Jean de Criquebœuf
Jean de Criquebœuf, seigneur et militaire français, mort le à Montjean.
Décès | |
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Activité |
Militaire |
Château de Montjean
modifierEn 1591, Henri IV avait confié la garde des puissantes murailles du château de Montjean au vieux Jean de Criquebœuf, chevalier de ses ordres.
Criquebœuf avait soixante-dix ans ; il avait épousé Claude de Saint-Melaine de la famille du Bourg-Lévêque, qui avait eu de longs différends avec Pierre Le Cornu, sieur du Plessis de Cosmes, à raison des affaires de religion[1] ; Criquebœuf avait naturellement pris parti pour les parents de sa femme.
Le parti royal
modifierEnfin il représentait dans le Bas-Maine le parti royal et avait pour mission de défendre ce pays contre les déprédations et les excès de du Plessis et des ligueurs. Le Cornu lui voua une haine implacable.
Mais Criquebœuf était vieux ; il connaissait les horreurs de la guerre civile ; il eût voulu les éviter à ces contrées. Il essaya de vivre en bonne intelligence avec son terrible voisin et fit faire près de lui des démarches ; il écrivit même aux filles de du Plessis en leur disant que tout le passé devrait être oublié.
Du Plessis pour mieux cacher ses projets, sembla se prêter aux propositions de Criquebœuf. Il envoya plusieurs fois à Montjean, comme messagers de paix, deux maîtres chirurgiens, François Rousseau et son frère Vaslinière. Ils traitèrent d'un accord entre le vieux royaliste et le ligueur et du Plessis écrivit de sa main une lettre de sauvegarde, promettant qu'il n'entreprendrait rien contre Montjean et Criquebœuf[2].
Cependant, on faisait bonne garde[3]. Chaque soir à tour de rôle, des paysans, venaient prendre la garde et monter sentinelle. Dans le donjon une petite garnison commandée par Jean de Pihourde sieur de la Fontaine veillait jour et nuit. Toutes les précautions semblaient prises ; on avait compté sans la trahison.
Drame de Montjean (octobre 1591)
modifierLe château de Montjean fut le théâtre d'un drame où le rôle de Pierre Le Cornu fut des plus odieux. Il réussit à y surprendre Jean de Criquebœuf, catholique, qui était devenu son ennemi personnel à la suite d'un duel dans les faubourgs de Laval, et son rival en tant que ligueur. Cricquebœuf fut mortellement blessé d'un coup de dague au ventre le .
Témoignages
modifierL'abbé Angot a retrouvé pour les événements de la nuit tragique du 16 au , la déposition de cinq nouveaux témoins qui n'étaient pas les seuls, et, sur ce qui se passa à Laval lors de la venue des Ligueurs dans les premiers jours de juin 1592, deux témoignages importants et curieux. Ils furent recueillis le jeudi 9, le samedi 11 et le mercredi par le notaire royal Michel Briand et le sergent Michel Duchemin[4].
Une deuxième enquête sur cette affaire fut faite au lieu de la Daguerie voisin du château de Montjean, par Denis Couesmier sergent royal à Laval, le . Plus de vingt témoins furent entendus et rapportèrent tous les faits. Le plus important fut Antoinette du Bois-Halbrant, âgée alors de 33 ans, épouse de Daniel de Pouchère sieur de Harpont et demeurant avec lui à la grande Valinière, commune de Courbeveille. Elle donna tous les détails de ce drame où elle avait joué un rôle ; elle fit connaître tout ce qui s'était passé dans cette nuit fatale dont elle ne pouvait perdre le souvenir.
Dans la nuit du 16 au 17 octobre, sur les deux heures du matin, le vieux Criquebœuf fut réveillé par un grand bruit. Il était couché avec sa femme dans une des chambres hautes du château ; suivant l'usage patriarcal de l'époque, au pied du grand lit à colonnes et à baldaquins, reposait sur une couchette la jeune Antoinette du Bois-Halbrant, camériste de madame de Criquebœuf. Appelée par son maître, Antoinette se lève, allume la chandelle. Criquebœuf et sa femme demi-nus se jettent hors du lit et au moment où madame de Criquebœuf ouvre la porte une troupe d'hommes armés de poitrinaux et de pistoles, l'épée à la main, se rue dans la chambre avec de grands cris. C'étaient Mathieu Durand dit Hardonnière, François Domon dit Beslinière, Guillaume Domon dit Reauté, Jean Domon dit Brancherais, François Domon dit Raimbaudière, Robin dit le Sauvage et d'autres encore. Ils étaient conduits par un traître, Moïse le Masson domestique de Criquebœuf, mais cousin de tous ces Domon qui semblent avoir été les instigateurs de ce guet-apens. Pendant la nuit il avait ouvert une porte basse aux soldats de du Plessis et aux Domon et les avait conduits jusqu'à la chambre du vieillard ; mais le misérable n'osa pas entrer et resta sur le seuil. Aussitôt les assassins se jettent sur le vieux Criquebœuf et le frappent de plusieurs coups. Lui parait avec son bras et criait : — Messieurs la vie, je paierai bonne rançon ! Messieurs, sauvez-moi, mon bien est à vous ! — Combien paieras-tu ? — Six mille écus. Pour lors François Domon Beslinière se jeta au-devant de ses compagnons, disant qu'il ne fallait pas offenser le vieillard davantage et couvrant Criquebœuf de ses bras et de son corps : — Habillez-vous, monsieur, vous êtes mon prisonnier.
