Système de crédit social

Le système de crédit social (chinois : 社会信用体系 ; pinyin : shèhuì xìnyòng tǐxì ; litt. « système [de] confiance [en la] société »[1]) est un système de notation des entreprises et citoyens chinois ou résidents mis en place par le gouvernement de la république populaire de Chine, inspiré partiellement du « Credit score (en) » des États-Unis.

Principe

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Ce projet du gouvernement chinois vise à mettre en place un système national de réputation des citoyens[2] et des entreprises[3], inspiré du score de crédit des États-Unis (en)[2],[3], en y ajoutant un système de récompenses et de pénalités pour ceux respectant ou ne respectant pas les règles édictées[3]. Chacun d'entre eux se voit attribuer une note, échelonnée entre 350 et 950 points[4], dite « crédit social », fondée sur les données dont dispose le gouvernement à propos de leur statut économique et social[5],[6],[7],[8]. Le système repose sur des outils de surveillance globale et de surveillance de masse, et utilise les technologies d'analyse du big data[9], afin d'établir un réseau de « confiance » (守信, shǒuxìn) et de réduire les possibilités de fraudes pouvant être commises par les entreprises et les citoyens[3]. Selon plusieurs sources[10],[11],[12],[13],[14], le système de crédit social est également un instrument politique, destiné à étouffer les critiques du régime et à notamment prévenir de possibles dissidences politiques, jusque sur Internet, avec par exemple le système d'évaluation individuel en ligne Sesame Credit.

Historique

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Genèse du projet

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L’idée du « crédit social » prend forme dans les années 2000. Lin Junyue, l’un de ses théoriciens, est nommé ingénieur en chef d’une équipe de travail à la demande du gouvernement : « des entreprises américaines avaient demandé de créer des outils pour en savoir plus sur les entreprises chinoises auxquelles elles voulaient passer commande. Avec mes collègues, nous avons donc fait des voyages d’étude aux États-Unis et en Europe, et nous avons compris qu’il nous fallait construire mieux que ça : un système solide pour documenter la solvabilité des citoyens et des entreprises chinoises. Notre rapport, baptisé « Vers le système national de gestion de crédit », est sorti en , juste avant les [réunions des] deux Assemblées. Le terme « crédit social » est apparu en 2002, quand un officiel a suggéré une symétrie lexicale avec « la Sécurité sociale ». En 2006, la Banque populaire de Chine adopte le principe américain du credit score[2],[3].

Lancement de l'expérimentation en 2014

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La première mention connue du projet remonte à la publication du rapport State Council Notice concerning Issuance of the Planning Outline for the Construction of a Social Credit System (2014–2020) par le Conseil des affaires de l'État de la république populaire de Chine le [15],[16],[17]. Rogier Creemers, post-doctorant et chercheur au Programme for Comparative Media Law and Policy de l'université d'Oxford, publie alors une traduction du document.

L'objectif de cette initiative, selon le schéma de programmation, est « la sensibilisation à l'intégrité et à la crédibilité au sein de la société ». Le système de crédit social est présenté comme un moyen important de parfaire l'économie socialiste de marché (完善社会主义市场经济体制) ainsi que de renforcer et renouveler la gouvernance de la société (加强和创新社会治理). Le système de crédit social est un exemple de l'approche chinoise dite « de haut-niveau » (顶层设计). Il est coordonné par le Central Leading Small Group for Comprehensively Deepening Reforms. Selon le « schéma de programmation pour la Construction d'un Système de Crédit Social (2014-2020) » émis par le Conseil des affaires de l'État de la république populaire de Chine, le système doit poursuivre quatre objectifs : « l'honnêteté dans les affaires du gouvernement » (政务诚信), « l'intégrité commerciale » (商务诚信), « l'intégrité sociétale » (社会诚信), et « une justice crédible » (司法公信)[18]. Si la couverture médiatique a d'abord porté principalement sur la notation des citoyens, qui relève de « l'intégrité sociétale », les plans du gouvernement chinois prévoient d'aller au-delà et d'inclure des scores de crédit pour toutes les entreprises opérant en Chine[19].

