Milord l'Arsouille
Milord l'Arsouille est une célébrité du Carnaval de Paris des années 1830.
Biographie
modifierLe personnage de Milord l'Arsouille[1],[2] doit son nom au surnom[1],[3],[4] de son créateur, Charles de La Battut[5], un jeune Parisien fortuné. Né en [3],[4], La Battut est le fils adultérin[4],[6] d'un riche pharmacien[4] anglais[4],[6] et d'une émigrée française[4]. À sa naissance, son père paye un pauvre gentilhomme breton afin que celui-ci le reconnaisse comme son fils et en porte le nom[4]. À Paris, La Battut habite boulevard des Capucines[6]. Il se lie d'amitié avec Alfred d'Orsay dont il devient l'émule[7]. Au moment du Carnaval, La Battut dépense largement son argent, fréquente les bals et apparaît dans les rues de Paris avec un riche équipage. C'est une belle voiture chargée de masques portant des tenues recherchées. Il est considéré comme ayant dansé, le premier, le cancan au Théâtre des Variétés lors du carnaval de [5].
Un tableau conservé au musée Carnavalet à Paris aurait pour sujet l'équipage carnavalesque de Charles de La Battut en 1834[8].
Les Parisiens, qui ont fait de Charles de La Battut une célébrité carnavalesque, l'assimilent abusivement à un riche et très chic aristocrate anglais de Paris qui n'a aucun rapport avec lui : lord Henry de Seymour[9].
Pour cette raison ils donnent à Charles de La Battut un sobriquet qui reste célèbre : Milord l'Arsouille. Le mot arsouille signifiant en argot de l'époque un mauvais sujet, un fêtard (le verbe ancien s'arsouiller en était dérivé).
Charles de La Battut mourut en 1835. Lord Henry de Seymour disparut bien plus tard en 1859.
Le nom de Milord l'Arsouille est resté fameux bien après leur disparition de la scène parisienne.
Le prestige de Milord l'Arsouille en 1841
modifierUn ouvrage de 1841[10] sur le Carnaval de Paris témoigne de l'engouement des Parisiens resté intact pour le soi-disant lord Seymour, appelé ici lord S***. Il faut relever ici que les Parisiens cherchant lord Seymour croient l'identifier à la vue d'une unique voiture, pas d'un cortège de voitures et ne parlent pas d'un déluge de nourriture de luxe et argent jetés dans la foule. Toutes choses qui vont s'inscrire dans la légende carnavalesque de Milord l'Arsouille :
- Un nom bien cher au carnaval était, il y a quatre ou cinq ans, dans toutes les bouches : celui de lord S***. Le joyeux viveur était de tous les écots ; on le voyait partout. Comme Protée aux mille formes, il changeait d'allure avec une rapidité tenant du prodige. Dans une même nuit, il parcourait tous les bals : on le croyait à l'Opéra, il était aux Variétés ; on le cherchait aux Variétés, il était à la Courtille, car l'infatigable prophète ne dédaignait pas les joies des petits et des humbles. Il allait partout, prêchant la folie par l'exemple, créant le plaisir d'un signe de sa tête puissante, et répandant l'or à pleines mains. … Lord S*** était un Dieu, Chicard n'est qu'un roi. Le nom du premier est populaire ; et le badaud, qui ne peut croire à la disparition de ce grand génie du carnaval, ne voit pas passer une voiture attelée de quatre chevaux, de laquelle partent des nuages de farine ou une grêle de dragées, sans s'écrier avec enthousiasme :
- – C'est lord S*** !
