Eugénie Éboué-Tell

femme politique française

Eugénie Éboué-Tell, née le à Cayenne (Guyane) et morte le à Pontoise (Val-d'Oise), est une femme politique française. Elle est successivement députée, conseillère de la République et sénatrice de Guadeloupe.

Eugénie Éboué-Tell
Fonctions
Conseillère de la République

(5 ans, 5 mois et 3 jours)
Élection 15 décembre 1946
Réélection 7 novembre 1948
Circonscription Guadeloupe
Députée française

(1 an et 21 jours)
Élection 21 octobre 1945
Réélection 2 juin 1946
Circonscription Guadeloupe
Législature Ire Constituante
IIe Constituante
Groupe politique SOC
Biographie
Nom de naissance Élisabeth Charlotte Andrée Eugénie Tell
Date de naissance
Lieu de naissance Cayenne (Guyane)
Date de décès (à 80 ans)
Lieu de décès Pontoise (Val-d'Oise)
Nationalité Drapeau de la France Française
Parti politique SFIO (1944-1947)
RPF (1947-)
Père Hippolyte Herménégilde Tell
Conjoint Félix Éboué
Profession Institutrice

Biographie

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Origines, études et Résistance

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Elle est la fille d'Hippolyte Herménégilde Tell, directeur du bagne de Cayenne. Elle effectue une partie de ses études au lycée de jeunes filles de Montauban (Tarn-et-Garonne) et obtient le certificat d'aptitude pédagogique[1]. Elle revient en Guyane en 1911 et y devient institutrice[2], à Saint-Laurent-du-Maroni[1].

Elle épouse Félix Éboué le et part en 1923 vivre avec lui en Oubangui-Chari, l'actuelle Centrafrique, où ils restent jusqu'en 1931. Grâce à ses connaissances musicales, elle l'aide pour déchiffrer les langages tambourinés et sifflés des populations Banda et Mandja. Le couple a quatre enfants (Henri, Robert, Ginette et Charles). Elle suit ensuite son mari au fil de sa carrière, en Martinique (1932-1934) au Soudan (1934-1936), en Guadeloupe (1936-1938) puis au Tchad, où il est nommé gouverneur en 1938 par le ministre des Colonies Georges Mandel. Après avoir entendu l'appel du 18 Juin, Félix Éboué se rallie au général de Gaulle dès le , contre la décision de son supérieur, Pierre Boisson, gouverneur général de l'Afrique-Équatoriale française. La France libre le désigne alors pour remplacer ce dernier, à compter du [2]. De son côté, Eugénie Tell s’engage dans les Forces françaises libres féminines et devient infirmière à l'hôpital militaire de Brazzaville[1] ; pour cela, elle obtient en 1944 la croix de guerre et la médaille de la Résistance française[2]. En 1940, cependant, son engagement dans la Résistance lui vaut une condamnation à mort par contumace, prononcée par le gouvernement de Vichy[3]. En novembre 1942, Gaston Monnerville aide les enfants Éboué à franchir la frontière espagnole pour rejoindre leurs parents à Brazzaville[4].

Félix Éboué meurt le au Caire (Égypte).

Carrière politique

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Députée

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Elle adhère à la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) en 1944. Elle est nommée déléguée à l'Assemblée consultative provisoire puis devient députée de Guadeloupe des deux Assemblées nationales constituantes entre 1945 et 1946[2]. Elle compte ainsi parmi les premières femmes députées de l'histoire française. Lors des élections législatives de 1945, elle est élue dans la première circonscription de Guadeloupe contre le candidat communiste Rosan Girard, par 14 441 voix sur 25 020, puis réélue contre Gerty Archimède du Parti communiste à celles de juin 1946, par 12 490 sur 18 815[1]. Elle échoue néanmoins à se faire réélire au sein de la Ire législature de la Quatrième République, lors des élections législatives de novembre 1946[1] : elle est troisième sur une liste dont seulement le premier nom devient député.

Conseillère de la République et sénatrice

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Elle est élue, en mai 1945, conseillère municipale de Grand-Bourg (Guadeloupe)[1]. Lors des élections sénatoriales de 1946, le 15 décembre, elle est élue conseillère de la République (ce qui équivaut, sous les IIIe et Ve Républiques, et, à partir de 1948, sous la IVe, au mandat de sénatrice), par vingt voix contre trente[1],[3]. Clovis Renaison, deuxième sur la liste SFIO est également élu[1]. Elle est membre du groupe parlementaire socialiste ; elle fait partie de la commission à l’Éducation nationale et de la commission à l’Intérieur[2].

Sa première action est d’approuver la motion « invitant le Conseil de la République à ne pas se prononcer sur la demande de levée d’immunité parlementaire des élus malgaches avant d'avoir entendu les intéressés (mai 1947) »[1]. Elle intervient publiquement pour la première fois en juillet 1947, lors d'un prise de parole au sujet de Madagascar[2]. Elle soutient le transfert des cendres de Victor Schœlcher au Panthéon[1].

