Économie réelle
L'économie réelle désigne l'ensemble des activités économiques matérielles ou immatérielles produites par des agents économiques en-dehors des marchés financiers. Les services non marchands font partie de l'économie réelle. L'expression est utilisée pour désigner une séparation entre les marchés financiers et l'activité locale, ouverte à tous les agents économiques communs.
Concept
modifierLe concept d'économie réelle est utile dans les réflexions relatives aux interrelations et boucles de rétroaction dans l'économie. Les études liées à la dépendance de l'économie réelle à l'économie financière et vice versa recourent au terme[1]. Il est ainsi le plus couramment utilisé dans le contexte de l'analyse de crises économiques ou financière[2].
L'expression a une valeur métaphorique car elle est calquée sur les expressions qui opposent la vraie vie, le vrai monde (real-world) à un monde et une économie qui deviendraient virtuels ; elle fait appel à l'opposition réalité/virtualité[2]. Ainsi l'« économie réelle » serait du côté des prix d'actifs fixés sur la base de coûts et de productions réels et d'un travail réel, par opposition à des prix fixés par des motivations spéculatives[3] et certains jeux des acteurs bancaires quand ils s'éloignent trop du réel[4],[5],[6].
De la même manière, cette notion d'« économie réelle » n'implique pas une dichotomisation stricte, aux limites précises, entre deux formes distinctes de l'économie.
Elle sous-entend ou évoque cependant clairement l'existence d'une tendance à l'éloignement d'une économie encore concrète, logique et réelle, accessible et compréhensible aux citoyens, et un système de financiarisation globale de l'économie ou une économie de la théorie financière, éventuellement économiquement « toxique »[7] qui conduirait aux Krachs et à la crise de 2008[8]. T Dallery voit un « divorce rentabilité/croissance » et une tendance pour le capitalisme à s'extraire petit à petit de l'économie réelle, qui peut être source d'instabilité et de conflits [9].
Prise au pied de la lettre, cette expression sous-entendrait que les échanges boursiers ou les opérations financières seraient virtuels, ce qui pourrait signifier qu'elles n'apporteraient rien à l'économie. Or pour ceux qui considèrent que le PIB est un indicateur de l'économie réelle, la finance contribue pour 6 à 7 % du produit intérieur brut des États-Unis. Cette distinction est pour certains détracteurs à mettre sur le compte d'un « biais industrialiste » : la plupart des gens admettent difficilement que le secteur tertiaire produit bien de la richesse[10]. On peut aussi souligner que cette expression signifie surtout « ce dont les gens se rendent compte que ça les concerne »[11].
Dans ce contexte, l'opposé de l'« économie réelle » n'est pas l'« économie virtuelle » mais la sphère financière dans ce qu'elle a de spéculatif, et l'explosion des bulles spéculatives ou le retour cyclique à une stagnation seraient un retour cyclique à l’« économie réelle »[12], certains économistes allant jusqu'à l'opposer à une « économie fictive »[13], due à l'inclusion des services dans le PIB avant la création du CAC 40.
D'autres comme J Bauvert (2006) s'intéressent aussi au lien entre « Économie réelle » et monnaie et « économie monétaire »[14]. La modélisation des interactions entre l'économie réelle et son pendant virtuel est un champ d'étude exploré par exemple par Bhaduri & al.[15], de même pour les effets des crises de confiance et de la contagion propres aux crises financières sur l'économie réelle[16],[17].
Certains auteurs utilisent aussi l'expression « économie réelle » pour mettre en exergue une partie de l'économie habituellement cachée (de l'économie informelle et souterraine à l'économie de la drogue et d'autres trafics)[18] ou pour l'opposer à une économie perçue ou ressentie par le grand public ou les électeurs[19].
Débats et critiques
modifierL'expression d'économie réelle a fait l'objet d'interprétations et de débats à travers les décennies. Carolyn Nordstrom évoque « l'économie réelle » pour la définir comme « celle qui ne correspond pas aux manuels » ; cette critique vise les manuels d'économie, ici considérés comme trop abstraits et privilégiant l'utilisation de mathématiques en économie sur l'étude des faits réels.
Janet MacGaffey, elle, parle d'une « second economy » et d'« économie réelle »[20]. Jane Guyer utilise le terme d'« économie populaire », qui permet d'éclairer la proximité de l'économie dite réelle par rapport à l'économie financière, souvent considérée comme lointaine et déconnectée de l'économie de l'« ici-bas »[20].
Notes et références
modifier- Husson, M. (2008). Globale Krise / Crise de la finance ou crise du capitalisme ?, voir pages 22 et suivantes.
