Fatma N'Soumer
Fadhma Sid Ahmed Ou Méziane, communément appelée Lalla Fatma N'Soumer (en arabe : لالة فاطمة نسومر, en kabyle : Lalla Faḍma n Sumer, en tifinagh : ⴼⴰⴹⵎⴰ ⵏ ⵙⵓⵎⵔ), née en 1830 à Ouerdja (dans l'actuelle commune d'Abi Youcef, wilaya de Tizi Ouzou), en Kabylie et morte en 1863 à Tablat, est une figure du mouvement de résistance algérien au cours des premières années de la conquête de l'Algérie par la France.
Fatma N'Soumer (ar) فاطمة نسومر (ber) ⴼⴰⴹⵎⴰ ⵏ ⵙⵓⵎⵔ | ||
Femme kabyle au combat signé F. Philippoteaux. | ||
Surnom | Lalla Fatma N'Soumer Lalla N'Ouerdja la Jeanne d'Arc du Djurdjura[1],[2] L'insoumise La révoltée[3] |
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Naissance | Ouerdja |
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Décès | (à 33 ans) Tablat (Algérie) |
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Origine | Algérienne (Kabylie) | |
Années de service | 1849 – 1857 | |
Commandement | Imseblen | |
Conflits | Conquête de l'Algérie par la France | |
Faits d'armes | Bataille du Haut Sebaou Bataille du col de Chellata Bataille d'Aït Aziz |
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De 1854 à , elle mène une résistance contre les Français. Capturée par les forces françaises, elle est emprisonnée jusqu'à sa mort six ans plus tard.
Étymologie
modifierSon surnom est composé de Lalla, titre honorifique donné au Maghreb aux femmes importantes, qui signifie « Madame », et qui se donne au Maghreb à toute femme, même non maraboute, respectée pour son statut et son rôle au sein de la communauté, aux femmes importantes ou issues de grandes familles, ou comme marque de respect aux femmes en raison de leur âge ou de leur rang[4], ou encore désignant une femme sainte ou vénérée[5] ; et de Soumer, nom du village à proximité duquel était située la zaouia à laquelle appartenait son lignage, les Sidahmed[6].
Elle porte aussi le surnom de Lalla N'Ouerdja qui, dans la tradition kabyle, est donné aux jeunes filles qui refusent de se résigner aux usages et aux traditions[7].
Biographie
modifierJeunesse
modifierLalla Fatma (née « Fadhma Sid Ahmed Ou Méziane »[8]) naît en 1830 dans le village de Ouerdja dans l’actuelle commune de Abi Youcef, près d'Aïn El Hammam en Kabylie (Algérie), son père est le chef d'une école coranique liée à une zaouïa de la confrérie Rahmaniyya de Sidi M'hamed Bou Qobrine, dont elle suit l'enseignement, habituellement réservé aux garçons[9]. Elle a quatre grands frères[10]. Elle appartient à la lignée du marabout Ahmed Ou Méziane. Ayant choisi la dévotion et la méditation, Fatma s’impose progressivement dans le monde de la médiation et de la concertation politico-religieuses jusque-là réservées aux hommes[9]. Forte de sa lignée, elle exerce une grande influence sur la société kabyle. Vers l'âge de 20 ans, après la mort de son père[3], elle refuse un mariage que tente de lui imposer[9] l'un de ses frères[3] avec un de ses cousins[10], Yahia N At Iboukhoulef. Le mariage ne dure pas[11] et Fatma fuit son village[3].
Combat
modifierEn 1849, accompagnée de son frère Sidi Tahar avec qui elle se rend au village de Soumeur[3], Fatma N'Soumer entre dans la résistance et se rallie à Si Mohammed El-Hachemi, un marabout qui participe à l’insurrection du Cheikh Boumaza dans le Dahra en 1847[12]. En 1850, elle soutient le soulèvement du Cherif Boubaghla venu de la région des Babors.
Du fait de son rang[3], l'assemblée de Soumeur, Tajmaât, autorité politique du village, délègue Lalla Fatma et son frère Sidi Tahar, marabouts, pour diriger les Imseblen (volontaires de la mort) venus de nombreux villages de la contrée du Djurdjura tels qu'Aït Itsouregh, Illilten, Aït Iraten, Illoulen u Malou.
