Numération à bases mixtes
Un système de numération à bases mixtes, dit aussi à bases de Cantor[1], ou encore en base à pas variable[2], est un système de numération dans lequel la base varie selon sa place dans la notation positionnelle du nombre, au lieu d'être fixe, comme c'est le cas, par exemple dans le système décimal où la base est toujours 10, ou dans le système binaire où la base est toujours 2.
On trouve de tels systèmes en métrologie. L'exemple le plus courant est le comptage du temps où une semaine compte 7 jours ; un jour, 24 heures ; une heure, 60 minutes une minute, 60 secondes ; une seconde, 100 centièmes de seconde.
En mathématiques, l'utilisation d'une numération à bases mixtes permet parfois de simplifier certains problèmes.
Principe général
modifierCas d'un entier
modifierSoit une suite d'entiers strictement supérieurs à 1. On construit la suite en posant et pour tout , .
Alors pour tout entier naturel non nul, il existe un entier naturel et entiers tels que
- pour tout ,
- .
De plus cette décomposition est unique et représente l'expression du nombre dans le système de bases .
Unicité : L'écriture de , où sous la forme
met en évidence que
- et sont nécessairement respectivement le reste et le quotient de dans la division euclidienne par
- et sont nécessairement respectivement le reste et le quotient de dans la division par
- et ainsi de suite.
Existence : Soit un entier non nul. On définit les suites et en posant
- pour tout , et sont le reste et le quotient de la division de par
On montre alors par récurrence que
- pour tout ,
La suite étant une suite d'entiers strictement décroissante tant que est non nul, elle finit par atteindre 0. Soit le premier entier tel que soit nul. Alors on sait que
- est non nul
- pour tout ,
Dans le cas où tous les sont égaux à , on retrouve le système de numération de base .
Dans le tableau ci-dessous, on indique, pour chaque rang, le poids du rang, la valeur maximale que peut prendre , le plus grand nombre que l'on peut écrire avec chiffres
Rang i | 0 | 1 | 2 | 3 | ... | k | ... |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Poids du rang | 1 | ... | ... | ||||
Valeur max de | ... | ... | |||||
Valeur max de N | ... | ... |
Si l'on cherche à écrire le nombre selon un système positionnel comme dans le système de base 10, on se heurte à deux problèmes. D'une part, les pouvant dépasser 10, l'écriture des risque de nécessiter d'autres chiffres que 0, 1, 2, ..., 9. D'autre part, les étant variables, il parait judicieux de préciser quelque part leurs valeurs. Le premier problème peut se résoudre, comme pour l'écriture en système sexagésimal, en écrivant les en décimal et en insérant un séparateur entre chaque «chiffre». Ainsi, si
on peut écrire
Le second problème peut se résoudre en indiquant des unités (en métrologie)
- = 4 semaines, 5 jours, 13 heures, 15 minutes, 50 secondes.
ou bien en indiquant en indice la valeur qui fait changer de rang[3], c'est-à-dire :
En 1869, Georg Cantor a prouvé[4] que les systèmes de numération permettant de représenter les entiers naturels de manière univoque étaient nécessairement de la forme décrite ci-dessus. Plus précisément: si est une suite strictement croissante d'entiers naturels, pour que, pour tout entier non nul, il existe toujours un entier et entiers uniques tels que
il est nécessaire et suffisant que
- pour tout , soit un multiple de , i.e. avec .
- pour tout , et
Cas d'un réel compris entre 0 et 1
modifierSoit une suite d'entiers strictement supérieurs à 1. On construit la suite en posant et pour tout , .
Alors pour tout réel tel que , il existe une suite d'entiers telle que
- pour tout ,
De plus cette décomposition est unique dès que n'est jamais entier[5]. S'il existe tel que est entier, possède deux décompositions[5], une telle que, pour tout , , l'autre pour laquelle pour tout , .
La construction d'une décomposition utilise une méthode analogue à la division longue : on définit les suites et en posant[6]
- pour tout , et sont respectivement la partie entière et la partie fractionnaire de .
Remarque : si tous les sont égaux à 1, le réel a pour développement de Engel .
Critère d'irrationalité
modifierSoit une suite d'entiers strictement supérieurs à 1 et la suite . On suppose que, pour tout entier , divise les à partir d'un certain rang. Soit un réel, si le développement de sa partie fractionnaire selon la base ne se termine ni par une suite de 0 ni par une suite de alors ce nombre est irrationnel[7]. Dit autrement, si tout nombre premier divise une infinité de et si le développement de la partie fractionnaire de selon la base contient une infinité de termes différents de 0 et une infinité de termes différents de , alors est un irrationnel[8].