- Reutenauer, C., Valette, M., & Jacquey, E. (2009, December). De l'annotation sémique globale à l'interprétation locale: environnement et image sémiques d'«économie réelle» dans un corpus sur la crise financière. In Colloque ARCo'09 Interprétation et problématiques du sens (p. 29-39).
- Really “Production-based” Asset Pricing. selon J Cochrane J (2005) in Financial markets and the real economy (No. w11193). National Bureau of Economic Research, PDF, 182 pp. Voir notamment le paragraphe 5.1.3 p 56/182
- Disyatat P (2004) Currency crises and the real economy: The role of banks. European Economic Review, 48(1), 75-90.
- Jokipii T & Monnin P (2013) The impact of banking sector stability on the real economy. Journal of International Money and Finance, 32, 1-16.
- Buch C.M & Neugebauer K (2011) Bank-specific shocks and the real economy. Journal of Banking & Finance, 35(8), 2179-2187.
- Pezzuto, I. (2008). Miraculous Financial Engineering or Toxic Finance? The genesis of the US subprime mortgage loans crisis and its consequences on the global financial markets and real economy. The Genesis of the US Subprime Mortgage Loans Crisis and its Consequences on the Global Financial Markets and Real Economy (7 octobre 2008).
- Bourguinat, H., & Briys, É. (2009). L'arrogance de la finance : comment la théorie financière a produit le krach. la Découverte.
- Dallery T (2010). Le divorce rentabilité/croissance dans le capitalisme financiarisé: changements de régimes, équilibres, instabilités et conflits (thèse de doctorat, Lille 1) (résumé).
- Augustin Landier, David Thesmar, Vive la finance !, Les Échos, 2 octobre 2008
- Didier Pourquery, Économie réelle, Libération, 11 octobre 2008
- Foster J.B & Magdoff F (2008) Financial implosion and stagnation: back to the real economy. Monthly Review, 60(7), 1.
- Junmin L & Chaoming W (2004) A Model of Fictitious Economy and Real Economy——An Explanation of Chinese Stock Market Deviating from Real Economy [J]. Economic Research Journal, 4, 006.
- Bauvert, J. (2006). La théorie pure de Léon Walras: économie réelle ou économie monétaire ? Discussion à propos d’une controverse fondamentale. In The fifth conference of the International Walras Association (pp. 87-101)
- Bhaduri, A., Laski, K., & Riese, M. (2006). A model of interaction between the virtual and the real economy. Metroeconomica, 57(3), 412-427.
- Baur D.G (2012) Financial contagion and the real economy. Journal of Banking & Finance, 36(10), 2680-2692 (résumé).
- Claessens S, Tong H & Wei S.J (2012) From the financial crisis to the real economy: Using firm-level data to identify transmission channels. Journal of International Economics, 88(2), 375-387.
- Ex : MacGaffey J (1991) The Real Economy of Zaire: the contribution of smuggling and other unofficial activities to national wealth. University of Pennsylvania Press, 1 nov. 1991 - 175 pages (présentation Google livre)
- ex : Sanders, D. (2000). The real economy and the perceived economy in popularity functions: how much do voters need to know ?: A study of British data, 1974–97. Electoral Studies, 19(2), 275-294.
- Béatrice Hibou (CNRS-CERI/Sciences Po). Global Outlaws. Crime, Money, and Power in the Contemporary World ; Berkeley, University of California Press, 234 p. voir p 8
Voir aussi
modifierArticles connexes
modifierLiens externes
modifier- Guillaume Duval, La crise : après les banques, l'économie réelle, Alternatives économiques,
- Kemal Derviş, Le grand découplage entre la Bourse et l'économie réelle, Le Monde,
- Livres d'économie réelle
Bibliographie
modifier- Aglietta, M., Coudert, V., & Mojon, B. (1995). Actifs patrimoniaux, crédits et économie réelle. Cahiers économiques et monétaires, 2.
- Barrère A (1985) Économie réelle-Économie monétaire. Économie appliquée, 38(1) (résumé JSTOR).
- Cochrane J.H (2005) Financial markets and the real economy. Foundations and Trends in Finance 1:1–101
- Cochrane J.H (2005) Financial markets and the real economy (No. w11193). National Bureau of Economic Research, PDF, 182 pp.
- Cochrane J.H (2006) Financial markets and the real economy, in J. H. Cochrane, ed., Financial Markets and the Real Economy, Volume 18 of the International Library of Critical Writings in Financial Economics, Edward Elgar, London: pages xi–lxix
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