Alice Mathieu-Dubois

médecin française

Alice Maille, Alice Mathieu-Dubois ou Alice Sollier, née le à Compiègne et morte à Paris le , est une médecin française.

Alice Mathieu-Dubois
Biographie
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ParisVoir et modifier les données sur Wikidata
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Alice MailleVoir et modifier les données sur Wikidata
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Distinction

Première bachelière noire[1] et première Française noire à devenir docteure en médecine, elle est également la première médecin française directrice d'un établissement de santé privé.

Biographie

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La dentition chez les enfants idiots par Mme Sollier au sommaire de L'Art dentaire, mai 1888

Alice naît le 3 avril 1861 à Compiègne, dans l’Oise, sous le nom d’Alice Maille, dans la maison de sa mère, Flore-Hortense Maille. Célibataire, celle-ci vit avec un esclave affranchi originaire de Guyane devenu dentiste, Mathieu Victoire dit Dubois, âgé de 27 ans. Le couple se marie le 8 mai 1867 et la reconnait. Elle porte alors le nom de Mathieu-Dubois construit sur le prénom de son père et d'une partie de son nom. Sa mère meurt six mois après le mariage, Alice n’est alors âgée que de 6ans. Son père va alors pourvoir seul à son instruction[1].

Elle obtient son baccalauréat es-sciences, réservé aux seuls futurs étudiants en médecine à Paris en 1879. Le Petit Journal du 11 novembre 1879 relève : « Mlle Alice Dubois, de Compiègne, une jeune fille noire, vient de subir avec succès l’examen du baccalauréat ès sciences. Mlle Dubois était déjà pourvue du brevet supérieur de l’enseignement primaire ». Le baccalauréat ès lettres se divisait en deux parties. Alice Dubois passe d’abord l’épreuve de rhétorique en novembre 1880, et le Progrès de l’Oise salue l'enseignement de ses quatre professeurs, soulignant que, sous la direction de son père, elle devient non seulement une jeune fille cultivée, mais aussi une dentiste compétente, alliant savoir théorique et pratique. Elle réussit ensuite la deuxième partie, la philosophie, le 26 juillet 1881.

En 1881, elle quitte son père pour rejoindre Paris et suivre ses études de médecine ; faculté de médecine très récemment ouverte aux femmes. Pour Alice, femme à la peau foncée – ce qui lui vaut d’être appelée Bamboula par ses camarades – l’épreuve est sans doute assez rude. Elle rencontre Blanche Edwards qui devient son amie. Pendant ses études de médecine, son « correspondant » à Paris, puisqu’elle est encore mineure, est le docteur Edwards, père de Blanche. Elle loue un appartement Rue Saint-Jacques, appartement qu’elle loue à Edwards. Alice commence ses études de médecine en octobre 1881, comme son futur mari. De 1881 à 1885, elle valide les 16 inscriptions requises pour présenter sa thèse en 1887. Bénéficiant de la victoire obtenue par Blanche un an auparavant, elle s’inscrit dès l’automne 1883 au concours de l’externat25. Elle est reçue 72e sur 254 dont seulement trois femmes, Paul est 32e. Puis elle effectue ses trois stages d’externe dans des services prestigieux de la médecine parisienne. Entre janvier et décembre 1884, elle est assignée à l’Hôtel-Dieu sous la direction du professeur Victor Cornil (1837-1908). Celui-ci, bien que laconique, lui attribue une appréciation favorable, soulignant qu’elle est « très assidue et exacte à son service ». Au cours de cette même année 1885, Blanche Edwards remporte sa deuxième bataille : l’internat s’ouvre aux femmes. Alice s’inscrit en même temps qu’elle et qu’Augusta Klumpke (1859-1927). Alice prépare le concours, mais ni une note ni la mention "Absente" (les absences devant être justifiées) n’apparaissent à côté de son nom dans la liste des résultats. Aurait-elle choisi de ne pas rendre sa copie ? Se serait-elle découragée face au report de l’épreuve d’admissibilité, la première épreuve écrite ayant été annulée cette année-là en raison d’une fuite dans les sujets ? Pourtant, un indice de sa présence nous parvient : lors du tumulte provoqué par de nombreux étudiants opposés à la participation des femmes au concours, le chant Bamboula est entonné. Cet incident, commenté dans la presse, est également évoqué dans une lettre d’Augusta Klumpke à son futur époux, Jules Déjerine. Cette année-là, Blanche Edwards est éliminée dès l’écrit, mais Augusta Klumpke et Paul Sollier sont reçus internes provisoires. Alice ne se réinscrira pas, elle ne portera pas l’emblématique calotte de velours noir. L’année suivante, Paul est reçu 5e et Augusta 16e ce qui en fait la première femme reçue interne des hôpitaux de Paris. Blanche, reçue interne provisoire, ne sera jamais titulaire.

