Passage frontalier de Morses Line
Le passage frontalier de Morses Line est un poste frontalier à la frontière canado-américaine reliant les municipalités de Saint-Armand, au Québec (Canada), et Franklin, au Vermont (États-Unis). On y accède par la route 235, que ce soit depuis le Vermont ou le Québec.
D'abord constituée en hameau transfrontalier prospère, l'agglomération rurale perd peu à peu de l'importance au fur et à mesure du durcissement des mesures de contrôles. Bien qu'ils soient désormais peu fréquentés, les postes de douane de part et d'autre font l'objet de projets de modernisation dans les années 2010. Le poste douanier américain conserve néanmoins son bâtiment originel, alors que du côté canadien, la guérite est rasée et remplacée par des installations modernes dans un hangar robuste.
Toponymie
modifierLe nom rappelle J. Morse, tenancier d'un magasin général situé à cheval sur the Line (« la frontière »). Le nom apparaît dans un atlas du comté de Franklin en 1871[1].
L'endroit donne son nom à une formation géologique riche en ardoise, le Morses Line Slate[2].
Histoire
modifierHameau de Morses Line
modifierLa frontière entre les provinces de Québec et de New York, alors deux colonies britanniques, est délimitée par des travaux d'arpentage en 1774[note 1]. La frontière est alors fixée sur papier au 45e parallèle de latitude nord[3], mais les conditions difficiles du terrain et l'emploi d'instruments rudimentaires entraînent une erreur de 1,5 km par endroits[1],[3]. L'adhésion du Vermont à la fédération des États-Unis d'Amérique en 1791[note 2] entraîne la nécessité de matérialiser la frontière internationale entre le jeune pays et la province britannique du Bas-Canada[1].
Avec une telle incertitude quant à l'emplacement de la frontière, les bâtiments, les fermes et les chemins coupent la ligne, voire sont construits à cheval sur elle — par inadvertance ou à dessein[note 3],[1],[3]. Ainsi, vers 1871, J. Morse construit un magasin général chevauchant la frontière canado-américaine près de la borne-frontière n° 621[1],[4].
Le magasin est racheté par James Monroe Hill, qui fait bâtir une résidence du côté américain et des bâtiments de ferme du côté canadien. Le magasin est détruit dans un incendie, puis est reconstruit plus grand, accueillant dorénavant un bureau de poste ainsi qu'une station de télégraphe. Le magasin offre des produits et services à une clientèle qui parcourt plusieurs kilomètres pour s'y approvisionner[1].
Un hameau nommé Morses Line se forme progressivement autour du magasin et de la ferme Hill. On dénombre plusieurs fermes, un forgeron, un charron, un rucher ainsi qu'un débit de boisson, le Bucket-of-Blood Bar (« bar Seau-de-Sang »)[1].
En 1922, Hill vend son magasin à Charles Bibeau, qui le tient pendant douze ans. Hill reprend le magasin de Bibeau pour un court moment avant sa mort. La succession de James Hill vend la ferme et le magasin à Lucien Brouillette[1].
Établissement de postes frontaliers
modifierMême plus d'un siècle et demi après l'établissement d'une frontière, les échanges demeurent nombreux et fréquents, alors que les habitants des deux côtés partagent des liens familiaux, religieux et économiques[5],[6].
Avant la réorganisation de l'agence américaine des douanes et des frontières en 1913, les points de contrôle n'étaient pas établis systématiquement à même les passages frontaliers, mais dans des villages près de la ligne. C'est le cas du passage de Morses Line : jusqu'en 1935, la guérite de perception des droits de douane se trouve à Franklin, à plusieurs milles au sud de la frontière. La localisation au cœur du village est commode pour les producteurs laitiers et acéricoles des environs, dont le commerce s'effectue depuis et vers Montréal, au Canada[1].
Un poste frontalier américain est établi à Morses Line en 1935. Comme la plupart des bureaux douaniers du Vermont de l'époque, l'édifice est construit dans un style pastiche de l'architecture georgienne, et revêtu de brique. Il s'agit néanmoins du plus petit poste bâti à cette époque, conçu pour loger une famille ainsi qu'un bureau d'une superficie 150 pieds carrés (14 m2)[1].