Entre autres choses, le système de crédit social est destiné à fournir une réponse au problème de manque de confiance sur le marché chinois. Ses partisans soutiennent que cela va aider à éliminer les difficultés telles que les problèmes de sécurité alimentaire, de fraude, et les marchandises de contrefaçon[20].

En , il n'existe que peu d'informations concrètes sur la façon dont ce système pourrait fonctionner dans la pratique[21]. Plusieurs tests du système ont cependant lieu, à l'échelle locale, ainsi que dans des secteurs spécifiques de l'industrie. Ainsi, à Shanghai, une application utilise le logiciel de reconnaissance faciale pour parcourir les dossiers du gouvernement, et note les utilisateurs en conséquence[22]. Ceux-ci peuvent ensuite accéder à leur score et le publier via les réseaux sociaux[23]. Ces notes se fondent notamment sur le comportement des citoyens chinois en ligne.

170 millions de caméras de vidéosurveillance sont déjà installées en Chine en 2017, et leur nombre doit croître jusqu'à 400 millions en 2020. Grâce au système de reconnaissance faciale, le visage et l'identité des piétons traversant hors des passages cloutés sont affichés sur écran géant jusqu'au paiement de leur amende[24].

Début des tests et de la mise en œuvre à partir de 2018

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Le gouvernement chinois annonce en qu'une phase de test débute dans le secteur des transports en . À cette date, un certain nombre d'incivilités entraîneraient la baisse de la note du citoyen, ce qui lui interdirait de voyager en train et en avion[25],[26]. Selon le quotidien Le Monde, plusieurs millions de citoyens se sont déjà vu imposer des restrictions de transport depuis 2013 « pour n’avoir pas exécuté la décision de justice à laquelle ils ont été condamnés »[27].

Le projet peut prendre différentes formes selon les villes dans lesquelles il est expérimenté. Selon Lin Junyue, « À Suqian, le respect du code de la route est apparu comme essentiel dans la notation. À Rongcheng, on se concentre sur la moralité, le civisme. À Hangzhou, on bâtit une réputation de ville innovante et connectée »[2].

Généralisation en 2020

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Depuis 2020, ce système est appliqué à l’ensemble de la république populaire de Chine, mais sans un standard national[28],[29].

Analyses

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Le gouvernement chinois prévoit un système effectif dès 2020. Si le système de crédit social est mis en œuvre comme prévu, il constitue une nouvelle façon de contrôler à la fois le comportement des individus et des entreprises[30],[31],[32].

La population chinoise aurait une attitude ambivalente envers cette surveillance : « Le système de crédit social n’est pas une mauvaise chose pour la Chine, il y a un vrai besoin. Mais il risque d’être vite utilisé de manière détournée. L’appareil policier s’en sert par exemple pour mieux contrôler des personnes ciblées et non parce qu’elles enfreignent la loi », pour l'avocat Liang Xiaojun[27]. Il est appelé « l’œil céleste » par la population locale[33].

Selon la sinologue Séverine Arsène, « ce projet est surtout une nouvelle étape vers un mode technocratique et paternaliste de gouvernement, basé sur un dispositif de surveillance et des incitations et contraintes destinées à orienter en temps réel le comportement des individus. Ce système rappelle le dang'an (en), le dossier individuel tenu par l’unité de travail pendant la période maoïste, mais il en diffère fondamentalement par sa vocation à être montré, tant à l’individu ou à l’entreprise, qu’à ses amis et contacts professionnels »[23]. Ainsi, le système dit « de crédit social » est un avatar moderne et technologique du nomenclateur social marxiste-léniniste attribuant aux citoyens des « mérites » et des « démérites » selon leur attitude (russe социального номенклатурный[34], chinois 社会术语 shèhuì shùyǔ, coréen 출신성분 songbun) : déjà à l’époque de Mao Zedong, des panneaux d’« honneur » et de « déshonneur » étaient érigés dans tous les villages, quartiers et entreprises[35].

Selon Rachel Botsman, le processus de ludification est au cœur du système : « le gouvernement tente de faire passer l'obéissance pour un jeu. C'est une méthode de contrôle social déguisée en système de récompense. C'est l'obéissance, mais ludique »[9].