Les autres cependant s'étaient emparés de la dame de Criquebœuf qui pleurait et se débattait ; ils lui dirent qu'il fallait aller au donjon et le leur rendre ; ils juraient et blasphémaient Dieu, criant qu'après tout elle ne valait rien et que si elle ne rendait incontinent le donjon, ils allaient la tuer à coups d'arquebuse et la jeter dans l'étang qui flotte sous les murs du château. Puis ils l'entraînèrent demi-nue, et couverte du sang de son mari. Il ne resta dans la chambre que Beslinière qui tenait toujours dans ses bras M. de Cricquebœuf, son cousin Raimbaudière et Antoinette du Bois-Halbrant qui sanglotait. Ils demeurèrent ainsi environ une heure, Antoinette suppliant les deux Domon qu'elle connaissait d'épargner son maître ; elle le crut sauvé ; elle comptait sans la haine de du Plessis. Le gentilhomme apparut à la porte de la chambre ; lui aussi n'osa entrer, mais d'un petit toussement il avertit Raimbaudière qu'il lui voulait parler ; ils s'entretinrent quelque temps à voix basse entre les deux portes, puis Raimbaudière rentra, tira son épée et en frappa à plusieurs reprises Criquebœuf dans le ventre, criant comme pour s'exciter : « je ne veux plus d'autre rançon que ta vie, je ne veux plus d'autre rançon ! » Les « tripes » sortaient en grande abondance du ventre du pauvre vieillard. Beslinière tout en colère dit à l'assassin : — Mordié, cousin, tu nous as fait tort ; nous lui avions promis la vie. Il ne fallait pas le tuer ; si c'était un autre que toi j'en aurais raison présentement. — Que veux-tu, répondit Raimbaudière, il faut faire ce qu'on nous commande. Beslinière tout ému prit le vieillard et le coucha sur son lit, lui jurant qu'il était navré de sa mort, qu'on ne lui avait pas tenu promesse, qu'il voudrait avoir un bras coupé pour que cela ne fût pas. Le vieillard, d'une voix éteinte, demanda un peu de vin, car il lui prenait des faiblesses. Antoinette de Bois-Halbrant eût voulu l'assister ; mais elle ne pouvait aller chercher du vin, car on avait enlevé les clefs de la cave. À ce moment du Plessis se décida à entrer dans la chambre. — Mon bon seigneur, lui dit en pleurant Antoinette, ils ont pris les clefs, qu'il vous plaise de commander quelles soient rapportées pour avoir un peu de vin et de confitures pour le pauvre M. de Criquebœuf ; il lui prend des faiblesses et il ne vivra plus guère. » — Mordié, répliqua brutalement du Plessis, il n'a plus que faire de vin ni de confitures ; mais toi, dis-moi où est l'or, où l'argent, où les joyaux et pour ta part tu auras cinq cents écus ? Antoinette tremblante voulut résister, disant tout en pleurs que quand elle le saurait elle ne le dirait pas. Mais du Plessis la saisissant et de sa main broyant son bras nu, la força de choisir les clefs et d'ouvrir les grands bahuts, les hautes armoires, les cabinets, les coffres, les boîtes. A mesure qu'on ouvrait ces meubles, du Plessis assisté d'un nommé Pucelière et d'un sieur Letertre, les fouillait et faisait enlever ce qu'ils contenaient. Ils prirent ainsi toute la vaisselle d'or et d'argent, savoir 12 coupes, 3 douzaines d'assiettes, 3 bassins à laver, 6 salières, 3 aiguières, 3 douzaines de cuillers, 3 chaufferettes, 4 vinaigriers et beaucoup d'autre argenterie. Et quand ils furent arrivés aux colliers, bracelets et carcans de madame de Criquebœuf : — Voilà, disaient en riant Pucelière et Letertre, qui sera bon pour mesdemoiselles du Plessis. Ils ne laissèrent rien, et du Plessis voyant sur un meuble un colletin de cuir que le vieux Criquebœuf portait la veille et sur lequel étaient enfilés six gros boutons d'or, il coupa le cordon qui les retenait et mit les boutons dans sa poche.
Puis on trouva dans d'autres bahuts, les titres, papiers, cédules et obligations de Criquebœuf ; tout cela fut pris. Ils arrivèrent à un petit coffret de marqueterie dans lequel Criquebœuf serrait ses lettres et où se trouvait une bourse de velours cramoisi qui renfermait bien cent écus d'or : — Voyez, dit du Plessis à ces acolytes, le beau petit monceau qui était là. Mais à ce moment, Criquebœuf mourant sur son lit, ouvrit les yeux ; il avait près de lui le maître chirurgien Vaslinière qui était monté et auquel du Plessis avait permis de panser le vieillard. Voyant du Plessis compter l'argent de la bourse, il lui dit doucement : — Plessis, fouille ce coffret où tu as trouvé la bourse ; tu y trouveras aussi trois lettres que tu m'as envoyées depuis quatre jours. La dernière est d'hier. Vaslinière me l'a apportée de ta part ; tu m'y promettais sauvegarde, et amitié. Il n'en put dire plus long et s'affaissa. Le chirurgien Vaslinière s'écria : — Il est vrai, M. du Plessis, vous me les avez données à lui apporter : vous lui mandiez et assuriez par moi que vous étiez son ami, que le passé était oublié… malheureux ! je suis cause de sa mort pour l'avoir assuré de tels propos. Et le pauvre homme sanglotait. Quelque dur que fut du Plessis, il baissa la tête sous ces reproches ; il ne fit aucune réponse, sinon un branlement de tête et son petit toussement habituel. Et Vaslinière s'en alla en pleurant, disant qu'il n'aurait jamais de joie au cœur : en effet il demeura malade et mourut peu de temps après, comme quinze jours environ. Pendant ce temps, la dame de Criquebœuf, battue, injuriée par les soldats fut menée plusieurs fois devant le donjon, pour qu'elle le fît rendre. À la fin, sur ses supplications et par pitié pour elle le sieur de la Fontaine le remit aux mains des ligueurs. Pour lors elle rentra dans le château et monta à la chambre où gisait son mari. Du Plessis qui était encore là occupé à ses pilleries lui dit durement qu'elle eût à sortir promptement dehors ; elle le supplia de la laisser près de son mari pour l'assister, lui montrant qu'il n'avait plus guère à vivre. A ce moment, Criquebœuf faisant un dernier effort et se soulevant sur son lit : — Plessis, tu es un traître ; tu m'as fait tuer après m'être rendu. Et il retomba. — C'est bon, répliqua du Plessis, je savais bien que tu ne mourrais que de ma main, et s'adressant à madame de Criquebœuf : — Pardi, mordié, vous sortirez d'ici tout à l'heure ! Elle, tout en pleurs, voulut dire adieu à son mari, mais effrayée des menaces et des blasphèmes de du Plessis, elle tomba évanouie. — Mordié de la chienne et de ses faiblesses : elle fait seulement semblant d'être évanouie, et la voulant secouer par le pied, il lui tira une de ses chausses : — Holà, vous autres, dit-il à des soldats hallebardiers qu'il appela, jetez-moi cette vieille chienne dans l'étang. Ses soldats moins cruels eurent pitié de la pauvre dame ; ils refusèrent de l'offenser et l'un d'eux lui ayant desserré les dents avec la pointe de sa dague et fait prendre quelques gouttes de cordial, elle revint à elle après une demi-heure de faiblesse. Alors du Plessis la chassa dehors, quasi nue, en chemise, sauf un manteau de falaine blanche qu'Antoinette, à force de supplications, obtint de du Plessis et qu'on lui permit de jetersur les épaules de sa maîtresse pour la couvrir.
