Pauvreté évangélique

La pauvreté évangélique (à ne pas confondre avec la pauvreté spirituelle) est une vertu évangélique basée sur le septième commandement (« Tu ne commettras pas de vol ») et la béatitude « Bienheureux les pauvres en esprit, le Royaume de Dieu est à eux ». Cette vertu, que tout chrétien est appelé à vivre, n'est pas une incitation à l'indigence ou la misère, mais un appel au dépouillement, à la sobriété, à la réduction de la consommation, au respect de la création et des animaux. La modération de l’attachement aux biens de ce monde est, pour l'Église, un signal de l’intérêt porté aux personnes plutôt qu’aux biens.

Le Sermon sur la montagne par Carl Heinrich Bloch, 1890.

La pratique de la vertu de pauvreté évangélique ne se limite pas à la mise en commun des biens économiques, ou de services humanitaires, caritatifs et éducatifs, mais également de tous les talents personnels (artistiques, intellectuels, physiques, spirituels, ...) dans l'exercice des responsabilités sociales, familiales ou professionnelles de chacun ; ces biens devant être utilisés en fonction des capacités de chacun, dans l'intérêt de tous.

La pratique de la pauvreté par le chrétien intègre un engagement pour la justice sociale, la justice économique (un État de droit défendant l'intérêt de la population, la régulation des systèmes financiers, des relations commerciales) ainsi que la mise en œuvre d'un devoir de justice et de solidarité, ou de charité, à l'intérieur d'une nation et entre les nations. Les nations riches étant appelées à soutenir et aider les nations plus pauvres ou moins développées.

Origine et signification

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La pauvreté évangélique est une vertu évangélique basée, dans le Catéchisme de l'Église catholique, sur :

  • Le septième commandement « Tu ne commettras pas de vol » (Ex 20,15, repris en Dt 5,19)[1].
  • La béatitude « Bienheureux les pauvres en esprit, le Royaume de Dieu est à eux » (Mt 5,3)[2],[3].

Pour le chrétien qui souhaite vivre des valeurs de l'évangile, il découvre, dans la pauvreté, les richesses de générosité, d’abnégation et de liberté intérieure qui lui permettent de se rendre dépendant de Dieu, pour se mettre au service de ses frères et de ses sœurs. Vivre la pauvreté évangélique consiste, tout en se gardant confiant en Dieu, à faire un usage évangélique[C 1] des biens de ce monde et des talents personnels, dans l’exercice des responsabilités sociales, familiales et professionnelles. Cette vertu implique également un engagement en faveur de la justice dans le monde[C 2], afin que celui-ci soit davantage conforme au projet de Dieu. Pour le chrétien, la pratique de la pauvreté évangélique est un acte d’espérance par lequel, en reconnaissant ses limites personnelles, il s’abandonne avec confiance à la bonté et à la fidélité de Dieu[4].

Simplicité de vie

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Dans la culture et mentalité contemporaine la pauvreté est perçue comme un mal social ou économique. Aussi le vœu de pauvreté est-il parfois expliqué par des auteurs religieux comme un engagement à un style de vie radicalement simple[5],[2]. La pauvreté religieuse n’est pas une option pour l’indigence [6]ou la misère[C 3],[C 4]. Ce dépouillement permet une nouvelle relation avec la nature et les biens de la terre, ou (en langage théologique) un renouvellement du sens de communion à Dieu, au sein de sa Création[4].

La pratique de la vertu de pauvreté est un appel à la sobriété, à la réduction de la consommation[2], à un respect de la création et des animaux[C 5] et des conditions de vie du prochain[C 6] : l'appétit de consommation humaine doit être modéré dans l'attention portée à la création et aux conditions de vie des générations futures[C 6]. Pour le père Mas Arrondo, cette vertu de pauvreté « implique non seulement un comportement extérieur, mais aussi intérieur. Elle englobe le fait de modérer la pensée et les ambitions de n'importe quel genre »[7]. Ainsi, Thérèse d'Avila met en garde les chrétiens contre les « honneurs » (un amalgame de pouvoir, d'argent, de prestige et de réputation), les invitant à combattre ces tendances naturelles chez l'homme[8].

