Lili Brik
Lilya Iourievna Brik (en russe : Лиля Юрьевна Брик), ou Lilja, dite Lili Brik, est une actrice et réalisatrice russe. Née le 30 octobre 1891 ( dans le calendrier grégorien) à Moscou (Russie) sous le nom de Kagan (Каган), elle meurt le à Peredelkino (URSS).
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Лили Уриевна Каган |
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Ossip Brik (de à ) Vitaly Primakov (de à ) Vassili Abgarovitch Katanian |
Personne liée |
Victor Sosnora (ami ou amie) |
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Membre du mouvement d'avant-garde russe, elle est proche du poète russe Vladimir Maïakovski, qu'elle aide à faire publier. Son image sera aussi associée à la maison d'édition Gosizda.
Biographie
modifierLilya Iourievna Kagan est née en 1891 à Moscou d'une famille juive originaire des pays baltes. Elle est la fille du juriste Yuri Alexandrovich Kagan (? - 1915)[1] et de Yelena Youlevna Berman, pianiste professionnelle et professeure de musique. Son père est spécialisé dans les contrats d’édition d'artistes et d'écrivains et s'intéresse particulièrement aux problèmes liés au droit de résidence des Juifs à Moscou. Cependant, l'antisémitisme étatique l'empêche d'être assermenté. En 1913, il devient jurisconsulte à l’ambassade d’Autriche[2].
Lilya et sa sœur Ella, sa cadette de cinq ans, reçoivent une éducation classique[3]. Elles apprennent le piano, le français et l'allemand, langues parlées également par leurs parents[2]. Lilya voyage en Europe avec sa sœur et sa mère, pour laquelle les arts, la musique en particulier, tiennent une place importante[4]. Dès leur adolescence, les deux sœurs sont réputées pour leur beauté et leur charme, et de nombreux artistes brossent leurs portraits.
Lilya Kagan étudie l'architecture à Moscou, se forme au ballet et au théâtre. Elle écrit également de la poésie[5]. En 1905, Lilya se joint aux révolutionnaires russes dont fait partie Ossip Brik, écrivain de l'avant-garde russe, critique littéraire, éditeur et partie prenante de la révolution d'Octobre. Lilya et Ossip se marient en 1912.
En 1915, le couple reçoit dans son appartement à Saint-Pétersbourg de nombreux artistes, cinéastes et écrivains faisant partie de la nouvelle génération d'artistes révolutionnaires russes, futuristes ou formalistes, notamment Boris Pasternak, Victor Chklovski ou Roman Jakobson[2]. La sœur cadette de Lilya, Ella, âgée de 19 ans, y introduit le poète futuriste Vladimir Maïakovski, installé à Moscou, avec qui elle entretient une relation amoureuse[5],[2].
Ossip Brik est conquis et publie aussitôt ses poèmes qui le rendent rapidement célèbre. Lili devient la maîtresse et la muse de Maïakovski[3],[6]. Ils décident alors de ne jamais se séparer et forment, avec son mari, un trio non conventionnel. À partir de 1918, alors que Maïakovski et le couple Brik sont devenus inséparables, Maïakovski suit les Brik dans la succession de maisons et d'appartements que ceux-ci occupent, formant un véritable ménage à trois. Dans les années 1920, le trio voyage à Berlin et Paris, où ils retrouvent la sœur de Lili, devenue Elsa Triolet. Les relations entre les Brik et Maïakovski se dégradent vers 1925. Lili Brik continue à pratiquer l'amour libre, à la mode dans la révolution sexuelle du milieu artistique russe de l'époque[réf. souhaitée].
En 1928, le régime soviétique renforce les contrôles et la répression stalinienne se fait pressante.
Maïakovski se suicide le , d'une balle dans le cœur. On trouve ce mot : « Maman, mes sœurs, mes amis pardonnez-moi — ce n'est pas la voie (je ne la recommande à personne) mais il n'y a pas d'autre chemin possible pour moi. Lili aime-moi[7]! » Il désigne également dans son testament Lili Brik comme exécutrice testamentaire[réf. souhaitée].
La même année, Lili Brik divorce de son mari et épouse le général Vitali Primakov. Lili Brik œuvre pour que Maïakovski ne tombe jamais dans l'oubli[réf. souhaitée]. Elle rassemble notamment les écrits du poète dans le but de les faire publier, ce qui sera fait en 1935. La correspondance entre Lili Brik et Maïakovski montre des lettres d'amour enflammées du poète auxquelles répondent des demandes d'envoi d'argent par Lili Brik ; leur romance apparaît alors comme une « légende tragique »[réf. souhaitée]. Cependant, c'est grâce à elle que la mémoire de Maïakovski est sauvegardée : des statues à son honneur sont érigées dans tout le pays, ses œuvres sont réimprimées et des fermes et usines collectives prennent son nom.