En 1854, elle remporte sa première bataille face aux forces françaises à Tazrout (village d'Abi Youcef, près de Aïn El Hammam), connue sous le nom de bataille du Haut Sebaou. Elle dure deux mois, de juin à [9]. Les troupes françaises sont vaincues et contraintes de se retirer. Les villages environnants sont toujours indépendants.
Les troupes françaises estimées à 13 000 hommes dirigés par les généraux Mac Mahon et Maissiat sont confrontées à une forte résistance. En 1857, les troupes du maréchal Randon réussissent à occuper Aït Iraten à la suite de la bataille d'Icheriden. Les combats sont féroces, et les pertes françaises considérables[13]. De leur côté, les autochtones comptent dans leurs rangs 8 000 combattants armés de poignards et de sabres[3].
Fatma forme un noyau de résistance[14] dans le hameau Takhlijt Aït Aatsou, près de Tirourda. « Les prévisions stratégiques, fruits de fines analyses, de cette femme dotée d'une rare intelligence s'avéraient très souvent justes »[3].
Le , Fatma est arrêtée par le général Youssouf et conduite au camp du maréchal Randon à Timesguida. Elle est emprisonnée dans la zaouia d'El-Aissaouia, à Tablat, placée ensuite en résidence surveillée sous la garde de si Tahar ben Mahieddine, où elle meurt en 1863, à l'âge de 33 ans, éprouvée par son incarcération et affectée par la mort de son frère en 1861, ou éprouvée par ses mauvaises conditions de détention[3]. Les chefs, Si Hadj Mohand Amar, Si Seddik Ben Arab, Si El-Djoudi et Sidi Tahar, sont contraints de se rendre. De sa vie, « aucun homme n’aura eu véritablement de pouvoir sur son corps ou son esprit »[3].
Sa tombe demeure longtemps un lieu de pèlerinage pour les habitants de la région. Ses cendres sont transférées le du cimetière de Sidi Abdellah, à 100 mètres de la zaouia Boumâali à Tourtatine, vers le Carré des martyrs du cimetière d'El Alia, à Alger.
Personnalité et caractère
modifierÉmile Carrey, écrivain, et Alphonse François Bertherand médecin lors de la campagne de Kabylie en 1857, tous deux accompagnant les troupes françaises la décrivent :
« Seule la prophétesse, formant disparate avec son peuple, est soignée jusqu'à l'élégance. Malgré son embonpoint exagéré, ses traits sont beaux et expressifs. Le kohl étendu sur ses sourcils et ses cils agrandit ses grands yeux noirs. Elle a du carmin sur les joues, du henné sur les ongles, des tatouages bleuâtres, épars comme des mouches sur son visage et ses bras, ses cheveux noirs soigneusement nattés, s'échappent d'un foulard éclatant, noué à la façon des femmes créoles des Antilles. Des voiles de gaze blanche entourent son col et le bas de son visage, remontant sous sa coiffure comme les voiles de la Rebecca d’Ivanhoé. Ses mains fines et blanches sont chargées de bagues. Elle porte des bracelets, des épingles, des bijoux plus qu'une idole antique[15]. »
« Fatma est une espèce d'idole, d'une tête assez belle mais tatouée sur tout le corps et d'un embonpoint tellement prodigieux que quatre hommes ne pouvaient l'aider à marcher....tous les soldats criaient « Place à la reine de Pamar »[16],[Note 1] et faisaient sur son compte milles bonnes ou mauvaises plaisanteries. Le lendemain on lui rendit la liberté mais du moment où elle est entre nos mains, toute résistance cessa[17]. »
L'historien Georges Duby décrit Lalla Fatma N'Soumer comme « la grosse, et volumineuse beauté », la Velléda, prophétesse germanique[18].
