Chushi Gangdruk
Le Chushi Gangdruk (écrit Chushi Gangdrug en français) (tibétain ཆུ་བཞི་སྒང་དྲུག་, Wylie : chu bzhi sgang drug, lit. « quatre rivières, six montagnes »[1]), était une organisation de résistance et de guérilla tibetaine, qui tenta de renverser la domination de la république populaire de Chine (RPC) au Tibet à partir des années 1950.
Chushi Gangdruk | ||
Idéologie | ||
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Fondation | ||
Date de formation | 16 juin 1958 | |
Pays d'origine | Tibet | |
Fondé par | Andruk Gonpo Tashi | |
Date de dissolution | 1974 | |
Organisation | ||
Membres | 12000 | |
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La résistance tibétaine a regroupé jusqu'à 80 000 combattants, sous la direction de Gompo Tashi. Implanté dans l'Est du pays, l'Armée nationale volontaire de défense (ANVD, tibétain : Tensung Danglang Magar) organisait des opérations de guérilla sur les routes du Kham et de l'Amdo. Un autre mouvement armé, issu des rangs de l'ANVD, se développa au sud de Lhassa, dans le Lhoka, et prit le nom de Chushi Gangdruk ou « quatre rivières, six montagnes ».
Le Chushi Gangdruk est aujourd'hui une association qui soutient notamment les anciens résistants tibétains survivants en Inde[2].
Histoire
modifierOrigines de la résistance tibétaine
modifierLa révolte des Khampas
modifierC'est une initiative chinoise particulièrement malhabile, selon Pierre-Antoine Donnet, qui fut à l'origine de la révolte des Khampas[3].
À la suite de la collectivisation des terres annoncée dès 1953 touchant les grands propriétaires terriens dont l'ancienne hiérarchie, les paysans et particulièrement les monastères[4], en violation du point 7 de l'accord en 17 points[5]. En hiver 1955-1956, un premier soulèvement se produit dans la région de Chamdo[6] : les tensions se transforment en violence quand les Khampas attaquent et tuent des officiels chinois[4].
Dès 1955, l’Armée populaire de libération reçut l'ordre de désarmer les Khampas et de vider les monastères de leurs arsenaux. Pour les cadres communistes les plus zélès, il s'agissait de détruire la religion au Kham, et des thamzing tristement célèbres furent organisés. La conséquence en fut l'union des peuplades du Kham et de l'Amdo contre l'armée chinoise[3].
En 1955, Juchen Thupten Namgyal rejoignit la résistance tibétaine et a combattu l'Armée populaire de libération entrée au Tibet. Il se rendit à deux reprises à Lhassa en tant que représentant de la résistance tibétaine pour informer les autorités tibétaines des brutalités exercées par les autorités chinoises dans le Kham et demander une aide militaire. Son second voyage à Lhassa en 1956 coïncida avec la première conférence du Comité préparatoire à l'établissement de la région autonome du Tibet lors de laquelle il accusa les Chinois de brutalités inhumaines dans le Kham et demanda l'arrêt de l'agression militaire[7].
Dès , Pékin décide réprimer la rébellion : 14 divisions comprenant plus de 150 000 soldats sont envoyés dans le Kham. L'aviation chinoise lance des bombardements avec des Iliouchine Il-28 fournis par l'URSS des résistants [6] et des monastères dont celui de Lithang[5].
Selon Roger E. McCarthy, en été 1956, six mois après l’éruption de combats au Tibet oriental, le général Wang Jimei (Wang Qimei (王其梅, —) convoqua les Khampas pour leur demander d’accepter les « réformes démocratiques ». Les récalcitrants aux réformes furent à nouveau convoqués au Jomdha Dzong (ou Jomdho Dzong) aussi appelé le dzong de la femelle du dragon, situé à environ 65 km à l’est de Chamdo. Le fort fut alors encerclé par 5 000 soldats de l’Armée populaire de libération, et les récalcitrants furent maintenus prisonniers et pressés de voter pour les réformes durant 15 jours, ce qu’ils acceptèrent finalement. Cependant, la garde s’étant relâchée, les 210 hommes s’enfuirent à la faveur de la nuit. Ainsi, se forma un foyer de résistance dans cette région, la Chine ayant transformé sans le vouloir ces Khampas récalcitrants en hors la loi totalement opposés à l’envahisseur[8].
En , Gompo Tashi Andrugtsang organisa une rencontre entre Phala Thupten Woenden, alors Chikyap Khènpo (grand chambellan ou Premier ministre religieux), et 2 Khampas de la résistance tibétaine qui lui demandèrent l'aide du gouvernement tibétain. Phala leur répondit que ce n'était pas possible pour plusieurs raisons. D'une part, concernant le Kashag, il souligna la division des ministres sur les actions à suivre et le risque de fuite aux autorités chinoises, d'autre part le 14e dalaï-lama était opposé à la résistance armée contre l'armée d'occupation. Pour lui, les atrocités chinoises au Kham et en Amdo risquaient de se produire dans l'ensemble du Tibet en cas de combat. Aussi, Phala ne donna pas suite à la demande des résistants tibétains[9].
