Malédiction du sang
La malédiction du sang est la phrase que la foule aurait prononcée lors du procès de Jésus devant Ponce Pilate, dans l’Évangile selon Matthieu (Mt 27:25). Le préfet romain, s’étant lavé les mains à l’idée d’exécuter un « juste », interroge la foule, qui exige alors la condamnation de Jésus au cri de : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » En grec : « Τὸ αἷμα αὐτοῦ ἐφ’ ἡμᾶς καὶ ἐπὶ τὰ τέκνα ἡμῶν », littéralement « Son sang sur nous et sur nos enfants. »
Cette péricope, qui ne figure dans aucun autre passage du Nouveau Testament, appartient au Sondergut matthéen. La longueur de cette phrase, dix mots, est inversement proportionnelle à ses conséquences. Pendant des siècles, en effet, elle a servi de fondement scripturaire au mythe du peuple déicide et à l’antisémitisme chrétien.
Texte biblique
modifier« Pilate, voyant qu’il ne gagnait rien, mais que le tumulte augmentait, prit de l’eau, se lava les mains en présence de la foule, et dit : Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde. Et tout le peuple répondit : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants[1] ! »
Historicité
modifierLe procès de Jésus devant le Sanhédrin, l’épisode de Barabbas et le rôle de Ponce Pilate tels que les décrivent les Évangiles canoniques posent de multiples questions à la recherche contemporaine, qui en conteste l’historicité notamment à propos de la responsabilité exacte de Pilate dans la crucifixion de Jésus. Le récit néotestamentaire tend à en exonérer le préfet romain[2], contrairement à toute vraisemblance[3],[4], avec pour résultat d’en accuser les Juifs.
La phrase d’auto-incrimination propre à l’Évangile selon Matthieu renforce leur culpabilité collective avec cette « déclaration du peuple assumant pleinement la responsabilité de cet acte[5] » : « un point de non-retour est désormais atteint[5] ». Pour Ulrich Luz, l’évangéliste dénote par là même une intention polémique d’une grande virulence à l’encontre de l’ensemble des Juifs[5],[6], alors que cet ajout constitue à ses yeux, ni plus ni moins, une « fiction rédactionnelle » inventée par l’auteur de l’évangile matthéen[7].
Cette formule est une bénédiction venant de l'Exode :
Ex 24.8 Moïse prit le sang, et il le répandit sur le peuple, en disant : Voici le sang de l'alliance que l'Eternel a faite avec vous selon toutes ces paroles.
Et dans Matthieu, le peuple répond : Que son sang soit sur nous.
Notes et références
modifier- Mt 27:24-25, traduction Louis Segond (1910).
- S. G. F. Brandon, Jésus et les Zélotes, Flammarion, Paris, 1975, p. 294-295.
- Marie-Françoise Baslez, Bible et Histoire : Judaïsme, hellénisme, christianisme, coll. « Folio histoire », 1998 (ISBN 2-07-042418-9), p. 211-213.
- Paul Winter, Geza Vermes, On the Trial of Jesus, 1974, Walter de Gruyter, Berlin - New York, p. 142.
- Élian Cuvillier, « L’Évangile selon Matthieu », in Daniel Marguerat (dir.), Introduction au Nouveau Testament : Son histoire, son écriture, sa théologie, Labor et Fides, 2008 (ISBN 978-2-8309-1289-0), p. 89-91.
- Ulrich Luz, « Le problème historique et théologique de l’antijudaïsme dans l’évangile de Matthieu », in Daniel Marguerat (éd.), Le Déchirement : Juifs et chrétiens au premier siècle, Labor et Fides, 1996, p. 127-150.
- Ulrich Luz, Studies in Matthew, William B. Eerdmans Publishing, 2005, p. 58.
Bibliographie
modifier- Raymond E. Brown, The Death of the Messiah, from Gethsemane to the grave. A commentary on the Passion narratives of the four Gospels, Doubleday, 1994
- Simon Légasse, Le Procès de Jésus : 1, Le Cerf, 1994, rééd. 2013, 208 p.
- Simon Légasse, Le Procès de Jésus : 2, Le Cerf, 1995, 640 p.
- Daniel Marguerat (dir.), Introduction au Nouveau Testament : Son histoire, son écriture, sa théologie, Labor et Fides, 2008 (ISBN 978-2-8309-1289-0)
- Daniel Marguerat, Jésus et Matthieu : À la recherche du Jésus de l'histoire, Labor et Fides/Bayard, 2016 (ISBN 978-2-8309-1589-1)