En 1947, elle adhère au RPF, parti récemment fondé par le général de Gaulle[2]. Elle est réélue sous cette étiquette aux élections municipales d’octobre 1947. Au Conseil de la République, elle rejoint alors le groupe parlementaire « Action démocratique et républicaine »[1]. Elle est réélue conseillère de la République lors des élections sénatoriales de 1948, qui reprend alors le nom de « Sénat », faisant d’Eugénie Éboué-Tell et de ses consœurs du palais du Luxembourg des « sénatrices ». Elle conduisait la liste RPF, qui pourvoit les deux sièges de sénateur ; elle l’emporte par 231 voix sur 583[1]. Elle devient membre de la commission des Douanes mais intervient essentiellement en séance publique sur des questions liées à l’Outre-mer. Elle est vice-présidente de la commission de la France d'outre-mer à partir de janvier 1951[1]. Son mandat prend fin en 1952[1],[4].

De même, en 1947, elle co-présente avec d'autres sénateurs et sénatrices, une proposition de loi relative sur les droits des enfants nés de mère issue des colonies françaises[3]. Cette proposition de loi vise à donner aux enfants métis des colonies — notamment nés de soldats — les mêmes droits à la recherche de paternité que les enfants nés en France métropolitaine, afin qu'ils puissent par exemple être contraints de verser une pension pour soutenir leur enfance[3],[5]). Après avoir été défendue au Sénat par Jane Vialle en 1951, la proposition de loi est adoptée en 1951[3].

Autres engagements

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Du 21 février au , elle représente la France à la conférence des Indes occidentales qui se déroule à Saint-Thomas (îles Vierges des États-Unis). Près d 'une dizaine de pays et une trentaine d'organisations et d'institutions internationales et régionales y participent en présence de Charles W. Taussig, conseiller spécial du secrétaire d'État américain (le ministre des Affaires étrangères). Membre du conseil de direction du MRP, le général de Gaulle lui confie la présidence de l'UPANG (Union privée pour l'aide à l'action du général de Gaulle), chargée de récolter des fonds pour le RPF. Du 23 au , elle participe à Nancy aux Assises nationales sur l'Union française et présente le rapport de la commission sur l'avenir de cette organisation,. Le elle est élue par le Sénat à l'Assemblée de l'Union française[6], devenant ensuite la vice-présidente de cette assemblée (1953) et la vice-présidente du groupe parlementaire des « Républicains sociaux »[1]. Elle y siège jusqu'en 1958. Elle est aussi membre du comité directeur de l’Alliance internationale des femmes. Elle échoue à se faire élire lors des élections législatives de 1956, alors candidate dans la 5e circonscription de la Seine ; elle était troisième sur la liste des Républicains sociaux, un seul siège étant pourvu par cette liste[1]. De 1959 à 1962, elle est membre de la section des activités sociales du Conseil économique et social[4].

Elle est franc-maçonne au sein du Droit humain[7].

Elle est élue conseillère municipale d'Asnières-sur-Seine aux élections municipales des 8 et 15 mars 1959 et réélue le 14 mars 1965[2], sous la mandature de Michel Maurice-Bokanowski. Elle présente, le 2 novembre 1959, le projet de construction d’une piscine et diverses mesures en faveur des activités sportives proposées par la Maison des Jeunes. Lors de la séance du 8 avril 1965, elle est élue déléguée à la Commission administrative du bureau d’aide sociale. Au conseil municipal du 25 avril 1965, le nom de « Félix Éboué» est attribué au stade municipal construit dans le quartier des Grésillons[4].

Malade à partir de 1970, elle s'éloigne à Pontoise pour suivre un traitement et ne peut figurer sur la liste pour les élections municipales de 1971[4]. Le maire lui écrit le 22 janvier 1971 : « Au moment où je travaille à la constitution de ma liste, ma pensée se tourne vers vous. Vous en avez été le porte-drapeau, incarnant avec dignité et talent la fidélité au Général et à l’esprit de la Résistance. Vous avez été en outre une collaboratrice et une amie merveilleuse. Votre départ d’Asnières a été ressenti par tous. Nous savions, ce jour-là, que l’on ne vous verrait plus au Conseil municipal et cela nous a touchés »[4].

Le , le président de la République Georges Pompidou lui accorde des obsèques aux Invalides, mais lui refuse de reposer au Panthéon[4]. Elle meurt le à Pontoise. Ses obsèques se déroulent à l’église Saint-François-Xavier à Paris, en présence de membres de la famille du général de Gaulle, de compagnons de la Libération et de l'ancien président du Sénat Gaston Monnerville, alors que Philippe de Gaulle assiste le à une messe du souvenir dite à l'église Saint-Louis-des-Invalides[4]. Elle est inhumée au cimetière parisien de Pantin (dans la 21e division)[8].

De nombreuses tentatives sont restées infructueuses pour qu'elle repose auprès de son mari au Panthéon[9].

