Courlis d'Alaska

espèce d'oiseaux

Numenius tahitiensis

Le Courlis d'Alaska (Numenius tahitiensis) est une espèce américaine de limicoles de la famille des Scolopacidae. Il se reproduit dans des toundras reculées de l'ouest de Alaska pendant l'été boréal, d'où son nom, et hiverne dans des atolls et des petites îles de l'océan Pacifique. Avec la Barge rousse, il détient un record de distance pour une migration transocéanique. Il est également le seul limicole à ne pas pouvoir voler pendant sa mue et le seul limicole à dépendre exclusivement d'îles océaniques pour se nourrir hors de la période de reproduction.

Dénomination et taxonomie

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Noms et étymologie

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Le nom générique Numenius vient du grec ancien νουμήνιος / noumēnios, littéralement « qui se rapporte à la nouvelle lune », sans doute en allusion au bec arqué des courlis[1]. Le nom générique tahitiensis, « qui se rapporte à l'île de Tahiti », est le toponyme du spécimen type, aujourd'hui disparu[2],[3].

Le français « courlis » est d'origine onomatopéique, dérivant du cri de l'oiseau[4]. Le nom normalisé « Courlis d'Alaska » se rapporte au lieu de nidification de l'oiseau et remplace un ancien « Courlis de Tahiti »[5].

En anglais, le Courlis d'Alaska est le Bristle-thighed curlew, littéralement le « courlis aux cuisses hérissées », à cause des plumes de ses cuisses, allongées et dépourvues de barbes, ce qui leur donne un air hérissé. Cette particularité a été notée pour la première fois par l'artiste Titian Ramsay Peale, qui examinait un spécimen collecté sur l'atoll de Kauehi, dans l'archipel des Tuamotu[6].

Dans sa zone d'hivernage, le Courlis d'Alaska est nommé kihi à Rakahanga et Manihiki, kaue ou kivi à Palmerston, kiohi ou kiovi à Mitiaro et Mauke, teu'e, kivi ou kiwi dans les îles de la Société, vea à Moorea, kivi dans les Tuamotu, kiwi à Marutea Sud, kivi ou kivikivi à Mangareva, kioi à Nuku Hiva et keuhe à Hiva Oa[2].

Taxonomie

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Le Courlis d'Alaska est décrit formellement en 1789 par le naturaliste allemand Johann Friedrich Gmelin dans son édition révisée du Systema naturae de Linné sous le nom de Scolopax tahitiensis[7]. Gmelin fondait sa description sur le « courlis d'Oteihiti » décrit en 1785 par l'anglais John Latham[8]. Le spécimen étudié par Latham avait été fourni par Sir Joseph Banks, qui avait accompagné le capitaine James Cook durant son premier voyage dans le Pacifique, et avait continué d'en recevoir des spécimens par la suite.

Le Courlis d'Alaska est aujourd'hui placé dans le genre Numenius, celui des courlis, créé en 1760 par le Français Mathurin Jacques Brisson dans son Ornithologie[9].

L'espèce est monotypique : elle ne possède pas de sous-espèces[3]. Aucun hybride n'est connu[3].

Histoire fossile

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L'histoire fossile des Scolopacidae n'est pas claire. Des fossiles du Courlis d'Alaska datant de l'Holocène (les 12 000 dernières années) ont été découverts sur les îles hawaïennes de Molokai et Kauai, les îles Salomon, les Samoa américaines, les îles Cook, les îles de la Société, les îles Marquises, les îles Gambier et les îles Pitcairn[3].

Description

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Dimensions

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Le Courlis d'Alaska est un oiseau de taille moyenne, qui mesure 40 à 44 cm. Son poids est très variable d'une saison à l'autre, en raison notamment de l'engraissement pré-migratoire.