Jérôme Colombain estime que « c’est aussi un incroyable système numérique totalitaire. C’est le « big data » au service de la surveillance sociale et politique »[26].

L'ONG Human Rights Watch critique le lien entre le système de crédit social et une politique de justice prédictive testée auprès de la région ouïghoure. Les données recueillies peuvent notamment conduire les personnes dans les camps d'internement du Xinjiang[27],[36].

L'attribution des points est parfois très arbitraire[2][pourquoi ?].

Crédit social pour les entreprises

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Pour les entreprises, le système de crédit social servirait de mécanisme de régulation du marché. L'objectif serait de créer un régime de réglementation autonome alimenté par le big data, dans lequel les entreprises exerceraient une « maîtrise de soi » (企业自我约束), faute de voir leur évaluation revue à la baisse par le gouvernement. Les entreprises disposant de bonnes cotes de crédit pourraient profiter d'avantages tels que de bonnes conditions de crédit, des taux d'imposition inférieurs, et de meilleures opportunités d'investissement. Les entreprises avec de mauvaises cotes de crédit feraient potentiellement face à des conditions défavorables pour les nouveaux prêts, verraient leurs taux d'imposition augmenter, les possibilités d'investissement et de subventions se réduire. Le gouvernement envisage également la surveillance en temps réel des activités de l'entreprise. Dans ce cas, les infractions de la part d'une entreprise pourraient entraîner une baisse presque instantanée de sa note, si la technologie le permet[19].

Notation des entreprises non-chinoises

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Le système de crédit social serait limité à la partie continentale de la Chine. Cependant, les plans ne font pas de distinction entre les entreprises chinoises et les entreprises étrangères opérant sur le marché chinois. Les entreprises étrangères opérant en Chine seraient également soumises au système et même celles n’opérant pas en Chine « Même les entreprises qui ne sont pas directement implantées en Chine sont concernées. « Un contrôle du comportement des entreprises européennes sur d’autres marchés (…) est possible à l’avenir » » [19],[37].

En , la chambre de commerce européenne de Chine met en garde les entreprises européennes[37]. Elle indique que si, pendant longtemps, les sociétés étrangères devaient nécessairement former une coentreprise avec un groupe local pour s’implanter en Chine, dorénavant « le crédit social est l’outil qui permet aux autorités centrales de s’assurer que seuls les groupes qui prouvent qu’ils sont dignes de confiance peuvent faire des affaires en Chine » [38]. Ce système « pourrait décider de la vie et de la mort de nos entreprises en Chine »[39].

Plusieurs sénateurs américains ont aussi alerté en , sur le risque que faisait peser ce système sur les sociétés et l’économie américaines, d’autant plus qu’il est mis en place et géré par certaines sociétés comme Huawei qui ont été sanctionnées par les États-Unis[40].

Implication d'entreprises privées

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En , 137 agences de notation commerciales sont actives sur le marché chinois. Dans le cadre du développement du système de crédit social, le gouvernement chinois a suivi les progrès des organismes tiers de notation financière. En 2015, huit entreprises ont été choisies par la Banque populaire de Chine pour développer des logiciels pilotes afin de noter les citoyens, y compris Alibaba[41],[42] et sa filiale Ant Group, qui développent notamment l'outil d'évaluation individuelle du crédit social Sesame Credit[43],[44]. Le gouvernement chinois a décidé de ne pas octroyer de nouvelles licences en 2017, invoquant des préoccupations sur les conflits d'intérêts et la réticence à partager des données avec d'autres plates-formes[41].

Système de crédit social dans la fiction

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La série Black Mirror explore dans l'épisode Nosedive certaines des implications négatives d'un système comme le système de crédit social chinois[45]. Ces réflexions se retrouvent également dans la série Community[réf. nécessaire], dans l'épisode App Development and Condiments, ou dans l'épisode Majority Rule de la série The Orville.

La Zone du Dehors d'Alain Damasio explore aussi ce système avec le « système du clastre » (classification générale des citoyens).

Le roman AAA de Yoan H. Padines est un thriller d'anticipation qui dépeint une France de 2040 où le crédit social est devenu la norme[46].