Un militaire chinois change de camp
modifierEn , Cheng Ho-ching (1923-1987), officier chinois commandant les 12 000 soldats des bataillons d'artilleurs en poste à Lhassa, déserte et rejoint le Chushi Gangdruk, prenant le nom de Lobsang Tashi[10].
L'Armée nationale volontaire de défense et le Chushi Gangdruk
modifierLa formation de l'Armée nationale volontaire de défense (ANVD) du Chushi Gangdruk, fut annoncée le . « Chushi Gangdruk » est une phrase tibétaine signifiant « le pays des quatre rivières et des six montagnes », et se réfère au Kham. Ce mouvement de la résistance tibétaine regroupa environ 80 000 combattants[11]. Le groupe rassemblait des Tibétains du Kham et de l’Amdo, des régions du Tibet, et son objectif principal était de conduire les forces d’occupation de la RPC hors du Tibet. Dans les premiers mois de 1959, la Central Intelligence Agency des États-Unis décida de fournir pour la première fois des armes aux forces de la guérilla au Tibet. Ce premier envoi, qui fut aussi le dernier, comportait 100 fusils britanniques, une vingtaine de mitraillettes, 60 grenades à main, 2 mortiers de 55 mm et 300 cartouches par fusils[12], de même que, après 1959, des formations aux membres de Chushi Gangdruk. Le Chushi Gangdruk reçut aussi l'aide du gouvernement de la république de Chine à Taïwan, présidée par Tchang Kaï-chek. Le « commandant en chef » de l'organisation était Gompo Tashi Andrugtsang.
Selon le Groupe d'information internationale sur le Tibet, l'ANVD et le Chushi Gangdruk furent à l'origine du soulèvement de Lhassa en mars 1959, durant lequel leur action fut relayée par la population de la capitale tibétaine. Après l'écrasement de la rébellion par les forces chinoises, le Chushi Gangdruk rendit officiellement les armes, à la demande du dalaï-lama. Mais l'ANVD continua le combat[11]
Le journaliste John B. Roberts II affirme que pour la fuite du dalaï-lama, des combattants du Chushi Gangdruk, formés par la Central Intelligence Agency (CIA), furent déployés en des points stratégiques depuis Lhassa jusqu'en Inde et à la traversée de l'Himalaya pour empêcher toute poursuite par les Chinois, en bloquant les cols importants sur cet itinéraire et en les défendant aussi longtemps que possible, le temps pour le dalaï-lama et son entourage de poursuivre leur chemin à dos de cheval et de se mettre à l’abri[13],[14].
Dans son autobiographie, Gompo Andrugtsang, le chef du mouvement de résistance Chushi Gangdruk, cite la lettre que le dalaï-lama lui envoya fin mars début , depuis le Dzong de Lhuntsé, pour lui annoncer sa nomination en tant que général et l'encourager à poursuivre la lutte : « Vous avez mené les forces du Chushi Gandrug avec une détermination inébranlable afin de résister à l'armée d'occupation chinoise dans la défense de la grande cause nationale de la liberté du Tibet. Je vous confère le rang de 'DZASAK' (le grade militaire le plus élevé, équivalent à Général) en reconnaissance des services que vous avez rendus au pays. La situation actuelle exige de poursuivre, avec la même détermination et le même courage, votre lutte pleine de bravoure » [15].
À partir de 1960, la CIA lance une nouvelle opération dans Mustang, une région au nord du Népal, s'avançant sur le Tibet. Près de 2 000 Tibétains s'y sont réunis pour poursuivre leur combat pour la liberté. Un an plus tard, la CIA largue ses premières armes au Mustang. Sur le modèle d'une armée moderne, la guérilla est dirigée par Bapa Yeshe, un ancien moine. Les guérilleros tibétains mènent des raids transfrontaliers au Tibet. La CIA fait deux autres largages d'armes, le dernier en mai 1965. Début de 1969, les soutiens furent brutalement coupé, la CIA expliquant que l'une des principales conditions des Chinois pour établir des relations diplomatiques avec les États-Unis est de cesser toute assistance aux Tibétains. En 1974, sous la pression de la Chine, le gouvernement népalais envoie des troupes au Mustang pour exiger la reddition des guérilleros. Craignant un affrontement sanglante, le dalaï-lama fait parvenir un message enregistré aux résistants, leur demandant de se rendre. Ils l'ont fait, à contrecœur[16].
Personnalités de la résistance
modifierChushi Gangdruk
modifier- Gompo Tashi Andrugtsang, leader.
- Lobsang Nyendak Sadutshang, leader.
- Ratuk Ngawang (1926-2016), commandant.
- Shangri Lhagyal
- Drawu Rinchen Tsering (1931-) membre fondateur dans le Kham.
- Wangdu Gyato-tsang (1930-1974), général.
- Chime Namgyal (1941-), membre.