Principales dimensions du Courlis d'Alaska[3]
Dimension Moyenne Min. Max.
Longueur de l'aile Mâles : 24,8 cm
Femelles : 26 cm
Mâles : 23 cm
Femelles : 24,2 cm
Mâles 26,5 cm
Femelles : 27,6 cm
Longueur de la tête Mâles : 13,3 cm
Femelles : 13,9 cm
Mâles : 12,4 cm
Femelles : 12,6 cm
Mâles : 14,5 cm
Femelles : 15,5 cm
Longueur du bec
en ligne droite
Mâles : 9,2 cm
Femelles : 9,7 cm
Mâles : 8,1 cm
Femelles : 12,6 cm
Mâles : 10,7 cm
Femelles : 15,5 cm
Longueur du bec
suivant la courbure
Mâles : 9,7 cm
Femelles : 10,1 cm
Mâles : 8,5 cm
Femelles : 8,4 cm
Mâles : 11 cm
Femelles : 11,3 cm
Longueur du tarse Mâles : 5,9 cm
Femelles : 6,1 cm
Mâles : 5,4 cm
Femelles : 5,5 cm
Mâles : 6,4 cm
Femelles : 6,7 cm
Poids
en période de reproduction
Mâles : 374 g
Femelles : 427 g
Mâles : 309 g
Femelles : 389 g
Mâles : 450 g
Femelles : 485 g
Poids
à l'automne
497 g 393 g 584 g
Poids
pré-migration
656 g 419 g 796 g

Apparence

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Courlis d'Alaska sur l'atoll de Midway. Les plumes hérissées de ses cuisses sont bien visibles.

Le Courlis d'Alaska est un oiseau de taille moyenne, qui mesure 400 à 440 mm. Son poids varie entre 310 à 800 g, une amplitude qui s'explique par l'engraissement pré-migratoire. Il possède un long bec recourbé vers le bas (70 à 110 mm) typique des courlis. Les deux sexes sont identiques, mais la femelle est en moyenne plus grande que le mâle et son bec est généralement moins recourbé et moins effilé[3]. Sur le terrain, il est possible de sexer les individus avec un haut degré de précision (93,4%) en mesurant la hauteur du bec près de sa base et près de son extrémité[10].

L'adulte a le dessus brun, tacheté de chamois-cannelle. Les parties inférieures sont claires, allant du crème au cannelle, lavées d'orangé. La tête, claire, arbore un dessin marqué, avec deux rayures brunes de chaque côté, l'une large formant un sourcil et l'autre plus étroite sur l'œil. La poitrine claire est finement barrée de brun. Les plumes qui recouvrent la partie supérieure des pattes sont allongées et dépourvues de barbes, d'où un aspect hérissé qui lui donne son nom en anglais. Le bec est orange foncé, avec l'extrémité brune. Les pattes sont robustes et grises[3].

Le Courlis d'Alaska possède des ailes longues et pointues. Elles comptent chacune dix rémiges primaires (rarement onze), seize ou 17 secondaires et quatre rémiges alulaires. La queue est courte et légèrement arrondie ; elle comporte douze rectrices. Un individu adulte trouvé mort en août 1991 sur l'île de Laysan comptait 6 081 plumes de contour, pour une masse sèche de 23,45 g, soit 6,2% de sa masse maigre, estimée à 377 g[11].

Comme beaucoup de limicoles migrateurs traversant le Pacifique, le Courlis d'Alaska opère une mue complexe, qui n'a été bien étudiée qu'à Laysan, dans les îles hawaïennes du Nord-Ouest : on ignore si son comportement est le même plus au sud de son aire d'hivernage[3]. Au sein de cette population, la mue commence début septembre et dure 92 jours[11]. Elle affecte d'abord les plumes de contour, puis les plumes de vol. La perte des régimes primaires et secondaires est telle qu'une partie de la population, estimée à 50% à Laysan, n'est plus capable de voler pendant environ deux semaines. Ces courlis cloués au sol se montrent très méfiants, se montrent rarement à découvert et courent se cacher dans la végétation dense s'ils sont dérangés par les humains. Cette perte de la capacité de vol semble unique chez les limicoles et découle certainement du fait qu'ils ont évolué dans un environnement sans prédateurs. Découverte par les scientifiques à Laysan en 1988, elle a été confirmée par le témoignage d'un natif de l'atoll de Rangiroa, dans l'archipel des Tuamotu : selon lui, les courlis étaient plus faciles à attraper en octobre, parce qu'ils étaient alors incapables de voler[12].