Cependant le jour était venu ; Antoinette était restée toute la nuit près de son vieux maître qui râlait. Vers sept heures elle descendit. La cour présentait un horrible spectacle. Des cadavres gisaient par terre sanglants et défigurés ; dans un coin étaient entassés de grands coffres ; du Plessis qui pendant la nuit avait volé le plus beau et le meilleur, y avait enfermé ce qu'il entendait garder pour lui ; puis au matin il avait consenti le pillage à ses hommes ; on les voyait courant, se ruant, se poussant dans les salles et dans les chambres ; des paroisses voisines il était venu des misérables se joindre à eux et, à la tête d'une bande, Ory, le curé d'Astillé, un de ces prêtres ligueurs et bandits qu'on retrouve, la bourguignotte en tête et la pertuisane au poing, mêlés à tous les épisodes de cette sanglante époque. Les caves avaient été forcées ; les soldats de du Plessis étaient ivres. Dans la cour Antoinette vit Raimbaudière, celui-là même qui avait tué Criquebœuf et un nommé Montigné de Craon qui tenaient de force Guyaumette Fouassier la fille dépensière du château et la voulaient faire entrer dans une cave pour la violer ; elle, se débattant, leur échappa et vint jusqu'au milieu de la cour priant et sanglotant ; mais les deux hommes la rattrapèrent, la prirent à pleins bras et la portèrent de force dans la cave, en présence de du Plessis qui se promenait et riait fort de ce spectacle. En vain Antoinette se jeta aux pieds du chef ligueur le suppliant d'avoir pitié de la pauvre fille et qu'elle ne fût violée : — Mordié, la belle, taisez-vous, si vous pouvez vous en exempter vous-même ce sera bien. Et Antoinette se retira entendant les cris de la pauvre Guyaumette qui fut tellement offensée qu'en suite de cela elle resta sept semaines malade à Laval, demeura troublée d'esprit et mourut peu de temps après à Angers, chez madame de Criquebœuf qui l'avait recueillie. Le pillage continuait. En vain les pauvres gens des environs vinrent en pleurs se jeter aux genoux de du Plessis le suppliant qu'il eût pitié d'eux et qu'il leur rendît quelque chose de leurs hardes, de leurs meubles et des provisions qu'ils avaient cachés dans le château. Du Plessis fut inflexible. Rien ne leur fut rendu ; tout fut pillé et emporté. Il fit emmener à Craon, à pleines charrettes, des coffres remplis d'effets, d'argenterie, de bijoux. Ses soldats firent comme lui et comme lui Hardonnière, tous les Domon avec leurs femmes qui vinrent à la curée et Beslinière lui-même et le prêtre Ory qui prit une grande part à ce pillage.
Criquebœuf mourut la nuit suivante, vingt-quatre heures après avoir été frappé. Trois autres hommes périrent également dans cette nuit fatale : Lavallée et Pierre tous deux domestiques de Criquebœuf qui moururent en essayant de défendre leur maître et Lepage, closier de la Tribalerie en Courbeveille, qui était cette nuit-là en son rang à faire la garde du château.Du jeudy, neufième jour du dit mois de septembre du dit an 1599.
La dite information a été continuée par nous sergent et notaire de la ville de Laval.
Gervaise Maçon, tissier en toile, âgé de 28 ans ou environ, demeurant au village de la Vigne, paroisse de Montjean, autre témoin à nous présenté, par nous reçu et fait jurer de dire vérité pour la dite dame de Sainte-Melaine, à l'encontre du dit sieur du Plessis de Cosmes, complisses et aliéez, dit connoître les dites parties à suffire, n'estre leurs parens, submis, ni redevables, bien dit avoir été serviteur du dit deffunt sieur de Cricquebœuf, mais que pour ce il ne voudroit dire autre chose que la vérité. Et sur les dits faits dépose qu'au mois d'octobre 1591, du jour n'est mémoratif, sinon que ce fut à la faite de saint Michel, à son avis un mercredy au soir, qu'il entroit en garde au dit château de Montjean, avec autres tant de la dite maison que paysans, et environ la minuit, Moïse Lemasson, aussi serviteur et fïlieul du deffunt sieur de Cricquebeuf, encore qu'ils eussent fait sa faction de garde en sentinelle, retourna incontinent de faire qu'il alloit faire pour un paysan qui défailloit, parce qu'il l'avoit envoyé pour icelle affaire. Et de fait s'en alla faire la sentinelle, sur les planchers à l'entrée du corps de garde du château, au petit donjon, par où entrèrent avec des eschelles de bois tant le dit sieur du Plessis de Cosmes que ses complices, et oyant du bruit se mouvoir au corps de garde, fut crier : à l'armée ; arriva au corps de garde sept ou huit hommes armés et garnis de pistolaits et poitrinaux, et tira lui déposant un coup d'arquebuze ; entrèrent de furie au corps de garde, où tuèrent un nommé Lavallée et l'autre la Fusée, serviteur du dit de Cricquebeuf, et un paysant. Et étoit avec eux le dit Moyse Le Masson, garni d'une arquebuze, et étoit le dit Hardonnière, Belinière, Raimbaudière ; commendèrent à lui déposant et à un autre paysant nommé Jacguelin, témoin précédent, de prendre de la paille et du feu et les conduire et mener en la chambre du dit de Cricquebeuf ; et s'ils failloient qu'ils les tueroient. Se voyant, le dit Jaguelin alluma de la paille et les conduit jusqu'au bas du degré et entrée de la chambre du dit de Cricquebeuf, où se présenta la dite dame de Sainte-Melaine qui s'écria : « Messieurs, Messieurs, miséricorde ! » Fut frappés d'un homme, ne sçait duquel, d'un coup de pied dans le ventre et jetés par terre, et demeura lui déposant derrière ; la clarté du feu fut éteinte ne sçait comment ; entrèrent dans la chambre du dit de Cricquebeuf où il voyoit de la clarté et entendit le dit de Cricquebeuf qui crioit à haute voye : « Messieurs, Messieurs, miséricorde ! sauvez-moi la vie ! » Et vit qu'il arrivoit toujours nombre d'hommes allant et venant qu'il ne connoissoit et n'osoit parler, aller, ni venir. Et vit qu'ils menoient la dite Sainte-Melaine pour faire rendre le petit donjon tenu par La Fontaine, à laquelle ils disoient : par la Mordieu, si elle ne faisoit rendre le dit donjon, ils la tueroient et la jetteroient dans l'étang. Et que deux heures après ou environ, il passa des flambeaux de paille, et vit et connut le sieur du Plessis à l'entrée de la porte de la chambre du dit de Cricquebeuf qui toussit et vint à lui le dit Raimbaudière, auquel il dit : « Il n'est pas mort ? » Il lui dit que non. Lors le dit du Plessis lui dit : « Mordieu, il faut qu'il meure ; tue lay. » Et rentra le dit Rainbaudière dans la chambre du dit de