Capitulation de Montréal

Signée le , la capitulation de Montréal consacre la reddition de la ville de Montréal et du Canada au cours de la guerre de Sept Ans. Les termes de celle-ci sont négociés entre le gouverneur général de la Nouvelle-France, Pierre de Rigaud de Vaudreuil, et le commandant en chef des armées britanniques Jeffery Amherst au nom des couronnes française et britannique.

La reddition de Montréal en 1760.

La signature du document, préparé par Vaudreuil, a lieu sous la tente d'Amherst qui est campé devant la ville de Montréal[1]. La capitulation a pour conséquence immédiate le départ de l'armée française et l'instauration d'un régime militaire britannique sur le pays, qui se prolonge jusqu'en , alors que le roi de France, Louis XV, cède définitivement au roi de Grande-Bretagne, George III, le « Canada avec toutes ses dépendances[2] » par le traité de Paris.

Les 55 articles que comportent l'acte de capitulation sont presque tous accordés par Amherst. Les demandes françaises comportent un éventail de garantie quant à la protection des habitants de la Nouvelle-France : les Canadiens, les Acadiens et les Autochtones. Vaudreuil demande essentiellement que tous les habitants se voient reconnaître les mêmes droits et privilèges que les autres sujets de la couronne britannique jusqu'à ce que la paix soit conclue.

La campagne printanière de 1760

modifier
 
François Gaston de Lévis commande l'armée française après la mort de Louis-Joseph de Montcalm.

François Gaston de Lévis, qui commande l'armée française depuis la mort du lieutenant-général Louis-Joseph de Montcalm le , cherche à reprendre Québec, tombée aux mains des Britanniques, le suivant. Pendant l'hiver, il prépare donc la campagne à venir à partir de Montréal. Le , il parvient à vaincre James Murray et ses 4 000 hommes lors de la bataille de Sainte-Foy. Manquant de munitions et d'artillerie, l'armée de Lévis n'arrive toutefois pas à faire brèche dans les remparts de la ville. Lévis se replie donc à nouveau vers Montréal à la mi-, dès qu'il voit poindre les navires britanniques, venus ravitailler l'armée de Murray, dans le fleuve.

Le trident

modifier

À la fin de l'été 1760, Jeffery Amherst commande les forces britanniques regroupées en trois armées totalisant de 18 à 20 000 hommes[3]. Toutes trois convergent vers Montréal, qu'Amherst cherche à prendre en trident[4]. Une colonne dirigée par James Murray remonte le fleuve Saint-Laurent à partir de Québec. Une autre colonne, dirigée par William Haviland, quitte Crown Point pour remonter le Richelieu, prenant le fort de l'île aux Noix, commandé par Louis-Antoine de Bougainville, au passage. Finalement, Amherst quitte Oswego sur le lac Ontario. Il s'empare du fort Lévis, commandé par Pierre Pouchot, le .

De son côté, Lévis ne dispose plus que d'environ 2 000 hommes[5] avec lesquels il se replie sur l'île de Montréal. L'armée française est encore affaiblie par la désertion de nombreux miliciens qui préfèrent rejoindre leurs familles. De leur côté, plusieurs alliés autochtones signent des paix séparées avec les Britanniques[6].

Le , le major général Amherst arrive à Lachine[7]. Les trois armées britanniques se retrouvent devant Montréal dans la soirée. Le gouverneur Vaudreuil convoque, à sa résidence de la rue Saint-Paul, un conseil de guerre dans la nuit du au . Face à la situation jugée critique, les officiers présents décident qu'il vaut mieux capituler.

Les négociations débutent le . Bougainville, assisté de Dominique-Nicolas de Laas, propose au général Amherst une « suspension d'armes pour un mois[8] ». Ce dernier refuse et ne laisse que 6 heures — c'est-à-dire jusqu'à midi — à l'armée française pour capituler. Bougainville remet le texte de capitulation à Amherst vers 10 heures, que ce dernier minute en marge.

Vaudreuil capitule

modifier
 
Montréal en 1760. Ce plan est paru dans le London Magazine.

Les honneurs de la guerre refusés

modifier

Amherst accorde presque tout, sauf les honneurs de la guerre à l'armée française que Vaudreuil avait demandés[9]. Cela signifie dans les faits que les huit bataillons des troupes de Terre et les deux de la Marine ne pourront plus servir d'ici la fin du conflit, y compris en Europe. Amherst demeure intraitable sur ce point.

Face à cette position inacceptable pour lui, François Gaston de Lévis demande à Vaudreuil de rompre les négociations[5]. Il tente aussi d'obtenir la permission de se retirer à l'île Sainte-Hélène avec ses bataillons pour y livrer un ultime combat afin de « soutenir en notre nom l'honneur des armes du roi[10] ». Étant donné la faiblesse des fortifications de Montréal, Vaudreuil ne veut pas exposer inutilement la population civile face à d'éventuelles représailles des troupes d'Amherst. Il demande donc à Lévis de déposer les armes.

