Le Plancher de Jeannot

parquet gravé d'inscriptions par Jean Crampilh-Broucaret, atteint de troubles psychiatriques

Le Plancher de Jeannot est un morceau de parquet de 16 mètres carrés, gravé de 67 lignes de texte en lettres capitales et poinçonnées, réalisé en 1971 dans sa ferme familiale du Béarn par Jean Crampilh-Broucaret, dit Jeannot (1939-1972), atteint de troubles psychiatriques et qui se suicida peu après. Découvert fortuitement en 1993, il est aujourd'hui exposé au musée d'Art et d'Histoire de l'hôpital Sainte-Anne à Paris. Son interprétation entre délire d'un homme reclus ou œuvre d'art brut fait encore débat[1].

Historique

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Jeune paysan béarnais, Jean Crampilh-Broucaret, surnommé Jeannot[2] effectue son service militaire en Algérie en 1959. À son retour, il apprend le suicide de son père, un homme violent. À la mort de sa mère en 1971, il l'enterre sous l'escalier familial, arrête de s'alimenter et commence à graver, au ciseau à bois et à la perceuse[1], le plancher de sa chambre d'un long texte. Celui débute par la phrase « La religion a inventé les machines à commander le cerveau des gens »[1]. Le texte évoque aussi l'innocence de son auteur et de sa soeur Paule: « Nous n'avons ni tué ni détruit ni porté tort à autrui »[1]. Jeannot meurt quelques semaines plus tard à 33 ans[3].

Ce plancher gravé est découvert fortuitement en 1993 au moment de la vente de la ferme, un neuro-psychiatre retraité, le Dr Guy Roux[1], en fait l'acquisition[4], l'échangeant contre un parquet neuf[1]. Il présente le parquet dans différents congrès de psychiatrie[1]. Il le vend au laboratoire Bristol-Myers-Squibb au début des années 2000[1]. Dès lors, le plancher va être considéré également comme un témoignage d'art brut.

Par la suite, le plancher est régulièrement exposé, notamment en à la Bibliothèque nationale de France et finalement cédé au centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, en grande partie grâce à l'insistance du professeur Jean-Pierre Olié, chef du service hospitalo-universitaire, qui souhaite l'exposer pour combattre la honte et les préjugés qui pèsent sur les maladies mentales. Du à 2022[1], le plancher est exposé devant l'hôpital Sainte-Anne, au no 7 de la rue Cabanis dans le 14e arrondissement de Paris, « découpé en trois panneaux tels des totems géants »[5], dans des caissons verticaux[1]. Après une restauration et un travail de recherche, le plancher est exposé, réassemblé et dans sa position originelle horizontale, dans une salle dédiée du musée d'Art et d'Histoire de l'hôpital Sainte-Anne, une autre salle présentant des documents et des textes didactiques sur ce plancher[1].

Interprétation

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Le docteur Guy Roux, après la découverte du parquet avait mené une enquête locale pour connaitre le passé de Jean Crampilh-Broucaret et de sa famille[1]. Il y voyait un exemple de « psychose brute »[6]. Depuis le plancher a fait l'objet de diverses interprétations et plusieurs recherches, surtout depuis son exposition publique rue Cabanis[1], du délire ou des souffrances d'un homme reclus, devenu schizophrène sans avoir suivi de soins, ou une vraie œuvre d'art brut[1].

L'historien Dominique Viéville qui a participé aux recherches sur le parquet avant son exposition au musée de l'hôpital Sainte-Anne, appelle à la prudence sur l'interprétation de ce parquet, rappelant qu'il s'agit d'un texte privé destiné à la famille de son auteur et « qu'il n'y a pas à discuter de sa vérité »[1].

La psychiatre Anne-Marie Dubois, commissaire de l'exposition au musée de l'hôpital Sainte-Anne, explique que le plancher a beaucoup été exploré sous l'angle de la folie mais elle remet en cause la valeur de ces explications car faites par des personnes n'ayant jamais examiné ou rencontré Jean Crampilh-Broucaret, rappelant la règle Goldwater[1] stipulant qu'il est contraire à l'éthique des psychiatres de donner un avis sur des personnalités qu'ils n'ont pas examinées en personne.

Bibliographie

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Document

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Ce fait divers a inspiré plusieurs romans dont :

  • Le Plancher de Perrine Le Querrec, éd. Les Doigts dans la prose, 2013 - Rééd. L'Éveilleur, 2018,
  • Nous tous sommes innocents, de Cathy Jurado-Lécina, éd. Aux forges de Vulcain, 2015,
  • Le Plancher de Jeannot, d'Ingrid Thobois, Buchet Chastel, 2015.

Notes et références

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  1. a b c d e f g h i j k l m n o et p Sandrine Cabut, « La nouvelle vie du "plancher de Jeannot" », Le Monde,‎ .
  2. Ariane Bruneton, Anne-Marie Dubois, Sylvain Lucchetta, Dominique Viéville, Jean Crampilh-Broucaret (1939-1972). Le Plancher de Jeannot, In fine Editions d’art – MAHHSA, , 152 p. (ISBN 9782382031889)
  3. « Les mots gravés au couteau de Jeannot le fou », L'Obs,‎ (lire en ligne)
  4. Emmanuel de Roux, « Gravé par un fou, un joyau de l'art brut », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  5. Maria Malagardis, « À l'hôpital Sainte-Anne, la folie brute du "Plancher de Jeannot" », Rue89,‎ (lire en ligne)
  6. « Le plancher de Jeannot », sur Animula vagula,