De janvier 1885 à janvier 1886, elle poursuit son externat à l’hôpital des Enfants-Malades, où elle travaille sous la supervision du professeur Jacques-Joseph Grancher (1843-1907). Alice est alors l’une des sept femmes externes à Paris, et Grancher décrit son attitude comme celle d’une « bonne élève, obéissante et dévouée »

Le 21 janvier 1886, elle épouse Paul Sollier, un étudiant en médecine qu’elle a rencontrer à Paris. Mme Edwards était son témoin. De leur union naîtront 2 enfants : le 3 novembre 1886, un garçon prénommé René Victor qui décède trois jours plus tard et est inhumé à Compiègne ; et le 8 novembre 1887 Suzanne, née à la maternité de Port Royal, quinze jours après que sa mère[2]eut soutenu sa thèse.

Alice Sollier obtient son doctorat en 1887 avec la thèse L’état de la dentition chez les enfants idiots et arriérés : contribution à l’étude des dégénérescences dans l’espèce humaine, illustrée de 32 figures[3],[4]. Après avoir penché pour la médecine dentaire comme son père, elle finit par se tourner vers les maladies nerveuses. Le choix de ce sujet reflète l’intérêt constant qu’elle porte à cette discipline. Elle dédie sa thèse à la mémoire de sa mère et rend hommage à son père en écrivant : « À mon père, mon premier maître dans la pratique de l’art dentaire et mon guide dans toutes mes études, j’offre et je dédie ce travail. Un bien modeste témoignage de reconnaissance et d’affection filiale. » Le jury, se déclarant très satisfait, lui accorde la Mention honorable, faisant d’elle la quatrième femme à recevoir cette distinction.

La presse relève sa soutenance en remarquant ses origines : « La femme-médecin n’est déjà plus un objet de curiosité. Ce qui est plus rare, c’est la doctoresse nègre. Une de ces dernières, Mme Sollier, vient de passer avec succès sa thèse pour la médecine »[5]. Bien qu'inscrite au concours de l'internat en même temps que Blanche Edwards, elle ne se présente pas aux épreuves, mais il se peut qu'elle ait découragée par les manifestations organisées contre la présence des femmes le jour du concours par de nombreux étudiants, mais aussi par des remarques racistes, de nombreux étudiants l’appelant Bamboula[5].


Paul et Alice s’intéressent aux maladies nerveuses. Ils participent tous deux au premier Congrès annuel de médecine mentale à Rouen du 5 au 9 août 1890. Alice y est la seule femme médecin. Les docteurs Sollier vont successivement diriger deux établissements de santé privés : la Villa Montsouris de 1889 à 1897, et le Sanatorium de Boulogne-sur-Seine, de 1897 à 1921.

La villa Montsouris : Cette maison de santé existe toujours sous le nom de Clinique Villa Montsouris c’est le dernier établissement privé de psychiatrie parisien intra-muros. Le couple Sollier se spécialise dans le traitement des maladies nerveuses et des intoxications, délaissant progressivement la prise en charge des aliénés. Leur établissement gagne peu à peu en renommée. Cet établissement peut recevoir 30 pensionnaires. En avril 1896, Paul Sollier effectue un voyage d’étude, notamment à l’établissement d’Albrecht Erlenmeyer (1849-1928) à Bendorf, en Allemagne. Il s’inspire de la méthode de ce dernier, fondée sur des principes chimiques, mais y apporte sa propre approche. Sollier propose un sevrage plus rapide, accompagné d’une préparation visant à éliminer les toxines par la stimulation du système glandulaire, une méthode qu’il nomme la méthode physiologique. Plus tard, Alice souligne, lors d’un entretien, l’importance d’une surveillance médicale étroite et rigoureuse durant les premiers jours de sevrage, une étape particulièrement contraignante. Leur successeur à la Villa Montsouris, Gaston Comar (1867-1931), poursuivra l’application de la méthode Sollier. Ainsi, De 1889, à 1897, elle dirige avec son mari la clinique Villa Montsouris, rue de la Santé, à Paris. Elle devient ainsi la première femme à diriger un établissement de santé privé consacré aux maladies nerveuses[2].