Le libre exercice de la religion et la conservation de la propriété des biens

modifier
 
Jeffery Amherst tel que représenté par Francis Hayman dans The Surrender of Montreal to General Amherst, 1760.

La reddition générale du Canada est signée au matin du . L'historien Laurent Veyssière précise que la capitulation d'une colonie est chose assez rare à l'époque, étant habituellement réservée à des villes ou à des places fortes au terme d'un siège[11].

Le texte paraphé par Vaudreuil est remis aux Britanniques, puis le gouverneur reçoit un duplicata paraphé par Amherst[12]. L'acte de capitulation compte 55 articles. Il prévoit l'administration de la colonie jusqu'à la conclusion de la paix et lui donne un cadre juridique temporaire pendant le régime militaire.

Les articles 27 à 35 accordent le libre exercice de la religion catholique aux Canadiens et l'article 32 maintient les communautés féminines. Amherst refuse toutefois la nomination d'un nouvel évêque (Mgr de Pontbriand étant décédé quelques mois plus tôt) et de reconnaître le maintien des Jésuites, des Récollets et des prêtres de Saint-Sulpice à Montréal (articles 30 et 33).

L'article 37 assure la propriété des biens meubles et immeubles aux Canadiens, l'article 39, qu'ils ne pourront être transmigrés, l'article 42 maintient « la coutume de Paris, et les lois et usages établis pour ce pays » et l'article 46 assure la liberté de commerce. Concernant les Acadiens (articles 38, 39 et 55), Amherst rappelle qu'ils sont déjà sujets britanniques depuis la cession de l'Acadie en 1713.

L'article 40 prévoit que les alliés autochtones « seront maintenus dans les terres qu'ils habitent s'ils veulent y rester[13] ». Les et , cela est confirmé à la conférence de Caughnawaga (Kanawake).

L'embarquement des troupes

modifier

Les troupes britanniques ne doivent mettre pied dans Montréal qu'après l'évacuation des troupes françaises. Lévis ordonne entre-temps aux régiments de faire brûler leurs drapeaux avant leur arrivée[14]. Le , Frederick Haldimand fait son entrée dans la ville. Un détachement britannique se dirige peu après à la Place d'armes, où les bataillons français viennent à tour de rôle mettre bas les armes, sans les drapeaux. Lévis passe finalement en revue l'ensemble de ses troupes.

La capitulation prévoit le départ des troupes et du gouvernement français. Leur embarquement vers la France doit se faire dans les quinze jours suivants (article 52). Le sort des blessés est également fixé (article 8). Bougainville commence à organiser le départ général dès le . Les bataillons quittent Montréal pour rejoindre Québec entre le et le . Le voyage se fait dans des conditions extrêmement difficiles. Lévis quitte Montréal le , suivi de Vaudreuil le et de l'intendant François Bigot le .

Le , les premiers navires quittent finalement Québec. Ils sont au total une vingtaine à prendre la destination de la France. Lévis et Vaudreuil quittent le sur des navires différents tandis que Bougainville et Bourlamaque sont les derniers à partir ( et ). Là encore, les conditions de voyage sont très difficiles. Ils arrivent enfin en France en décembre.

 
En , Guillaume-Michel Perrault écrit à son frère Jacques Perrault dit l'aîné pour lui faire part de l'arrivée à La Rochelle de navires provenant du Canada à la suite de la capitulation générale de la Nouvelle-France.

Robert Larin évalue à 2 600 officiers et soldats français et canadiens qui quittent alors le Canada avec 1 400 membres de leurs familles et membres de l'administration civile[15]. Des soldats français s'étaient mariés pendant la guerre. Certains d'entre eux choisissent de rester dans la colonie. D'autres obtiennent la permission d'y rester temporairement, le temps de régler leurs affaires.

Les articles 12, 14, 15, 21, 43 à 45 concernent enfin les archives coloniales.

Le régime militaire

modifier

Comme la capitulation le prévoit, le général Amherst procède à une organisation administrative provisoire du Canada. Il établit trois gouvernements militaires. James Murray est responsable de Québec, Thomas Gage de Montréal et Ralph Burton de Trois-Rivières.

La guerre se poursuivant en Europe, le sort de la Nouvelle-France demeure incertain pendant plus de deux ans. Le traité de Paris tranche la question le [16] alors que la Proclamation royale, le de la même année, organise la nouvelle colonie britannique, désormais appelée Province of Quebec.

