Point de vue du Gras
Le Point de vue du Gras est la première photographie[1],[note 1], permanente[note 2], réussie[note 3] et connue[note 4] de l'histoire de la photographie. Elle est l'œuvre et l'invention de l'inventeur français Nicéphore Niépce qui réalise la prise de vue en 1827 de sa maison de Saint-Loup-de-Varennes près de Chalon-sur-Saône en Saône-et-Loire.
Artiste | |
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Date | |
Type | |
Lieu de création | |
Dimensions (H × L × l) |
16,7 × 20,3 × 0,15 cm |
Format |
(format de la plaque d'étain) |
Propriétaire |
Université d'Austin |
No d’inventaire |
964:0000:0001 |
Localisation | |
Coordonnées |
Description
modifierNiépce réalise cette photographie à l'aide d'une chambre noire et d'une plaque d'étain polie recouverte de bitume de Judée de 16,2 × 20,2 centimètres[2] ou 16,7 × 20,3 × 0,15 centimètres[3] selon les sources. Le fait que le soleil illuminât tous les bâtiments des deux côtés a longtemps fait considérer comme évident que le temps de pose avait été d'une journée entière[note 5], mais après avoir reconstitué le procédé dans les années 1990 et en s'appuyant sur les témoignages d'époque[4], Marignier a démontré que le temps de pose avait dû être de plusieurs jours[5],[6]. Il avait d'abord réalisé en 1822 une nature morte, oubliée de l'Histoire, étrangement, qui se révèle être en réalité la toute première photographie en tant qu'elle fixe sur un support durable la reproduction captée d'objets disposés sur une table. "Le point de vue du gras" n'est pas, contrairement à une idée faussement répandue, la toute première photographie de l'histoire. Cette toute première photographie et son histoire a pourtant été reproduite dans diverses revues et publications sur la photographie.
Historique
modifierÀ partir de 1816, Nicéphore Niépce entreprend dans sa maison de Saint-Loup-de-Varennes de multiples recherches sur la photosensibilité des matériaux pour tenter de fixer sur un support l'image du fond d'une chambre noire, pour reproduire des images tout autant que des points de vues et scènes de la vie réelle. Niépce expérimente la reproduction d'images par contact et c'est ainsi qu'en 1822, Niépce parvient à copier le portrait dessiné du pape Pie VII sur une plaque de verre enduite de bitume de Judée, par la simple action de la lumière. Cette date est retenue pour être celle de l'invention du procédé photographique par l'immense plaque commémorative érigée à Saint-Loup-de-Varennes et sur laquelle est inscrit : "DANS CE VILLAGE, NICEPHORE NIEPCE INVENTA LA PHOTOGRAPHIE EN 1822."[7] En 1824, une tentative est faite en utilisant une pierre lithographique, mais l'image est à peine visible, c'est en tout cas ce que Niépce écrit à son frère Claude en septembre de la même année[8]. Il parvient finalement à un résultat satisfaisant à l'été 1827 avec une chambre noire et au moyen d'une plaque d'étain recouverte de bitume de Judée (goudron naturel connu depuis l'Antiquité) rincée dans un bain d'essence de lavande. Il réalise ainsi cette première héliographie / photographie de l'histoire de la photographie à partir de la fenêtre du premier étage de l'atelier de son domicile baptisé « Le Gras ». Cette image, baptisée « point de vue du Gras » dispose d'un niveau de netteté surprenant en regard des précédentes expérimentations mais l'original semble de nos jours difficilement intelligible si l'on se réfère aux critères des générations suivantes ayant connu des images très nettes, fidèles et détaillées, raison pour laquelle 125 ans plus tard cette image sera essentiellement connue à partir d'une reproduction très retouchée.
En 1828, Niépce améliore sa technique et obtient des images d’une qualité supérieure avec des demi-teintes sur un support à base d'argent poli et en faisant agir des vapeurs d'iode sur l'image au bitume. La précision des images ainsi obtenues est étonnante, toujours selon les critères de l'époque.
En 1829, il s'associe avec son confrère inventeur Louis Daguerre pour concevoir à deux un second procédé photographique amélioré baptisé physautotype, précurseur du daguerréotype.