Le sanatorium de Boulogne-sur-Seine[6] : Au printemps 1896, une société en commandite par actions, baptisée Dr Paul Sollier et Cie et connue sous le nom d’Établissement d’hydrothérapie médicale de Boulogne-sur-Seine, est créée. Elle adopte par la suite la dénomination de Sanatorium de Boulogne. Paul Sollier, gérant de la société, bénéficie de la collaboration technique de son épouse, le Dr Alice Sollier, désignée pour le remplacer en cas de décès ou de démission. Le 30 juillet 1897, le capital social est porté à 700 000 francs, réparti en 1400 actions de 500 francs chacune, détenues par 124 actionnaires, dont 90 médecins. Ce projet ambitieux marque l’entrée des Sollier dans le monde de l’entrepreneuriat. L’établissement est décrit comme un modèle de modernité, bien équipé et offrant un luxe rare pour l’époque : éclairage électrique, ascenseurs, chauffage central, et autres commodités. Il est exclusivement dédié aux maladies nerveuses, par opposition aux maladies mentales, et traite des affections telles que la neurasthénie, l’hystérie, la chorée, la sclérose en plaques, ainsi que les intoxications. Dans cet établissement dédié aux troubles nerveux, les traitements reposent sur l'ensemble des méthodes thérapeutiques de l'époque : pharmacopée limitée, hydrothérapie (bains et douches), électrothérapie (faradique et galvanique), massages et gymnastique. L’isolement des patients est complété par un traitement moral et psychologique, consistant en des entretiens réguliers où le médecin joue un rôle de guide, illustrant ainsi les débuts de la psychothérapie. Paul Sollier, spécialiste de l’hystérie, propose un traitement psycho-physiologique qu’il distingue de la suggestion et de l’hypnose, se démarquant de contemporains comme Pierre Janet et Jules Déjerine. Certains le considèrent comme un précurseur des thérapies cognitivo-comportementales. Bien qu’il n’existe aucune preuve écrite qu’Alice pratiquait cette psychothérapie, il est probable qu’elle et les autres médecins du sanatorium aient suivi les théories et méthodes de Paul Sollier. Le sanatorium jouit d'une excellente réputation, attirant une clientèle aisée en raison des coûts élevés de la pension. Parmi les patients célèbres figurent la comtesse Anna de Noailles, souffrant de neurasthénie et d’angoisses, qui y séjourne à deux reprises (fin 1900-début 1901 et février-mars 1905) avant d’être soignée à nouveau par Alice à Saint-Cloud. Marcel Proust y passe également six semaines après la mort de sa mère, de fin décembre 1905 à janvier 1906, bénéficiant des soins de Paul Sollier, sans doute honoré de traiter le fils du célèbre Dr Adrien Proust. Les Sollier savent également promouvoir leur établissement : en 1900, lors des congrès internationaux de médecine et de psychologie à Paris, Paul invite les participants à visiter le sanatorium, une initiative relayée dans la presse. Les Sollier sont soutenus par plusieurs médecins adjoints, tels que François Boissier, Paul Duhem, Marius Chartier, Georges Collet et Daniel Morat, ainsi que par divers autres professionnels. Lors du recensement de 1901 à Boulogne, on note la présence d’un interne, Louis Jacq, et d’une cinquantaine d'employés résidant sur place, incluant valets, femmes de chambre, infirmiers, infirmières, domestiques, garde-malades, cuisinier, lingères, institutrice, mécanicien, jardinier et concierge. En 1911, le nombre d'employés dépasse quatre-vingts, tous vivant sur place et assurant une présence constante auprès des patients, ce qui était conforme aux normes de l'époque, y compris pour le personnel médical. Le sanatorium est un établissement prospère, à la pointe des traitements de l'époque, nécessitant une gestion rigoureuse et un travail considérable, tâche à laquelle Alice semble être la principale responsable. Tandis que Paul, en plus de son travail de praticien, publie fréquemment, participe à des congrès, à des réunions de sociétés savantes et enseigne la psychologie à l’Université Nouvelle de Bruxelles depuis 1898, cette activité intellectuelle intense lui laisse peu de temps pour l’administration quotidienne du sanatorium, une fonction qui repose largement sur Alice, en plus de ses responsabilités médicales. Ce rôle d’Alice semble d'ailleurs être reconnu par ses collègues.