La légende carnavalesque de Milord l'Arsouille
modifierÉmile de Labédollière en 1860 dans Le Nouveau Paris[11] résume bien la légende de Milord l'Arsouille qu'il rapporte ici comme un récit objectif du passé. Rien ne manque ici à cette légende. Il est lord Seymour. Ce qui est faux. Il est escorté par un cortège de voitures portant une foule de masques. Ce qui est également faux si l'on se rapporte au récit de 1841. Il jette la nourriture de luxe et les pièces d'or frites par les fenêtres. Ce que n'aurait pas manqué de mentionner le récit de 1841 :
- Dans le genre carnavalesque comme en tout autre, Paris a eu ses célébrités ; mais parmi ces illustres personnages, il y en eut trois qui dépassèrent toutes les autres de cent coudées : ce furent Chicard, que nous avons déjà nommé, Balochard et surtout lord Seymour. Ce dernier que les gens du peuple avaient surnommé Milord l'Arsouille, se distinguait par les excentricités les plus inouïes ; lorsqu'il arrivait donc à la Courtille avec ses équipages précédés de piqueurs, avec ses voitures marchant à la file et remplis de personnages aux costumes impossibles, le tapage redoublait, chacun était en liesse, on se portait au devant de lui ; c'était une entrée triomphale. Aussi, dès qu'il avait mis pied à terre, la guinguette qu'il avait choisie pour quartier général était littéralement assiégée ; on appelait à grands cris ce roi des viveurs, qui ne se faisait pas tirer l'oreille pour se montrer. Alors, on se prenait du bec, on faisait assaut d'éloquence ; le dialogue s'animait et l'illustre goujat, finissant toujours par en venir aux voies de fait, arrosait la foule avec du champagne, lui jetait à la tête pâtés, volailles et tout ce qu'il avait sous la main ; c'était une excellente aubaine pour ceux qui attrapaient quelque projectile.
- Un certain jour du Mardi-Gras, que le gentleman, du haut d'une fenêtre, bombardait ainsi ses admirateurs ameutés, les munitions vinrent à lui manquer : que faire alors ? rester coi ? Mais c'eût été changer en huées les applaudissements frénétiques ; c'eût été se perdre de réputation !
- Après avoir un instant réfléchi à) la situation : « Ah ! j'y suis ! s'écrie-t-il tout à coup en se frappant le front d'un air de triomphe. Vite, une poêle et de la graisse ! » Et quand on lui a apporté les objets demandés, il met la poêle sur le feu, la graisse dans la poêle, et jette dedans une poignée de pièces d'or ; puis, une fois celles-ci bien brûlantes, il les retire avec une écumoire, comme on ferait de beignets, et les jette par la fenêtre. À cette vue, tout le monde de crier largesse, et chacun de se précipiter sur cette pluie métallique. Mais que l'on juge de la déception des pauvres diables obligés de rejeter les pièces qu'ils avaient ramassées. Quant à l'auteur de la plaisanterie, il était dans la jubilation, il riait à se tordre. Il est vrai que les pièces refroidies, une fois empochées, ceux qui n'avaient rien attrapé passèrent leur mauvaise humeur en brisant à coups de pierres tous les carreaux de la maison ; mais ceci n'était qu'un détail de plus à ajouter à l'addition que le factotum de monseigneur devait venir solder dans l'après-midi. Que d'argent gaspillé dans ces joies immondes, qui aurait pu être si utilement employé ailleurs !
La postérité de Milord l'Arsouille
modifierAlors que d'autres célébrités carnavalesques parisiennes telles que Chicard, Balochard, Pritchard sont oubliées depuis très longtemps, il arrive encore que des articles ou livres parlent de Milord l'Arsouille. Ils oublient fréquemment la véritable identité de La Battut et accréditent la légende comme quoi il s'agissait bien de lord Seymour.
Un court-métrage anonyme en 1912 Milord l'Arsouille[12], un ciné-roman de René Leprince en 1925 Mylord l'Arsouille[13] et un film d'André Haguet Milord l'Arsouille en 1955 accréditent également cette légende.
Un cabaret parisien, l'ancien Cabaret des Aveugles, situé rue de Beaujolais, porta à partir de la fin 1949, et jusqu'à sa disparition en 1965, le nom de Milord l'Arsouille.
Notes
modifier- « Arsouille », dans le Dictionnaire de l'Académie française, sur Centre national de ressources textuelles et lexicales (sens spéc. [consulté le 23 janvier 2017].
- Informations lexicographiques et étymologiques de « arsouille » (sens B, spéc.) dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales) [consulté le 23 janvier 2017].