Entre mythe et réalité
modifierLalla Fatma N'Soumer, est issue d'une famille puissante et respectée. Vivant recluse dans sa chambre, elle prie jour et nuit, officie les cérémonies, et s'occupe des pauvres. Appartenant à la confrérie Rahmaniyya, elle est considérée comme prophétesse berbère, ou guide d'une Tarika soufie (mystique musulmane)[19]. La venue de troupes légionnaires françaises dans la région, et dominant en maitre, l'un des chefs des Beni Amer, Cherif Boubaghla, embrase la région[20]. Lalla organise l’insurrection en collectant les denrées nécessaires aux insurgés. Petite et massive, elle croit en sa bonne étoile et en son pouvoir céleste. D'après les témoins lors de sa capture, « elle paraît hautaine et arrogante sur le pas de sa porte, et avec un regard presque menaçant, elle écarte les baïonnettes des zouaves français, pour se jeter dans les bras de son frère Mohamed Sidi-Taieb »[21]. Son frère, marabout, couvert de cicatrices de guerre est un guerrier brave, combatif et défenseur des libertés. Il s'engage dans la résistance contre la colonisation des troupes françaises. Consulté comme sage, d'une filiation vénérée et émancipée, appartenant à une famille de marabouts de la tribu des Illilten.
Hommages
modifierDes poésies populaires berbères lui sont consacrées[3].
Une statue de Lalla Fatma N'Soumer a été réalisée par Bâaziz Hammache à Tizi-Ldjama At-Bu-Yusef.
Son nom a été donné à un méthanier de gaz naturel liquéfié de la marine marchande algérienne, d'une capacité de 145 000 m3, réceptionné en 2004 à Osaka au Japon[22].
La vie de Lalla Fatma N'Soumer a fait l'objet du film Fadhma N'Soumer de Belkacem Hadjadj, sorti en 2014[23]. Des statues de Lalla Fatma N'Soumer sont exposées en Algérie. Quelques écoles et rues portent son nom en Algérie.
Une rue de Bruxelles porte son nom depuis 2020[24].
Le lycée mixte de Tablat porte désormais son nom.
Notes et références
modifierNotes
modifier- Dans les textes italiens, Pamar (ou Aigiarm) est la fille du roi Tartare Caidu. Elle était forte et vaillante, connue dans tout le royaume, pour être invaincue par les chevaliers ou écuyers de seigneurs. Elle ne désirait se marier qu'avec un gentilhomme qui la dominerait en lutte de combat.
Références
modifier- Surnommée la « Jeanne d'Arc du Djurdjura », par l'historien Louis Massignon.
- Afrique-Asie, Numéros 390 à 401, Société d'Éditions Afrique, Asie, Amérique Latine, (présentation en ligne).
- « Lalla Fatma N’Soumer, la résistante kabyle qui défia l’armée coloniale française ».
- Ambroise Queffélec, Le français en Algérie : Lexique et dynamique des langues, Bruxelles, Duculot, , 592 p. (ISBN 978-2-8011-1294-6, lire en ligne), p. 390.
- Farid Benramdane, « Espace, signe et identité au Maghreb. Du nom au symbole », Insaniyat / إنسانيات. Revue algérienne d'anthropologie et de sciences sociales, Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle, no 9, , p. 1-4 (ISSN 1111-2050, lire en ligne, consulté le ).
- Camille Lacoste-Dujardin, Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie, Paris, La Découverte, , 394 p. (ISBN 2-7071-4588-2), p. 323-324.
- Agnès Fine et Claudine Leduc, Femmes du Maghreb, Toulouse, Presses Univ. du Mirail, , 327 p. (ISBN 2-85816-461-4, ISSN 1252-7017), chap. 9, p. 249.
- Femmes du Maghreb, Numéro 9 -Histoire, Femmes et Sociétés - ISSN 1252-7017 - Clio (Toulouse, France) - Claudine Leduc - Éditeur Presses Univ. du Mirail, 1999 - (ISBN 2858164614 et 9782858164615).
- Emma Delajoux, « La stratège du Djurdjura », Courrier International, no 1663, , p. 50, adapté d'un article publié dans L'Orient-Le Jour à Beyrouth 22/08/2022.
- zman-admin, « Lalla Fadhma N'soumer : Une Figure de Résistance Inébranlable », sur Babzman, https:facebook.comBabzman, (consulté le ).
- N. Robin, Histoire du chérif Bou Bar'la, Revue africaine, XXVIII (1884).