La déclaration de guerre et la mobilisation générale bouleversent la vie du sanatorium. Dès début août 1914, Paul Sollier, bien que âgé de 53 ans, est affecté à l'hôpital militaire de Châlons à sa demande. Cependant, en raison d'une sciatique paralysante, il est évacué en septembre vers l'hôpital de Nice. Il prendra ensuite la direction du Centre neuro-pathologique de la 14e région militaire à Lyon, où il sera promu médecin major de première classe. Alice prend alors la direction du sanatorium seule et organise l’évacuation des patients vers des zones moins exposées, alors que l'invasion de la région parisienne semble imminente. Son dévouement lui vaudra la croix de chevalier de la Légion d’honneur, remise par la comtesse Anna de Noailles le 18 novembre 1925. En juin 1921, le sanatorium est acheté par l'Assistance publique, la ville de Boulogne et le département de la Seine pour 3 600 000 francs, dans le but de le transformer en hôpital général afin de soulager les hôpitaux surpeuplés de l'Assistance publique. Après des travaux de réaménagement, l'hôpital ouvre ses portes le 1er novembre 1923 et prend le nom d'Hôpital Ambroise Paré en 1924. Détruit lors des bombardements de 1942, il est reconstruit en 1969 sur le site de l'ancien Château Rothschild. Le sanatorium est transféré « à partir du 15 juin 1921 à la clinique neurologique de Saint-Cloud-Montretout ». C’est Le Dr Morat, médecin adjoint du sanatorium de Boulogne, qui en prend la direction avec Alice Sollier. Paul se consacre à son travail d’enseignement et de recherche à Bruxelles, où il crée l’École d’ergologie. En 1931, Alice, alors âgée de 70 ans (Fig. 13b), est toujours en activité, et l’article intitulé « Mme le Dr Sollier », que lui consacre Madeleine Israël dans Les Dimanches de la femme, nous livre une belle illustration de son grand dévouement auprès des patients.

Après le décès de son mari, le , elle demeure à Saint-Cloud. Paul est mort à son domicile rue Clément-Marot, « en pleine force, d’une infection soudaine d’une plaie opératoire insignifiante, qu’il négligea de soigner… » écrit son gendre Paul Courbon. Il sera inhumé à Compiègne dans le caveau acheté par sa femme En 1934 et 1935, c’est à Rueil, au sanatorium de la Malmaison qu’elle exerce en tant que collaboratrice. Le sanatorium, occupé de 1940 à 1944 par les Allemands, fermera par la suite.

Elle habite chez sa fille à l'hôpital Sainte-Anne où l'époux de celle-ci travaille, puis rue d'Alésia où elle finit ses jours le [2]. Elle est inhumée à Compiègne, dans le caveau où reposent sa mère, sa tante Élisabeth Maille, décédée au sanatorium de Boulogne le 16 décembre 1918, et bien sûr Paul et leur fils René Victor.

Distinction

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Alice Mathieu-Dubois est faite chevalier de la Légion d’honneur le 24 octobre 1925 sous le nom de Mme Sollier née Alice Dubois[7],[8].

Notes et références

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  1. Le Gaulois du 12 décembre 1880, p. 2
  2. a b et c Pierrette Caire Dieu, Le docteur Alice Mathieu-Dubois épouse Sollier (1861-1942). Un destin d’exception, in Carnets d'histoire de la médecine, Société française d’histoire de la médecine, avril 2020, p. 1-20 (Lire en ligne)
  3. Sollier, Alice (1861-....), IdRef - Identifiants et Référentiels pour l'ESR https://www.idref.fr/07588481X.
  4. Alice (née Mathieu-Dubois) Sollier, L'état de la dentition chez les enfants idiots et arriérés., (lire en ligne)
  5. a et b Gérard Noiriel, « Comment a-t-on pu oublier Alice Sollier ? », sur radiofrance.fr, (consulté le )
  6. Roger Teyssou, Paul Sollier contre Sigmund Freud: l'hystérie démaquillée, 2013, p. 16
  7. Étienne Vaissière, Mathieu-Dubois, un remarquable destin familial, Généalogie et Histoire de la Caraïbe pdf
  8. « Cote 19800035/310/41735 », base Léonore, ministère français de la Culture

Bibliographie

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  • Pierrette Caire Dieu, « Le docteur Alice Mathieu-Dubois épouse Sollier (1861-1942). Un destin d’exception », Carnets d’histoire de la médecine, vol. 2020-4, p.1-19.
  • Josette Dall'Ava-Santucci, « Au XIXe siècle, les femmes à l'assaut de la médecine », La Revue du praticien, 2005, 55.
  • Le Maléfan, Pascal. « La psychothérapie naissante au sanatorium du Dr Sollier (1861-1933). À propos de Cam. S., délirante spirite », Bulletin de psychologie, vol. 516, no. 6, 2011, pp. 559-571.

Liens externes

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