Cricquebeuf et ayant parlé de tuer, il eut peine. Étant jour, lui déposant alla gagner une chambre au nommé La Gatterie, et peu après il gagna en la chambre que tenoit le sieur de Boisgiray. Dit sur ce enquis qu'il ouit crier les filles servantes, la nuit et au matin : à la force ! criant : à la force piteusement, mais ne sçait ce qu'il en fut, sinon que le bruit courut que les filles servantes avoient été forcées et violées. Et sur les huit à neuf heures il fut mis dehors, ensemble les autres serviteurs, et comme il cuida aller dire adieu au dit de Criquebeuf, il trouva à l'entrée de la chambre le sieur du Plessis qui l'empêcha lui disant : « Allons …. [A déclaré, de ce] enquis, qu'il a vu auparavant la dite prise venir au dit château le défunt.... de Cricquebeuf, lui disant : le sieur du Plessis vous baise les mains, il est à votre.... accord. Dit sur ce enquis que généralement tout fut volé tant en argent, d'armeyre (?) que tout.... au dit château, appartenant au dit sieur et dame de Cricquebeuf et autres gentilhommes, et ........ bien inestimable. Que s'est ce qu'il a dit et l'avoit répété sur la dite déposition à laquelle il persistoit et a dit ne sçavoir signer. — Dit aussi qu'il connut tant de ceux qui étoient à la dite prise que de ceux qui arrivèrent incontinant après : premier le dit sieur du Plessis de Cosme, Hardonnière, Beslinière, Rainbaudière, Grand'Maison d'Avénières et n'en peut guère connoître parce qu'il ne bougea de la dite chambre jusqu'à ce qu'il ne partit. Taxé à ce témoin, venu exprès de trois lieues, XV s. — Signé : Bruant, Couannier. Continuation le samedi 11 septembre 1599, par Michel Duchemin, sergent royal, Michel Briant, notaire royal. Honneste homme Guy Lemée, marchand, demeurant au lieu de la Touche, paroisse de Cossé-le-Vivien, âgé de 36 ans ou environ, dit connoître les parties, etc. Dépose qu'il y a vingt ans et plus, du temps au vrai n'est mémoratif, qu'il demeuroit en cette ville de Laval, ainsi qu'il sortit de cette ville et alla au faubourg Saint-Martin ; il y vit force monde armés et vit feu Jacques Le Cornu, écuyer, sieur de Changé, frère germain du sieur du Plessis de Cosme, qui étoit entré en la maison du sieur de Fouilloux, où entra lui déposant, lequel sieur de Changé étoit blessé en une main et fut pensé par un chirurgien, et sçut qu'il s'étoit battu avec le défunt sieur de Cricquebeuf, qu'il entendit aussi être blessé au visage, et de fait depuis il le vit blessé. Dit qu'il a connoissance que de tous temps il y a des querelles entre les maisons du Bourg-l'Évêque, dont la dite de Sainte-Melaine est issue fille légitime, et ceux de la maison du Plessis de Cosme et se sont toujours voulu mal. Que depuis, lui déposant cheminant avec le dit défunt sieur de Changé, s'en allant ensemble du bourg de Cosme à la maison du Plessis, parlant de leur querelle, lui dit le sieur de Changé qu'il se revengeroit et qu'il auroit un jour la vie du dit de Cricquebeuf. Et depuis le déposant fréquentant avec un capitaine nommé Saint-Martin, portant barbe jeaune, qui demeura longtemps avec le dit sieur du Plessis de Changé [sic], icelui Saint-Martin lui dit qu'il auroit été avec le dit sieur de Changé faire une embuscade contre le château de Montjean et une maison appelée Loresse, pensant tuer le dit de Cricquebeuf, mais que ce n'étoit que de l'attente et qu'il l'attraperoit tôt ou tard ; qu'il a bonne connoissance que défunt mètre Cyprian Lefèvre, avocat à Laval, faisoit et suivoit les affaires des dits messieurs pour les dits du Bourg-l'Évêque et du dit de Cricquebeuf ; que le dit Le Fèvre fut tué dans le chemin tendant de Laval à Ahuillé près la forêt et maison seigneuriale de la Vieux-Court ; ne sçay qui le tua, sinon que le bruit fut et a toujours continué que sçavoit été le sieur du Plessis de Cosme. Enquis, dit avoir bonne connoissance que en l'année 1591, le dit déposant étant familier avec défunt Jean Rousseau, sieur de la Valinière, y demeurant, paroisse de Courbeveille, lequel lui dit plusieurs fois qu'ils étoient après pour accorder le dit sieur du Plessis de Cosme, pour lors gouverneur au château et ville de Craon, et le dit de Cricquebeuf et qu'il avoit déjà parlé à eux, qui alloit à l'un et à l'autre et espéroit bientôt les rendre amis ; et de fait, quelque temps après, parlant lui déposant avec le dit Rousseau, lui dit qu'il avoit rendu les dits sieurs du Plessis et de Cricquebeuf bons amis et ils se l'étoient ainsi promis et en avoit porté les paroles d'assurance des uns aux autres, mêmes des lettres comme il s'étoit écrits et promis amitié l'un à l'autre, même porté au dit sieur de Cricquebeuf une sauvegarde qu'il lui avoit envoyée du dit sieur du Plessis, et s'en réjouissoit pour ce que le paysant seroit mieux supporté et deffendu. Peu de temps après, le château du dit Montjean fut pris par le dit sieur du Plessis de Cosme, comme lui déposant entendit dire à plusieurs messieurs qui virent venir deux ou trois jours après la dite prise en la dite ville de Craon. Et étant dans le dit château de Craon, ouit dire au dit sieur du Plessis, parlant de la surprise du dit château de Montjean et meurtre du dit de Cricquebeuf, qu'il avoit fait une faute, qu'il devoit faire jeter la dite de Sainte-Melaine par les fenêtres de l'étang et que ce eut été une belle dépêche ; et disoit le dit sieur du Plessis qu'il n'avoit amandé que de 500 livres et quelque vaisaille d'argent, des obligations et papiers. Il fut lui déposant au dit château de Montjean où il avoit vu le corps mort du dit défunt de Cricquebeuf frappé au travers du ventre et ouit dire à François Domin, dit Rainbaudière, l'un des hommes du dit sieur du Plessis, qu'il avoit tué le dit de Cricquebeuf et qu'il avoit tant fait qu'ils avoient eu la raison. — Dit sur ce enquis que le dit défunt sieur de Cricquebeuf ne faisoit la guerre qu'en faveur tant des marchands que des pauvres gens, conservoit le pays et fut fort regretté d'un chacun. Est ce qu'il a dit sçavoir …. et a signé : Le Mée. Taxé ce témoin à cinq sols. Jean Henri le jeune, cordonnier, demeurant au lieu de la Morinière, paroisse de Montjean, âgé de 40 ans ou environ, témoin à nous présenté de la part de la dite de Sainte-Melaine, le procureur du roi y joint à l'encontre du sieur du Plessis, les Durants, Domins et autres complices et alliés, etc. Dépose que le mercredi jour de Saint-Michel et le jeudi 17e jour d'octobre 1591, lui