Texte original de la capitulation[17]

modifier

Culture populaire

modifier

L'écrivaine Laure Conan fait allusion à l'épisode des drapeaux de Lévis dans La sève immortelle:

— Il paraît que Monsieur de Lévis a brisé son épée... il n’a point voulu livrer les drapeaux à l’ennemi, poursuivit le docteur.

— On a refusé les honneurs de la guerre? s'écria Jean de Tilly, bondissant d'indignation.

— Oui, et pour ne pas livrer les drapeaux, Monsieur de Lévis les a fait brûler à l'île Sainte-Hélène[18].

La scène où Lévis brise son épée et fait brûler les drapeaux régimentaire inspire de nombreux artistes, dont Joseph-Charles Franchère, lors du troisième concours littéraire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal en 1918.

Notes et références

modifier
  1. Parlement de la Grande-Bretagne. « Articles de capitulation de Montréal », p. 7 et 25
  2. « Traité de 1763 mettant fin à la guerre de Sept Ans », sur wikisource.org, Wikimedia Foundation, Inc., (consulté le ).
  3. Veyssière 2020, p. 74.
  4. Marston 2002, p. 69.
  5. a et b Noël 2018, p. 274.
  6. Veyssière 2020, p. 74-75.
  7. Marston 2002, p. 71.
  8. Veyssière 2020, p. 76.
  9. Amherst avait fait de même lors de la reddition de Louisbourg en 1758.
  10. Veyssière 2020, p. 77.
  11. Veyssière 2020, p. 73.
  12. Le Service historique de la Défense conserve dans ses archives Articles de la capitulation entre Son Excellence le général Amherst, commandant en chef les troupes et forces de Sa Majesté britannique en Amérique septentrionale, et Son Excellence M. le marquis de Vaudreuil, grand croix de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, gouverneur et lieutenant-général pour le roy en Canada, Montréal, 8 septembre 1760 (GR A1 3574, pièce 154).
  13. Veyssière 2020, p. 80.
  14. C'est par erreur que cet événement a été associé à l'île Sainte-Hélène. Les drapeaux ont plutôt été brûlés en secret par chacun des régiments, là où ils se trouvaient à ce moment.
  15. Robert Larin, Canadiens en Guyane, 1754-1805, Québec et Paris, Septentrion et PUPS, 2006, p. 40-47.
  16. Assemblée nationale du Québec, « Proclamation royale »
  17. CEFAN, « Capitulation de Montréal »
  18. Laure Conan, La sève immortelle : roman canadien, Montréal, Bibliothèque de l’Action française, 1925, p. 73.

Bibliographie

modifier
  • Parlement de la Grande-Bretagne. « Articles de capitulation de Montréal », p. 7-25 dans A collection of the Acts Passed in the Parliament of Great Britain and of Other Public Acts Relative to Canada, Québec, P.E. Desbarats, 1824, 193 p.
  • Fred Anderson, The war that made America. A short history of the French and Indian War, Penguin Books, 2005.
  • Charles de Bonnechose et Louis Joseph Montcalm Gozon de St. Véran, Montcalm et le Canada français: essai historique, publié par Hachette et cie, Paris 1877, 208 pages. (en ligne) Voir les Articles de capitulation aux pages 183 à 188.
  • Commission des champs de bataille nationaux, en collaboration avec Hélène Quimper, Les Plaines d'Abraham. Champ de bataille de 1759 et 1760, Montréal, Boréal, 2022, 152 p.
  • Julian Stafford Corbett, England in the Seven Years' War, vol. 2: A study in Combined Strategy, Cambridge, Cambridge University press, 2010 [1907].
  • Monique Cottret, Choiseul. L'obsession du pouvoir, Paris, Tallandier, 2018.
  • Edmond Dziembowski, La guerre de Sept Ans, 1756-1763, Paris, Perrin, 2015.
  • W. J. Eccles, « Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial, Pierre de, marquis de Vaudreuil », Dictionnaire biographique du Canada, en ligne.
  • Sophie Imbeault, Les Tarieu de Lanaudière. Une famille noble après la Conquête, Québec, Septentrion, 2004, 274 p.
  • Dave Noël, Montcalm, général américain, Montréal, Boréal, , 384 p..
  • (en) Daniel Marston, The French-Indian War 1754-1760, .
  • Charles P. Stacey, « Amherst, Jeffery, 1er baron Amherst », Dictionnaire biographique du Canada, en ligne.
  • Laurent Turcot. « The Surrender of Montreal to General Amherst de Francis Hayman et l’identité impériale britannique » in Mens : revue d'histoire intellectuelle et culturelle, vol. 12, no 1, automne 2011, p. 91-135.
  • Laurent Veyssière, « 8 septembre 1760. La capitulation de Montréal et de la Nouvelle-France », Nouvelle-France. Histoire et patrimoine, no 3,‎ , p.73-83.

Articles connexes

modifier

Liens externes

modifier