Vocalisations

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Le Courlis d'Alaska possède un vaste répertoire de cris, caractéristiques de la toundra d'altitude de l'ouest de l'Alaska et considérés comme agréables pour une oreille humaine. Son cri d'appel est un sifflement clair, remarquablement similaire à celui qu'émet un humain pour attirer l'attention[13]. Il lui a donné son nom en langues yupik, chiuit[14]. Sur un corpus de seize cris, la durée moyenne est de 386 millisecondes[3].

L'espèce produit également des sifflement bas, souvent en séries allant jusqu'à trente, qui peuvent être très similaires aux cris homologues du Courlis hudsonien (Numenius hudsonicus) et qui ont été décrits comme ressemblant au signal de recul d'un camion-poubelle. Les sifflements complexes reprennent la structure du sifflement bas, mais de manière plus élaborée. Le Courlis d'Alaska pousse également des sifflements plaintifs. Le chant du Courlis d'Alaska est typiquement introduit par une série de sifflements bas qui débouchent sur un sifflement complexe, avant de se conclure par une nouvelle série de sifflements bas et plus rarement des sifflements plaintifs[3].

Le juvénile produit des petits piou-piou pour localiser ses parents et des cris sifflés et rauques quand il se sent menacé. Son répertoire se développe rapidement : à l'âge de trois semaines, il est capable d'émettre le chiuit des adultes, même s'il conserve les cris des juvéniles[3].

Confusions possibles

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Le Courlis d'Alaska ressemble au Courlis corlieu de la sous-espèce variegatus et au Courlis hudsonien (Numenius hudsonicus), qui se reproduisent pour partie dans la même zone. Les espèces se distinguent facilement à l'oreille : le Courlis d'Alaska produit un chiuit sifflé, tandis que les Courlis corlieu et hudsonien émettent des séries sonores de bibibibi. En vol, le Courlis d'Alaska arbore un croupion chamois à orangé, avec une queue barrée de cannelle et de brun qui contraste avec le reste du dessus. En comparaison, le Courlis hudsonien a un dessus plus uniforme et les barres de la queue sont peu contrastées. Les plumes « pointues » du Courlis d'Alaska, caractéristiques, sont visibles à 50 mètres à la jumelle[3].

Répartition et habitat

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Répartition

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La population globale de Courlis d'Alaska était estimée en 2002 à 10 000 individus, dont moins de 7 000 reproducteurs en Alaska[15]. Près de 1 100 fréquentaient l'archipel d'Hawaii et 1 100 à 2 500 la Polynésie orientale, leurs deux principales zones d'hivernage[15]. Deux décomptes menés en 2021 et 2022 sur les îles Tuamotu aboutissent à une estimation d'environ 10 000 individus et de l'ordre de 1 500 pour l'ensemble de la Polynésie orientale[15].

Habitat

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Courlis d'Alaska dans la toundra de la péninsule de Seward, en Alaska.

Ce courlis se reproduit dans l'ouest de l'Alaska, plus précisément dans les toundras d'altitude au sud des collines Nulato et dans la péninsule de Seward[3], où il apprécie les paysages clairsemés, composés de prairies et de petits arbustes[16],[17]. Il partage cette préférence avec le Courlis hudsonien (Numenius hudsonicus) qui niche dans le Manitoba et les territoires du Nord-Ouest, au Canada, ainsi qu'avec le Courlis à long bec (Numenius americanus). Ce type de végétation est riche en baies, que le Courlis d'Alaska consomme abondamment à son arrivée en Alaska. Pour autant, ce courlis évite d'autres habitats encore plus productifs : la structure de la végétation est donc plus importante pour lui que la ressource en baies. En début de période de reproduction, le Courlis d'Alaska délaisse les zones humides à laîche et linaigrette, mais il les fréquente davantage au fur et à mesure que la saison avance, possiblement parce que cet habitat est relativement plus productif en arthropodes que les zones sèches. Il évite les zones comportants des arbustes hauts, sans doute à cause du danger de prédation lié la visibilité réduite[17].

Dans son aire d'hivernage, en Polynésie, il occupe divers habitats, mais privilégie les îles coralliennes où on le trouve dans les espaces ouverts : récif, plages, cocoteraies dégagées et vasières. Dans les îles volcaniques, où il est plus rare, il affectionne là aussi sur les plages, mais aussi les prairies jusqu'à 800 m d'altitude, les pentes recouvertes de fougères et les zones humides. En revanche, il ne fréquente pas les berges des rivières à l'intérieur des îles[2]. Il est rare dans les îles habitées, où il peut être dérangé par les humains, les chiens et les chats. Dans les Tuamotu, le Rat polynésien a été identifié comme la principale menace à l'encontre des courlis, suivi par l'exploitation du coprah[15].