Partage des biens

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Le lien indissoluble entre pauvreté évangélique et partage des biens[C 7] est également illustré dans la pratique de la communauté chrétienne primitive telle qu’elle est décrite dans le livre des Actes des Apôtres. Il y est fréquemment mentionné que les chrétiens mettaient tout en commun et aucun ne manquait de rien (Ac 4,32).

L'Église précise que la modération de l’attachement aux biens de ce monde[9], est signal de l’intérêt porté aux personnes plutôt qu’aux biens, et la pratique du partage des biens en est une des expressions les plus éclairantes. Ce fut ainsi dès l’origine, et durant toute l’histoire de l'Église. Ainsi, le père Mas Arrondo, déclare : « avec l'évangile et les œuvres de sainte Thérèse en main, nous défendons la convenance d'une austérité de vie de la part de tous, c'est-à-dire un système économique non basé sur la production maximale pour qu'augmentent la consommation et le profit. Nous croyons que, si la majorité des hommes menaient une vie sobre, une meilleure distribution de la richesse serait possible sur toute la planète »[10]. Plus loin il précise que tout chrétien souhaitant mener un chemin spirituel doit en préalable renoncer volontairement « à avoir comme but suprême de la vie le fait de gagner de l'argent. Celui qui trouve dans l'argent l'objectif central de sa vie, a déjà trouvé son dieu, il n'en a pas besoin d'un autre »[11].

La pratique de la vertu de pauvreté évangélique ne vise pas uniquement la mise en commun des biens économiques, mais aussi de services humanitaires, caritatifs et éducatifs[C 8], tout comme des talents personnels (artistiques, intellectuels, physiques, spirituels[12], ...) dans l'exercice des responsabilités sociales, familiales ou professionnelles[4] qui doivent être utilisés en fonction des capacités de chacun, dans l'intérêt de tous[13].

Promotion de la justice

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Différence entre justice et charité

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Associé à la notion de pauvreté, se trouve le principe de justice sociale et la défense des droits de l'homme[3]. Déjà dans l'Épître de Jacques, il était fait mention que ne pas payer un juste salaire aux travailleurs était une atteinte à la justice (Jc 5,1-6). Saint Jean Chrysostome le disait également : « Ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs. »[14], tout comme saint Grégoire le Grand : « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne leur faisons point de largesses personnelles, mais leur rendons ce qui est à eux. Nous remplissons bien plus un devoir de justice que nous n’accomplissons un acte de charité. »[15]. Ce que reprend le Catéchisme de l'Église catholique qui le répète en disant « Il faut satisfaire d’abord aux exigences de la justice, de peur que l’on n’offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice. »[C 9].

Justice économique

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Si pour l'Église, le travail est un devoir : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » (2Th 3,10, 1Th 4,11)[C 10]. Elle précise que la juste rétribution du salaire est une question de justice sociale[C 11]. Car « Chacun doit pouvoir puiser dans le travail les moyens de subvenir à sa vie et à celle des siens, et de rendre service à la communauté humaine. »[C 10].

Et si tout le monde doit avoir « droit à des initiatives économiques »[C 12], l’État a le devoir de surveiller et de conduire l’application des droits humains dans le secteur économique[C 13].

Justice dans le monde

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L'Église précise également dans son catéchisme que la solidarité est nécessaire entre les nations. Les États doivent enrayer les "mécanismes pervers" qui empêchent le développement de certains pays. La régulation des systèmes financiers, des relations commerciales justes entre nations, stopper la course aux armements pour mobiliser toutes les énergies vers un développement moral, culturel et économique de toutes les nations (et de tous les êtres humains)[C 14]. Il s'agit pour les nations riches plus d'un devoir de justice que de solidarité ou de charité[C 15]. Tout chrétien est appelé à la promotion de la justice dans le monde[C 3],[C 16].

