Roman Opałka

artiste contemporain franco-polonais

Roman Opałka, né le à Hocquincourt et mort le [1] à Chieti, en Italie, est un peintre franco-polonais majeur de l’art conceptuel.

De 1965 à sa mort, il se consacre à l'œuvre de sa vie dont le but est d'inscrire la trace d'un temps irréversible. Ses moyens d'expressions sont majoritairement ses Détails (suites de nombres peints sur toile), des autoportraits photographiques et des enregistrements sonores de sa voix.

Biographie

modifier

Roman Opałka est né le à Hocquincourt, dans la Somme, de parents polonais.

De 1946 à 1948, il suit une formation de lithographe à l’école de graphisme de Wałbrzych Nowa Ruda. Il poursuit ses études à l’École supérieure des arts plastiques de Łódź en Pologne, en 1949, puis à l’Académie des beaux-arts de Varsovie de 1950 à 1956[2].

Alors diplômé de l'Académie des Beaux-Arts de Varsovie, il devient professeur d'art à la Maison de la culture de Varsovie, où il enseigne de 1958 à 1960. Il s'installe définitivement en France en 1977[3]. Il meurt lors de ses vacances en Italie, le , alors âgé de 79 ans, à la suite d'une infection généralisée.

Œuvre et réflexion

modifier

On peut noter deux grandes périodes dans la carrière artistique d’Opałka, l’« avant » et l’« après » 1965, date qui marque un grand tournant dans sa vie d’artiste. En 1965, à Varsovie, Roman Opałka attend dans un café sa femme, qui tarde à arriver. Ce temps mort lui donne la solution à son travail en gestation : il a l'idée de matérialiser le temps par la peinture[4].

L'« avant-1965 »

modifier

Roman Opałka commence sa carrière artistique à la fin des années 1950. Il rencontre rapidement un grand succès en tant que graveur et remporte de nombreux prix, tant en Pologne qu'à l'étranger. Non satisfait de son poste de chef décorateur auprès de l'armée polonaise, il trace sa propre voie dans l'art en cherchant à redéfinir les notions du modernisme et de l'avant-garde en peinture.

Les Chronomes (1962-1963), des peintures monochromes grises entièrement recouvertes de millions de signes blancs, sont inspirées par la pensée uniste de Wladyslaw Strzeminski, grand peintre d'avant-garde polonaise, selon laquelle chaque centimètre carré du tableau a la même valeur artistique. Les toiles de cette série sont une première tentative d'inscription du temps sur la toile. Cependant, chaque Chronome se regarde de façon isolée. Le temps n'y est pas assez visible et Opałka cherche à rendre perceptible un temps irréversible[5].

L'« après-1965 » : OPALKA 1965 / 1 - ∞

modifier

L'année 1965 est un tournant dans la vie d'Opałka. L'artiste trouve enfin une raison de vivre, une idée artistique valant la peine d'être accomplie[6]. Pour lui, sa pratique de peintre conceptuel dépend en partie d'une solution philosophique qui permettrait d'accepter l'existence. La philosophie et l'art sont deux dimensions essentielles au peintre.

Son activité d'artiste rejoint les lois immuables de l'existence humaine : elle visualise l'irrémédiable écoulement d'un temps qui l'achemine vers sa propre fin. Il s'agit pour lui de « capter » le temps, de saisir l'instant, c'est un combat qu'il engage avec son propre corps et dont l'ultime conclusion est la mort. Chaque peinture faite étant en même temps une preuve incontestable de vie.

L'extension de son projet est « une partie d'un tout fondateur »[7]. Son œuvre se matérialise par les différents éléments qui la composent : les détails, les cartes de voyage, les photographies, les enregistrements sonores.

Manifeste

modifier

« Ma proposition fondamentale, programme de toute ma vie, se traduit dans un processus de travail enregistrant une progression qui est à la fois un document sur le temps et sa définition. Une seule date, 1965, celle à laquelle j’ai entrepris mon premier Détail.