étant allé le mercredi au soir en son rang pour faire [la garde] au dit château, attendu que le bien des pauvres gens y étoit ; et sur la minuit fut mis lui déposant en sentinelle sur les portails et y fut quelques heures et demie. Incontinant Moyse Lemasson, serviteur domestique du dit sieur de Cricquebeuf et son fileul, vint et leva lui déposant pour y demeurer sentinelle, garni d'un tison de feu qu'il alloit faicsant (?) et remuant. Lors lui déposant lui dit : « Comment êtes-vous venu en sentinelle, vu que vous y étiez quand j'ay entré et qu'il y avoit d'autres hommes aux corps de garde qui n'avoient point fait la sentinelle ? » Et eut lui déposant quelque défiance sinon que le dit Moyse Lemasson lui fit réponse qu'il la vouloit faire encore un peu pour s'en aller dormir. Ce voyant, le dit déposant se retira au corps de garde et demi heure après ou environ ouirent un grand bruit au portail par où le dit sieur du Plessis et ses complices montoient avec deux échelles de bois couplées, et s'en courant au corps de garde, criant : à l'armée ! Dans lequel corps de garde entrèrent six ou sept hommes armés de cuirasse, de pistolaits et l'épée à la main, où tuèrent trois hommes, sçavoir : un nommé Lavallée, l'autre La Fusée, serviteur du dit sieur de Cricquebeuf, et un pauvre homme nommé Pierre Le Page. Et quant à lui déposant, Gervais Lemasson, cordonnier de la maison, et autres, auxquels les dits soldats dirent : — Par la mordieu ! si remuent de leur place, qu'ils les tueroient, — prirent de la paille et avec du feu furent menés et conduit par le dit Moïse Lemasson ; commandèrent à Gervaise Lemasson et Jean Jaguelin de prendre le feu pour les éclairer à aller en la chambre du dit de Cricquebeuf et incontinent ouyrent qu'ils étoient entrés en la chambre du dit de Cricquebeuf ; et comme à une heure de là, il déposant entendit dire à plusieurs les dits soldats que le dit de Cricquebeuf venoit d'être frappé à la mort et que sçavoit été le dit Rainbaudière. Et fut mené lui déposant par les dits soldats pour porter des fagots pour mettre [le feu au petit donjon où] était un nommé Jean de Peschard, sieur de la Fontaine, noble homme demeurant à Brest en Basse-Bretagne.... longtemps qu'il ne se vouloit rendre. Et fut la dite Sainte-Melaine présentée …. [disant] au dit de la Fontaine autrement par la mordieu qu'ils la tueroient... La Fontaine se rendit. Laquelle dame n'avoit que sa chemise et un garde robe de toile et…. Le jour venant lui déposant, mené par des soldats jusqu'à bien demi-quart de lieue ou environ loing pour aider à amener les chevaux tant du dit sieur du Plessis, ses complices et alliés, qu'ils avoient laissés et attachés à la haie. Et sur les huit heures, lui déposant entra dans la chambre du dit de Cricquebeuf, où étant entré il vit le dit sieur du Plessis se promenant en la dite chambre un pistolait à la main, disant au dit de Cricquebeuf qui étoit couché en un lit : « Cricquebeuf, tu es un beau faiseur de guerre ; tu ne la faisois que en un regard » Lors le dit sieur de Cricquebeuf lui dit : « Plessis, tu m'as bien pris en traître. Je pensois que nous étions amis comme m'avoit dit Vallinière et par lettres qu'il m'avoit apporté dempuis deux jours sous ton seing qui sont ici avec mes lettres. » Dit qu'il vit incontinent le dit Vallinière pleurant en une chambre à haute voix du regret qu'il avoit de la mort proche du seigneur de Cricquebeuf, disant qu'il étoit cause de sa mort sans y pécher, pour avoir fait de bonne foi ce qu'il avoit pu pour les accorder à ce que le pays en fut supporté, au contraire qu'il étoit ruiné ; qu'il avoit apporté plusieurs lettres d'amitié du dit sieur du Plessis au dit de Criquebeuf, même depuis deux jours, et dit et assuré le dit sieur de Cricquebeuf de l'amitié du dit sieur du Plessis, comme il lui en avoit donné charge, et au contraire l'avoit traitement tué et assassiné ; que le dit sieur de Cricquebeuf lui avoit reproché qu'il étoit cause de sa mort pour s'être fié en ses paroles et qu'il en étoit tellement fasché et mélancolié qu'il n'espéroit mourir d'autre mort. Et de fait le dit Vallinière demeura malade et mourut en la maison seigneuriale de la Vieux-Court, paroisse d'Ahuillé, le 14e ou 15e jour après. — Dit lui déposant que le jour de Saint-Michel, qui fut le jour de devant la dite prise du dit château, lui déposant étoit allé à la messe au dit château de Montjean où le dit de Cricquebeuf assista ; ensemble un autre marchand passant qui étoit venu voir le dit de Cricquebeuf ; et ainsi que le dit marchant dit adieu au dit sieur de Cricquebeuf, lui dit ces mots : « Si de hasard vous êtes pris, avouez-vous de moi et que vous sortez de céans, et dites à M. du Plessis que vous m'estiez venu trouver ; vous n'aurez aucun mal, parce que le sieur du Plessis et moy sommes à présent bons amis, par des lettres que j'ay reçues de luy ; il me gratifiera de tout ce qui m'appartient. » — Dit sur ce enquis que le dit sieur du Plessis, ses complices et alliés firent emmener avec chartes et chevaux plusieurs bahuts, coffres, bouêtes, vaisselles d'argent, lis.... joyaux, accoustrements d'homme et de femme, or et argent, obligations, cédules, titres et enseignements. Et outre étoit le dit château de Montjean rempli de biens de tout le pays, tant des nobles que du pauvre peuple, et y avoit tant de nombre de coffres que bahuts que tout le château en étoit plein. Et lorsque les pauvres gens crioient au sieur du Plessis que eussent leur bien, il leur disoit qu'il n'étoit pas perdu en ayant donné le pillage aux soldats sans en faire rendre aux dits pauvres gens. Et dit avoir entendu dire que plusieurs femmes et filles étant au dit château, voyant qu'elles ne pouvoient rien obtenir de grâcieux du dit sieur du Plessis, s'adressèrent aux soldats et celles qui vouloient obéir à leur volonté lubrique retiroient quelque chose et celles qui ne vouloient leur obéir s'en alloient sans rien pouvoir avoir. — Dit sur ce enquis avoir vu et connu à la prise du dit château tant le dit sieur du Plessis, Hardonnière, Beslinière, François Domin, dit Rainbaudière, le prêtre Ory, d'Astillé, Guillaume Domin, dit Réauté, Domin, dit Brancherais, Hoyeau, dit Saint-Germain, le nommé La Rangée, lesquels il connoît ; et quant aux autres en grant nombre, en reconnoîtrait une partie lui étant représentés. Qui est ce qu'il a dit sçavoir. Taxé à ce témoin 5 sols. Honnête homme maître