Formule d'inversion de Möbius

Théorème de théorie des nombres

La formule d'inversion de Möbius classique a été introduite dans la théorie des nombres au cours du XIXe siècle par August Ferdinand Möbius. Elle a été généralisée plus tard à d'autres « formules d'inversion de Möbius ».

Énoncé

modifier

La version classique[1],[2] déclare que pour toutes fonctions arithmétiques f et g, on a

 

si et seulement si f est la transformée de Möbius de g, c.-à-d.

 

μ est la fonction de Möbius et les sommes portent sur tous les diviseurs strictement positifs d de n.

L'équivalence reste vraie si les fonctions f et g (définies sur l'ensemble ℕ* des entiers strictement positifs) sont à valeurs dans un groupe abélien (vu comme -module).

Preuve par convolution

modifier

Convolution de Dirichlet

modifier

On se place dans l'anneau commutatif F des fonctions arithmétiques, défini comme suit. L'ensemble F des fonctions arithmétiques est naturellement muni d'une addition qui en fait un groupe abélien. On le munit d'une deuxième loi interne, la convolution de Dirichlet, en associant à deux éléments f et g de F la fonction f ✻ g définie par :

 

Cette loi sur F est associative, commutative et distributive par rapport à l'addition, et il existe un élément neutre : la fonction notée ici δ1 et définie par δ1(1) = 1 et pour tout entier n > 1, δ1(n) = 0.

Le groupe des inversibles (F×, ✻) de cet anneau est le groupe abélien constitué des fonctions f telles que f(1) ≠ 0 (les fonctions multiplicatives en forment un sous-groupe).

Démonstration

modifier

En notant 1 la fonction constante 1(n) = 1, la formule d'inversion se réécrit :

 .

Cette équivalence résulte[1] de la définition de μ comme l'inverse de 1 pour la convolution ✻ :

 ,

qui donne bien :

 

et

 .

Ces calculs restent valables pour f et g à valeurs dans un groupe abélien[3] (G, +) car le sous-anneau de F constitué des applications à valeurs entières contient μ et 1, et les applications de ℕ* dans G forment un module à droite sur cet anneau, la loi externe étant la convolution définie par les mêmes formules.

Généralisation et preuve combinatoire

modifier

Contexte

modifier

Une approche combinatoire permet de généraliser l'étude ci-dessus[4]. Soit A un ensemble partiellement ordonné dont la relation d'ordre est notée ≤. On définit les chaînes par[5] :

Soient a et b deux éléments de A tels que a ≤ b. Pour tout entier naturel p, on appelle « chaîne de longueur p joignant a à b », toute suite finie (x0x1, ..., xp) telle que :

 

et l'on note cp(ab) le nombre de ces chaînes.

En supposant que l'ordre sur A est localement fini (en), c'est-à-dire qu'il n'existe qu'un nombre fini d'éléments situés entre a et b, Gian-Carlo Rota construit alors une nouvelle fonction de Möbius, qu'il note μA, caractérisée par[6] :

Soient a et b deux éléments de A tel que a < b :

 

Elle généralise la fonction de Möbius classique μ[7] :

Pour A = ℕ*, ordonné par « a ≤ b lorsque a est un diviseur de b », on a

 

Formule d'inversion de Rota

modifier

La fonction μA vérifie la formule d'inversion suivante[8], qui généralise celle pour μ :

 

En effet, le produit de convolution de Dirichlet se généralise, permettant d'associer à tout ordre localement fini A son algèbre d'incidence (en), et μA s'interprète alors comme un inverse dans cet anneau unitaire. Ceci fournit in fine une preuve très courte — analogue à celle donnée plus haut pour μ — de la formule d'inversion ci-dessus, mais nécessite de développer au préalable cette théorie[4],[9], alors qu'un calcul direct est possible :

En appliquant cette formule à d'autres ensembles partiellement ordonnés localement finis que celui des entiers strictement positifs ordonné par divisibilité, on obtient d'autres formules d'inversion de Möbius, comprenant entre autres le principe d'inclusion-exclusion de Moivre.

Lorsque l'ordre utilisé est l'ordre usuel sur les entiers naturels non nuls, on obtient la formule suivante, utile en combinatoire :

si F et G sont deux fonctions définies sur l'intervalle [1, +∞[ de ℝ à valeurs complexes et si α et β sont deux fonctions arithmétiques inverses l'une de l'autre pour la convolution de Dirichlet (en particulier si α = 1 et β = μ), alors[10]

 .

Applications

modifier

Des exemples sont donnés dans l'article Fonction multiplicative.

Arithmétique modulaire

modifier

L'indicatrice d'Euler φ vérifie :

 .

La formule d'inversion donne alors :

 .

Polynôme cyclotomique

modifier

La formule d'inversion de Möbius est valable pour toute fonction f de N* dans un groupe abélien. Si ce groupe est noté multiplicativement, la formule devient :

 

En prenant, comme groupe multiplicatif, celui des fractions rationnelles non nulles à coefficients rationnels et, comme fonction f, celle qui associe à tout entier n > 0 le ne polynôme cyclotomique Φn, on obtient, en vertu de l'égalité

 

un moyen de calculer le ne polynôme cyclotomique :

 

Ces deux équations précisent celles du paragraphe précédent, qui correspondent au degré des polynômes en jeu.

Polynôme irréductible et corps fini

modifier

Certains codes correcteurs, comme les codes cycliques sont construits à l'aide de l'anneau des polynômes à coefficients dans le corps fini Fq à q éléments et d'un polynôme irréductible et unitaire de degré n, où n est premier avec q[réf. nécessaire]. C'est l'une des raisons pour lesquelles on s'intéresse au nombre mn(q) de polynômes irréductibles unitaires de degré n à coefficients dans Fq. Cette question est un exemple de problème de dénombrement faisant intervenir la fonction de Möbius.

On démontre algébriquement que

 

Par inversion de Möbius, on en déduit[9] :

 

Notes et références

modifier
  1. a et b Françoise Badiou, « Formule d'inversion de Möbius », Séminaire Delange-Pisot-Poitou Théorie des nombres, vol. 2, exp. 1,‎ , p. 3 (lire en ligne).
  2. G. H. Hardy et E. M. Wright (trad. de l'anglais par F. Sauvageot), Introduction à la théorie des nombres [« An Introduction to the Theory of Numbers »], Paris/Heidelberg, Vuibert-Springer, , 568 p. (ISBN 978-2-7117-7168-4), p. 301, th. 266 et 267.
  3. (en) Rudolf Lidl et Günter Pilz (en), Applied Abstract Algebra, Springer, (lire en ligne), p. 147.
  4. a et b (en) G.-C. Rota, « On the foundations of combinatorial theory, I: Theory of Möbius functions », Z. Wahrscheinlichkeitstheorie u. verw. Gebiete, vol. 2, 1963, p. 340-368.
  5. IREM de Marseille, Cours et activités en arithmétiques pour les classes terminales (lire en ligne), p. 75.
  6. IREM-Marseille, p. 76.
  7. IREM-Marseille, p. 80.
  8. IREM-Marseille, p. 77.
  9. a et b R. Rolland, Fonction de Möbius - Formule de Rota, CNRS, Institut de mathématiques de Luminy.
  10. (en) Tom M. Apostol, Introduction to Analytic Number Theory, Springer, coll. « UTM (en) » (no 7), , 340 p. (ISBN 978-0-387-90163-3, lire en ligne), p. 40, th. 2.22.

Articles connexes

modifier