Accident à la Meije
Accident à la Meije est un roman d'Étienne Bruhl, publié en et considéré comme « un grand classique du polar de montagne » puis comme le premier du genre « roman policier alpin »[1], mais aussi comme un des premiers livres de montagne à manier l'humour sans modération. Une partie de l'histoire se déroule dans le huis-clos de deux hôtels des villages de La Bérarde (Isère) et La Grave (Hautes-Alpes), mais aussi sur le refuge du Promontoire et le refuge de l'Aigle, ou encore en pleinte tempête sur le fil de l'arrête sommitale de La Meije[2], deuxième plus haut sommet du Massif des Écrins avec près de 4.000 mètres d'altitude, à la recherche d'un alpiniste disparu.
Genre
modifierAccident à la Meije est considéré comme un « roman policier alpin » de la catégorie du roman à énigme de situation[3]. L'intrigue policière y est "entremêlée à l'aspect proprement sportif" de l'alpinisme, qui est au coeur du roman[4]. Ce genre a depuis prospéré, avec des dizaines d'ouvrages[5]
Résumé
modifierLe jeune alpiniste Philippe Chatel vient de rater ses deux semaines de vacances à Chamonix, accablé par un mauvais temps qui l'a privé d'escalades. A la recherche du soleil, il prend des autocars vers le sud, en direction du petit village de La Bérarde, considéré comme une autre "Mecque de l'Alpinisme", dans le Massif des Ecrins[6], tout au bout de l'étroite vallée du Vénéon.
Le vendredi 25 août, il rencontre par hasard à Bourg d'Oisans un autre alpininiste, le mystérieux et moqueur Ludovic Fournier. Philippe Chatel le décourage d'aller à Chamonix. Rapidement, Fournier lui propose de le conduire à La Bérarde, pour tenter ensemble l'ascension d'une montagne magique, La Meije, que Philippe Chatel à trois fois échoué à gravir à cause du mauvais temps.
A l'hôtel Ducroz de La Bérarde, Philippe a l'agréable surprise de reconnaitre par la fenêtre de sa chambre le rire de Patricia Winslow, avec qui il avait sympathisé lors de vacances au ski en Suisse, un an et demi auparavant, à Saint-Léonard. Il y avait par hasard aidé la jeune Anglaise à réussir l'ascension du Glarner, modeste sommet des Alpes glaronaises. Elle se confie sur sa situation sentimentale complexe, déchirée entre ses liens avec deux cousins que Philippe Chatel avait rencontrés lors du séjour à Saint-Léonard, le brillant mais insensible Donald et le richissime et rassurant Peter Witchell.
Tous deux venus à La Bérarde avec Patricia, ils sont partis la veille du refuge du Promontoire, en vue de réussir la difficile traversée des arêtes de La Meije avec deux autres alpinistes anglais, les frères Jack et Fred Andrews, à la réputation contrastée. Peter n'a pourtant jamais fait de course en montagne. Donald revient bredouille avec Jack, avouant qu'ils ont échoué par épuisement. Peter est parti du refuge trois heures avant eux, avec Fred mais seul ce dernier parvient à La Grave destination de la course, d'où un télégramme annonce la triste nouvelle. Peter a disparu pendant que Fred faisait une courte sieste sur les arêtes.
Des caravanes de secours sont organisées, sans succès. Patricia signale à Philippe, puis à la gendarmerie, un étrange télégramme envoyé deux jours plus tôt en Italie, de La Bérarde. La disparition de Peter vaut bien une investigation policière mais ce sont Chatel et Fournier qui vont s'y confronter en collectionnant auprès des autres alpinistes d'étranges indices sur la chronologie de sa course, les arêtes traversées et la nuit passée au refuge.
Histoire du roman et technique narrative
modifierÉtienne Bruhl ( 1898-1973)[7] était un éminent alpiniste, parmi les premiers membres dès les années 1920, du "Groupe de Haute-Montagne" (GHM)[7]{{}}[8] créé en 1919 par des membres du groupe des Rochassiers, pionniers des alpinistes parisiens, et qui publie les premiers guides Vallot[9]. Il a notamment réalisé la première de l’arrête sud du Moine en 1928[10].
Il s'était fait aussi connaitre par ses articles dans le journal La Montagne, dénonçant au milieu des années 1930 le projet d'introduction de cotations pour les courses et passages en montagne[11],[8], qu'il dénonce comme du "charlatanisme"[12]. Avec le dessinateur et écrivain Sanivel, il fait partie des premiers auteurs maniant l'humour à propos de la montagne et de l'alpinisme[13],[14], y compris au sujet des « dames de pics »[15]. Selon Anne Sauvy, préfacière de la réédition du livre en 2022, il est aussi l'auteur d'une dizaine de nouvelles.