Après un voyage d'affaires infructueux au Royaume-Uni afin d'intéresser la Royal Society à son procédé, Niépce donne cette photographie au botaniste Franz Bauer, ainsi que d'autres specimens d'images par contact et un texte décrivant son invention. Nicéphore Niépce meurt soudainement en 1833 d'un AVC. Alors qu'en janvier 1839 sont annoncées publiquement les inventions de Louis Daguerre et Fox Talbot, célébrant Daguerre comme l'inventeur de la photographie, Franz Baueur s'efforce de faire reconnaître l'antériorité de l'œuvre de Nicéphore Niépce, et présente le 9 mars 1839 à la Royal Society les éléments que Niépce lui avait confiés une dizaine d'année auparavant. Bauer meurt en 1840 et l'image passe ensuite dans de nombreuses mains et est exposée régulièrement au titre de curiosité historique. Elle est exposée au public pour la dernière fois en 1898 et tombe ensuite dans l'oubli durant plus de 50 ans.
Helmut Gernsheim, un historien de l'art et grand collectionneur, et sa femme, Alison Gernsheim, la recherchent, la retrouvent et l'acquierent en 1952[9], et cette redécouverte intronise finalement Niépce comme étant l'inventeur de la photographie. Ils font réaliser une copie moderne par un expert des laboratoires de recherche de la société Kodak mais il s'avère très difficile de trouver un compromis permettant de représenter tous les détails de la plaque originale. Helmut Gernsheim retouche lourdement une copie pour en supprimer les défauts de surface et rendre l'image plus compréhensible : dès lors et jusqu'à la fin des années 70, cette image en noir et blanc est la seule copie autorisée pour les publications et la diffusion.
En 1963, Harry Ransom rachète l'essentiel de la collection de Gernsheim pour l'université du Texas à Austin et cette image fait partie de l'acquisition. Elle est actuellement[10] exposée au Harry Ransom Center (en)[3] et présentée dans un conteneur sous hélium, un gaz rare qui la protège de toute corrosion et noircissement.
Depuis 1952 et jusqu'en 1963, l'image a beaucoup voyagé à l'occasion d'expositions en Europe continentale et elle semble avoir été endommagée à un moment indéterminé durant cette période, après sa reproduction par Kodak et avant son acquisition par Harry Ransom : elle présente notamment des traces de coups ayant occasionnés des bosses à trois angles de la plaque. Depuis 1953 la plaque a presque exclusivement été montrée aux États-Unis, à l'exception d'une exposition à Mannheim, en Allemagne, en 2012-2013[11].
À partir du , à l'occasion du congrès At First Light consacré à Niépce et organisé au Harry Ransom Center[12], la maison de Nicéphore Niépce, transformée en musée, a mis en ligne en temps réel sur son site web les images d'une webcam installée à une fenêtre située approximativement au même endroit que la fenêtre depuis laquelle le cliché historique fut pris (cette fenêtre ayant été transformée et décalée). Cette retransmission est aujourd'hui interrompue.
Galerie
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Nicéphore Niépce (1765-1833).
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Plaque originale, à l’origine de la reproduction beaucoup plus récente, en noir et blanc et aux contrastes rehaussés, généralement diffusée.
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Plaque originale, encadrée, telle qu'exposée au Harry Ransom Center (en) aux États-Unis.
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À gauche, plaque originale, à droite, version retouchée de l’image, à usage didactique, par réorientation et colorisation, pour rendre la vue plus compréhensible.
Postérité
modifierEntre 1995 et 1998, l'artiste Andreas Müller-Pohle s'est inspiré du Point de vue du Gras pour créer Digital Scores[13].
En 2003, le magazine Life a listé le Point de vue du Gras parmi les « 100 photographies qui ont changé le monde »[14].
En 2005, Joan Fontcuberta a créé Googlegram: Nièpce, une photomosaïque reconstituant le Point de vue du Gras à partir de 10 000 images numériques trouvées sur Google Images avec les mots-clés « photo » et « foto »[15].
Estimations de la date de prise de vue
modifierLa date généralement admise pour la prise de vue a été dans un premier temps 1826, jusqu'à ce qu'elle soit remise en cause en 1967 par Harmant et Marillier[16] qui, s'appuyant sur des lettres de Niépce, avancèrent qu'elle date de 1827, entre le et le .
Ainsi Helmut Gernsheim, qui a d'abord retenu la date de 1826 (dans un article de 1977 par exemple[17]), admit ensuite celle de 1827 (dans un ouvrage de 1982 par exemple[18]).
Grâce à une reconstitution virtuelle permettant de calculer les ombres en fonction de la date, Jean-Louis Marignier a d'abord estimé, en 2008, que la période de prise de vue la plus probable était la deuxième quinzaine de [6], avant de recentrer son estimation autour du solstice d'été[19], fin juin.