Cas d'une base périodique
modifierSi la suite est périodique à partir d'un certain rang, alors un réel est rationnel si et seulement si le développement de sa partie fractionnaire dans la base est périodique à partir d'un certain rang[9].
Exemples
modifierMétrologie
modifierLe comptage du temps est l'exemple le plus simple et le plus courant de système à bases multiples. Ce système de comptage était extrêmement courant, au delà du comptage du temps, avant que ne se généralisent les mesures en système décimal. Le système monétaire anglais avant 1971, utilisait un système de base mixte puisque la livre valait 20 shillings et le shilling 12 pence. Les systèmes de numération sumériens des IVe et IIIe millénaires utilisaient un système additif avec unités dont la base variait. Ainsi pour énumérer des produits consommables, ils utilisaient le système mixte suivant :
Rang i | 0 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 |
---|---|---|---|---|---|---|
Poids du rang | 1 | 10 | 60 | 120 | 1200 | 7200 |
Valeur max de | 9 | 5 | 1 | 9 | 5 | ... |
Le système de comptage du temps maya utilise un systeme de numération positionnel dont tous les valent 20 à l'exception de qui vaut 18[11].
Numération factorielle
modifierDans ce système, la suite des est la suite des entiers consécutifs à partir de 2, et la suite est définie par où est la factorielle du nombre , c'est-à-dire le produit de tous les entiers de 1 jusqu'à . Ce système a les caractéristiques suivantes :
Rang i | 0 | 1 | 2 | 3 | ... | k | ... |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Poids du rang | 1 | 2 | ... | ... | |||
Valeur max de | ... | ... | |||||
Valeur max de N | ... | ... |
Dans ce système un entier naturel s'écrit
et un réel s'écrit
Par exemple, a tous ses coefficients égaux à 1.
Grâce au code de Lehmer, il est possible d'affecter à toute permutation d'un ensemble à éléments un numéro avec au plus chiffres en base factorielle[12].
Numération primorielle
modifierDans ce système, la suite des est la suite des nombres premiers consécutifs et la suite est définie par où est la primorielle du nombre , c'est-à-dire le produit de tous les nombres premiers de 2 jusqu'à .
Ce système a les caractéristiques suivantes :
Rang i | 0 | 1 | 2 | 3 | ... | i | ... |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Poids du rang | 1 | 2 | ... | ... | |||
Valeur max de | ... | ... | |||||
Valeur max de N | 209 | ... | ... |
Voir aussi
modifier- Base (arithmétique)
- Système de numération
- Notation positionnelle
- Produit infini de Cantor
- Forme normale de Cantor, un système de numération à base variable pour les nombres ordinaux.
Références
modifier- Florent de Dinechin, « Opérateurs arithmétiques matériels; Residue Number System », sur ens-lyon.fr, , diapo 3
- J.P. Delahaye, Nombre pi, Malgré les progrès des sciences, il reste une énigme, Le Monde/ Belin, , p. 14
- Seth J. Chandler, "Mixed Radix Number Representations", Wolfram Demonstrations Project, March 7 2011
- Cantor 1869, p. 121-124.
- Lopez 2006, p. 5.
- Lopez 2006, p. 2.
- Cantor 1869, p. 124-126.
- Marques 2009, p. 118.
- Cantor 1869, p. 126.
- (en) Robert K. Englund, « Texts from the late Uruk period », dans Josef Bauer, Robert K. Englund, Manfred Krebernik, Mesopotamien, Späturuk-Zeit und Frühdynastische Zeit, Vandenhoeck & Ruprech, (ISBN 978-3525537978, lire en ligne), p. 16-233, p.118
- André Cauty et Jean-Michel Hoppan, « Les Écritures mayas du Nombre », , p.5
- Laisant 1888.
Bibliographie
modifier- (de) Georg Cantor, « Über die einfachen Zahlensysteme », Zeitschrift für Mathematik und Physik, no 14, , p. 121-128 (lire en ligne);
- (en) Jorge M. Lopez, « A note on Cantor expansions of real numbers », sur Researchgate.net, :
- (en) Diego Marques, « A geometric proof to Cantor’s theorem and an irrationality measure for some Cantor’s series », Annales Mathematicae et Informaticae, no 36, , p. 117-121 (lire en ligne);
- C.-A Laisant, « Sur la numération factorielle, application aux permutations », Bulletin de la S.M.F., vol. 16, , p. 176-183 (lire en ligne)
- (en) Donald Knuth, The Art of Computer Programming : Seminumerical Algorithms, vol. 2, Addison-Wesley, (ISBN 0-201-89684-2), p. 65-66, 208-209, 290