Chaque Détail appartient à une totalité désignée par cette date, qui ouvre le signe de l’infini, et par le premier et le dernier nombre portés sur la toile. J’inscris la progression numérique élémentaire de 1 à l’infini sur des toiles de même dimensions, 196 sur 135 centimètres (hormis les "cartes de voyage"), à la main, au pinceau, en blanc, sur un fond recevant depuis 1972 chaque fois environ 1 % de blanc supplémentaire. Arrivera donc le moment où je peindrai en blanc sur blanc.

Depuis 2008, je peins en blanc sur fond blanc, c’est ce que j’appelle le "blanc mérité".

Après chaque séance de travail dans mon atelier, je prends la photographie de mon visage devant le Détail en cours.

Chaque Détail s’accompagne d’un enregistrement sur bande magnétique de ma voix prononçant les nombres pendant que je les inscris. »

« C'est ainsi que s'explique le titre de mon programme : 1 - ∞.Concept qui m'autorise à me considérer comme peintre de l'infini, peignant l'idée de l'infini, par la progression des nombres, la mort du peintre.

C'est ainsi que le blanc que je peins n'est pas celui des lumières de la nature qu'on connaît dans l’histoire de la peinture, ni celui des monochromes blancs, ni le blanc de la toile préparée, enduite seulement de cette base blanche. Car ce blanc est surtout un blanc conceptuel. Ce blanc qui n’a pas besoin de rivaliser avec aucun autre blanc, car il constitue une force, la puissance du blanc mental. Un blanc qui subsistera au delà des nombres, qu’ils soient perdus ou non dans le fond du tableau. Car ce blanc existait, existe et existera toujours en tant que présence de l’idée, à jamais périssable, celle du blanc absolu. Ce blanc subsistera, même si le temps lui fait perdre de son ėclat, car il gardera cette force de l’idée du blanc, du blanc conceptuel - indestructible et jamais peint jusque-là[8]. »

Détails

modifier

À partir de 1965, année du 1, il peint, en majorité sur un format d'échelle humaine (196 × 135 cm). Il peint en blanc sur fond noir, les nombres qui se succèdent sans relâche et sans fin : 1, 2, 3, 4, 5, etc. Chaque nombre représente un instant, une trace irréversible du temps.

En s'engageant dans son premier tableau (OPALKA 1965 / 1 - ∞ Détail 1-35327), l'artiste a réduit les moyens plastiques à l'essentiel. Il choisit volontairement de réduire sa palette au noir et blanc. Il s'engage à cet instant consciemment pour toute sa vie dans une seule et unique voie, et alors que l'on pourrait penser qu'il s'installe dans une monotonie, l'artiste répond qu'au contraire, il est l'artiste qui logiquement fait à chaque nombre, quelque chose de réellement différent. À juste titre, pour lui, rien ne se répète jamais (si ce n'est les chiffres composant les nombres)[9].

Arrivé au nombre « 1 000 000 », en 1972, il décide de faire évoluer son travail. Dès lors, à chaque nouvelle toile entamée, il ajoute 1 % de blanc dans la peinture servant au fond de sa toile, initialement noir à 100 %. Petit à petit, les fonds blanchissent, marquant d'une nouvelle manière le temps qui passe. Toutefois, afin de ne pouvoir être accusé de « fraude », Roman Opałka veille à utiliser deux blancs différents, un pour ses nombres (blanc de titane) et un pour le blanchissement progressif de son fond (blanc de zinc). Aussi, même sur ses toiles les plus récentes (donc les plus blanches), on peut encore distinguer le tracé des nombres en regardant la toile sous un certain angle[10].

À la mort d'Opalka, la série Détails compte 233 tableaux et s’achève avec le nombre 5 607 249[11]

Autoportraits et Enregistrements sonores

modifier

Roman Opałka entreprend deux autres démarches dans ce projet de vie artistique.

À la fin de chaque séance de travail, Opałka se prend en photo sur fond blanc selon le même protocole : cadre serré, éclairage lumineux et régulier, fond blanc, chemise blanche, cheveux qui blanchissent, il vient peu à peu se fondre dans le fond, y disparaître[10]. Ce rituel est pour lui une façon de rendre encore plus visible la dimension physique et humaine de son travail.