Il a imaginé et rédigé le livre pendant sa captivité dans un camp en Allemagne au début de la seconde guerre mondiale[16],[3], peu après le considérable succès de librairie du premier roman du journaliste chamoniard Roger Frison-Roche, Premier de cordée, au style plus proche de la littérature de montagne classique, genre qui connaitra un gros succès au début des années 1950, et qui met en scène un orage sur des arêtes. Le comique de situation déployé dans les dialogues rappelle celui qui a réussi une quinzaine d'années plus tôt à deux romans de Jean Dufourt, "Calixte, ou l’introduction à la vie lyonnaise", et "Les Malheurs de Calixte". L'ambiance du début du roman d'Etienne Bruhl a inspiré la nouvelle "Le Voyeur", publiée par Boris Vian dans la revue Sensations en 1951 puis dans le recueil Le Loup-garou en 1970.
L'enquête déroulée dans Accident à la Meije est "riche en méandres, en impasses et en rebondissements" et prend la forme d'un un récit "coupé de dialogues vivants", principalement entre les deux héros, mais aussi avec les autres personnages[17]. Le parcours à travers l'arête consitute lui-même un personnage central du roman. Dans son célèbre ouvrage de 1956, l'alpiniste Maurice Herzog, vainqueur de l'Annapurna et futur maire de Chamonix explique que "l'intrigue s'enchevêtre sur les arêtes de la plus belle montagne de l'Oisans, avec une dextérité digne de la Série Noire"[18].
Selon Anne Sauvy, l'auteur n'avait pas souhaité écrire de suite à son roman car "le travail demandé par le mécanisme d'horlogerie qui sous-tend l'intrigue avait été si ardu qu'il n'envisageait pas de recommencer l'expérience"[8]. Cinq décennies après le décès de l'auteur en 1973, le général Nicolas Le Nen, ex-commandant de chasseurs alpins à Annecy et dirigeant de la DGSE[19] a consacré son cinquième roman à une suite [20], non autorisée, de l'intrigue tracée dans l'oeuvre d'Etienne Bruhl, dans Affaire Classée à la Meije[21], roman policier paru en mars 2022[22]. Il met en scène les descendants de Chatel et Fournier, en 2018, qui vont par hasard revisiter les conclusions de leurs aïeux sur ce qui est désormais une "affaire classée". Un nouvel événement les y amène, l’effondrement du glacier carré en août 2018, qui change la donne et l'analyse criminologique.
Le thème d'une enquête sur les ressorts du décès d'un alpiniste, effectuée par un autre alpiniste présent sur les lieux, sans recours à la police, sera repris dans les années 1970 dans Mort d'un guide, film français réalisé par Jacques Ertaud, sorti en 1975.
Références
modifier- Michel Tailland, « Présentation », Babel. Littératures plurielles, no 20, , p. 5–8 (ISSN 1277-7897, lire en ligne, consulté le )
- Étienne Bruhl, Accident à la Meije, Hoëbeke, , 336 p. (ISBN 2-84230-001-7)
- "Polars de montagne : sommets du crime", article par Hervé Bodeau, dans Montagnes Magazine le 3 octobre 2023 [1]
- "Les fêtes du corps", par Pierre Charreton, en 1985, Centre interdisciplinaire d'études et de recherches sur l'expression contemporaine, Université de Saint-Etienne [2]
- Article de Jérome Peugnez, rédacteur en chef de Zone Livres, le 18 octobre 2024 [3]
- Article dans le Dauphiné Libéré du 28 juin 2024 [4]
- "Dictionnaire amoureux de la montagne" par Frédéric Thiriez en 2016
- Préface de la réédition du livre en 2022, par Anne Sauvy
- Archives du GHM [5]
- Summit Day [6]
- "La Dent du Piment - Balade épicée dans l'histoire de l'alpinisme", par Thomas Vennin, aux Editions Paulsen en 2019 [7]
- La Saga des Ecrins par François Labande, aux Editions Paulsen en 2021 [8]
- "L'humour savoyard", par Paul Vincent, aux Editions Horvath en 1982 [9]
- "Le roman de montagne en France", par Michel Ballerini en 1973 aux Editions Arthaud
- "Les nouveaux alpinistes", par Claude Gardien, en 2018 aux Editions Glenat [10]
- Article de Gilbert Chevalier, sur Radio France le 12/11/2023 [11]
- "Bulletin mensual de l'Académie delphinale", page 41, en 1977
- "Montagne" en 1956 aux Editions Larousse, par Maurice Herzog
- Note de lecture, dans Histoire et anecdotes [12]
- "Cinq polars de montagne pour s'évader", article dans Montagnes Magazine le 18 décembre 2023 [13]
- "Affaire classée à la Meije", par Nicolas Le Nen, en 2022 aux Editions Hoëbeke
- Fiche de lecture par Adélie F. Le 16 juillet 2022 dans Altitude News [14]
Liens externes
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