Vœu de pauvreté

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Si, dans l'Église catholique tout chrétien est appelé à vivre la vertu évangélique de pauvreté, seuls les religieux ont la possibilité de prononcer le vœu de pauvreté lors de leurs vœux religieux. Il s'agit pour alors d'un engagement fort à vivre cette pauvreté évangélique, officialisée par une promesse solennelle et publique faite à Dieu, et qui inclut la renonciation à la possession de biens matériels, en vue de se livrer plus entièrement à la recherche de Dieu et des biens spirituels qu’il pourra lui accorder.

Citations

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  • « Recevoir avec gratitude ce que la providence divine t'envoie ; renoncer joyeusement à ce dont elle veut te priver ; et ne pas te soucier de ton propre corps, de ses petits besoins, de ses envies, mais en laisser le soin à ceux qui en ont la charge ; ne pas te préoccuper du lendemain ni du prochain repas »[16].
  • « Il exige la pauvreté, car nos mains, pour recevoir les biens du ciel, doivent être vides des biens de ce monde. »[17].

Voir aussi

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Notes et références

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  1. « Catéchisme de l'Église Catholique », sur Vatican, vatican.va (consulté le ), p. 3e partie, 2e section, Chapitre 2, 7e commandement et pages suivantes.
  2. a b et c « En réalité, avant même d'être un service des pauvres, la pauvreté évangélique est une valeur en soi, car elle évoque la première des Béatitudes par l'imitation du Christ pauvre. En effet, son sens primitif est de rendre témoignage à Dieu qui est la véritable richesse du cœur humain. C'est précisément pourquoi elle conteste avec force l'idolâtrie de Mammon, en se présentant comme un appel prophétique face à une société qui, dans de nombres parties du monde riche, risque de perdre le sens de la mesure et la valeur même des choses. Ainsi, aujourd'hui, plus qu'à d'autres époques, la pauvreté évangélique suscite aussi l'intérêt de ceux qui, conscients des limites des ressources de la planète, réclament le respect et la sauvegarde de la Création en réduisant la consommation, en pratiquant la sobriété et en s'imposant le devoir de mettre un frein à leurs désirs. » Exhortation apostolique de Jean-Paul II, La vie consacrée et sa mission dans le monde, N°90
  3. a et b Programme de formation initiale, Ordre des Carmes Déchaussés Séculiers, 2012, Page 58, chap B-1-4 L'esprit du conseil évangélique de pauvreté.
  4. a b et c « Constitutions de l’Ordre Séculier », sur Le Carmel en France, carmel.asso.fr (consulté le ), paragraphe 14 : Vivre l’esprit du conseil évangélique de pauvreté
  5. Paul Lebeau, La Vie religieuse ; un chemin d’humanité, Namur, CDRR, Coll. Vie consacrée, 1992, p. 97 ss.
  6. « La promesse de pauvreté est un appel à discerner le nécessaire du superflu, mais aussi à nous situer de manière juste vis-à-vis de toutes nos formes de richesse (intelligence, compétences, ...). C'est aussi un appel à prêter une attention particulière aux exclus et aux petits de ce monde, à tous ceux qui ont peu de moyens. » Cahier de formation de l'OCDS, Province Avignon-Aquitaine, France sud, 2012, Fiche A-2-1 Pauvreté, chasteté, obéissance, Page 33
  7. Mas Arrondo 2015, p. 57.
  8. Mas Arrondo 2015, p. 56.
  9. N° 2407 : « En matière économique, le respect de la dignité humaine exige la pratique de la vertu de tempérance, pour modérer l’attachement aux biens de ce monde ; de la vertu de justice, pour préserver les droits du prochain et lui accorder ce qui lui est dû ; et de la solidarité, ... ».
  10. Antonio Mas Arrondo, Toucher le Ciel, Éditions du Carmel, coll. « Carmel Vivant », , 350 p. (ISBN 978-2-84713-320-2), p. 54.
  11. Mas Arrondo 2015, p. 55.
  12. « Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple. Ce qui se dit entendre non seulement de renoncer aux choses corporelles et temporelles quant à la volonté mais aussi de se dés-approprier des spirituelles, en quoi consiste la pauvreté d'esprit en laquelle le Fils de Dieu met la félicité. » Saint Jean de la Croix, Vive Flamme, strophe 3, vers 3.
  13. Par exemple, une personne douée pour la musique ne doit pas "abandonner son talent" par humilité ou désir de "pauvreté", mais le mettre au service de ses frères. Si besoin gratuitement.
  14. (Saint Jean Chrysostome Laz. 1, 6 : PG 48, 992D)
  15. Saint Grégoire le Grand, past. 3, 21).
  16. Edith Stein, La crèche et la Croix, Ad Solem, , 75 p. (ISBN 978-2-940402-10-6), p. 42.
  17. Stein 2008, p. 43.