Migration

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Comme son nom d'indique, le Courlis d'Alaska niche dans les toundras d'Alaska[15]. Migrateur longue distance, il traverse chaque année l'océan Pacifique pour hiverner dans une large zone allant d'Hawaï aux îles Salomon, à la Polynésie orientale et aux îles Pitcairn. Les navigateurs polynésiens l'utilisaient pour s'orienter entre Tahiti et Hawaii[18].

Écologie et comportement

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Alimentation

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Des Courlis d'Alaska cherchent de la nourriture sur la plage dans l'atoll de Midway.

Dans ses zones de reproduction, le régime alimentaire du Courlis d'Alaska inclut des insectes et des araignées, ainsi que des baies : airelles (Vaccinium vitis-idaea), Camarine noire et surtout Canneberge à gros fruits (Vaccinium oxycoccos), qui joue un rôle clef quand les oiseaux rentrent d'hivernage, à la fin du printemps[3]. Le Courlis d'Alaska cherche sa nourriture surtout dans la toundra arbustive basse, c'est-à-dire les prairies composées d'Éricacées, de linaigrette, de laîches, de lichens et de sphaignes[3].

Dans ses zones d'hivernage, il utilise des habitats plus diversifiés. Il fréquente la végétation des terres intérieures plutôt que les plages et l'estran dans les îles hawaïennes du Nord-Ouest. Sur les îles Laysan et Lisianski, il fouille les tapis de d’Ipomoea pes-caprae et les touffes de graminées locales ou de Cenchrus épineux introduit. Sur l'atoll de Midway, il cherche sa nourriture sur les pelouses des antennes, composées de graminées introduites, plutôt que sur les plages ou les zones de végétation locale. Dans les îles volcaniques de la Polynésie française, à l'altitude plus élevée, il fouille les plages et les prairies jusqu'à 800 mètres d'altitude[3].

Les techniques de chasse du Courlis d'Alaska sont assez diverses. La plupart du temps, il avance d'un pas mesuré, avant de foncer rapidement sur les proies mobiles (crabes, araignées, lézards). Dans la toundra, après la fonte des neiges, il fouille le sol à la recherche d'invertébrés, cuille les fruits et les fleurs dans les arbrisseaux et attrape occasionnellement les insectes au vol. Il secoue vigoureusement les cocons pour en faire tomber les larves et les mottes de lichen ou de mousse pour en extraire les invertébrés. Il tue et disloque certaines de ses proies (crabes, souris et rats) en les saisissant avec son bec avant de les frapper contre une pierre. Il peut parcourir jusqu'à 30 mètres avec sa proie dans le bec avant de trouver une pierre adaptée. Il a été vu en train de percer des œufs d'albatros avec une pierre ou un morceau de corail tenu dans le bec, un cas unique d'utilisation d'outil chez les limicoles[19].

Reproduction

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Constitution du couple

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Le Courlis d'Alaska est socialement monogame et forme des couples de long terme. Il est également très fidèle à son site de nidification[20].

Les Courlis d'Alaska rentrent de leur migration d'automne seuls ou par groupes de deux, occasionnellement en troupes. Leur comportement est alors assez divers : les mâles expérimentés courtisent leur femelle de l'année antérieure dès son arrivée dans la zone, mais ils peuvent très bien avoir courtisé d'autres femelles les jours précédents. Les femelles sans expérience précédente de reproduction dans la zone visitent les territoires des mâles pour solliciter des parades. Ses critères de choix des femelles ne sont pas connus. Les couples déjà établis peuvent se reconstituer ou divorcer, sans que l'on sache pourquoi : le succès ou l'échec de la nidification précédente ne semble pas jouer dans la décision[3].