- Malha Benbrahim, « Malha Benbrahim, Documents sur Fadhma N’Soumeur (1830-1861) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, no 9, (ISSN 1252-7017, DOI 10.4000/clio.298, lire en ligne, consulté le ).
- Kamel Kateb, Européens, "indigènes" et juifs en Algérie (1830-1962) : Représentations et réalités des populations, Paris, INED, , 386 p. (ISBN 2-7332-0145-X, lire en ligne), p. 45.
- « Lalla Fatma N’Soumer, résistante à la colonisation », L'Histoire par les femmes, (lire en ligne, consulté le ).
- Jules Liorel, Races berbères, Kabylie du Djurjura, Paris, E. Leroux, (ISBN 2-221-10946-5 et 9782221109465, lire en ligne), chap. 1, p. 238-250.
- Edouard Charton, Voyageurs anciens et modernes ; ou, Choix des relations de voyages … : depuis le cinquième siècle avant Jésus-Christ jusqu'au dix-neuvième siècle, avec biographies, Bureaux du Magasin Pittoresque, (lire en ligne), chap. 2, p. 422.
- Journal des débats politiques et littéraires, Voici la fin de la campagne contre la Kabylie : Extrait d'une correspondance – Alger 21 juillet 1857, Paris, (lire en ligne), « Lundi 27 juillet 1857 », p. 2/4.
- Christiane Klapisch-Zuber, Georges Duby et l'histoire des femmes, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, , 304 p. (ISBN 2-85816-379-0, lire en ligne), chap. 8, p. 231.
- Émile Carrey, Récits de Kabylie campagne de 1857, M. Lévy, , p. 269.
- Ahmed Bencherif, Marguerite, Paris, Publibook, , 449 p. (ISBN 978-2-7483-4202-4 et 2-7483-4202-X), chap. 1, p. 204.
- Jules Liorel, Races berbères, Kabylie du Djurjura, Paris, E. Leroux, (ISBN 2-221-10946-5 et 9782221109465, lire en ligne), chap. 1, p. 231.
- « Bulletin d'Information d'Hyproc Shipping Company », INDD, Hyproc News, no 4, (lire en ligne).
- Belkacem Hadjadj, Assaad Bouab et Melha Bossard, Fadhma N'Soumer, (lire en ligne).
- Algérie Presse Service, « Une rue à Bruxelles baptisée du nom de la résistante algérienne Lalla Fatma N'Soumer », sur aps.dz, (consulté le ).
Bibliographie
modifier- Salem Chaker, Hommes et femmes de Kabylie, Aix-en-Provence, Édisud, , 207 p. (ISBN 2-7449-0234-9 et 9782744902345)
- Achour Cheurfi, Dictionnaire encyclopédique de l'Algérie, Alger, ANEP, , 1230 p. (ISBN 9947-21-319-6 et 9789947213193)
- Tahar Oussedik, Lla Fat'ma n'Soumeur, Alger, Entreprise nationale algérienne du livre, , 83 p.
- Habiba Djahnine, Fathma n'Soumer, article de L'Algérie et la France, dictionnaire coordonné par Jeannine Verdès-Leroux, Robert Laffont 2009; (ISBN 978-2-221-10946-5)
- Nour Edinne Mamouzi, Lumière sur l'envers des ombres, édition Nacib, archives officielles des descendants directs.
- Algérie, une guerre sans gloire, Histoire d'une enquête, Florence Beaugé, Calmann-Lévy, 2005.
- Fadhma n Sumer, la légendaire femme-combats, Omar Kherdja, 2020.
Romans
modifier- Philippe Morvan, Ours, Paris, Calmann-Levy, , 378 p. (ISBN 978-2-7021-6353-5)
- Héroïnes africaines - Volume 1, Aline Sitoé Diatta, Anne Zingha, Lalla Fatma N'Soumer, Lucie Hubert, Monde Global Editions Nouvelles, 2012.
Filmographie
modifier- Fadhma N’Soumer, réalisation Belkacem Hadjadj en 2014
Voir aussi
modifierArticles connexes
modifierLiens externes
modifier- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :
- Photo du navire Lalla Fatma n'soumer sur le site www.marine-marchande.net