« Catéchisme de l'Église Catholique », sur Vatican, vatican.va (consulté le ), p. 3e partie, 2e section, Chapitre 2, 7e commandement

  1. N°2404 : « L’homme, dans l’usage qu’il en fait, ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui, mais aux autres " (GS 69, § 1). La propriété d’un bien fait de son détenteur un administrateur de la Providence pour le faire fructifier et en communiquer les bienfaits à autrui, et d’abord à ses proches. »
  2. N°2446, mais également 2437 à 2442
  3. a et b Numéro 2401 : « Le septième commandement défend de prendre ou de retenir le bien du prochain injustement et de faire du tort au prochain en ses biens de quelque manière que ce soit. Il prescrit la justice et la charité dans la gestion des biens terrestres et des fruits du travail des hommes. Il demande en vue du bien commun le respect de la destination universelle des biens et du droit de propriété privée. La vie chrétienne s’efforce d’ordonner à Dieu et à la charité fraternelle les biens de ce monde. »
  4. N°2505 : « Les biens de production – matériels ou immatériels – comme des terres ou des usines, des compétences ou des arts, requièrent les soins de leurs possesseurs pour que leur fécondité profite au plus grand nombre. Les détenteurs des biens d’usage et de consommation doivent en user avec tempérance, réservant la meilleure part à l’hôte, au malade, au pauvre. »
  5. N°2416, 2417, 2418
  6. a et b N°2415 : « L’usage des ressources minérales, végétales et animales de l’univers, ne peut être détaché du respect des exigences morales. ... elle est mesurée par le souci de la qualité de la vie du prochain, y compris des générations à venir. »
  7. N°2403 et 2404 : « Le droit à la propriété privée, acquise ou reçue de manière juste, n’abolit pas la donation originelle de la terre à l’ensemble de l’humanité. La destination universelle des biens demeure primordiale, même si la promotion du bien commun exige le respect de la propriété privée, de son droit et de son exercice. » et « "L’homme, dans l’usage qu’il en fait, ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui, mais aux autres " (GS 69, § 1). La propriété d’un bien fait de son détenteur un administrateur de la Providence pour le faire fructifier et en communiquer les bienfaits à autrui, et d’abord à ses proches. »
  8. N°2461
  9. N°2445, 2446
  10. a et b N°2428
  11. N°2434 : « Le juste salaire est le fruit légitime du travail. Le refuser ou le retenir, peut constituer une grave injustice. »
  12. N°2429
  13. N°2431
  14. N°2438 : « La solidarité est nécessaire entre les nations dont les politiques sont déjà interdépendantes. Elle est encore plus indispensable lorsqu’il s’agit d’enrayer les "mécanismes pervers" qui font obstacle au développement des pays moins avancés (cf. SRS 17 ; 45). Il faut substituer à des systèmes financiers abusifs sinon usuraires (cf. CA 35), à des relations commerciales iniques entre les nations, à la course aux armements, un effort commun pour mobiliser les ressources vers des objectifs de développement moral, culturel et économique "en redéfinissant les priorités et les échelles des valeurs". »
  15. N°2439 : « C’est un devoir de solidarité et de charité ; c’est aussi une obligation de justice si le bien-être des nations riches provient de ressources qui n’ont pas été équitablement payées »
  16. N°2407, 2409, 2411, 2412, 2424, 2434, 2439, 2451, 2466.