Descendance

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Née le , sa fille Ginette s'engage en 1943 comme soutien administratif de l'armée d'Afrique[10]. Le , elle épouse le député Léopold Sédar Senghor, futur président du Sénégal, qui avait connu ses frères quand il était prisonnier de guerre[11]. Elle est alors attachée parlementaire du député Marius Moutet, qui sera bientôt ministre de la France d'Outre-mer. De cette union naissent deux fils : Francis-Arphang (né le ) et Guy-Wali (né le , décédé en 1983 à la suite d'une chute du cinquième étage de son appartement de Paris. Senghor lui consacre le poème Chants pour Naëtt, repris dans le recueil de poèmes Nocturnes sous le titre Chants pour Signare[12]). Plutôt malheureuse, l'union avec Ginette se conclut par un divorce en 1955 ou 1956[11], au terme d'un long procès devant les autorités ecclésiastiques[13]. Alors que Senghor approche de la quarantaine, sa biographe Elara Bertho estime que cette union avant tout « un mariage politique : Senghor s'inscrit dans le sillage d'une grande figure noire de la vie politique française, résistant et ardent républicain ». Le couple ne cesse cependant de se disputer, Senghor souffrant de vexations publiques et des préjugés d'Eugénie Éboué-Tell, « qui considère les Africains comme inférieurs aux Antillais »[14].

En 1983, son petit fils Guy Senghor, puis sa fille Ginette, décédée le à Paris[10], rejoignent Eugénie Éboué-Tell dans le caveau familial à Pantin[8].

Décorations

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Hommages

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En 2023, l'artiste C215, Christian Guémy, fait son portrait et le dévoile, en présence du conservateur du musée de la Franc-maçonnerie Pierre Mollier et Guillaume Villemot, président du comité de soutien à la panthéonisation d'Eugénie Eboué, au musée de la Franc-maçonnerie, avant qu'il ne rejoigne l'antenne caribéenne de la franc-maçonnerie à Fort-de-France[7].

Notes et références

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  1. a b c d e f g h i j k l m n o et p Sénat français, « Eboué-Tell Eugénie : Ancien sénateur de la Guadeloupe », sur www.senat.fr, (consulté le ).
  2. a b c d e f g h i j k l m et n Sénat français, « Les femmes et le pouvoir : Eugénie Eboué-Tell », sur www.senat.fr, (consulté le ).
  3. a b c d e f et g Annette Joseph-Gabriel, « La lutte des femmes noires en politique a commencé dès la Résistance française », The Conversation, (consulté le ).
  4. a b c d e f g h et i Arlette Capdepuy, « Quelle place pour Madame Éboué dans le gaullisme de la Ve République ? », sur Histoire@Politique, (consulté le ).
  5. (en) Emmnanuelle Saada, « Empire's Children : Race, Filiation, and Citizenship in the French Colonies », sur uchicago.edu (consulté le ).
  6. Notice du Maitron.
  7. a et b « Le portrait de la Guyanaise Eugénie Eboué dévoilé dans l'Exposition "Les Illustres de la franc-maçonnerie" au musée de la franc-maçonnerie », sur radiopeyi.com (consulté le ).
  8. a et b « Éboué Félix », sur tombes-sepultures.com (consulté le ).
  9. Eline Ulysse, « Le génie d’Eugénie Eboué par Guillaume Villemot », sur outremers360.com, (consulté le ).
  10. a et b « Une Française Libre parmi 62830 », sur francaislibres.net (consulté le ).
  11. a et b Jean-Pierre Langellier, « Colette Senghor, épouse et muse de l’ancien président du Sénégal, est morte », sur lemonde.fr, (consulté le ).
  12. Voir sur grioo.com.
  13. Jean-Pierre Langellier 2021, p. 100.
  14. Elara Bertho 2023, p. 100.
  15. « Bulletin officiel des décorations, médailles et récompenses n°06 du 10/03/1960 - Légifrance », sur www.legifrance.gouv.fr (consulté le ).
  16. « COLLEGE EUGENIE TELL EBOUE », sur clg-eugenie-tell-eboue.eta.ac-guyane.fr (consulté le ).
  17. « Collège Eugénie Tell-Eboué (Saint-Laurent I) », sur Ministère de l'Education Nationale et de la Jeunesse (consulté le ).
  18. « Crèche municipale Eugénie Eboué », sur paris.fr (consulté le ).

Voir aussi

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Articles connexes

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Bibliographie

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  : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Elara Bertho, Léopold Sedar Senghor, Paris, Presses universitaires de France, , 176 p. (ISBN 9782130838227, lire en ligne).  
  • Jean-Pierre Langellier, Léopold Sedar Senghor, Paris, éditions Perrin, , 448 p. (ISBN 9782262077242, lire en ligne).  
  • Annette K. Joseph-Gabriel, Reimagining Liberation : How Black Women Transformed Citizenship in the French Empire, University of Illinois Press, , 260 p. (ISBN 978-0252042935)
  • Annette Joseph-Gabriel (trad. Jean-Baptiste Naudy), Imaginer la libération : Des femmes noires face à l'empire, Sète, Ròt-Bò-Krik, , 416 p. (ISBN 9782958062040)
  • Bernard Lachaise, Dans la continuité de Félix Éboué : l'engagement gaulliste d'Eugénie Éboué sous la IVe république, 123e congrès, avril 1998.
  • Jean-Claude Degras, Eugénie Éboué-Tell : histoire d'une passion, éditions Rymanay, 2015.

Liens externes

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