Lorsqu'il peint, Opałka s'enregistre sur bande magnétique, lisant, en polonais, les nombres qu'il est en train de peindre. Toujours dans ce projet de « capture » du temps, de l'instant.

Expositions et collections publiques

modifier

Expositions personnelles

modifier

Sélection d'expositions personnelles :

  • anche OPALKA, Galerie Michela Rizzo, Venise, -
  • Roman Opalka : Passages, Galerie Dominique Levy, Londres, -
  • Roman Opalka : The end is defined, Christie’s Mayfair, Londres, -
  • Roman Opalka, Dominique Lévy Gallery, New York, -
  • Il tempo della pittura, Carpaccio et Opalka, musée Correr, Venise, -
  • Passages, Galerie Yvon Lambert, Paris, -
  • Roman Opalka, Musée national Marc Chagall, Nice, -
  • Octogone OPALKA, 7 Détails peintures, 70 Détails photographiques, Musée d’Art Moderne de Saint Étienne Métropole, Saint Étienne, -
  • OPALKA 1965 / 1 – ∞, Détails photographies, CCC de Tours, - (Premier million et cinquième million).
  • Grande Rétrospective Roman Opalka, Stadtpalais, Dresde, Allemagne[pas clair], -
  • Unity in expansion : OPALKA 1965 / 1 - ∞, Musée municipal d'Art de Toyota, Toyota, -
  • Roman Opalka, OPALKA 1965 / 1 - ∞, Szepmuveszeti Budapest, Musée des Beaux-Arts, Budapest, mars -
  • Roman Opalka, Pavillon de la Pologne, 46e Biennale de Venise, 1995
  • Roman Opalka OPALKA 1965 / 1 - ∞, Neue Nationalgalerie, Berlin, -
  • Roman Opalka, Opalka1965 / 1 - ∞, Galeria Sztuki Wspolczesnej Zacheta Gallery of Contemporary Art, Varsovie, -
  • Roman Opalka, exposition à l’occasion de la remise du Kaiserring, Mönchehaus Museum, Goslar,
  • Roman Opalka, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, juillet -
  • OPALKA 1965 / 1 - ∞, Städtische Galerie im Lenbachhaus, Munich, -
  • Opalka, rencontre par la séparation, Centre culturel de Buenos Aires, Argentine, 1988
  • Roman Opalka, Hôte du Musée d'art et d'histoire, AMAM, Genève, -
  • Künstler im Museum' 73, Folkwang Museum, Essen, - , Galerie Bischofberger, Zurich
  • Opalka 1965 / 1 - ∞ - Travel sheets, Galleria LP 220, Turin,
  • Opalka, le vertige de l’infini, musée de Tessé, Le Mans, 2012
  • OPALKA 1965/1-∞, Exposition au Ciam La Fabrique, Toulouse, du 26 avril au 15 juin 2012.

Expositions de groupe

modifier

Sélection d'expositions de groupe :