Gabriel Thibault, sieur de la Chanoinière, demeurant en cette ville de Laval, âgé de 45 ans ou environ, dépose que le jeudi 14 janvier 1592, qui fut quatre jours après que le seigneur de Mercœur, le sieur du Boisdauphin et autres de la Ligue entrèrent en cette ville de Laval, qui fut à l'issue de la déroute de Craon, auquel temps il déposant exerçoit le greffe des exempts, le dit capitaine Hardonnière accompagné de deux soldats qu'il déposant ne connut, étant garnis d'armes, entrèrent en sa maison. Lequel Hardonnière dit à lui déposant que le sieur Boisdauphin lui mandoit qu'il l'allât trouver et lui portât la minute des informations et plaintes qu'il avoit vers lui, comme greffier, faites à l'encontre du dit sieur du Plessis de Cosme et qu'il en auroit une décharge. Lequel Hardonnière et soldats étant en furie, blasphémoient le nom de Dieu en lui disant ces paroles et autres ; qu'il déposant eut peur, leur faisant réponse que la dite information et plainte n'étoient lors en sa maison, où il se retiroit encore au faubourg Saint-Martin de cette dite ville, en son étude, en laquelle il les avoit portées longtemps auparavant avec autres papiers et minutes du dit greffe des exempts pour être conservé ; les suppliant de lui donner quelque temps de les chercher, pour ce que les dits papiers étoient brouillés et non d'ordre pour avoir été transportées par plusieurs fois d'endroit à autres à cause des guerres, espérant par ce moyen lui déposant s'évader hors de leurs mains et éviter à cette viollance, ou du moins du temps de faire des copies tant de la dite plainte qu'information, afin de la faire resigner aux témoins y rapportés, à ce qu'il en demeurât autant sy d'advanture il étoit forcé et violenté de les bailler comme il le prévoyoit à son grand regret. Outre lui fut dit par le dit Hardonnière et soldats telles paroles ou semblables, en jurant et blasphémant le nom de Dieu, qu'il les falloit tous avoir sans aucune remise, l'avertissant qu'il ne laissât rien en arrière, qu'il ne failloit pas apporter le tout à son profit, qu'ils iroient partout avec lui et ne le perdroient point de vue qu'il n'eût trouvé icelle information, à ce que promptement il eût à la trouver, et qu'il devoit seulement louer et remercier Dieu de ce qu'ils avoient été de bons amis ; et autres propos de menaces. Ce voyant, il déposant, ayant crainte d'être offensé par les susdits ou autres de leur part, alla tout à l'instant accompagné des susdits Hardonnière et soldats en la ville et maison de la défunte dame de la Gabrie, sa tante, et les ayant trouvés, fut mené par le dit Hardonnière et soldats à la maison de la défunte dame de la Manourière ; où étant entrés en la salle d'icelle maison grant nombre d'hommes garnis d'armes ; entre autres ils connurent François Domin, dit Frainbaudière, le dit sieur J. de Mée, de Cossé, lesquels il connoissoit. En présence desquels et d'autres fut fait commandement par le dit Hardonnière au déposant de faire lecture tant de la dite plainte qu'information et, dès après qu'il eut ce fait, le firent monter dans l'une des chambres hautes d'icelle maison en laquelle ils trouvèrent le dit sieur du Boisdauphin logé en icelle maison, ensemble y étoient le sieur du Plessis de Cosme, le baillif de la provôté du Mans, lesquels il connut, et y en avoit quelques autres inconnus au dit déposant, lesquels devisoient tous ensemble. Lequel Hardonnière appela le dit sieur du Plessis, auquel il fit entendre comme ils avoient amené le dit déposant et fait apporter les dites informations et plaintes pour les mettre entre les mains du sieur du Boisdauphin. Lors le dit sieur du Plessis s'étant approché se retira avec un homme que l'on disoit être son secrétaire, en usant le dit .sieur du Plessis de menace tant à l'encontre de lui déposant d'avoir assisté à la confection des dites informations comme greffier, que contre François Duchemin, licencié ès droits, qui les avoit faites en qualité de commissaire ordonné pour les saisies des biens des ligués ; disant le dit sieur du Plessis que le dit Duchemin et déposant eussent bien fait pour eux de ne s'être entrepris en cela, encore qu'il déposant lui remontrât, comme la vérité étoit, qu'il n'avoit rien fait que sa charge et qu'il n'avoit pas même assisté à la dite information, ains un nommé maître Jacques Lebreton, lors son commis au dit greffe. Duquel sieur du Boisdauphin il déposant s'approcha, lui disant ce que dessus qu'il étoit greffier, qu'il devoit garder les pièces et information qu'il avoit envoyé quérir, que sy le pressoit qu'il lui plût lui en donner décharge parce que c'étoit les minutes, à ce qu'il n'en fût recherché par après. Lequel sieur du Boisdauphin, en présence du dit sieur du Plessis, Hardonnière et autres, print les dites informations et plaintes entre les mains du dit déposant, et icelles bailla à l'instant au dit bailli de la provôté, auquel il dit qu'en baillât décharge audit déposant. Laquelle décharge il déposant ne put jamais avoir, quelque diligence qu'il en pût faire. Dit iceluy déposant sur ce enquis que.... l'information auroit été faite en l'année 1591, et desquels fut envoyé.... dit avoir ainsi qu'il dépose ; et vit au logis du dit sieur du Boisdauphin [Jacques Charlot, sieur de la Claverie], lors lieutenant de M. le grand provôt provincial criminel du Maine à Laval ass.... Birague, chirugien [sic], sieur d'Entrammes, lequel fit sa plainte au dit sieur du Boisdauphin de ce qu'il avoit failli être tué et assassiné par un nommé Le Sauvage et autres soldats du dit sieur du Plessis et des Espagnols pour n'avoir voulu au dit sieur du Plessis autres informations et pièces, étant en son greffe concernant les affaires d'entre la dite de Sainte-Melaine et le dit sieur du Plessis. Qui est ce qu'il a dit sçavoir. Taxé à ce témoin 12 sols. (Signé) Thibault, Briant, Duchemin. Du mercredi, 22 septembre 1599. La présente information continuée par moi Michel Duchemin, sergent susdit, en présence du dit Michel Briant, notaire royal, mon adjoint. Jacques Charlot, sieur de la Claverie, âgé de 40 ans ou environ, provôt de cette ville, autre témoin à nous présenté pour la partie d'icelle de Sainte-Melaine, à l'encontre du dit sieur du Plessis, les Durant, les Domin, le dit Sauvage, leurs complices et alliés.... Dépose qu'en l'année 1591 après la déroute de Craon, que le seigneur de Mercœur, du Boisdauphin et autres seigneurs firent