Ālayavijñāna
L'ālayavijñāna (sanskrit), désigne dans l'école Yogācāra du bouddhisme la conscience fondamentale ou conscience réceptacle[1], psychisme de fond[2]. Tandis que les autres écoles bouddhistes postulent six consciences (vijnana), celle-ci en admet deux autres, kliṣṭamanas (la conscience mentale souillée) et l'ālayavijñāna[3].
Vue générale
modifierLa conscience fondamentale, ou « base de tout », est le réceptacle[4] des traces karmiques (ālaya signifie « demeure, maison, réceptacle»[5], comme dans « Himālaya », la « demeure des neiges »[6]). C'est elle qui suscite l'activité de conscience aveuglée par la croyance en un « soi ». L'existence de cette conscience est enseignée par l'école Cittamātra. L'école Madhyamaka a critiqué ce concept et l'a réinterprété pour désigner la vacuité.
En psychologie occidentale, on pourrait l'assimiler plus ou moins à l'inconscient :
« Asanga, au début de la Somme du Grand Véhicule, compare ce tréfonds inconscient à un fleuve qui s'écoule, durant cette vie et aussi d'une vie à une autre. Cet inconscient est donc un flux, non une substance, quasi-continuité mais impermanence. L'âtman était impersonnel, intemporel, substantiel. L'ālayavijñāna est impersonnel, insubstantiel, sans doute intemporel au sens où son devenir n'est pas datable et repérable, mais engagé dans le devenir et y engageant la partie émergée de la conscience [7]. »
Consciences
modifierLa conscience, vijñāna, est l'une des quatre composantes psychiques de la personne, ou plutôt de ce qui est pris pour une personne, et que le bouddhisme étudie comme un ensemble de phénomènes éphémères et impersonnels.
Selon la psychologie bouddhique, il existe six consciences sensorielles, qui correspondent aux six sens : les cinq sens que sont la vue, l'ouïe, le goût, l'odorat, le toucher, auquel la doctrine bouddhique ajoute un sixième sens, le « mental » (manas), lié aux cinq premiers. L'école Yogācāra (ou Cittamātra) elle, ajoute deux autres consciences ; une septième, la conscience souillée (kliṣṭamanas) et la huitième, l'ālayavijñāna.
Idéalisme
modifierLe Cittamātra ne reconnait que l'existence des consciences : il n'y a « rien que l'esprit ». Son enseignement de l'ālayavijñāna est corollaire de cette pensée ; la dualité sujet-objet est refusée, elle est dite « établie », tandis que la nature conditionnée des phénomènes, leur nature dépendante, seule existe. On aboutit paradoxalement à une conclusion inverse de celle du Madhyamaka pour qui la nature dépendante des phénomènes entraîne leur vacuité et leur absence de nature propre (svabhāva).
Une conscience support
modifierL'ālayavijñāna constitue un courant continu. Fondamentalement, elle est aussi bien active que passive. Elle est la base, le réceptacle des semences, qui sont la cause de tout ; plus précisément, l'ālayavijñāna est la cause de la manifestation de la conscience souillée, klistamanas. L'ālayavijñāna est aussi rétribution, résultat (vipaka). Pourtant, elle est caractérisée par toutes les semences, qui n'ont pas d'autre support. Et à l'atteinte de l'éveil, l'ālayavijñāna cesse, ou encore devient amalavijñāna, « conscience pure » (qui est donc une neuvième conscience[8]).
Références
modifier- Paul Masson-Oursel, Esquisse d'une histoire de la philosophie indienne, Paris, Geuthner, 1923[Où ?].
- Jean Filliozat, Les philosophies de l’Inde. Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? » n° 932, 2006, p. 47.
- Buswell Jr. et Lopez Jr. 2014, p. 31
- Étienne Lamotte: L'Alayavijnana (Le Réceptacle) dans le Mahayanasamgraha (Chapitre II). Asanga et commentateurs. Louvain : Imprimerie Orientaliste (Durbecq) - 1935
- « ālaya » dans Gérard Huet, Dictionnaire Héritage du sanscrit [lire en ligne (page consultée le 13 décembre 2024)]
- « himālaya » dans Gérard Huet, Dictionnaire Héritage du sanscrit [lire en ligne (page consultée le 13 décembre 2024)]
- Guy Bugault, L'Inde pense-t-elle ?, Paris, PUF, 1994, p. 166
- (en) Daniel Boucher, « Paramartha », dans Robert E. Buswell Jr. (Ed.), Encyclopedia of Buddhism, New York, Macmillan Reference Lib., (ISBN 0-028-65718-7), p. 630-631
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- (en) Robert E. Buswell Jr. et Donald S. Lopez Jr., The Princeton Dictionary of Buddhism, Princeton, Princeton University Press, , xxxii + 1265 p. (ISBN 978-0-691-15786-3)
- Philippe Cornu, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme [détail des éditions]
- Peter Harvey (trad. de l'anglais par Sylvie Carteron), Le bouddhisme. Enseignements, histoire, pratiques, Paris, Seuil, coll. « Sagesses », , 493 p. (ISBN 978-2-757-80118-5), p. 151-163
- Paul Magnin, Bouddhisme, unité et diversité : expériences de libération, Paris, Éditions du Cerf, , 763 p. (ISBN 9782-204-07092-8), p. 381-388 et passim
- Dominique Trotignon, Paul Magnin, Stéphane Arguillère, Françoise Bonardel, « La co-production conditionnée », in Les cahiers bouddhiques [« http://www.bouddhisme-universite.org/LCB_2 »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?)], Université Bouddhique Européenne, n° 2,
- Jean-Marc Vivenza, Tout est conscience. Une voie d'éveil bouddhiste, Paris, Flammarion, coll. « Spiritualités vivantes », 2010 (inédit), 247 p. (ISBN 978-2-226-19149-6), p. 108-115 et passim
Articles connexes
modifier- Karma, Vijñāna
- Amalavijñāna
- Conscience
- Viññāṇa-kicca
- Paramārtha (moine) (l'introducteur du neuvième niveau de conscience)