Dans une lettre de 1935 envoyée à Joseph Staline, Lili Brik se plaint que l'héritage poétique de Maïakovski soit abandonné. Staline transmet alors la mission à Nikolai Yezhov de prendre soin de cette question en lui écrivant :
« Camarade Yezhov, merci de vous occuper de la lettre de Brik. Maïakovski est toujours le plus grand et le plus talentueux poète de l'ère soviétique. L'indifférence à son héritage culturel est criminelle. Les plaintes de Brik sont, à mon sens, justifiées…[8] »
Lili Brik et Vitali Primakov font partie de la liste établie par Staline des personnes soupçonnées d'être partisanes de Léon Trotski. Vitali Primakov est arrêté en 1936 et exécuté en 1937[9]. Lili Brik aurait été épargnée par Staline lui-même[10] en apportant la justification suivante : « On ne touche pas à la femme de Maïakovski[11]. »
En 1938, elle devient la compagne de l'écrivain Vassili Katanian et le couple, installé à Moscou, passe la plupart de son temps à diffuser l'œuvre de Maïakovski.
Dans les années 1950, une campagne antisémite (Complot des blouses blanches) atteint aussi Lili Brik[2]. En 1954, son ancien mari le général Primakov est réhabilité[2]. L'année suivante, Lili Brik obtient l'autorisation de voyager et de rendre visite à sa sœur Elsa à Paris. La censure soviétique des années 1960 tente d'effacer ses rapports avec Maïakovski.
En 1978, à l'âge de 86 ans, après une chute d'une chaise qui devait la laisser invalide pour le restant de ses jours[9], elle se suicide, en absorbant une dose mortelle de somnifères.
Carrière artistique et inspiration
modifierProfessionnellement, Lili Brik s'est essayée à la sculpture, l'architecture, au théâtre, au roman, au cinéma, au ballet[12] ; elle a travaillé dans la publicité. Elle fonde l'un des salons littéraires les plus célèbres de Moscou du XXe siècle, qui survit à tous les autres quand « La littérature a été annulée »[réf. souhaitée].
Dans les années 1920, Lili Brik réalise un documentaire sur les fermes collectives juives en Russie, Jews On the Land, et une parodie sur le cinéma bourgeois intitulée The Glass Eye[9].
En 1923, elle fonde avec Serge Tretiakov, le journal LEF pour Leftist Front of Arts, qui devient la revue du constructivisme russe.
Lili Brik pose pour Alexandre Rodtchenko (1891–1956) qui avait abandonné la peinture et la sculpture pour la photographie[9]. Alexandre Rodtchenko intègre les portraits de Lili Brik dans des photomontages pour des affiches, des brochures et des publications. Une des images marquantes est la photo qui illustre le poème Pro Eto de Maïakovski, en 1923. Lili Brik pose les yeux écarquillés, le regard fixe. Une autre affiche connue est celle réalisée pour l'éditeur soviétique, Gosizdat, en 1924, sur laquelle Lili Brik, la bouche ouverte, crie dans un mégaphone : « LIVRES dans tous les domaines de la connaissance ! »[10],[9]. Par la suite, cette affiche est souvent reprise et réinterprétée par des artistes occidentaux[9].
Pablo Neruda l'appelait la « muse de l'avant-garde russe »[12],[13]. Les hommes l'adoraient : la liste des admirateurs de Brik comprenait pratiquement tout le cercle d'artistes d'avant-garde russes et d'éminentes personnalités culturelles, d'Alexandre Rodtchenko à Serge de Diaghilev.
La beauté ou le charme de Lili Brik inspirent de nombreux artistes qui exécutent son portrait pictural et photographique[14] : Alexandre Rodtchenko[15], Alexander Tyshler, Nikolaï Fyodorovich Denisovsky[16], Alexander Silins[17], David Shterenberg, David Burlyuk, et plus tard Fernand Léger, Henri Matisse ou Marc Chagall, Vassily Krotkov[18], Alexey Solovev[19], Tatiana Veranes[20]...
Son nom est souvent abrégé par ses contemporains en « Л.Ю. » ou « Л.Ю.Б. » qui sont les premières lettres du mot russe « любовь, lyubov » : « amour »[13].
Publications
modifier- Lettres à Lili Brik (1917-1930), trad. Andrée Robel, Claude Frioux, Paris : Gallimard Poche, 1999
- Лиля Брик - Эльза Триоле: Неизданная переписка (1921-1970), Москва : Эллис Лак, 2000
- Lili Brik - Elsa Triolet : Correspondance inédite (1921-1970), Moscou : Ellis Lak, 2000
- Lili Brik - Elsa Triolet : Correspondance 1921 - 1970, traduit du russe sous la direction de Léon Robel, NRF Gallimard, 2000
Références culturelles
modifier- Franz Ferdinand fait référence à l'affiche d'Alexandre Rodtchenko pour la pochette d'album You Could Have It So Much Better[10].