- Karin Le Bescont (ill. de Michel Kichka), Les ficelles de l'argot, Paris, Hatier, coll. « Bescherelle », , 1re éd., 1 vol., 93, 20,5 × 28 cm (ISBN 2-218-96520-8 (édité erroné) et 978-2-218-96520-3, OCLC 881837687, BNF 43846930, SUDOC 179236458, présentation en ligne), p. 11 [lire en ligne (page consultée le 23 janvier 2017)].
- François-Xavier Testu (préf. de Philippe Alexandre), Le bouquin des méchancetés : et autres traits d'esprit, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1re éd., 1 vol., 1153, 13,2 × 19,8 cm (ISBN 2-221-12950-4 (édité erroné) et 978-2-221-12950-0, OCLC 897659911, BNF 44219022, SUDOC 182597024, présentation en ligne, lire en ligne), entrée « Seymour (Henry) » [lire en ligne (page consultée le 23 janvier 2017)].
- Francesco Rapazzini, Le Moulin Rouge en folies : quand le cabaret le plus célèbre du monde inspire les artistes, Paris, Le Cherche midi, , 1re éd., 1 vol., 444, 15,4 × 20,5 cm (ISBN 978-2-7491-5423-7 et 978-2-74915424-4, présentation en ligne, lire en ligne), p. 24 [lire en ligne (page consultée le 23 janvier 2017)].
- Anne Martin-Fugier, La vie élégante : ou la formation du Tout-Paris (-), Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 405), , 1re éd., 1 vol., 596, 18 cm (ISBN 2-262-03563-6 (édité erroné) et 978-2-262-03563-1, OCLC 762854951, BNF 42492546, SUDOC 154873632, présentation en ligne, lire en ligne), « Le demi-monde » [lire en ligne (page consultée le 23 janvier 2017)].
- Henry Lee, Historique des courses de chevaux : de l'Antiquité à ce jour, Paris, Eugène Fasquelle, , 1re éd., 1 vol., XX-888, in-8o (14 × 20,5 cm) (OCLC 422327035, BNF 30770943, SUDOC 148104150, lire en ligne), p. 131, n. 1 [lire en ligne (page consultée le 23 janvier 2017)].
- Scène de Carnaval, place de la Concorde – Tableau de Eugène Lamy (1800-1890), huile sur toile, 69 x 110 cm, Paris, musée Carnavalet, N° d'inventaire P 1957, don de la société des amis du musée Carnavalet en 1954. Notice sur ce tableau. Reproduction de ce tableau.
- Lord Henry de Seymour (1805-1859) fut le premier président du Jockey Club en 1834-1835.
- Physiologie des bals de Paris par Chicard et Balochard, dessins par MM. Lacoste et Kolb, Desloges éditeur Paris 1841, pages 41-43. L'ouvrage entier peut être consulté sur Internet sur la base Google books, mais y manquent les pages 36 à 40 [1].
- Émile de Labédollière Le Nouveau Paris Gustave Barba Libraire-Éditeur, Paris 1860, pages 303 et 304.
- Où joue notamment l'actrice Stacia Napierkowska.
- Diffusé en 8 épisodes pour un métrage de 8.470 mètres. Liste des épisodes : Le Don Juan de la Courtille, Le cabaret de l'épée de bois, Une fleur du faubourg, La machine infernale, Premiers remords, L'étrange découverte, Les larmes du pêcheur, Rédemption.
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Jacques Boulenger (préf. de Marcel Boulenger), Les dandys : sous Louis-Philippe, Paris, Paul Ollendorff, , 2e éd., 1 vol., X-426, in-16 (21 cm) (OCLC 34584486, BNF 31853733, SUDOC 025287613, lire en ligne [fac-similé]), chap. [4] (« Milord Arsouille »), p. 179-245 [fac-similé].
- Aimé Simon-Girard, « Comment j'ai vu “Mylord l'Arsouille” », Cinémagazine, vol. 5e année, no 14, , p. 12-14 (lire en ligne [fac-similé], consulté le ).