Bakari Koussou
Bakari Koussou ou Bakari Kusu, originaire de Madagascar, mort exécuté le à Dzaoudzi à Mayotte, est le leader d'une révolte de travailleurs de Mayotte contre la France en 1856.
Décès |
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Biographie
modifierCompagnon du sultan
modifierBakari Koussou est un Antalote originaire de Majunga, à Madagascar[1]. Il est un Sakalava installé à Mayotte[2],[3].
Quand la France achète l'île de Mayotte au sultan Andriantsoly le , Bakari Koussou est un des compagnons de ce dernier[1],[4],[5],[6] et figure, à ce titre, parmi les signataires du traité de cession de l'île[7],[5],[6]. Il possède alors des esclaves, au nombre de vingt-trois, et le gouvernement français est censé lui verser une rente annuelle, comme pour Andriantsoly[5],[6].
Abolition de l'esclavage
modifierPar une ordonnance royale du , promulguée à Mayotte le [4],[8], la France abolit l'esclavage à Mayotte[8],[9], deux ans avant le décret d'abolition de l'esclavage du 27 avril 1848. Cette abolition un peu plus précoce à Mayotte que dans les autres colonies est pragmatique. En effet, voulant développer le commerce et les plantations à Mayotte, l'administration française veut éviter la traite négrière, interdite et surveillée par la marine britannique présente dans le canal du Mozambique, et privilégier le recrutement de travailleurs libres. D'autre part, les planteurs, organisés dans une Société des Comores fondée à Paris en 1845, veulent récupérer la main-d'œuvre mahoraise en libérant les esclaves de leurs maîtres pour leur donner un statut de travailleur libre sous autorité française[10],[11].
Ainsi, les esclaves mahorais, affranchis à partir de 1847, doivent rester cinq ans engagés au service de la colonie ou des planteurs[12],[13]. Dans les années suivantes, les planteurs recrutent en plus de nombreux travailleurs engagés à Madagascar et au Mozambique[14],[15]. Théoriquement, les planteurs doivent engager uniquement des travailleurs libres, mais ces derniers sont bien souvent dans les faits des esclaves vendus par leur maîtres[14]. Les salaires sont très bas et versés avec retard et les conditions de travail et de vie sont difficiles, proches de l'esclavage[15].
Chef de la révolte
modifierLe , des travailleurs se révoltent, tuant un garde forestier et un commandeur d'habitation[6]. Le leader des insurgés est Bakari Koussou[1],[16],[6]. Cela peut paraître paradoxal pour un riche propriétaire comme lui, mais, après les mesures d'affranchissement, il est devenu un opposant aux Français[2]. Selon Siti Yahaya, il se sert du ressentiment des travailleurs engagés pour lutter contre les Français, qui, depuis leur installation, lui ont fait perdre une partie de son statut social[16].
Cette révolte est perçue par l'administration française comme une révolte anticoloniale, mais l'historien Jean Martin y voit plutôt « une révolte prolétarienne »[3],[6]. Pendant un mois, les plantations sont abandonnées[6]. Bakari Koussou ne cherche pas prendre le pouvoir sur l'île en se faisant reconnaître comme sultan. Il reste le chef d'une bande de travailleurs révoltés[17]. Il est arrêté le . Comme six autres insurgés, il est condamné à mort[6], le [18]. Il est exécuté le [6], sur la place publique de Dzaoudzi, alors capitale de Mayotte[19].
Mémoire
modifierRenouveau de la mémoire
modifierÀ Mayotte, le personnage de Bakari Koussou est connu[20],[6] et considéré comme un défenseur des opprimés[19]. Toutefois, sa mémoire est peu présente dans l'espace public, où il n'y a pas de monument ou de plaque qui l'honore[6]. Un village, appelé Bakarikoussi, portait son nom, mais aujourd'hui il n'existe plus[7]. Une seule rue porte son nom, dans la ville de Koungou[6] et le collège de Dzoumogné a été baptisé collège Bakari Kusu[21]. La révolte qu'il a menée est peu évoquée par les politiques mahorais, parce qu'elle remet en cause le récit d'une colonisation française présentée comme douce[22].
