Élisabeth Ferrand
Élisabeth Ferrand, née en et morte à Paris , est une salonnière[1] et philosophe française.
Biographie
modifierÉlisabeth Ferrand est issue d'une famille de la noblesse champenoise. Elle est la fille de Paul Ferrand, seigneur de Boulleaux, près de Châlons, capitaine au régiment de Guyenne, et de Marguerite Delestre / Delaistre, remariée avant 1714 avec un sieur Delamotte, lieutenant colonel au même régiment[2].
Arrivée à Paris, elle s'installe dans des appartements sis au rez-de-chaussée du couvent des filles de Saint-Joseph, rue Saint-Dominique, dans le faubourg Saint-Germain. Elle y habitera jusqu'à sa mort en compagnie de son amie Antoinette Louise Gabrielle des Gentils du Bessay, veuve Henri Joseph comte de Vassé, connue sous le nom de comtesse de Vassé (1710–1768)[3].
Dès les années 1730, les deux femmes y reçoivent une société de savants et philosophes de premier plan, dont Alexis-Claude Clairaut est l'un des plus illustres représentants[4]. En 1733 Jean II Bernoulli, lors d'un séjour à Paris, est introduit auprès de mademoiselle Ferrand par Clairaut, et indique dans son journal de voyage que « cette demoiselle entend les mathématiques ; elle nous fit des expériences de physique sur l'attraction avec un tuyau de verre »[5]. La maîtresse de maison y accueille de nombreux philosophes et savants, comme Helvétius, l'abbé Gabriel Bonnot de Mably, son frère l'abbé Étienne Bonnot de Condillac, l'académicien des sciences René-Antoine Ferchault de Réaumur, le mathématicien genevois Gabriel Cramer[6] et sans doute aussi Maupertuis et D'Alembert[7].
Entre 1749 et 1752 Élisabeth Ferrand et son amie la Comtesse de Vassé ont également hébergé le prince Charles Edward Stuart, prétendant jacobite en fuite. Voici comment Grimm rapporte cet épisode dans sa Correspondance littéraire[8] :
« Le malheureux prince Édouard, après être sorti de la Bastille, resta caché pendant trois ans à Paris, chez madame la marquise de Vassé, qui demeurait alors avec son amie, la célèbre mademoiselle Ferrand, à Saint-Joseph, au faubourg Saint-Germain. La princesse de Talmont, dont il était toujours fort amoureux, habitait la même maison. Il se renfermait pendant le jour dans une petite garde-robe de madame de Vassé, où il y avait un escalier dérobé par lequel il descendait la nuit chez la princesse, et le soir derrière une alcôve du cabinet de mademoiselle Ferrand. Il jouissait là tous les jours, sans être aperçu, de la conversation d’une société fort distinguée. On y parlait souvent de lui, on en disait et beaucoup de bien et beaucoup de mal, et l’on se doutait bien peu du témoin caché devant qui l’on parlait. L’existence du prince dans cet asile, et le profond secret qui le déroba si longtemps aux yeux de tout l’univers entre trois femmes, et dans une maison où l’on recevait l'élite de la ville et de la cour, semblent tenir du prodige. »
Malade depuis plusieurs années, elle rédige le un testament dont les principaux bénéficiaires sont Condillac[9], Mably, Clairaut et madame du Vassé. Elle meurt le suivant, à l'âge de 52 ans.