- Tsering Gyaltong
- Kunga Samten Dewatshang
- Lithang Athar Norbu
- Gungthang Tsultrim
- Namgyal Wangdu
- Jampa Kalden Aukatsang
Autre
modifier- Ani Patchen ou Ani Pachen (tibétain : ཨ་ནེ་དཔའ་ཆེན།, Wylie : A-ne Dpa'-chen) (1933-2002) était une nonne de l’école du bouddhisme tibétain qui a mené une petite armée de la résistance tibétaine dans le Kham contre les envahisseurs chinois. Elle a été capturée en 1959 et a passé 21 années en prison.
Notes et références
modifier- Résistance : Le Chushi Gangdruk, Alternative tibétaine.
- (en) Membership & Support.
- Donnet 1993, p. 53.
- van Schaik 2011, p. 225
- Goodman 1993, p. 225
- Donnet 1993, p. 52
- (en) Obituary: Former Kalon Tripa Juchen Thupten Namgyal
- (en) Roger E. McCarthy, Tears of the lotus: accounts of Tibetan resistance to the Chinese invasion (1950-1962), page 108.
- Goodman 1993, p. 236
- Laurent Deshayes, Histoire du Tibet, Fayard, 1997, p. 334.
- La résistance armée tibétaine, Rapport du Groupe d'information internationale sur le Tibet, Sénat français.
- Goodman 1993, p. 241
- (en) John B. Roberts II, The Secret War Over Tibet. A story of Cold War heroism -- and Kennedy administration cowardice and betrayal (archives du journal [1]), The American Spectator (en), décembre 1997 : « CIA -trained Chushi Gangdruk fighters were strategically deployed along a southern route leading from Lhasa across the Himalayas to India. Their orders were to prevent any Chinese pursuit, blocking key passes along the southern route, and fighting to hold them as long as necessary while the Dalai Lama and his entourage made their way to safety on horseback. »
- (en) United States Bureau of Citizenship and Immigration Services, Tibet (China): Information on Chushi Gangdruk (Gangdrug) : « Chushi Gangdruk was active as a CIA-trained and -backed armed resistance group in Tibet in the 1950s and 1960s (Associate Professor of Tibetan Studies 15 Jan 2003). For the Dalai Lama's flight from Tibet to India during the 1959 Tibetan insurrection against Chinese occupation, Chushi Gangdruk fighters were deployed from Lhasa in Tibet across the Himalayas into India in order to block Chinese pursuit of the Tibetan leader (Roberts 1997) (References : Associate Professor of Tibetan Studies, Indiana University. Email to the INS Resource Information Center (15 Jan 2003) - Roberts, John B. THE AMERICAN SPECTATOR, "The Secret War Over Tibet: A Story of Cold War Heroism -- and Kennedy Administration Cowardice and Betrayal" (Dec 1997) - NEXIS) ».
- (en) Dramatic Events in Lhasa : « A few days earlier, I had received a letter from His Holiness who was then at Lhuntse Dzong with some of His senior officials, trying to set up a temporary government there. The letter read in part : "You have led the Chushi Gandrug force with unshakeable determination to resist the Chinese occupation army for the great national cause of defending the freedom of Tibet. I confer on you the rank of 'DZASAK'(the highest military rank equivalent to General) in recognition for your service to the country. The present situation calls for a continuance of your brave struggle with the same determination and courage." »
- (en) Ramananda Sengupta, « The CIA Circus: Tibet's Forgotten Army. How the CIA sponsored and betrayed Tibetans in a war the world never knew about », .
Bibliographie
modifier- Michel Peissel, Les Cavaliers du Kham, guerre secrète au Tibet, Paris, Robert Laffont, (ISBN 978-2-221-03444-6)
- Mikel Dunham (trad. de l'anglais), Les guerriers de Bouddha : Une histoire de l'invasion du Tibet par la Chine, de la résistance du peuple tibétain et du rôle joué par la CIA, Paris, Actes Sud, , 433 p. (ISBN 978-2-7427-6512-6)
- Michael Harris Goodman (trad. de l'anglais), Le Dernier Dalaï-Lama ? : biographie et témoignages, Vernègues, Claire Lumière, , 330 p. (ISBN 2-905998-26-1)
- Pierre-Antoine Donnet, Tibet mort ou vif, Paris, Éditions Gallimard, (1re éd. 1990), 406 p. (ISBN 2-07-032802-3)
- (en) Tsering Shakya, The Dragon in the Land of Snows : A History of Modern Tibet Since 1947, Columbia University Press, , 574 p. (ISBN 0-231-11814-7).
- (en) Sam van Schaik, Tibet : A History, Yale University Press, , 349 p. (ISBN 978-0-300-17217-1, présentation en ligne)
- Beri Jigme Wangyal (ed.) (2007) The history of Dokham Chushi Gangdrug, Volume I. Delhi: Central Dokham Chushi Gangdrug.
- Beri Jigme Wangyal (ed.) (2009) The history of Dokham Chushi Gangdrug's Resistance Fighters, Volume II. Delhi: Central Dokham Chushi Gangdrug.
À voir
modifierArticles connexes
modifier- Intervention militaire chinoise au Tibet
- Révolte en Amdo en 1958
- Soulèvement tibétain de 1959
- Exode tibétain de 1959
- Liste d'associations de Tibétains en exil