Benoîte (Pays basque)

La benoîte (ou benoite[1]) – serora ou andere serora en basque – était la gardienne de l'église et du cimetière dans les paroisses du Pays basque.

La benoîterie (XVIe siècle) d'Arbonne
La benoîterie de Jatxou
La benoîterie (XVIIe siècle) de Saint-Pierre-d'Irube

Fonctions

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La benoîte a la garde des clefs de l'église, et est chargée du nettoyage du sanctuaire, et de l'entretien des linges sacrés et des autels ainsi que des ornements sacerdotaux.
Elle sonne également les cloches pour les offices, mais également pour éloigner les orages et la grêle[2].
Elle a la tête et les épaules recouvertes d'un capulet[3], et à sa taille pend un chapelet[4]. On lui demande des prières, et elle distribue le pain bénit, aux côtés du curé. Elle accueille le cortège du mariage à l'église et porte sur un plateau les alliances qu'elle présente aux futurs époux[4].
Lors d'un décès, elle sonne le glas, remet la croix au premier voisin de la maison du mort, accueille le cortège funèbre à l'église et indique à l'assemblée les places à occuper[5]. À Saint-Just-Ibarre par exemple, elle détermine la place d'une nouvelle tombe dans le cimetière[4].

Ressources, privilèges et obligations

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La benoîte est le plus souvent une jeune fille, de plus de trente ans généralement, ou une veuve, très rarement une femme mariée. Elle s'engage par contrat à servir l'Église pour le reste de sa vie, moyennant un logement, des redevances en nature (blé, maïs, pain), et des rétributions lors des cérémonies religieuses (baptêmes, mariages, enterrements).
Son agrément par les habitants passe par la remise d'une dot à la paroisse, souvent d'un montant élevé[2], la charge étant parfois mise aux enchères. Son choix doit être ratifié par l'évêque[4].
Elle bénéficie d'une petite maison et d'un jardin près de l'église. À Jatxou, la porte de la benoîterie est surmontée de la mention seroraenea (maison de la benoîte).
La tombe de la benoîte se trouve souvent à l'intérieur de l'église. À Sare, l'une d'elles est signalée par l'inscription :

Orai den seroraren eta izanen direnen jar lekua eta hobia[6]

La benoîte dans l'histoire

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XVIIe siècle

Pour Pierre de Lancre, intervenant en 1609 au Pays basque, à la tête de la commission d'enquête demandée par Henri IV pour purger le pays de tous les sorciers et sorcières sous l'emprise des démons, la benoîte était, dans l'exercice de ses fonctions, une manifestation du satanisme : « Il y a aussi en toutes les grandes églises du pays, une femme qu'ils appellent la bénédictine, qui fait fonction de Marguiller, je trouve qu'elle s'approche de trop des prêtres libertins (...), ici elle garde l'autel, blanchit et accommode les nappes et baille les fraises blanches aux petits Saints qui sont sur l’autel (...) »[7],[8].

XVIIIe siècle

En 1726[9], les deux benoîtes de Saint-Jean-de-Luz, nommées par les magistrats municipaux et choisies parmi « les personnes anciennes et dévotes », se rappelèrent au souvenir de leurs employeurs en réclamant une clarification de leurs devoirs et une augmentation de leurs revenus[Note 1].

XXIe siècle

Aujourd'hui, il reste de cette tradition disparue des maisons appelées benoîteries. Certaines, comme à Arbonne[10], sont devenues des lieux culturels, qui accueillent des expositions. Une trentaine de ces maisons a été répertoriée en Pays basque nord.
La benoîterie de Saint-Pierre-d'Irube[11] est inscrite aux monuments historiques[12] depuis 1991. Il en est de même pour celles d'Arbonne[13], de Bascassan[14] et de Succos[15].

À Succos, la benoîterie[15] est intégrée à l'ensemble église-cimetière. Un de ses murs extérieurs servait de fronton pour les parties de pelote basque.

À Bardos, la benoîterie était jadis accolée au château de Salha, du côté de l'église. Elle n'existe plus aujourd'hui mais est visible sur les anciennes photos.

Notes et références

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  1. « Leurs attributions étaient les suivantes : ouvrir l’église le matin, la fermer le soir et sonner les cloches ; les vendredis et veilles de fêtes solennelles faire balayer toute l’église et pour cela prendre trois personnes en plus d'une servante que chacune devait avoir en permanence ; payer cinq sols par jour à chacune de ces aides ; les samedis et veilles de fêtes « charroyer l’eau des bénitiers », changer le linge des autels, le faire blanchir « à leurs dépens », récurer lampes et chandeliers, changer les ornements ; se trouver à tous les enterrements, aux offices pour les défunts et accompagner les convois de femmes à l’église ; enfin, tous les six mois, fournir au marguillier un état du linge de l’église et l’avertir quand quelque fidèle faisait un don ou une libéralité à l’église. En échange de ces divers travaux, les benoîtes recevaient une rémunération des fidèles, sauf pour les enterrements d’enfants auxquels elles assistaient gratuitement » - Joseph Nogaret, Saint-Jean-de-Luz des origines à nos jours, Bayonne, Imprimerie du Courrier, , p. 73

Références

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  1. Orthographe recommandée par le Conseil supérieur de la langue française
  2. a et b Philippe Veyrin, Les Basques, Arthaud 1975, , 366 p. (ISBN 978-2-7003-0038-3 et 2-7003-0038-6), page 243.
  3. Capulet : sorte de chapeau de femme en capuchon, en usage dans les Pyrénées.
  4. a b c et d Marie-France Chauvirey, La vie d'autrefois en Pays basque, Bordeaux, Éditions Sud Ouest - Luçon 1994, 189 p. (ISBN 978-2-87901-219-3 et 2-87901-219-8), pages 47 et 48.
  5. Gérard Moutche, Que disent les maisons basques ?, Biarritz, Atlantica 2010, , 286 p. (ISBN 978-2-7588-0177-1), page 56.
  6. Ceci est le siège et le caveau de la benoîte actuelle et de celles à venir : cité par Philippe Veyrin, Les Basques, Arthaud 1975, , 366 p. (ISBN 978-2-7003-0038-3 et 2-7003-0038-6), page 243.
  7. Pierre de Lancre, Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons où il est amplement traité des sorciers et de la sorcellerie, Paris, Nicolas Buon et Jean Berjon, 1612, réédition avec introduction et notes par Nicole Jacques-Chaquin, Aubier, 1982, pages 85, 90 : cité par Manex Goyhenetche, Histoire générale du Pays basque II : Évolution politique et institutionnelle du XVIe au XVIIIe siècle, t. 2, Donostia / Bayonne, Elkarlanean, , 357 p. (ISBN 848331505X et 9788483315057, OCLC 313744223), p. 267
  8. Ouvrage collectif, Bidart-Bidarte, Saint-Jean-de-Luz, Ekaina, , 476 p. (ISBN 2-9507270-8-5)
  9. Joseph Nogaret, Saint-Jean-de-Luz des origines à nos jours, Bayonne, Imprimerie du Courrier,
  10. Exposition récente dans la benoîterie d'Arbonne, organisée par l’association Andereseroraenia
  11. Benoîterie de Saint-Pierre-d'Irube - Site officiel
  12. Ministère de la Culture, base Mérimée - Notice sur la benoîterie de Saint-Pierre-d'Irube.
  13. Ministère de la Culture, base Mérimée - Notice sur la benoîterie d'Arbonne.
  14. Ministère de la Culture, base Mérimée - Notice sur la benoîterie de Bascassan.
  15. a et b Ministère de la Culture, base Mérimée - Notice sur la benoîterie de Succos