Nidification

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Dans les jours qui suivent l'arrivée, les couples formés et les mâles commencent à creuser une cuvette destinée aux œufs. Le nid est généralement aménagé dans une prairie à arbustes nains, souvent sous un Saule herbacé (Salix herbacea) ou protégé sur un côté par une butte[3]. Il est très difficile à repérer pour un observateur humain : des biologistes ont échoué à en trouver pendant la saison 1989 dans la péninsule de Seward, malgré leur expérience en la matière et plus de 200 heures-hommes de recherches[16]. De fait, la densité de nidification est très faible : un nid pour 3 à 4 km2[20].

Le premier nid publié, en 1948, est décrit comme une simple dépression sur le côté d'un grand lichen noir, mesurant 17,14 cm de large pour 6,35 cm de profondeur. Le nid est dépourvu d'herbes et de plumes ; de petits morceaux de lichen jaune verdâtre semblent être les seuls éléments apportés par les oiseaux. La végétation alentour est composée de camarine noire (Empetrum nigrum), de lichen des rennes (Cladonia rangiferina), de carex et de thé du Labrador (Rhododendron groenlandicum)[14].

Incubation

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Dans la région des collines Nulato, la ponte a lieu majoritairement dans les deux dernières semaines de mai, avec une éclosion dans les deux dernières semaines de juin. Une ponte typique comporte quatre œufs, mesurant environ 60 mm par 42 mm. Ils sont de couleur chamois, avec des taches de couleur brune[21]. Ils sont incubés par les deux parents, qui développent des plaques incubatrices à cet effet[3].

Lors de la découverte du nid du Courlis d'Alaska, en 1948, les parents au nid se montrent très protecteurs de leurs œufs, au point de se laisser approcher à moins d'un mètre par les scientifiques. Ils le sont encore davantage après l'éclosion : le mâle du second nid découvert ne bouge pas quand les chercheurs tuent les moustiques qui se posent sur lui et se laisse même soulever l'aile pour des photos de ses flancs[14].

Jeunes au nid

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Juvénile âgé d'une journée dans la toundra d'altitude de la péninsule de Seward, photographié par la biologiste T. Lee Tibbitts.

Les poussins sont nidifuges et précociaux : ils naissent couverts de duvet et les yeux ouverts. Ils sont de couleur chamois tirant sur le rose, avec des marques distinctives de couleur brun foncé qui forment des sortes de W sur la largeur du dos[21]. Ils quittent le nid après douze heures et ils sont capables de marcher des centaines de mètres dès leur première journée[3]. Ils continuent néanmoins à être couverts par leurs deux parents pendant quatre à sept jours après l'éclosion[16].

Les juvéniles croissent rapidement et sont capables de voler après 21 à 24 jours. Pendant ces trois à quatre semaines, ils sont défendus agressivement par leurs parents, qui attaquent et houspillent les menaces identifiées. De leur côté, ils se portègent en se dissimulant dans la végétation. Parmi les prédateurs aviaires figurent le Labbe à longue queue (Stercorarius longicaudus), le Busard Saint-Martin (Circus cyaneus, la Buse pattue (Buteo lagopus, le Labbe parasite (Stercorarius parasiticus), le Faucon émerillon (Falco columbarius), le Grand Corbeau (Corvus corax), le Faucon gerfaut (Falco rusticolus) et l'Aigle royal (Aquila chrysaetos). Chez les mammifères, les principales menaces sont le Renard roux (Vulpes vulpes), l'Hermine (Mustela erminea) et l'Ours brun (Ursus arctos).

Amalgamation de couvées

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Les femelles abandonnent souvent leur couvée avant que les jeunes ne sachent tout à faire voler et quittent la zone de reproduction. Les mâles restent en moyenne 10 à 14 jours de plus. Quand les jeunes ont deux à trois semaines et commencent à voler, ils se réunissent en groupes composés de deux à dix couvées, qui restent ensemble jusqu'à la migration. On parle d'amalgamation de nichées, un phénomène connu, mais rare parmi les limicoles[16]. Il arrive que ces groupes incluent des jeunes d'autres espèces, typiquement des Barges rousses (Limosa lapponica) et plus accessoirement des Pluviers bronzés (Pluvialis dominica) et des Pluviers fauves (Pluvialis fulva), des Courlis hudsoniens, des Labbes à longue queue (Stercorarius longicaudus) et des Bécasseaux d'Alaska (Calidris mauri)[20].

