinction tout en étant un moyen d'assimiler les membres d'une classe sociale à une esthétique commune. Mais Goblot souligne que la mode est un terrain mouvant : elle doit être toujours en évolution pour conserver sa fonction de démarcation, et elle doit être à la fois assez exclusive pour marquer les différences sociales et assez accessible pour maintenir son statut au sein de la classe.
La Distinction Sociale et l'Imitation
modifierUn autre aspect de la mode que Goblot met en évidence est le processus d’imitation. L'idée initiallement developpée par Simmel dans Philosophie de la Mode, il Goblot met en évidence le fait que la mode bourgeoise ne naît pas à l'intérieur de la classe elle-même, mais est souvent lancée par des personnes extérieures qui cherchent à se singulariser. Lorsqu'une mode apparaît, elle est d'abord perçue comme un signe d'excentricité. C’est seulement lorsque la bourgeoisie l’adopte, en y apportant sa propre touche, qu’elle devient un signe de distinction sociale.
Cependant, ce processus d’imitation n’est pas sans limites. Une fois que les autres classes, comme les domestiques ou les ouvriers, commencent à adopter cette mode, elle perd de sa valeur symbolique. Une mode imitée trop parfaitement devient banale et vulgarisée. Il est donc nécessaire de toujours changer la mode pour qu’elle conserve sa capacité à distinguer les classes sociales.
Conclusion
modifierEn somme, dans La Barre et le Niveau, Edmond Goblot explore comment la société française de son époque est structurée par des mécanismes complexes de distinction sociale. Les frontières entre les classes sont théoriquement franchissables, mais elles sont maintenues par des systèmes comme le diplôme, qui légitime l'appartenance à une classe sociale, et la mode, qui offre à la bourgeoisie un moyen de se distinguer.
Goblot met en lumière le paradoxe des sociétés de classes : bien que des barrières légales ou sociales permettent une mobilité, les mécanismes qui définissent les classes sociales (comme le baccalauréat ou la mode) jouent un rôle crucial dans le maintien des inégalités sous-jacentes. Le livre invite ainsi à une réflexion sur la fluidité apparente de la société et sur la manière dont les symboles et les institutions contribuent à la reproduction des hiérarchies sociales.