  • Aging Pride, Belvédère Museum, Vienne, -
  • Il mio corpo nel tempo – Luethi, Ontani, Opalka, Galleria d'Arte Moderna Achille Forti, Vérone, -
  • Behold the man, Kunstmuseum, Magdeburg, -
  • Un musée imaginé. Et si l’art disparaissait?, Centre Pompidou, Metz, -
  • Unfinished : thoughts left visible, Metropolitan Breuer, New York, -
  • Le Mur – Œuvres de la Collection Antoine de Galbert, la Maison rouge, Paris, -
  • Prima Materia, Punta della Dogana, Venise, -
  • Dans l'œil du critique - Bernard Lamarche-Vadel et les artistes, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris - MAM/ARC, Paris, -
  • Singular Forms (sometimes repeated) - Art from 1951 to the Présent, Guggenheim, New-York, -
  • ZERO Die europaïsche Vision – 1958 bis heute, Sammlung Lenz Schönberg, Museum Für Zeitgenössische Kunst, Galerie Klovicevi dvori, Zagreb, -
  • 34émes Rencontres Internationales de la Photographie, Arles, juillet - .
  • Married by Powers, Tent, Centre d’Art de Rotterdam, Pays-Bas, octobre -
  • Vis à Vis : Opalka et Pistoletto, Istituto Polacco di Roma et Galleria di Pino Casagrande, Rome, 5 -
  • L’autre moitié de l’Europe, musée du Jeu de Paume, Paris, -
  • Global conceptualism, Points of Origin 1950S - 1980s, musée d'Art du Queens. Flushing Meadows, - / Miami Art Center, Miami, and M.I.T. List Visual Art center, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge (MA) and Vancouver Art Museum, Vancouver, -
  • Das XX. Jahrhundert. Ein Jarhrhundert Kunst in Deutschland, Neue Nationalgalerie, Berlin, -
  • On Your Own Time, PS1 MoMA, New York, -
  • La règle du jeu, Abbaye-aux-Dames, Caen, -
  • Preferirei di no - Cinque stanze tra arte e depressione, Museo Correr, Venise, -
  • Manifeste I, Musée national d'art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris, 1992
  • L'art conceptuel, une perspective, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, - , Musée d'art contemporain de Montréal, -
  • ZERO, Vision und Bewegung, Werke aus der Sammlung Lenz, Städtische Galerie im Lembachhaus, Munich, -
  • Fifty Years of Collecting : An Anniversary Sélection, The Solomon R. Guggenheim Fondation, New York, 1987
  • Qu'est-ce que l'art français ?, Centre régional d'Art contemporain, Labège Innopole, Toulouse, 1986
  • Process und Konstruktion, Kunstlerwerkstätten, Munich, 1985
  • Présences Polonaises, l'art vivant autour du musée de Lodz, Centre Georges Pompidou, Paris, 1983
  • Documenta, Cassel, 1977
  • Today/Tomorrow, Lowe Art Museum, University of Miami, Miami, 1976

Collections publiques

modifier

Sélection de l’œuvre OPALKA 1965 / 1 - ∞ dans les collections publiques :

Distinctions

modifier

  Commandeur de l'ordre des Arts et des Lettres (2009)[12]

Postérité

modifier

En 2012, Bernard Noël lui consacre son texte Le Roman d'un être[13]. En 2014, Claudie Gallay publie Détails d'Opalka.

Bibliographie

modifier
  • Opalka 1965 / 1 - ∞, Roman Opalka, La Hune, 1992
  • Roman Opalka, Christine Savinel, Jacques Roubaud, Bernard Noël, Éditions Dis Voir, 1996
  • Le roman d’un être, Bernard Noël, P.O.L, 2012
  • Détails d’Opalka, Claudie Gallay, Acte Sud, 2014
  • Opalka Vis-à-vis d’une toile « non touchée », Roman Opalka, Éditions Jannink, 2006

Notes et références

modifier
  1. Relevé des fichiers de l'Insee
  2. « Roman Opałka - Site Officiel », sur opalka1965.com (consulté le ).
  3. idem
  4. Farine Manou, « Opalka avant Opalka »  , sur lejournaldesarts.fr, (consulté le ).
  5. « Décès de Roman Opalka », sur Paris Art, (consulté le ).
  6. Roman Opałka, Opalka 1965-∞, la hune, libraire éditeur, p. 15.
  7. ibid., p. 18.
  8. Roman Opalka, Vis-à-vis d'une toile non-touchée, Ed. Jannink, (ISBN 2-916067-12-4 et 978-2-916067-12-4, OCLC 421404819, lire en ligne)
  9. ibid, p. 27.
  10. a et b Émission Le RenDez-Vous du 3 septembre 2010, présentée par Laurent Goumarre, invité Roman Opałka, diffusée sur France Culture, à l'occasion de l'exposition « OPALKA 1965/1-∞ », "Passages", Yvon Lambert.
  11. OPALKA 1965/1 – ∞, comme un memento mori à l’ère du digital sur le site d'Echosciences Grenoble
  12. « Nomination ou promotion dans l'ordre des Arts et des Lettres juillet 2009 »
  13. Alexia Guggémos, « Le Roman d'un être: l'hommage de Bernard Noël à Opalka », sur www.huffingtonpost.fr, Le Huffington Post, (consulté le )

Liens externes

modifier