Les jeunes ainsi regroupés sont surveillés par quelques adultes, probablement les parents de certains des membres du groupe, bien que l'on ne puisse exclure la participation de non-reproducteurs ou de reproducteurs dont la couvée a échoué. Cette surveillance est moins rapprochée que celle exercée par les deux parents : les adultes ne houspillent plus, mais défendent à distance et s'efforcent plutôt de distraire les prédateurs. Ces derniers adultes abandonnent les groupes de jeunes quelques jours avant que ces dernier ne partent en migration, à l'âge de 38 jours environ[20].

La plus grande longévité enregistrée chez un Courlis d'Alaska est, en 2023[22], de 23 et 10 ans mois minimum, pour une femelle collectée en avril 1991 sur l'île de Laysan, à Hawaï, par le chercheur Jeffrey S. Marks. L'oiseau avait été bagué en septembre 1967 sur Lisianski Island, à 225 km au nord-ouest de Laysan, ce qui en fait le plus vieux Scolopacidae connu en Amérique du Nord. Il est pesé à 773 g, un surpoids cohérent avec la période de début de migration[23].

Sur la base des observations d'individus bagués, le taux de survie annuel moyen des Courlis d'Alaska est estimé à 80-90% sur l'île de Laysan de 1988 à 1990 et à 85-90% pour la cohorte baguée en 1967 à Laysan et Lipianski[23].

Le Courlis d'Alaska et l'être humain

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Le Courlis d'Alaska et la science

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Courlis d'Alaska dans le Rapport sur les collectes naturalistes réalisées en Alaska entre les années 1877 et 1881, par Edward William Nelson.

Le Courlis d'Alaska a été découvert par les Occidentaux en 1785 à Tahiti, d'où son nom scientifique de Numenius tahitiensis. Les recherches pour trouver des nids en Polynésie restent toutefois infructueuses. En 1869, un premier spécimen est prélevé à Kenai, près d'Anchorage, en Alaska, suivi par un autre en 1880, puis plusieurs collectés en plusieurs points allant de Hooper Bay jusqu'aux sources du fleuve Colville[14]. Toutefois, ces oiseaux sont considérés comme erratiques : dans son ouvrage Les Oiseaux d'eau d'Amérique du nord, en 1884, le naturaliste Spencer Fullerton Baird écrit ainsi : « [L'occurrence du spécimen de 1869] dans un endroit aussi éloigné et aussi différent [l'Alaska] de son lieu de vie [l'Océanie] ne peut être considérée que comme purement accidentelle[24] ».

Il faut attendre la toute fin du XIXe siècle pour que les ornithologues s'accordent à reconnaître que l'espèce niche en Alaska. En 1899, Scott Barchard Wilson et Arthur Humble Evans écrivent ainsi : « Numenius tahitiensis peut être considéré comme nichant en Alaska et migrant en automne vers les îles Sandwich et d'autres groupes d'îles dans la moitié orientale de l'océan Pacifique[25]. » En 1926, ses cris et chants sont décrits pour la première fois, toujours à partir de la région de Hooper Bay[26]. En 1943, Eleanor H. Stickney publie une recension des spécimens détenus en musée et décrit correctement l'aire d'hivernage de l'espèce : la Polynésie orientale et centrale, les îles Pitcairn formant la limite Est et les îles Tuamotu, Cook, Tonga et Fidji la limite Sud[27].

Henry C. Kyllingstad lance de premières investigations en Alaska entre 1944 et 1947, suivies par une expédition avec David G. Allen en 1948, destinée à la recherche du nid du courlis. Allen trouve finalement un nid en juin, à 20 km au nord de Mountain Village. Il est décrit comme une simple dépression à la frange d'un grand lichen noir, mesurant environ 17 cm de diamètre pour 6 cm de profondeur et contenant quatre œufs de couleur chamois tachetés de brun[21]. Un second nid est trouvé quelques jours plus tard, au moment où les œufs du premier commencent à se craqueler. L'expédition collecte le couple parent du premier nid, les coquilles d'œuf, un juvénile encore en duvet et le nid à proprement parler, qui sont envoyés au Musée national d'histoire naturelle des États-Unis[14]. Le Courlis d'Alaska est ainsi l'un des derniers oiseaux d'Amérique du Nord à voir décrits son nid et ses œufs[3].