Critiques

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La chancelière Angela Merkel critique à Wuhan en le système de crédit social chinois, indiquant qu'en Europe « la protection des données personnelles [est] considérée comme faisant partie des droits de l’homme »[37].

Au début des années 2020, le système a été ridiculisé sur internet. Cela a été illustré par différents mèmes internet, montrant de manière très absurde ce qui se passerait si le crédit social augmentait ou diminuait en fonction des phrases ou des mots utilisés et des actions effectuées[47],[48],[49].

Conséquences sur les particuliers

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Le score de crédit social de Xu Xiaodong, praticien des arts martiaux mixtes chinois (MMA) a été abaissé à « D » à la suite d'une ordonnance du tribunal[50].

Xu est un critique féroce de ce qu'il appelle le « faux kung-fu ». Il affirme que le MMA de style occidental est supérieur aux arts martiaux traditionnels chinois, un point de vue qui, dans l'environnement de plus en plus nationaliste de la Chine, est souvent malvenu[50].

En 2017, Xu Xiaodong a insulté le grand maître de Tai chi Chen Xiaowang. Chen, au lieu de régler le conflit sur le ring, a poursuivi Xu en justice et a gagné. Xu a été condamné par un tribunal chinois à payer 400 000 yuans (près de 58 000 dollars) d'amende et à s'excuser publiquement sur les médias sociaux pendant sept jours consécutifs pour avoir insulté Chen[50].

Selon Apple Daily, Xu Xiaodong a déjà payé l'amende, mais il a refusé de s'excuser. En raison de son non-respect de la sentence, un tribunal chinois a abaissé la cote de crédit de Xu à « D »[50].

Une cote de crédit « D » signifie que Xu ne sera plus autorisé à acheter des billets d'avion ou de train, ni à acheter des biens immobiliers. Il sera également interdit dans les hôtels, les restaurants et les boîtes de nuit étoilées, et ses enfants ne pourront plus étudier dans des écoles privées[50].

Selon le magazine Wired qui traite des nouvelles technologies, la pandémie de Covid-19 a permis à la Chine d'augmenter l'impact de son système de crédit social, notamment par l'usage des listes noires et des restrictions de voyage appliqués aux particuliers soupçonnés de ne pas respecter les règles de confinement[51].

Système semblables hors de Chine

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D'après Jean-Gabriel Ganascia, président du comité d'éthique du CNRS, interviewé par Élise Lucet en octobre 2019, il existe déjà un crédit social sur Internet où « nous sommes notés en permanence », ainsi que dans certaines institutions financières, telles que assurances et banques. Les informations transmises via les médias sociaux sur Internet sont récupérées par un certain nombre de grandes entreprises. Il évoque aussi les technologies de reconnaissance faciale par exemple testées à Nice[52].

En France, la CAF a mis en place un système de « score de risque »[53].

Références

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  1. Le terme 信用, xìnyòng, peut être traduit par confiance, ou crédit dans le sens apporter du crédit à quelqu'un, être crédible, et non pas un crédit de point ou d'argent
  2. a b c d et e René Raphaël et Ling Xi, « Bons et mauvais Chinois : Quand l’État organise la notation de ses citoyens », Le Monde diplomatique,‎ (lire en ligne)
  3. a b c d et e Ahmed 2019.
  4. « En Chine, un système de « crédit social » règlera la vie des citoyens », Le Nouveau Magazine Littéraire,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. (en) Celia Hatton, « China 'social credit': Beijing sets up huge system », BBC News,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  6. Celia Hatton, « China 'social credit': Beijing sets up huge system », sur BBC News (consulté le )
  7. Josh Chin et Gillian Wong, « China’s New Tool for Social Control: A Credit Rating for Everything », Wall Street Journal,‎ (ISSN 0099-9660, lire en ligne, consulté le )
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  9. a et b (en) Rachel Botsman, « Big data meets Big Brother as China moves to rate its citizens », Wired UK,‎ (lire en ligne, consulté le )
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  14. « La Chine est déjà dans le futur (et ça ne fait pas rêver) », sur www.20minutes.fr (consulté le )
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Bibliographie et source en ligne

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Voir aussi

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Articles connexes

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Liens externes

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