Analyses scientifiques
modifierLa photographie a été analysée par des scientifiques du Getty Conservation Institute (en) en 2002-2003[20]. Les résultats en ont été dévoilés le lors du congrès At First Light[21].
Notes
modifier- Nicéphore Niépce ne parle alors pas de photographie mais d'héliographie : littéralement « écriture par le soleil » ou « gravure par la lumière »
- Fixée et stable dans le temps
- C'est à dire avec un sujet et des formes que l'on arrive à discerner<<;
- D'autres essais présumés antérieurs sont connus par des correspondances de Niépce, mais leurs datations sont sujettes à caution, et ces essais ont disparu.
- Vidéo du musée.
Références
modifier- (en) Introducing The Niépce Heliograph
- « Catalogue des œuvres de Niépce », sur photo-museum.org, Maison de Nicéphore Niépce.
- (en) « The Niépce Heliograph », Harry Ransom Center (en).
- « Procédé de M. Daguerre », Le Constitutionnel, no 232, , p. 2 (lire en ligne).
- Jean-Louis Marignier, Niépce : L'invention de la photographie, Paris, Belin, coll. « Un savant, une époque », , 592 p. (ISBN 2-7011-2433-6), p. 536.
- Jean-Louis Marignier, « Aux origines de la photographie : Nicéphore Niépce », Communications, Académie des beaux-arts, , p. 80 [53–84] (lire en ligne).
- « Site du Musée "Maison Nicéphore Niepce" », sur Maison Nicéphore Niepce
- Jean de Loisy et Sandra Adam-Couralet, « "Point de vue du Gras" de Nicéphore Niépce », Les Regardeurs, France Culture, (consulté le ).
- Irène Gernsheim, « Helmut Gernsheim redécouvre Nicéphore Niépce », dans Nicéphore Niépce : une nouvelle image (actes du colloque, 15-16 janvier 1998, Chalon-sur-Saône), Chalon-sur-Saône, Société des amis du musée Nicéphore Niépce, , 219 p. (ISBN 2-907284-19-3).
- (2024)
- (en)Exhibition History
- (en) « Live web broadcast », sur niepce.com, Maison de Nicéphore Niépce (version du sur Internet Archive). Version enregistrée par Internet Archive le 4 décembre 2003.
- (en) « Digital Scores (after Nicéphore Niépce). 1995–1998 », sur le site d'Andreas Müller-Pohle.
- (en) Robert Sullivan (dir.), 100 Photographs that Changed the World, New York, Life, , 176 p. (ISBN 1-931933-84-7), « Pigeon House and Barn 1827 », p. 13, reproduit dans (en) « Pigeon House and Barn 1827 », The Digital Journalist (en), no 71, (lire en ligne).
- (en) Kaja Silverman (en), The Miracle of Analogy : Or The History of Photography, vol. 1, Stanford University Press, , 239 p. (ISBN 978-0-8047-9327-8 et 978-0-8047-9399-5), p. 60–65.
- (en) Pierre-Georges Harmant et Paul Marillier, « Some Thoughts on the World's First Photograph », The Photographic Journal (en), vol. 107, no 4, , p. 130–140 (lire en ligne), trad. « À propos de la plus ancienne photographie du monde », Photo-Ciné-Revue, , p. 231–237.
- (en) Helmut Gernsheim, « The 150th Anniversary of Photography », History of Photography, vol. 1, no 1, , p. 3–8 (DOI 10.1080/03087298.1977.10442876, lire en ligne), trad. Irène Gernsheim, « La première photographie au monde », Études photographiques, no 3 « Frontières de l'image / Le territoire et le document », (lire en ligne).
- (en) Helmut Gernsheim, The Origins of Photography, Londres et New York, Thames & Hudson, , 280 p. (ISBN 0-500-54080-2), p. 34.
- Jean-Louis Marignier, « Histoire de la redécouverte des procédés de l'invention de la photographie par Nicéphore Niépce », Histoire de la recherche contemporaine, vol. 1, no 2, , p. 145–156 (DOI 10.4000/hrc.171).
- (en) « Photographic Processes Research », sur getty.edu, Getty Conservation Institute (en).
- (en) « Results of Scientific Study on the First Photograph Unveiled during "At First Light, Niépce and the Dawn of Photography" », communiqué de presse, Harry Ransom Center, .
Voir aussi
modifierArticles connexes
modifierLiens externes
modifier- Jacques Darcy-Roquencourt, « Le point de vue du Gras de Nicéphore Niépce », niepce-daguerre.com (consulté le ).