Sensitivity reader
Un sensitivity reader (litt. « lecteur en sensibilité »[1]), ou démineur éditorial[2],[3], est une personne chargée par un auteur ou une maison d'édition d’examiner une œuvre littéraire avant publication en vue de débusquer des contenus pouvant être perçus comme choquants, offensants ou porteurs de stéréotypes ou de biais, et de rédiger un rapport avec des suggestions de réécriture[4].
Controverses
modifierLe travail des sensitivity readers suscite des controverses. Lorsque Kevin Lambert se félicite, en 2023, d'avoir fait appel à un sensitivity reader pour l'écriture de son ouvrage Que notre joie demeure, dans la première sélection du Goncourt, il déclenche une polémique en France[5].
Les partisans de ces modifications d'œuvres littéraires estiment que « la qualité littéraire d'une œuvre est notablement améliorée » quand celle-ci est revue et corrigée par d'autres personnes issues d'une nation spécifique ou d'une communauté autre que celle de son auteur[4]. Helen Wicks, directrice des publications jeunesse chez Bonnier, défend cette pratique ainsi : « Nous reconnaissons qu’il s’agit de trouver un équilibre délicat, et que la voix de l’auteur doit être respectée. Cependant, nous pensons que les sensitivity readers peuvent jouer un rôle important dans les publications avant-gardistes et inclusives[6]. »
Les opposants à ces travaux de relecture accusent les sensitivity readers d'être « de nouveaux gardiens de la morale » et d'appliquer le filtre de la cancel culture à la littérature[7],[8]. Ainsi, les britanniques Anthony Horowitz et Kate Clanchy (en) ont tous les deux critiqué les conséquences de la relecture de leurs livres par des sensitivity readers[6]. En février 2023, l’éditeur anglais des œuvres de Roald Dahl (Puffin Books (en), division jeunesse de Penguin), a décidé d'utiliser les services de sensitivity readers pour vérifier le contenu des œuvres de l'auteur[9]. L'éditeur français de l'auteur, Gallimard Jeunesse, s’est refusé à faire de même[10]. Suzanne Nossel (en), la directrice de PEN America (en), la branche américaine de l’association PEN International, s'est déclarée « alarmée » par ces méthodes qu'elle perçoit comme « un prétendu effort pour nettoyer les livres de ce qui pourrait offenser quelqu'un »[11]. Salman Rushdie, quant à lui, y voit une « censure absurde »[12] et Bret Easton Ellis une pratique non pas liée à une idéologie, mais au capitalisme et à l'envie de faire des affaires[13].
Dans la littérature
modifierDans son roman dystopique, paru en 2023, Sensibilités, l'autrice Tania de Montaigne conte la disparition d'une maison d'édition baptisée Feel good qui, à force de réécrire les livres des auteurs pour ne pas heurter les sensibilités, faire monter le cours de son action en bourse et se conformer aux attentes des messages postés sur les réseaux sociaux finit par perdre tous ses lecteurs[14],[15].
Voir aussi
modifierRéférences
modifier- Mathilde Ramadier, « Sensitivy reader : le nouveau job qui permet d'éviter les propos sexistes, racistes ou homophobes »
- Commission d’enrichissement de la langue française, « démineur, -euse éditorial, -e », sur FranceTerme, ministère de la Culture (consulté le ).
- Dorian Grelier et Aliénor Vinçotte, « Qu’est-ce qu’un ‟sensitivity reader” en français ? », Le Figaro, (consulté le ).
- (en) « Writing, Editing, and Publishing Indigenous Stories » [archive du ], Edmonton, Alberta, Canada, University of Alberta, (consulté le )
- Denis Cosnard, « Les « sensitivity readers » au cœur d’une polémique avant le prix Goncourt », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- (en) « Publishers defend sensitivity readers as vital tool following author criticism », The Stage Media Company, London, England, (ISSN 0006-7539, lire en ligne [archive du ] , consulté le )
- (en) Zoe Dubno, « The rise of the ‘sensitivity reader’ », Press Holdings, London, England, (ISSN 0038-6952, OCLC 1766325, lire en ligne [archive du ] , consulté le )
- (en) Kat Rosenfield, « Sensitivity Readers Are the New Literary Gatekeepers », Reason Foundation, Los Angeles, California, USA, no August/September 2022, (OCLC 818916200, lire en ligne [archive du ], consulté le )
- « Controverse. Peut-on réécrire les livres de Roald Dahl ? » [archive du ], sur Courrier international, (consulté le )
- « Gallimard Jeunesse préfère “contextualiser” que “réécrire” Roald Dahl », sur ActuaLitté.com (consulté le )
- (en) « Tweet de Suzanne Nossel » [archive du ], sur Twitter, (consulté le ) : « At @PENamerica we are alarmed at news of "hundreds of changes" to venerated works by @roald_dahl in a purported effort to scrub the books of that which might offend someone. »
- (en) Jennifer Hassan, « Salman Rushdie calls revisions to Roald Dahl books ‘absurd censorship’ », The Washington Post, London, England, Nash Holdings, (ISSN 0190-8286, OCLC 2269358, lire en ligne [archive du ], consulté le )
- Dupuy 2023.
- « Sensibilités, de Tania de Montaigne : une fable contemporaine, selon Jenny Salgado », sur ici.radio-canada.ca (consulté le )
- « Pourquoi lire… "Sensibilités" de Tania de Montaigne ? », (consulté le )
Annexes
modifierBibliographie complémentaire en Français
modifier- « "Sensitivity readers": naissance d’une profession », sur Livres Hebdo (consulté le )
- « Les "Sensitivity Readers" et l'édition française (1/2) », sur Livres Hebdo (consulté le )
- « Les "Sensitivity Readers" et l'édition française (2/2) », sur Livres Hebdo (consulté le )
- Eric Dupuy, « Bret Easton Ellis remonté contre les "sensitivity readers" et la réécriture des classiques » , sur Livres Hebdo, (consulté le ).
- Tania de Montaigne, Sensibilités: Roman, Bernard Grasset, coll. « Littérature Française », (ISBN 978-2-246-81448-1)