En 1987, le manque de connaissances sur la biologie du Courlis d'Alaska, ses faibles effectifs et les perspectives de développement humain dans son aire de reproduction poussent le United States Fish and Wildlife Service à lancer une vaste étude sur l'espèce, qui débouche sur plusieurs articles scientifiques[28].

Enjeux de conservation

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Le Courlis d'Alaska est le seul limicole migrateur à hiverner exclusivement sur des îles océaniques. Ces dernières étaient dépourvues de prédateur terrestre avant l'arrivée des humains, ce qui explique sans doute leur mue particulière, où une part significative de la population (50 % sur l'île de Laysan) devient incapable de voler[12]. L'arrivée des humains dans les îles du Pacifique a été accompagnée de l'introduction de mammifères exotiques capables de s'en prendre aux oiseaux : trois espèces de rats (genre Rattus), la Mangouste de Java (Herpestes javanicus), ainsi que des populations domestiques et férales de porcs, de chiens et de chats. Les êtres humains représentent aussi un danger majeur pour les courlis, qui font l'objet d'une chasse vivrière, notamment dans les îles de la Ligne, les îles Cook, les îles Tokelau et les îles Tuamotu. La simple présence humaine est également perturbatrice pour des écosystèmes insulaires très fragiles[29].

Références

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  1. (en) W. Geoffrey Arnott, Birds in the Ancient World from A to Z, Routledge, , p. 220-221
  2. a b et c Jean-Claude Thibault et David Thomas Holyoak, Contribution à l'étude des oiseaux de Polynésie orientale, Éditions du Muséum national d'histoire naturelle, coll. « Mémoires du Museum national d'histoire naturelle / A », (ISBN 2-85653-127-X), p. 72-73.
  3. a b c d e f g h i j k l m n o p q r s t et u (en) Jeffrey S. Marks, T. Lee Tibbitts, Robert E. Gill et Brian J. McCaffery, « Bristle-thighed Curlew (Numenius tahitiensis), version 1.0 », dans A. F. Poole et F. B. Gill, Birds of the World, Cornell Lab of Ornithology, (DOI 10.2173/bow.brtcur.01).
  4. Informations lexicographiques et étymologiques de « courlis » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales
  5. Occurrences en français de « Courlis d'Alaska », sur TERMIUM Plus, la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada, (consulté le ).
  6. (en) Rick Simpson, « Bristle-thighed Curlew », Waders Quest, vol. 9, no 2,‎ (lire en ligne)
  7. Systema naturae I, partie 2, 1789, p. 656.
  8. A General Synopsis of Birds, with a suppl., III, partie 1, 1785, p. 722, no 4.
  9. Ornithologie, ou, Méthode contenant la division des oiseaux en ordres, sections, genres, especes & leurs variétés, vol. 1. p. 48, vol. 5, p. 311.
  10. (en) Daniel R. Ruthrauff, Colleen M. Handel, T. Lee Tibbitts et Robert E. Gill, Jr, « Through thick and thin: Sexing Bristle-thighed Curlews Numenius tahitiensis using measures of bill depth », Wader Study, vol. 127, no 1,‎ , p. 31–36 (DOI 10.18194/ws.00171  ).
  11. a et b (en) Jeffrey S. Marks, « Molt of Bristle-Thighed Curlews in the Northwestern Hawaiian Islands », The Auk, vol. 110, no 3,‎ , p. 573-587 (DOI 10.2307/4088421  ).
  12. a et b (en) Jeffrey S. Marks, Roland R. Redmond, Paul Hendricks, Roger B. Clapp et Robert E. Gill, Jr., « Notes on longevity and flightlessness in Bristle-thighed Curlews », The Auk, vol. 107, no 4,‎ , p. 779-781 (DOI 10.2307/4088012  ).
  13. (en) David Allen Sibley, The Sibley Field Guide to Birds of Western North America, New York, Alfred A. Knopf, , 2e éd., p. 133.
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Voir aussi

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Bibliographie

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  • (en) Jeffrey S. Marks, T. Lee Tibbitts, Robert E. Gill et Brian J. McCaffery, « Bristle-thighed Curlew (Numenius tahitiensis) », dans Alan F. Poole et Frank B. Gill (éd.), The Birds of North America: life histories for the 21st century, vol. 18, Washington, D.C., American Ornithologists' Union,

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