Du côté canadien, c'est en 1952 qu'est établi le poste frontalier de Morses Line. Pour ce faire, le gouvernement du Canada acquiert la ferme Hill. Il démolit le magasin et la grange, et déplace deux maisons en les éloignant de la frontière[1]. L'une d'entre elles, servant à héberger des ouvriers forestiers, avait déjà été déplacée depuis la ferme jusqu'à la frontière par le gouvernement américain, qui y soupçonnait des activités de contrebande[7].
Modernisation des installations
modifierDouane américaine
modifierDans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 et avec l'« angoisse sécuritaire »[3] qui s'est ensuivie, le gouvernement américain projette le renforcement des contrôles frontaliers via un programme de rénovation des postes de douane. En 2009, par crainte que son caractère rudimentaire et vétuste ne favorise l'introduction de biens pouvant menacer la sécurité des États-Unis, le poste de Morses Line est l'un des premiers visés par le programme[8]. Bien que le poste ne contrôle quotidiennement que quelques passages[note 4], il est proposé de remplacer la petite maison de brique et son carport par une installation moderne occupant 4,9 acres (2 ha)[8].
Pour ce faire, le gouvernement américain offre à la famille Rainville, les fermiers propriétaires du site visé pour le nouveau port d'entrée, un prix « dérisoire »[3] pour une partie de leurs terres, sans quoi ils risquent l'expropriation[8],[3]. Les Rainville refusent l'offre, arguant que la perte d'une telle superficie cultivable menace la rentabilité de leur ferme. Le sénateur Patrick Leahy appuie leur résistance, réclamant carrément la fermeture du point de passage[8]. L'idée séduit Janet Napolitano, secrétaire du département de la Sécurité intérieure, qui propose la fermeture définitive du poste en 2011[6],[8].
Les communautés des deux côtés de la frontière maintiennent des liens économiques et familiaux malgré le durcissement des contrôles ; elles s'opposent donc à la fermeture[6],[4]. Le passage du Canada aux États-Unis est maintenu ouvert avec le bâtiment originel, et la « historic barn and farmhouse » (« ferme historique »)[1] de la famille Rainville, établie entre les deux postes de douane, demeure l'un des derniers témoins du hameau de Morses Line[1].
Douane canadienne
modifierImage externe | |
Jessica Rubinger, « Le poste de douane canadien », sur cbc.ca, Société Radio-Canada, (consulté le ) |
La reconstruction du poste canadien est annoncée en 2014[9]. Alors que le poste frontalier compte moins de 22 000 passages l'année précédente[10], la petite guérite de bois est tout de même remplacée au coût de 2,5 M$ par un imposant bâtiment en acier fabriqué à Kingston (Ontario) puis assemblé sur place. Le bâtiment est similaire à un garage[6]. Les lieux sont sécurisés par des caméras puissantes et des barrières infranchissables[11].
Le poste de douane est équipé d'un système de télécommunication permettant à un douanier d'opérer à distance, à titre de projet-pilote. Le service de télé-douane permet de garder la liaison ouverte en tous temps[6]. Toutefois, les heures de service de télé-douane sont réduites en 2018 en raison de la faible fréquentation[12]. Le service de traitement à distance est totalement suspendu en 2020 en raison de la baisse du trafic international causée par la pandémie de COVID-19[13].
Notes et références
modifierNotes
modifier- La ligne est fixée à l'aide d'une boussole, et démarquée par le placage d'arbres.
- Réclamé par le New Hampshire, le Vermont avait entretemps fait sécession de New York.
- Des auberges sont érigées sur la ligne en vue de faciliter la contrebande ou la vente d'alcool en période de prohibition de l'alcool aux États-Unis, mais on compte aussi des bureaux de poste, des magasins généraux, des salles de concert, voire des villages entiers
- 80 par jour selon CLUI 2015, 40 par jour selon Freeman 2016 et Filipov 2010, 2½ par heure selon Dillon 2010.
Références
modifier- U.S. Customs and Border Protection 2019.
- (en) Grace C. Keroher, Lexicon of Geologic Names of the United States for 1936-1960, Part 2 : G-O, Washington, United States Government Printing Office, , 2886 p. (lire en ligne), p. 2608.
