Discours d'Égletons
Le discours d'Égletons, parfois appelé l'« appel d'Égletons », est un discours à fort contenu social prononcé le à Égletons, en Corrèze, dans le Limousin, par Jacques Chirac dans le contexte de la refondation du gaullisme en vue de la création deux mois plus tard d'un nouveau parti, le Rassemblement pour la République. Jacques Chirac reprend la plus grande partie de ce discours devant 500 journalistes à Paris en décembre 1976, en demandant une taxation du capital et des réformes sociales, dans une période où il est un opposant résolu au plan Barre présenté par Raymond Barre, son successeur à Matignon depuis .
Histoire
modifierJacques Chirac démissionne de son poste de Premier ministre
modifierEn , Alain Juppé est appelé par Jérôme Monod, directeur de cabinet de Jacques Chirac, alors Premier ministre, pour devenir chargé de mission (rédaction des discours et études économiques)[1]. Puis Jacques Chirac, démissionne de son poste de Premier ministre au mois d'août. Peu après, Alain Juppé est présent en particulier au moment du « discours d'Égletons » de Jacques Chirac le 3 octobre 1976 à Égletons, en Corrèze, "acte fondateur du RPR", dont il dira en le reprenant en partie 40 ans après[2] qu'il « symbolise » toute son « histoire politique[3]. »
Un appel à des réformes sociales
modifierAu cours de cette intervention prononcée devant les assises départementales de l'UDR[4], dans son fief corrézien, Jacques Chirac lance un appel à une réforme fiscale[4]. Il « théorise » surtout dans ce discours d'octobre 1976 une critique de gauche de la présidence Giscard[5],[6], au moment où son successeur Raymond Barre vient d'annoncer un sévère plan de rigueur. Il demande une Europe fédérale mais aussi sociale, sur une ligne de refus du libéralisme comme de la lutte des classes[7].
Le discours constitue, selon le journaliste Guillaume Tabard, un « plaidoyer pour le progrès et pour les réformes pas vraiment de droite » et « réclame une refonte de la fiscalité pour taxer davantage le capital[8]. » Il est chaleureusement applaudi par l'assistance, qui scande son nom[4].
Un appel à un véritable « travaillisme à la française »
modifierLe discours préconise l'alliance des « valeurs essentielles du gaullisme » et d'un véritable « travaillisme à la française[9] », formule qui surprendra ses amis[10], y compris Alain Juppé[8], utilisée « sur les conseils de son ami le maire socialiste de la ville qui fut ministre de Léon Blum, Charles Spinasse[11],[12] », âgé alors de 83 ans[8] et qui ne figurait pas dans le texte écrit et relu amené par Jacques Chirac[8],[12]. Ce texte a été préparé, « pour la partie strictement politique », par Jérôme Monod, Jacques Friedman, Alain Juppé et Pierre Juillet, même so selon la biographe d'Alain Juppé, Jérôme Monod est alors « parti faire le tour du monde pour se changer les idées[13]. » Selon la journaliste Élisabeth Lévy, « on a beaucoup moqué le discours d’Égletons » par la suite[14] et tous les quatre estimeront plus tard que le « travaillisme » ressemble un peu trop à l'idée de « socialisme[15]. » Selon le journaliste Pierre Péan, le choix de cette formule révèle le peu d'intérêt porté aux mots par Chirac pendant sa période de conquête de pouvoir[16] mais l'ensemble des auteurs considèrent qu'il s'agit d'un "vrai discours social"[11] et "réformiste"[16], même si plusieurs soulignent que l'auteur a fait le grand écart en passant "à l'ultralibéralisme dix ans plus tard, à l'occasion de la première cohabitation"[17],[18]. Selon une thèse d'histoire défendue à la Sorbonne Université en 2020[19], conversion, aggiornamento et ralliement figurent parmi les définitions que les historiens peuvent donner à cette démarche[19], sachant que Jacques Chirac "semble dès 1979 comprendre la nécessité de se rapprocher de la cause libérale"[19] qui ne « sera à la mode » qu'au « début des années 1980 », avec 60 ouvrages « publiés sur ce sujet entre 1983 et 1986 », soutenus par les hebdomadaires Le Point, L’Express et Le Figaro magazine[19], ce qui l'amènera « décerner le la médaille de la ville de Paris à Friedrich Hayek, le chef de file des penseurs libéraux[19]. »
Un propos réitéré deux mois après porte de Versailles
modifierAnnonciateur de la création du RPR, finalisée à Paris deux mois après, le discours prononcé à Égletons a jeté les bases du futur mouvement politique[20] dont l'émergence devient un « événement », suivi par la presse anglaise, japonaise ou encore celle d les pays de l’Est et d'autres pays, la presse, la radio, la télévision ayant "autant fabriqué ce rassemblement que M. Chirac lui-même"[21]. Le discours d'Égletons « préfigure celui que je prononcerai deux mois plus tard à Paris, lors du meeting organisé porte de Versailles » en décembre 1097, a écrit dans ses mémoires Jacques Chirac[12], en précisant qu'il a parlé de travaillisme à la française pour illustrer son souci de concertation avec les syndicats[12], à un moment où ceux-ci annoncent de vigoureuses contestations du plan Barre, présenté une semaine avant à la presse.
Fort de cette opération réussie, deux ans après, il a lancé le 6 décembre 1978 un « appel de Cochin », cette fois de son lit d'hôpital après avoir été victime, le 26 novembre, d'un grave accident de voiture sur une route verglacée de Corrèze, échappant de justesse à une paraplégie[10].