réduire cette ville au parti de la Ligue, il y entra sans contredit deux ou trois jours après la fête-Dieu, et l'octave de la dite feste qui étoit le quatrième jour de juin, il déposant vit sur les 4 à 5 heures du matin arriver en son dit logis Guillaume Platier, son greffier, assisté de soldats entre lesquels étoient le dit sieur Domin, dit Rainbaudière, ayant épée et pistolets. Auquel Plattier demanda qui l'amenoit si matin. Fit réponse qu'il étoit prisonnier retenu par le dit Domin et autres, à faute qu'il avoit fait de leur bailler les procès qui avoient été faits à l'encontre de Michel Jeal (?) et Moyse Lemaçon pour la trahison de Montjean, et auxquels il avoit dit que le déposant avoit les dites pièces, sur quoi le dit Domin suivant la parole.... qu'il avoit charge d'emprisonner ceux qui auroient les dits procès, à faute qu'on faisoit de les leur bailler pour les porter au dit sieur du Plessis de Cosme, gouverneur de Craon et du dit Montjean. Lequel déposant auroit prié le dit Domin et ceux de sa compagnie, des noms desquels il n'a à présent mémoire, de lui permettre se lever et accoutrer pour aller trouver messire du Boisdauphin, lors étant gouverneur de cette ville et logé chez la dame de la Manourière. Ce qu'ils accordèrent. Et étant accoûtré fut le dit déposant et Plattier mené prisonnier par le dit Domin et soldats au dit logis du dit sieur du Boisdauphin, où étoit aussi le dit sieur du Plessis. Lequel voyant entrer lui déposant dit au seigneur du Boisdauphin : « Mortdieu, Monsieur, voilà ce galand de provôt que j'ay envoyé quérir afin qu'il rende les procès qu'il a faits à Moyse et à Dujac qui avoient assisté à la prise de Montjean. » A quoi le dit déposant fit réponse qu'entre gens d'honneur, il n'étoit tenu pour un galand ains pour un fort homme de bien et qu'il prioit M. du Boisdauphin de ne permettre qu'on tirât d'un greffe les procès qui avoient été faits à des criminels, et que le dit Moyse, comme domestique et filleul du dit sieur de Cricquebeuf, capitaine du dit château de Montjean, et qui dès son enfance avoit été nourri du dit défunt sieur de Cricquebeuf, et le dit du Seac, homme demeurant sur les champs, faisant la guerre, avoient justement été pris et exécutés de mort pour la trahison et vendition qu'ils avoient faites du dit château de Montjean. Non obstant lesquelles remontrances, persistant le dit sieur du Plessis, le dit sieur du Boisdauphin commenda au dit déposant et au dit Plattier qu'ils eussent à bailler les dits procès et information faite de l'assassin et meurtre du dit de Cricquebeuf et vollerie faite au dit château de Montjean. Voyant que les remontrances du dit déposant ne servoient de rien, pour la rétention de sa personne et du dit Plattier, auroit prié le dit sieur du Boisdauphin que ce fût son bon plaisir de prendre les dits procès et informations entre ses mains, afin que le dit sieur du Plessis n'en eût connoissance, du moins des témoins, partie desquels étoient pauvres gens, voisins du dit château de Montjean. À quoi le dit sieur du Boisdauphin commanda au dit déposant et à Plattier, son greffier, d'aller quérir les dites informations et procès faits. Ce qu'il auroit par crainte [dû] faire. Ce que voyant le dit sieur du Plessis dit au dit sieur du Boisdauphin : « Mordieu, Monsieur, ils seront, s'il vous plaît, conduits par des soldats jusqu'à ce qu'ils aient exécuté votre commandement, afin qu'ils ne fassent faire des copies des informations et procès, comme on avoit d'icelle. »... Ce que lui auroit accordé le dit sieur du Boisdauphin. Et à l'instant le sieur du Plessis commanda au dit Raimbaudière et autres ses soldats et complices, sçavoir à Reauté, Hardonnière, Pliçon et Monfelon, de ne laisser le dit déposant et son greffier jusqu'à ce qu'ils eussent apporté les dites informations et procès et testament, ce qu'ils furent contraints par les dessus dits jusque chez le dit Plattier. Lequel dit Plattier ayant prins les dits procès retournèrent assemblement, conduits par les dits soldats, au logis du sieur du Boisdauphin. Et en les menant fut dit par les dits Hardonnière et Raimbaudière au dit déposant qu'il portoit un pourpoint de velours découpé, « mais par la Chairdieu nous vous découperons la peau et chair plus menu que n'est votre esprit. » Et étant retournés, conduits comme dit est, chez le dit sieur du Boisdauphin en la présence et poursuite du dit sieur du Plessis, le dit déposant prit les dits procès d'entre les mains du dit Plattier et fut contraint de les bailler au dit sieur du Boisdauphin, lequel les mit en une étude de la chambre où il étoit logé. Ce que voyant le dit sieur du Plessis dit au dit déposant : « Mordieu, vous avez fait comme Pilate, craignant de perdre votre état : vous avez fait juger et mourir des gens de bien de notre saint parti. » Ce fait, lui déposant et son dit greffier se retirèrent, et sur l'après dîner du dit jour, les dessus dits Raimbaudière, Reauté, Hardonnière, Monfelon, Prelion, le défunt curé d'Astillé, frère du dit Hardonnière, vinrent [chez] le dit déposant logé [sur le] pavé en place publique de cette dite ville, joignant la halle, dedans laquelle ayant laissé grand nombre de soldats qui (ils) abordèrent le dit déposant, usant de plusieurs menaces, lui disant qu'il allât parler à Monsieur du Boisdauphin. Lequel déposant leur fit réponse qu'il ne leur avoit point fait de tort, et qu'il alloit trouver le dit sieur du Boisdauphin, suivant son chemin par sur le pavé, ne voulant outrepasser par les halles parce qu'il y voyoit grand nombre de soldats. Ce que apercevant les dits soldats étant dans la dite halle, auroient croisé son chemin par une petite rue, tendant de la dite halle à la rue par laquelle il falloit aller au logis du dit sieur du Boisdauphin, lesquels avoient tous l'épée au poing, disant : « Tue, tue, il est Luterainne ! » Ce que entendant et pour sauver sa vie, voyant qu'ils étoient 25 ou 30, auroit jeté son manteau et se seroit sauvé à la fuite et toujours suivi des dessus dits, lui tenant l'épée presque dans les reins l'espace de 400 pas. Et étant devant l'église de la Trinité, il trouva la porte du sieur des Picaignes, avocat au dit Laval, ouverte, dedant laquelle étoit une servante qui le laissa entrer et fermant la porte, l'un des dessus dits tira un coup de pointe d'épée qui porta sur le derrière d'un soulier de la dite chambrière tellement qu'il le coupa.............