- Lasserre, Forest et Arapi 2012.
- The Center for Land Use Interpretation 2015.
- Farfan 2009.
- Freeman 2016.
- Fourez 2008.
- Filipov 2010.
- Hébert 2014.
- Anne Préfontaine, Agence QMI, « Poste frontalier de Morses Line: un projet-pilote d'un système de télésurveillance », sur journaldemontreal.com, Le Journal de Montréal, (consulté le ).
- Woods 2016.
- Hébert 2018.
- Agence QMI, « Service réduit à huit points frontaliers au Québec », sur journaldemontreal.com, Le Journal de Montréal, (consulté le ).
Annexes
modifierBibliographie
modifierArticles de presse
modifier- Karine Blanchard, « Un nouveau poste frontalier évalué à 2,5 M$ à Morses Line » , sur lavoixdelest.ca, La Voix de l'Est, (consulté le ).
- (en-CA) Josh Dehaas, « Experimental border crossing in Quebec mostly automated », sur ctvnews.ca, CTV News, CTV, (consulté le ).
- (en-US) John Dillon, « Vermont Farm Takes On Border Fight With U.S. », sur npr.org, National Public Radio, (consulté le ).
- (en-US) David Filipov, « Vt. farmer draws a line at US bid to bolster border », sur boston.com, The Boston Globe, (consulté le ). .
- Jean-Pierre Fourez, « L’ancienne maison du douanier de Morse’s Line », Le Saint-Armand, vol. 5, no 6, (lire en ligne). .
- (en-US) Alan Freeman, « At one small border post, Canada tests the idea of automated entry », sur washingtonpost.com, The Washington Post, (consulté le ). .
- Mylène Grenier, « Un poste frontalier sans douaniers dans la région de Saint-Armand », sur ici.radio-canada.ca, Le Téléjournal Estrie, Radio-Canada, (consulté le ).
- Claude Hébert, « Le poste frontalier de Morses Line refait à neuf », sur laveniretdesrivieres.com, Journal L'Avenir et des Rivières, (consulté le ). .
- Claude Hébert, « Fini le service de nuit au poste frontalier de Morses Line à compter du 26 novembre », sur laveniretdesrivieres.com, Journal L'Avenir et des Rivières, (consulté le ).
- (en-CA) Alison Northcott, « Cameras replace border guards at small Quebec crossing », sur cbc.ca, CBC News, Canadian Broadcasting Corporation, (consulté le ).
- (en-CA) Allan Woods, « Eyes on this border crossing are 700 kilometres away », sur thestar.com, Toronto Star, (consulté le ). .
Monographies et ressources institutionnelles
modifier- (en-US) Matthew F. Farfan, The Vermont-Quebec border : Life on the line, Charleston, Arcadia Publishing, , 127 p. (ISBN 978-0-7385-6514-9 et 0-7385-6514-8, OCLC 299713643, lire en ligne). .
- (en-US) Martha Hanna Towle, A History of Franklin : Past and Present, Fact or Fancy, Legend or Folksay 1789-1989, Franklin, Franklin Historical Society, , 310 p. (OCLC 1152916000, lire en ligne).
- (en-US) U.S. Customs and Border Protection, « Did You Know... How the Border Crossing at Morses Line, Vt., Got Its Name? », sur cbp.gov, United States government, (consulté le ). .
Ouvrages de nature académique
modifier- (en-US) The Center for Land Use Interpretation, « Chapter 3 : The 45th Parallel », United Divide: A Linear Portrait of the USA/Canada Border, sur clui.org, Land Use Database, (consulté le ). .
- (en-US) The Center for Land Use Interpretation, « Morses Line Border Crossing, Vermont », United Divide: A Linear Portrait of the USA/Canada Border, sur clui.org, Land Use Database, (consulté le ). .
- Frédéric Lasserre, Patrick Forest et Enkeleda Arapi, « Politique de sécurité et villages-frontière entre États-Unis et Québec », Cybergeo : European Journal of Geography, (ISSN 1278-3366, DOI 10.4000/cybergeo.25209, lire en ligne, consulté le ). .