Contribution au Traité des sensations de Condillac (1754)
modifierSi le Traité des sensations[10] de Condillac, paru en 1754, est dédié à la Comtesse du Vassé, l'auteur rend longuement hommage à Élisabeth Ferrand dans sa préface et souligne à quel point il lui est redevable de son ouvrage :
« Il y a sans doute bien des difficultés à surmonter, pour développer tout ce systême; & j’ai souvent éprouvé combien une pareille entreprise étoit au dessus de mes forces. Mademoiselle Ferrand m’a éclairé sur les principes, sur le plan & sur les moindres détails & j’en dois être d’autant plus reconnoissant, que son projet n’étoit ni de m’instruire, ni de faire un Livre. Elle ne s’appercevoit pas qu’elle devenoit Auteur, & elle n’avoit d’autre dessein que de s’entretenir avec moi des choses auxquelles je prenois quelque intérêt. »
L'épigraphe de l'ouvrage, « Ut potero, explicabo, nec tamen, ut Pythius Apollo, certa ut sint et fixa, quae dixero: sed, ut homunculus, probabilia conjectura sequens »[11], tirée des Tusculanes de Cicéron, a également été fournie par mademoiselle Ferrand. Grimm, dans sa Correspondance littéraire[12], précise le :
« Cette épigraphe est du choix de Mlle Ferrand, personne d’un mérite rare, philosophe et géomètre, morte il y a deux ou trois ans, et fort regrettée de notre auteur dont elle était l’amie intime, et de tous ceux qui l’ont connue. Si nous en croyons M. l’abbé de Condillac, mademoiselle Ferrand a une très-grande part au Traité des sensations, et je ne sais si cet aveu fait plus d’honneur à elle ou à celui qui le fait. »
Iconographie
modifierUn portrait intitulé Mademoiselle Ferrand méditant sur Newton a été réalisé en 1752 par Maurice Quentin de la Tour[13]; il est aujourd'hui conservé à la Alte Pinakothek de Munich[14].
Notes et références
modifier- Au XVIIIe siècle le mot « salon » n'est pas utilisé autrement que comme terme d'architecture servant à désigner la pièce dans laquelle les invités étaient reçus. Son acception n'était pas celle qu'on lui donne aujourd'hui : on parlait alors essentiellement de « maison », de « compagnie » ou de « société ». Le terme de « salonnière » est en ce sens anachronique, l'expression « maîtresse de maison » étant alors communément utilisée. Voir Antoine Lilti, Le monde des salons : Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Fayard, , p. 110
- AN, Y 4246, 1e février 1714, avis Ferrand. Acte numérisé sur le site famillesparisiennes.
- Voir Neil Jeffares, La Tour, Mlle Ferrand méditant sur Newton, p. 5-6.
- Olivier Courcelle, « 11 mai 1748 (2) : Clairaut et Mlle Ferrand. », sur clairaut.com (consulté le ).
- (de) Rudolf Wolf, Biographien zur Kulturgeschichte der Schweiz, Orell, Füssli & Comp., (lire en ligne), p. 167
- Voir Bongie, Diderot's femme savante, p. 148.
- Voir Badinter, p. 390.
- Friedrich Melchior Grimm et Denis Diderot, Correspondance littéraire, philosophique et critique, adressée à un souverain d'Allemagne..., Longchamps, Buisson, (lire en ligne), p. 52
- Elle lègue notamment plus de 6000 livres à Condillac "pour avoir des livres". Voir Bongie, p. 152.
- Etienne Bonnot de Condillac, Traité des sensations, Londres, Paris, De Bure, (lire en ligne)
- « Je vais débrouiller cette matière tout de mon mieux. Mais en m'écoutant, ne croyez pas entendre Apollon sur son trépied, et ne prenez pas ce que je vous dirai pour des dogmes indubitables ». Traduction de l'abbé d'Olivet, à lire en ligne sur remacle.org.
- Friedrich Melchior Grimm et Denis Diderot, Correspondance littéraire, philosophique et critique de Grimm et de Diderot, depuis 1753 jusqu'en 1790, Furne, (lire en ligne), p. 226
- À propos de ce pastel et de son histoire, voir Jeffares, p. 1-5.
- « pinakothek.de - Mademoiselle Ferrand Meditating on Newton », sur pinakothek.de (consulté le ).
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- (en) Laurence Bongie, Diderot's femme savante, Oxford, Voltaire Foundation, coll. « Studies on Voltaire and the eighteenth century » (no 166),
- Marion Chottin, « Le "moi" chez Condillac », Textes et documents pour la classe, no 1128 « La recherche de soi : se définir pour se dire », , p. 30-33 (lire en ligne)
- (en) Neil Jeffares, « La Tour, Mlle Ferrand méditant sur Newton » [PDF], sur pastellists.com
- Élisabeth Badinter, Les Passions intellectuelles : I. Désirs de gloire (1735-1751), Paris, Le Livre de Poche, , p. 389-391