Monsieur Don Jouan passant assisté de 450 Espagnols, les dessus dits.... il y avoit un luteranne là dedans qui s'étoit sauvé et qu'il le falloit........ Espagnols se mirent à rompre portes et fenêtres et terrasse de la dite maison.... circonvoisines, afin de forcer le dit là dedans et l'y assassiner. Ce qu'ils eussent enfin fait, sans que plusieurs habitants de cette ville allèrent remontrer au dit sieur du Boisdauphin que l'on vouloit assassiner le provôt par des soldats du dit sieur du Plessis qui l'auroient, avec des Espagnols, assassiné (assiégé) dans une maison. Aussi fut remontré au dit Don Jan, chef des dits Espagnols, que des soldats du dit sieur du Plessis, pour venger une querelle particulière, vouloient faire assassiner le dit déposant, provôt de cette ville, et pour plus les émouvoir disoient qu'il n'étoit lutéranne, encore qu'il fût bon catholique et n'eût jamais été autre. Ce que voyant le dit Dom Jouan avoit commandé à un de ses capitaines qu'il allât où étoit la dite émotion et sédition, et qu'il plantât sur le carreau ceux qu'il voyoit être de la dite sédition. Ce que le dit déposant sait pour lui avoir été par après asseuré par plusieurs habitants de cette ville qui lui auroient dit avoir fait les dites remontrances pour lui ; et lequel capitaine arrivé promptement fit retirer environ de cent espagnols qui étoient à l'entour de la maison où il étoit assiégé ; comme aussi y arrivèrent les sieurs de la Feuillée et de Birague, de Fontenaille et le capitaine Picaigne, lesquels firent retirer les dessus dits Monphelon, Raimbaudière, Réauté, Pliçon, Hardonnière, et le dit curé d'Astillé avec 40 ou 50 autres soldats du dit sieur du Plessis. Et étoient les dits soldats près d'entrer dans une chambre où étoit le déposant, ayant déjà rompu la terrasse de grandeur pour passer un homme, sinon l'assistance des dessus dits sieurs de la Feuillée et de Biragne. Lequel seigneur de Birague ayant dit au dit déposant qu'il ouvrît à surté, fit ouverture de la porte de la dite chambre et étant sorti d'icelle fut mené chez le dit sieur du Boisdauphin où étoit le dit sieur du Plessis. Lequel voyant entrer le dit déposant dit à ses dits soldats : « Mordieu, vous êtes des lâches, poltrons que vous êtes, de n'avoir pu tuer un homme, et le sçais par des paysans pour l'avoir oui dire à François Lerpins (?), sieur de la Goulière. » Lequel déposant étant devant le dit du Boisdauphin lui fit plainte de ce que le dit sieur du Plessis l'avoit voulu faire assassiner et qu'il en avoit eu avis, mais qu'il ne croyoit qu'il voulût mettre à exécution sa mauvaise volonté, le sieur du Boisdauphin étant en cette dite ville. Auquel propos le dit sieur du Plessis dit au dit déposant : « Mordieu, que ne m'avez-vous baillé tout ce qu'on vous avoit demandé ? » Lequel déposant fit réponse qu'il avoit donné tout ce qu'il avoit demandé. À quoi le dit sieur du Plessis fit réponse qu'outre ce qu'il avoit baillé, il y avoit un arrêt donné à Tours contre lui et qu'il ne le lui avoit remis en main ; ce à quoi le déposant fit réponse qu'il n'avoit jamais eu en main aucun arrêt de Tours qui eût été donné contre lui et dont il eût connoissance. — Et est ce que ledit déposant dépose.... Taxé à ce témoin 20 sols. — (Signé) Charlot.
(À la suite, dix lignes de la déposition de la demoiselle du Boishalbrand, depuis : La dite Sainte-Melaine étant rentrée, ... pleurant jusqu'à : desserroit les dents avec la pointe d'un poignard).« Cricquebœuf, tu es un beau faiseur de guerre ; tu ne la faisois que en un regard Le sieur de Cricquebeuf lui dit : Plessis, tu m'as bien pris en traître. Je pensois que nous étions amis comme m'avoit dit Vallinière et par lettres qu'il m'avoit apporté dempuis deux jours sous ton seing qui sont ici avec mes lettres. »
Punition
modifierCe crime abominable commis au mépris de l'amitié jurée sur un vieillard de soixante dix ans, eut un grand retentissement et souleva une violente indignation. Madame de Criquebœuf en poursuivit énergiquement la punition.
Bibliographie
modifier- Arrêt en forme de commission, pour informer de la prise, viol et assassinat du château de Montjean, en l'an 1591, par Pierre Le Cornu, sieur du Plessis de Cosmes, alors gouverneur de la ville et du château de Craon, suivie de l'information. Copie faite par Louis Planté de Courbeveille en 1725 sur une autre copie existant au greffe de Laval. Impr. à la fin de l'ouvrage de Louis René Duchesne : Craon et ses barons, Laval. in-8°. 1836 ;
- Articles accordez par le Roy au Sr Duplessis de Côme, sur la réunion des villes et baronnie de Craon et Montjean au service de sa majesté. Angers, in-8°. 1598 ;
- Lettre du roy contenant confirmation des articles accordez… ibid. 1598. (Lb. 35) 723 et 724 ;
- Histoire universelle de de Thou[7]. Traduction française de 1834, 16 vol. in-4°.
Notes et références
modifier- Vers 1579 à Laval, au faubourg Saint-Martin ; Jacques Le Cornu, écuyer, sieur de Changé, frère germain de Pierre Le Cornu, sieur du Plessis de Cosmes, s'était battu avec Jean de Criquebœuf. Les deux protagonistes furent blessés. Il était connu que de tous temps il y a des querelles entre les maisons du Bourg-l'Évêque, et ceux de la maison du Plessis de Cosmes et se sont toujours voulu mal. L'idée de vengeance était présente, et il était dit que les Plessis de Cosmes auraient un jour la vie du dit de Cricquebœuf.
- De Thou, t. VIII, p. 12.
- En effet les pauvres gens du pays avaient déposé dans le château leurs meubles, leurs hardes, leurs effets les plus précieux, non seulement eux, mais encore toute la petite noblesse des environs qui y avait apporté ses coffres et ses bahuts ; les salles en étaient encombrées : il y en avait bien quatre ou cinq cents, dit un des témoins de l'enquête.
- Le texte est parvenu jusqu'à nous, grâce à Gabriel-F. de Preaulx qui l'a copié vers 1750, époque à laquelle il copiait également les remembrances de Quelaines. Malheureusement ce scribe bénévole était fort peu expert en ces sortes de travaux et, loin de tenir un compte exact de l'orthographe, il n'a pas toujours compris ce qu'il lisait ; il semble au reste qu'il le lisait fort mal car les dates, entre autres choses, paraissent souvent fautives. Il a été trouvé au chartrier de Thubœuf en Nuillé-sur-Vicoin.
- « Essais d’histoire locale [I. Une expropriation pour cause d'utilité publique en 1499 : le cimetière Saint-Vénérand à Laval. - II. Un épisode des guerres de la Ligue dans le Maine : le drame de Montjean (octobre 1591). - III. L'année 1790.]»
- « L'assassinat de Criquebœuf au château de Montjean », dans Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne, 1912, tome 28, p. 298-314.
- C'est le grand monument historique du XVIe siècle. On y trouve une foule de faits relatifs à l'histoire de la Ligue dans le Maine.
Sources
modifier- Abbé Angot, « L'assassinat de Criquebœuf au château de Montjean », dans Bulletin de la Commission historique et archéologique de la Mayenne, 1912, tome 28, p. 298-314. [1] ;
- Jules Le Fizelier, « Essais d’histoire locale [I. Une expropriation pour cause d'utilité publique en 1499 : le cimetière Saint-Vénérand à Laval. - II. Un épisode des guerres de la Ligue dans le Maine : le drame de Montjean (). - III. L'année 1790.] » [2]