Tafurs
Le nom de Tafur est donné à des bandes de combattants chrétiens actifs durant la première croisade, et auxquels sont prêtées de nombreuses atrocités.
Descriptions
modifierLeur nom proviendrait d'une variante de trutani (« vagabond », « mendiant »), épithète que leur chef, le « roi Tafur », normand, dont on sait peu de choses quant à l'origine, s'est approprié. Il dirigeait avec Pierre l'Ermite la bande de civils, les Ribauds qui se joignirent à la première croisade et qui furent responsables de quantité de méfaits. Cette troupe peu disciplinée fut souvent comparée à une bande de brigands, détrousseurs et violeurs.
On prête notamment aux Tafur des actes d'anthropophagie, commis dans un but de survie. Les témoignages de ces actes proviennent de Raoul de Caen, d'une chronique anonyme de la première croisade et d'une lettre adressé au pape.
En 1098, l'armée des Francs qui faisait le siège de la ville d'Antioche était gravement menacée par la famine. Le roi Tafur eut alors l'idée de faire cuire ou rôtir les cadavres des infidèles des lieux et ses troupes se mirent à écumer les environs, tuant et massacrant des habitants pour pouvoir les dévorer, semant ainsi l'effroi parmi la population. Les troupes de Tafur se montaient à ce moment à plus ou moins dix mille hommes. Ces faits sont attestés dans la Chanson d'Antioche. On se mit bientôt à étriper et vider les soldats turcs. Un festin cannibale eut alors lieu sous les remparts de la ville d'Antioche. Tafur avait invité les chevaliers à partager ses agapes mais ceux-ci refusèrent[1]. Certains parlent à ce propos d'opération psychologique destinée à effrayer les défenseurs de la ville. Attirés par l'odeur de la chair humaine ainsi grillée, il y eut bientôt 20 000 défenseurs de la ville, incrédules et n'en croyant pas leurs yeux, à contempler du haut des remparts ce repas.[2][source insuffisante][3].
À la suite de ces faits, la rumeur concernant des actes d'anthropophagie commis par les envahisseurs chrétiens se répandit au sein du monde musulman et l'image des chrétiens démons-cannibales survécut longtemps, accolée à la réputation des croisés[réf. nécessaire].
Après la prise de Jérusalem en 1099, lorsque Godefroy de Bouillon devint le dirigeant du Royaume de Jérusalem, ce fut Tafur, reconnu comme le combattant le plus éminent de la troupe des croisés, qui eut le privilège de déposer la couronne royale sur la tête du nouveau monarque[4],[5]. Ainsi, d'après l'historien Norman Cohn, auteur du livre Les fanatiques de l'Apocalypse. Courants millénaristes révolutionnaires du XIe au XVIe siècle[6], Tafur dépose, sur la tête du chevalier franc, une couronne qu'il « fait à l'aide d'une branche de ronces, en souvenir de la couronne d'épine. Godefroy lui prête alors allégeance, et jure qu'il ne reçoit Jérusalem que des mains de Dieu et du roi Tafur »[7]. Toujours selon cet historien : « Ces incidents, purement fictifs, indiquent à quel point le roi mendiant était devenu le symbole de l'immense espoir irraisonné qui avait soutenu la plebs pauperum tout au long de ses indicibles déboires jusqu’à la ville Sainte »[8].
Après avoir analysé les nombreuses sources disponibles, l'historien Jay Rubenstein (en) a conclu que l'idée selon laquelle les Tafurs étaient spécifiquement responsables des actes cannibales n'est rien d'autre qu'un mythe[9].
Notes et références
modifier- Richard le Pélerin - La Chanson d'Antioche, Chant V, partie II, renouvelée par Graindor de Douai, publié par Paulin Paris, 1862, p199-200, citation exacte : "«Seigneurs, dit Garsion, vous avez mal agi, Vous écorchez nos gens, vous avez déterré les morts; Sachez, par Mahomet, que vous faites une grande vilenie. » Bohémond répond: « Ce n'est pas par notre consentement. Jamais nous ne l'avons commandé, vous le croiriez à tort. C'est par l'ordre du roi Tafur, qui est leur chef; Une troupe diabolique, sachez-le en vérité. Ils aiment mieux la chair des Turcs que paons épicés, le roi Tafur ne peut être dompté par nous tous.»"
- Xavier Yvanoff, Anthropologie du racisme - essai sur la genèse des mythes racistes, pages 76 et suivantes
- Richard le Pélerin - La Chanson d'Antioche, Chant V, Partie I, renouvelé par Graindor de Douai, publié par Paulin Paris 1862, p196-197, citation : [Le roi Tafur à Pierre l'Ermite] "Sire, conseillez moi par sainte charité, pour vrai nous mourons de faim et de misère" Pierre répondit : "C'est par votre lâcheté. Allez, prenez ces Turcs qui sont là jetés morts. Ils seront bon à manger s'ils sont cuits et salés." Et le roi Tafur répondit : "Vous dites vrai." Il sort de la tente de Pierre, il a appelé ses ribauds. Ils furent plus de dix mille quand il les eut rassemblés. Ils ont écorché les Turcs et enlevé les entrailles. Et dans l'eau et au feu ils ont fait cuire la chair. Ils en ont beaucoup mangé, mais ils n'ont pas gouté de pain. Les païens furent très effrayés de cela. Par l'odeur de la chair, ils se sont approchés du mur. Les ribauds sont regardés par vingt mille païens.
- Gandor de Douai : L'histoire des croisades ou Le chevalier du Signe ou La conquête de Jérusalem écrit en langue vulgaire, archivé à la bibliothèque nationale sous le numéro 71925. Seuls trois manuscrits existent. Renax a également participé à ce livre de 30 000 versets.
- Richard le Pélerin - La Chanson d'Antioche, Chant IV, partie IX, renouvelée par Graindor de Douai, publié par Paulin Paris, 1862, p144, citation exacte : "C'est le duc de Bouillon, savant pour ses assauts. Depuis il fut roi et empereur de Jérusalem ; Jamais il ne porta couronne d'or fin ni de métal ; Du jardin de saint Abraham il lui fut fait un cercle : Le bon roi des ribauds [Tafur] le lui mit sur le chef;"
- trad. (fr), Les fanatiques de l'Apocalypse. Courants millénaristes révolutionnaires du XIe au XVIe siècle, avec une postface sur le XXe siècle, traduit de l'anglais par Simone Clémendot avec la collaboration de Michel Fuchs et Paul Rosenberg, Paris, Julliard, « Dossiers des lettres nouvelles », [1962] ; revue et augmentée, Les Fanatiques de l'Apocalypse : millénaristes révolutionnaires et anarchistes mystiques au Moyen Âge, traduction revue par l'auteur et complétée par Maurice Angeno, Paris, Payot, « Bibliothèque historique », 1983 (ISBN 2228132101)
- Ibid, p.56
- Idem.
- Jay Rubenstein, « Cannibals and Crusaders », French Historical Studies, vol. 31, n⁰ 4, 2008.