- Le chanteur Raphael fait référence à Lili Brik dans « Le Vent de l'hiver ».
- Le groupe de rock français Noir Désir fait référence à Lili Brik dans sa chanson « À l'arrière des taxis ».
- Le rappeur Dooz Kawa fait référence à Brik et Maïakovski dans son titre Le Temps des assassins.
- Le logo de la troupe théâtrale d'agit-prop Compagnie Jolie Môme reprend une version stylisée de la Lili Brik de l'affiche d'Alexandre Rodtchenko.
Notes et références
modifier- Monro 2022 00:08:50.
- Marianne Delranc, « TRIOLET Elsa née KAGAN Ella - Maitron », sur maitron.fr, (consulté le ).
- Florence Montreynaud, Le XXe siècle des femmes, Nathan, , 782 p., p. 621.
- Marie-Thérèse Eychart, Elsa, la célèbre inconnue, p. 11.
- (en-GB) Sue Steward, « Lilya Brik: a very Soviet siren », The Telegraph, (ISSN 0307-1235, lire en ligne, consulté le ).
- Monro 2022 00:12:02
- « Lili Brik & Vladimir Maïakovski : les amants de la Révolution », sur Revue Ballast (consulté le ).
- (ru) Vasily V. Katanyan, Mémoires (Воспоминания, en russe), , p. 112.
- « THE GIRL IN RODCHENKO'S POSTER », sur nzagainstthecurrent.blogspot.fr, (consulté le ).
- (en-GB) « Rodchenko's revolution: a socialist with true vision », The Independent, (lire en ligne, consulté le ).
- Philippe Lançon, « Elles et Louis. Vie privée, vie publique : la correspondance entre Lili Brik, grand amour de Maïakovski, et sa soeur Elsa Triolet, épouse d'Aragon, dont paraît en Pléiade le deuxième tome des oeuvres romanesques. Lili Brik-Elsa Triolet. Correspondance. Sous la direction de Léon Robel. Gallimard, 1 630 p., 380 F. Louis Aragon. oeuvres romanesques complètes, tome 2. Edition de Daniel Bougnoux, La Pléiade, Gallimard, 1 552 p. », sur Libération (consulté le )
- (en) Claire Shaw et Anna Toropova, Technologies of Mind and Body in the Soviet Union and the Eastern Bloc, Bloomsbury Publishing, (ISBN 978-1-350-27128-9, lire en ligne)
- (en-US) « Image of Lilya Brik, 1916 (b/w photo) by Auksmann, D. (fl.1916) », sur www.bridgemanimages.com (consulté le )
- (en-US) « 23 Fascinating Vintage Photos of Lilya Brik, the Muse of Russian Avant-Garde, in the 1920s » (consulté le )
- « Lilya Brik | Œuvres | The MFAH Collections », sur emuseum.mfah.org (consulté le )
- Album, « NIKOLAI FYODOROVICH DENISOVSKY. Portrait of Lilya Brik (1891-1978). - alb4493335 album-online.com », sur Album (consulté le )
- MeisterDrucke, « Portrait de Lilya Brik 1891-1978, 1921 | Alexander Silins », sur MeisterDrucke (consulté le )
- (ru) « Painting «Lilichka. Cubo-futurism» — buy on ArtNow.ru », sur artnow.ru (consulté le )
- (ru) « Painting «Lilya Brik and Mayakovsky» — buy on ArtNow.ru », sur artnow.ru (consulté le )
- (ru) « Artwork «Lilya Brik» — buy on ArtNow.ru », sur artnow.ru (consulté le )
Annexes
modifierBibliographie
modifier- Arcadi Vaksberg : Lili Brik : portrait d'une séductrice, Paris : Albin Michel, 1999, 350p. (ISBN 978-2226107558)
- Jesse Russell : Lilya Brik, Bookvika Publishing, 2013, 158p. (ISBN 978-5511006994)
- Vladimir Maïakovski : Lettres à Lili Brik (1917-1930), Paris, Gallimard Poche, 1999, 322p. (ISBN 978-2070756728)
- Лиля Брик - Эльза Триоле: Неизданная переписка (1921-1970), Москва, Эллис Лак, 2000
- Léon Robel (dir.) : Lili Brik, Elsa Triolet : Correspondance inédite (1921-1970), Gallimard, 2000, 1632p. (ISBN 978-2070729784)
Liens externes
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- Ressource relative à l'audiovisuel :
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- (en) « Lilya Brik », sur TheRedList