Motion de censure en France
En droit constitutionnel français, une motion de censure est un texte de défiance voté par le Parlement, qui constitue le principal moyen dont il dispose pour exprimer sa désapprobation de la politique du Gouvernement et le forcer à démissionner.
La dernière motion de censure en date a été adoptée le à la suite de l'engagement de la responsabilité du gouvernement Barnier sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Histoire
modifierSous la Restauration
modifierSous la Restauration, les députés manifestaient leur défiance au roi et à son gouvernement sous la forme d'une adresse dont la plus célèbre est, en 1830, l'Adresse des 221, qui a eu comme conséquence la dissolution de la Chambre par Charles X, la victoire écrasante des libéraux, les Trois Glorieuses et le renversement de Charles X.
Sous la Troisième République
modifierDurant la Troisième et la Quatrième Républiques, le Gouvernement peut être renversé facilement du fait des conditions relativement souples de mise en jeu de la responsabilité ministérielle[1].
Les gouvernements des deux premières républiques françaises tirent leur légitimité du Parlement, le président de la République ne faisant que les proposer aux assemblées, auxquelles il doit d'ailleurs, comme le Gouvernement, sa désignation. Un soutien trop faible du Parlement, même sans vote d'une censure, conduit souvent les ministres à démissionner.
La censure sous la IIIe République repose sur le droit d'interpellation, qui remplace le droit d’adresse de 1860, sous le Second Empire[2]: un seul député peut « interpeller » le Gouvernement, à la suite de quoi la Chambre débat, puis vote un texte qui, lorsqu'il est défavorable au Gouvernement, entraîne son départ.
Sous la Quatrième République
modifierSous la IVe République, l’Assemblée nationale domine le Conseil de la République, qui a remplacé depuis 1945 le Sénat, qui ne peut plus renverser le Gouvernement et a perdu son pouvoir d’avis conforme. En revanche, l’Assemblée nationale peut, elle, renverser le Gouvernement, soit en rejetant la confiance demandée par celui-ci, soit, à son initiative, en votant la censure.
Selon la constitution du 27 octobre 1946 (article 50, avant la révision de 1954), « le vote par l'Assemblée nationale d'une motion de censure entraîne la démission collective du cabinet. Ce vote ne peut intervenir qu'un jour franc après le dépôt de la motion. Il a lieu au scrutin public. La motion de censure ne peut être adoptée qu'à la majorité absolue des députés à l'Assemblée ». La motion de censure est rationalisée.
La responsabilité ministérielle peut être engagée après l’entrée en fonction du Gouvernement, à l’initiative des parlementaires via une motion de censure (qui a remplacé l’interpellation).
Dans la pratique, dès la première application (), le Gouvernement, se trouvant défié par une majorité relative, démissionne, considérant qu’il est désapprouvé sans avoir de majorité absolue contre lui. Il crée ainsi un précédent qui devient une source d'instabilité majeure jusqu’à la fin de la IVe. L’habitude est prise de se conformer à la majorité relative alors que le texte de la constitution de la Quatrième République requiert une majorité absolue. La « troisième force », qui est conceptualisée[Par qui ?] après les élections de 1951, émerge dès le départ du PCF du Gouvernement en 1947.
Lors des élections de 1951, les partis membres de cette « troisième force » obtiennent cependant 51 % des voix[3], même si ces partis connaissent une forte baisse de leur nombre de députés au début de la République suivante, la SFIO étant le seul parvenant à reprendre du tonus, au cours des années 1970.[pertinence contestée]
L’habitude est prise de tenir compte de la majorité relative alors que le texte de la constitution requiert une majorité absolue. Dans les années cinquante, on[Qui ?] appelle cela une « crise politique » et non une « crise constitutionnelle », malgré l'instabilité qui s'ensuit. Les ministres du Gouvernement, mis en minorité, démissionnent. Comme il n’y a pas d’incompatibilité entre fonctions de membre du Gouvernement et d'élu du peuple, le ministre qui quitte sa fonction retrouve son siège de député.
Sous la Cinquième République
modifierLes règles de dépôt et de vote de la motion de censure sont modifiés dans la Constitution de 1958 dans le but d'assurer la stabilité gouvernementale.
Dans une logique de rationalisation du parlementarisme, les constituants de 1958 encadrent strictement les conditions de dépôt et de vote de la censure. L'article 49 de la Constitution prévoit qu’une motion de censure « n’est recevable que si elle est signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée nationale » et que « le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt » et que « seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée ». La motion ne peut donc être adoptée qu'à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée, au jour du vote : en général 289 votes sur les 577 sièges de l'Assemblée Nationale, ou un peu moins de 289 voix si certaines élections de députés ont fait l'objet d'annulations qui n'auraient pas encore donné lieu à des réélections avant le jour du vote de la motion[4].
Cette dernière disposition a deux conséquences qui rendent difficile le renversement du Gouvernement : il n'y a pas d'abstention, ce qui signifie que ceux qui ne censurent pas le Gouvernement le « soutiennent » implicitement[1], et, d’autre part, ce n’est pas le Gouvernement qui doit mettre en évidence une majorité de soutien, mais l’opposition qui doit réunir une majorité absolue de défiance sur une motion que tous acceptent[5].
Selon l'article 50 de la Constitution, « lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier ministre doit remettre au président de la République la démission du Gouvernement ».
Selon l'article 27 de la Constitution, il est possible pour un député de déléguer son vote pour l’adoption d’une motion de censure s’il est absent au moment du vote[5].
Motion à l'initiative des députés
modifierDes députés de l'Assemblée nationale peuvent déposer une motion de censure, dite alors « spontanée »[réf. souhaitée], qui met en cause la responsabilité du Gouvernement.