Inspirations ultérieures
modifierLe Discours d'Égletons A ultérieurement inspiré de nombreux leaders gaullistes qui y ont fait allusion, parfois en se rendant sur les lieux mêmes où il a été prononcé en 1976 par l’ex-chef de l’État Jacques Chirac, parfois à la date anniversaire.
Années 1990
modifierPrésidentielle de 1995
modifierLa campagne pour l' l’élection présidentielle qui voit Jacques Chirac élu pour la première fois président de la République a « retrouvé les accents de son premier discours d'Egletons », celui où il préconisait l'alliance des « valeurs essentielles du gaullisme » et d'un véritable travaillisme à la française[9].
Vingtième anniversaire en 1996
modifierEn décembre 1996, le président de l’Assemblée nationale Philippe Séguin a préféré aux cérémonies parisiennes pour fêter le 20e anniversaire du RPR, présidées par Alain Juppé, alors en chute libre dans les sondages et critiqué dans sa majorité[22], une réunion « décentralisée » à Egletons[22], afin de célébrer ce discours jugé très important et fondateur[23], dans l'idée d'en retrouver l'esprit afin de redonner vigueur à « la dimension sociale » et aux « racines populaires » qui caractérisaient l’action des premiers fidèles du général De Gaulle[23]. Pour ce faire, il a truffé son intervention décembre 1996 d’extraits du discours de 1976[23].
Les parlementaires présents ont signé un parchemin reproduisant une des phrases de « l'appel d'Egletons » à un vaste mouvement populaire[22],[24] et l'initiative de Seguin en présence de la veuve de Jacques Chirac est perçue comme "un pavé dans la mareé[25].
Années 2010
modifierQuarante ans après le discours d'Égletons, Alain Juppé est venu en Corrèze dans cette même ville tenir un meeting devant plusieurs centaines de personnes[3]. « Le discours d'Égletons, ça symbolise toute mon histoire politique, le RPR, mais moi je ne vais pas fonder un autre parti ! », confie-t-il alors au Figaro[3].
Années 2020
modifierLe président (LR) de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand a en août 2023 tenu une réunion publique juste à côté d’Égletons, sur les terres de Jacques Chirac, et présenté son rôle politique comme celui d'un « opposant d’intérêt général »[26]
Références
modifier- « Chronologie: Alain Juppé », sur kronobase.org (consulté le ).
- Le Chirac spirit » du fils préféré Alain Juppé Le Populaire du Centre du 6 nov. 2016 [1]
- « Alain Juppé en Corrèze sur les traces de Jacques Chirac », par Marion Mourgue, Le Figaro du 5/11/2016 [2]
- Archives INA =[3]
- « Comment Jacques Chirac a créé le RPR, sa machine à gagner » par Jannick Alimi le 26 septembre 2019 dans Le Parisien [4]
- Les Secrets d'une victoire par Michèle Cotta en 1994 aux éditions Flammarion [5]
- Le RPR et la Construction européenne : se convertir ou disparaître ? (1976-2002) par Bertrand Maricot, en 2010 aux éditions L'Harmattan[6]
- La Malédiction de la droite, par Guillaume Tabard, chez Place des éditeurs en 2022 [7]
- Article dans Le Monde par THIERRY BREHIER le 04 juin 1995 [8]
- Le Monde du 12 décembre 1993 [9]
- Le Fiasco par Ghislaine Ottenheimer, aux Édition Albin Michel en 2015 [10]
- Chaque pas doit être un but. Mémoires - Tome 1, par Jacques Chirac, avec Jean-Luc Barré en 2011 aux Editions Robert Laffont [11]
- Le Joker : Alain Juppé, une biographie par Céline Edwards-Vuillet, en 2001
- « La droitisation n’est pas la solution » par Élisabeth Lévy et Gil Mihaely dans Causeur le 16 novembre 2012 [12]
- La Machine RPR par Pierre Crisol et Jean-Yves Lhomeau, chez Fayolle en 1991 [13]
- L'Inconnu de l'Élysée par le journaliste Pierre Péan en 2007 aux éditions Fayard [14]
- De la France en général et de ses dirigeants en particulier par Jean-Marie Colombani, chez Plon en 1996 [15]
- La Défaite impossible : enquête sur les secrets d'une élection, par Jean-Luc Mano et Guy Birenbaum, en 1997 [16]
- La Loi Devaquet : raisons et sens d’un échec. Thèse d'histoire. Sorbonne Université, en 2020 par Olivier Crouillebois [17]
- « 5 décembre 1976, la création du RPR par Jacques Chirac » dans La Croix [18]
- Article par Christian Sauvage dans La Croix du 5 et 6 décembre 1976 [19]
- "Le RPR a 20 ans, le pouvoir et le cafard" par Gilles BRESSON, dans Libération le 30 novembre 1996 [20]
- "Egletons: Séguin plaide pour un nouveau rassemblement version 1976", dans L'Humanité le 2 décembre 1996 [21]
- « Je m'adresse à tous les Français, sans exclusive aucune pour que se constitue le vaste mouvement populaire que la France a toujours su tirer de ses profondeurs lorsque le destin paraît hésiter »
- "Le RPR fête ses 20 ans dans le désordre", Les Echos du 2 déc. 1996 [22]
- "En Corrèze, Xavier Bertrand la joue comme Chirac" par Quentin Laurent Le Parisien du 21 août 2023 [23]