En 1997, le chanteur Babadi a consacré à Bakari Koussou une chanson, intitulée Fight. L'histoire de Bakari Koussou a été mise en scène par le dramaturge mahorais Alain-Kamal Martial, dans une pièce intitulée Bakar Kusu, qui est représentée en 2005. Le romancier Abdou Salam Blanco a ensuite rédigé le journal de bord de Bakari Koussou dans son ouvrage Coupeurs de tête, paru en 2007[23],[24]. Ces trois œuvres participent d'un renouveau de la mémoire de Bakari Koussou[23].
Œuvres consacrées à Bakari Koussou
modifier- Alain-Kamal Martial, Bakar Kusu (pièce de théâtre), .
- Abdou Baco Mambo, Coupeurs de têtes, Saint-Denis, Éditions Orphie, coll. « Autour du monde », , 208 p. (ISBN 978-2-87763-381-9).
Notes et références
modifier- Martin 1973, p. 77.
- Martin 1976, p. 223.
- (en) Michael Lambek, Knowledge and Practice in Mayotte : Local Discourses of Islam, Sorcery and Spirit Possession, Toronto, University of Toronto Press, coll. « Anthropological Horizons », , 468 p. (ISBN 978-1-4426-7653-4), p. 45.
- Martin 1976, p. 213-216.
- Yahaya 2013, par. 46.
- Carayol 2024, p. 43.
- Denis 2006, p. 161.
- Yahaya 2013, par. 12.
- Carayol 2024, p. 40.
- Martin 1976, p. 209-213.
- Carayol 2024, p. 40-41.
- Yahaya 2013, par. 14.
- Carayol 2024, p. 41.
- Yahaya 2013, par. 15.
- Carayol 2024, p. 42.
- Yahaya 2013, par. 48.
- Martin 1973, p. 78.
- « Éphémérides coloniales », Annuaire de l'île de Mayotte, , p. 1-3 (lire en ligne).
- Yahaya 2013, par. 49.
- La rédaction, « La mémoire en question », sur Mayotte Hebdo, (consulté le ).
- Anne Perzo, « Aux archives départementales, plongée dans un pan de l’Histoire de Mayotte », sur Le Journal de Mayotte, (consulté le ).
- Carayol 2024, p. 44.
- Isabelle Denis, « Bakar Koussou : De l’histoire aux expressions littéraires et artistiques », dans Buata B. Malela, Linda Rasoamanana, Rémi A. Tchokothe (dir.), Les Littératures francophones de l’archipel des Comores, Paris, Classiques Garnier, coll. « Rencontres / Francophonies » (no 272), , 428 p. (ISBN 9782406062370, présentation en ligne), p. 269-283.
- Carayol 2024, p. 225.
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Rémi Carayol, Mayotte : Département colonie, Paris, La Fabrique éditions, , 239 p. (ISBN 978-2-35872-285-8).
- Isabelle Denis, « Les lieux de mémoire à Mayotte », Outre-Mers. Revue d'histoire, vol. 93, no 350, , p. 157–173 (DOI 10.3406/outre.2006.4196, lire en ligne, consulté le ).
- Jean Martin, « Les débuts du protectorat et la révolte servile de 1891 dans l'île d'Anjouan », Revue française d'histoire d'Outre-mer, vol. 60, no 218, , p. 45–85 (DOI 10.3406/outre.1973.1655, lire en ligne, consulté le ).
- Jean Martin, « L'affranchissement des esclaves de Mayotte, décembre 1846-juillet 1847 », Cahiers d'études africaines, vol. 16, no 61, , p. 207–233 (DOI 10.3406/cea.1976.2901, lire en ligne, consulté le ).
- Siti Yahaya, « Réveiller la mémoire. L’esclavage dans les fonds oraux des Archives départementales de Mayotte », In Situ. Revue des patrimoines, no 20, (ISSN 1630-7305, DOI 10.4000/insitu.10175, lire en ligne, consulté le ).