Depuis la réforme de 1995 instaurant la session unique, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d'une même session ordinaire et de plus d'une au cours d'une même session extraordinaire, afin d'éviter tout abus[6].
Entre 1958 et 2024, l'Assemblée nationale a débattu de 62 motions de censure dites « spontanées ». Une seule a été adoptée[7],[8] : en 1962, par 280 voix sur une majorité requise de 241, suite à laquelle le gouvernement Georges Pompidou I est renversé[5].
Motion après l'engagement de la responsabilité du gouvernement
modifierLe Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote de tout ou partie du texte d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, dite alors « provoquée » ou « offensive »[9], est déposée et votée. Le Gouvernement est alors tenu de démissionner et le texte concerné est rejeté. Il n'y a pas de limite sur le nombre de motions de censure par article 49 qu'un député peut signer. Le Premier ministre peut, quant à lui, recourir à cette procédure sans limitation[6].
Entre 1958 et 2024, l'Assemblée nationale a débattu de 52 motions de censure par article 49 alinéa 3[10], dont 28 sous le gouvernement Borne[11],[12]. Une seule[13] a conduit à la démission d'un gouvernement : celle déposée le 2 décembre 2024[14],[15], qui a censuré le gouvernement Michel Barnier.
Accord de non-censure
modifierL'accord de non-censure (un concept non prévu par la Constitution de la Cinquième République) est un compromis programmatique entre députés[16] d'une part, et l'engagement d'un gouvernement à ne plus recourir à l'article 49 alinéa 3, d'autre part. Pour Philippe Brun, député socialiste de l’Eure, son initiateur[17], il s'agit d'éviter une instabilité politique qui profiterait à l'extrême droite[18]. La nomination de Michel Barnier, présenté comme ayant le soutien sans participation du RN, clôt le débat.
Le concept d'« accord de non-censure » se construit en deux temps : après les élections législatives de 2024 en France, puis après la motion de censure qui met fin au gouvernement Michel Barnier.
Le PS précise que cela doit concerner un gouvernement de gauche[19],[20][réf. non conforme]. Les groupes parlementaires écologiste et communiste se rallient à ce concept[16].
Cas des assemblées régionales
modifierAssemblée de Corse
modifierEn Corse, le terme utilisé est motion de défiance mais il connaît les mêmes règles formelles que la motion de censure prévue sur le plan national en France. L'Assemblée de Corse peut l'utiliser pour renverser le Conseil exécutif de Corse[réf. nécessaire].
Assemblée de la Polynésie française
modifierLa mise en cause de la responsabilité du président de la Polynésie française et du gouvernement de la Polynésie française par l'Assemblée de la Polynésie française est appelée « motion de censure » dans l'article 156[21] de la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, dans sa rédaction valable jusqu'au renouvellement de l'assemblée, et « motion de défiance » dans sa version en vigueur au [22].
Assemblée de Martinique
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Notes et références
modifier- Pauline Türk, Mémentos LMD Principes fondamentaux de droit constitutionnel, Gualino éditeurs, , 232 p., p. 137-142.
- où les Chambres ont le droit de voter une « adresse» en réponse au discours traditionnel de l'empereur. Voir 1851-1970 : le Sénat du Second Empire sur www.senat.fr.
- « Élections législatives 1951 », sur france-politique.fr (consulté le ).
- Victor Cousin, « Motions de censure : les clés du vote à venir lundi à l’Assemblée nationale », Le Parisien, (lire en ligne).
- Guy Carcassonne et Marc Guillaume, La Constitution, Éditions du Seuil, , 479 p., p. 249-259.
- « La motion de censure : véritable moyen de contrôle ? 49.3 - Approfondissements Découverte des institutions - Repères », sur vie-publique.fr, (consulté le ).
- Motion de censure du 4 octobre 1962 sur Digithèque MJP.
- Paul Reynaud et Georges Pompidou (4 octobre 1962) sur le site de l'Assemblée nationale.
- « Motion de Censure », sur Encyclopædia Universalis (consulté le ).
- « Engagements de responsabilité et motions de censure (art.49, al.3) », sur Assemblée nationale (France), (consulté le ).
- « Engagements de responsabilité du Gouvernement et motions de censure depuis 1958 », sur Assemblée nationale (France) (consulté le ).
- Juliette Durand, « Comment fonctionne la motion de censure ? », sur Public Sénat, (consulté le ).
- Texte de la motion votée le 4 décembre 2024 et ses 185 signataires, Assemblée nationale, 2 décembre 2024.
- à 16 h 35, précisément.
- Une motion de censure est déposée le même jour à 17 h 30, par Marine Le Pen, Éric Ciotti et 138 de leurs collègues et elle n'a pas donné lieu à un vote.
- « Accord de non-censure : dans l'attente d'un nouveau Premier ministre, la gauche s'ouvre à l'ex-majorité », sur France Info, (consulté le ).
- Philippe Brun, « « Un accord de non-censure serait la seule issue pour sortir de la crise politique » », Le Monde, (consulté le ).
- Antoine Oberdorff, « Philippe Brun : « L’accord de non-censure, c’est le compromis sans la compromission » », L'Opinion, 5 décembre 2024 (lire en ligne).
- « Vers un accord de "non-censure" ? Cette hypothèse qui refait surface après la chute de Michel Barnier », L'Express avec AFP, 5 décembre 2024 (lire en ligne).
- "Coalition, pacte de non-censure : que proposent les différents camps politiques après la chute du gouvernement Barnier ?" par Flavien Groyer le 5 décembre 2024 sur France Bleue [1]
- « Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française - Article 156 », sur legifrance.gouv.fr (consulté le ).
- « Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française - Article 156 », sur legifrance.gouv.fr (consulté le ).